Syrisa se pacse avec le néolibéralisme

Image Stefanos Kasselakis

Par Joël Perichaud, Secrétaire national du Pardem aux relations internationales

Voici donc que le parti Syrisa (Coalition de la gauche radicale) continue sa dégringolade politique et la trahison des promesses faites au peuple grec. Son nouveau dirigeant en est une nouvelle démonstration : un golden boy, vivant aux États-Unis depuis l’âge de 14 ans, bénévole dans l’équipe de Joe Biden, a gagné la direction du parti après une campagne éclair. Il prône une « gauche moderne » et des alliances allant jusqu’au centre. Décidément Syriza mériterait de changer de nom. Le parti a dès lors rompu avec toute défense des classes populaires et moyennes et ne s’opposera jamais aux forces de la Troïka et à l’Allemagne qui dévore les entreprises grecques.

Suite à sa défaite aux législatives du 23 juin 2023, Alexis Tsipras a démissionné de la direction du parti Syriza (acronyme de « coalition de la gauche radicale »). Ce jour-là, le parti de droite Nouvelle démocratie (ND) est arrivé en tête du scrutin avec 40 % des suffrages exprimés. Syriza a pris la deuxième place avec 20% des voix (contre 31,5 % aux législatives de 2019). Dans le même temps, le très dogmatique parti communiste grec (KKE), qui était sur la pente descendante, passe de 5,3 % à 7,2 % des suffrages exprimés et le parti socialiste (social-démocrate) Pasok gagne 3,4 points, progressant de 8,1 % à 11,5 %.
Nous ne reviendrons pas sur les raisons de la débâcle de Syriza analysée dans notre article : « Législatives en Grèce : la droite néolibérale victorieuse, Syrisa en ruine »
Après une campagne “à l’américaine”, 138 000 Grecs (membres de Syriza ou électeurs “contre deux euros”) ont donc élu le remplaçant de Tsipras dans un contexte économique extrêmement dramatique pour le peuple grec : pouvoir d’achat en berne, chômage à plus de 10 %, salaires réduits de 30 % entre 2010 et 2018, privatisations à outrance, plans d'austérité sans fin… car cela continue.

Social-démocratie européiste ou social-démocratie européiste ?

Parmi les candidats figuraient deux favoris : Effie Achtsioglou et Stefanos Kasselakis, aucun ne soutenant une rupture avec le libéralisme économique de l'Union européenne.
Effie Achtsioglou a été ministre du Travail, de la Solidarité et de la Sécurité sociale entre 2016 et 2019. Elle s'est déclarée candidate à la succession de Tsipras le 12 juillet dernier. Celle qui est aussi parlementaire défend un parti des « travailleurs salariés » et se positionne contre les « élites ». Dans son dernier discours de campagne du 16 septembre, elle a défendu un État au bénéfice de la « majorité sociale », acteur en matière de santé publique, de protection sociale et d'éducation nationale. Elle a proposé également de diversifier le modèle économique de la Grèce largement basé sur le tourisme, en s'appuyant notamment sur des PME dans l'agriculture, l'industrie et le numérique. Effie Achtsioglou a préconisé la hausse des salaires et le développement des conventions collectives, dans un pays où les droits des travailleurs ont été laminés par la Troïka européenne (UE, CE et BCE).
Stefanos Kasselakis, quant à lui, a annoncé sa candidature par vidéo moins d’un mois avant les élections du parti et a été élu au terme d’une campagne éclair. Homme d’affaires de 35 ans, surnommé le “golden boy”, Kasselakis vivait encore à Miami dernièrement et n’a jamais été élu dans le cadre d’un mandat électoral en Grèce. Installé aux États-Unis depuis ses 14 ans, il a obtenu une bourse de la fondation Niarchos et poursuivi ses études à l'université de Pennsylvanie. Parallèlement, il a été bénévole en 2008 dans l'équipe de campagne de Joe Biden, alors sénateur et a publié des tribunes dans les colonnes du National Herald. Diplômé en 2009, il est entré chez Goldman Sachs alors que la Grèce plongeait dans une crise financière sans précédent et que son employeur trafiquait les comptes du pays pour le faire entrer dans la zone euro. Cinq ans plus tard, il créait son entreprise dans la marine marchande. Il rentre en politique en mai 2023, comme candidat député de Syriza pour les Grecs de l’étranger. Kasselakis mène alors une campagne éclair et gagne sans avoir présenté de programme mais avec l’appui des chaînes de télévision qui le suivent dans tous ses déplacements : café matinal, activités sportives, accueil de sa mère à l’aéroport…

La mue de Syriza en parti centriste

L'élection de Tsipras en 2015, son refus de sortir de l’UE et de l’euro, sa trahison du référendum voté par le peuple grec en juillet 2015, l’application méticuleuse des politiques de la Troïka européenne ont signé sa mort politique et celle de Syriza comme parti “dit” alternatif…  refusant pourtant toute alternative au néolibéralisme. Et ce n’est certainement pas l’élection de Kasselakis qui va changer les choses.
Car Kasselakis est la continuation de Tsípras : personnification du parti, sociale-démocratie et libéralisme plutôt que gauche radicale, virus de la gouvernabilité (la seule chose qui préoccupe Syriza est de revenir au pouvoir)… Pour ce faire, il distille un discours tiédasse : lutter « contre l'injustice et les inégalités, pour la défense des droits, pour le développement durable et la protection de l'environnement, pour le monde du travail et un esprit d'entreprise sain ». Un discours fade (comme sa concurrente battue Effie Achtsioglou) mais profondément libéral, faisant appel à « l'esprit d’entreprise ». Kasselakis souhaite des alliances de la gauche jusqu'à une partie du centre revendiquant une « gauche moderne » : « Notre discours, le discours de la gauche moderne, est un discours mesuré : là où il faut dénoncer, il dénoncera, là où il faut proposer, il proposera » (interview au quotidien de gauche Efsyn). Et afficher, comme le fait Kasselakis, la nécessaire séparation de l'Église et de l’État, et des réformes néolibérales comme l’abolition du service militaire obligatoire, destructrice d’une véritable défense nationale souveraine et la défense de l’environnement chère à l’UE ne suffira pas aux Grecs et ne fera qu’enfoncer toujours plus le peuple grec dans l’austérité…
Par ailleurs, Aris Stylianou, professeur de sciences politiques à l'Université de Thessalonique et membre de Syriza, souligne que « Tous les scrutins révèlent le manque d'implantation de Syriza dans la société, dans les communes, les régions, les associations et les syndicats ». Il note « qu’en théorie, le parti existe, des milliers de gens s'y sont même inscrits. Mais il n'y a pas de mécanisme de parti ». Et ce, contrairement au Pasok et à ND.
Admiré par une partie de la société, Kasselakis semble néanmoins honni par une fraction de Syriza. Plus que jamais, le parti est coupé en deux. Et déjà, une “scission” concrète traverse les esprits…
Quoiqu’il en soit, l’élection du golden boy européiste Kasselakis à la tête d’une Syriza devenue centriste ferme définitivement tout espoir que ce parti puisse servir les intérêts du peuple grec.

À quand une force politique favorable à la sortie de l’UE, de l’euro, de l’OTAN et du néolibéralisme ? En Grèce comme ailleurs dans les pays de l’Union européenne la gauche autoproclamée de la transformation sociale se couche. Les peuples restent livrés à eux-mêmes. Tout est à reconstruire. En attendant c’est la pauvreté et la précarité qui l’emportent. À qui profite ce crime ?