SANTÉ : L’UE dépouille les États de leurs compétences

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Union européenne et santé

 

Par Jean-Michel Toulouse, membre du Bureau du Pardem


En matière de santé comme dans beaucoup d'autres domaines, ce qui dans les traités n'est qu'une "compétence d'appui" devient compétence "exclusive" de l'UE, au détriment de celles des États et donc de la souveraineté des Nations. La stratégie du grignotage s’amplifie au fil des ans, à pas de loup et en douce ! 
En matière de santé l’Union européenne dispose déjà d'une Direction générale de la Santé rattachée à la Commission, d'un Observatoire européen des drogues et toxicomanies, d'une Agence européenne du Médicament, d'un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, d'une Autorité européenne de préparation et de réaction à l'urgence sanitaire (Hera) (1), d'un Plan « UE4Health » 2021-2027 doté de 5 milliards d'euros et, à présent, d'une stratégie concernant les médicaments et les dispositifs médicaux. 
Sans doute pour s’adapter à la nouvelle « législation » européenne, le gouvernement français vient de créer, début 2025, au sein de la HAS (Haute autorité de la santé), un service exclusivement dédié à l’évaluation médico-économique pour lequel elle recrute un chef de service… Entrez dans les couloirs du train fantôme !

L’Union européenne pilote

Dans un "avis" qui vaut décision, la Commission de Bruxelles vient de prendre la main sur d'importantes compétences des États en matière de santé : elle rajoute ainsi une couche au Règlement UE/2021/2282 avec un Règlement européen pour les évaluations scientifiques des technologies de santé et une procédure s'agissant des médicaments et des dispositifs médicaux.
Sous prétexte de lutter contre la bureaucratie, l'UE met en place une procédure centralisée :« l’évaluation commune des médicaments et dispositifs médicaux avant autorisation de mise sur le marché » (AMM), quasi-obligatoire pour les Etats. Elle invoque vouloir favoriser un accès plus rapide aux médicaments innovants mais, en réalité, c’est un libre accès aux profits pour Big Pharma qu'elle organise.
La procédure est la suivante : un laboratoire ou un "industriel" fait une demande d'AMM auprès de l'AEM (Agence européenne du médicament), avec une demande d’ECC (Évaluation clinique commune). L'AEM « évalue les données scientifiques » et « la valeur ajoutée » du  produit. L’UEM puis la Commission imposeront ainsi à partir de leurs critères leur politique car il n'y aura plus ni évaluation scientifique ni évaluation clinique au niveau national. L'évaluation scientifique et le rapport ECC (Évaluation clinique commune) suffiront.
Ce rapport ECC devra être fourni 30 jours après la demande d'AMM, le prix du produit et le taux de remboursement seront fixés dans la foulée. Il ne s'agit donc pas « d'aider les Etats à prendre des décisions plus rapides » puisque les États ont des institutions nationales pour ce faire, mais d'accélérer la circulation des médicaments et DM (dispositifs médicaux) sur le marché de l’Union européenne et donc du profit.
Le LEEM (Organisation professionnelle des entreprises du médicaments) dit s'effrayer du délai de 30 jours imposé pour fournir tous les éléments demandés mais, sur le fond il mesurera très vite les avantages de la nouvelle « procédure »... il se passera très vite de la "duplication nationale » et s’ouvrira ainsi les portes des 27 pays en une seule fois !
Cette procédure s'applique dès janvier 2025 pour les médicaments oncologiques (anti-cancéreux) ainsi qu'aux médicaments de « thérapies innovantes », puis serait généralisée à tous les médicaments et aux dispositifs médicaux à partir de 2030.

Ce nouveau Règlement européen pour les évaluations des technologies de santé a d'ores et déjà été validé par l’HAS (Haute autorité de Santé) française… et son effectivité débute donc dès cette année. 
Quatre types de production documentaire sont définies :
1. Les ECC (Evaluations cliniques communes) ou en anglais JCA (Joint Clinical Assessments)
2. Les CSC (Consultations scientifiques communes) ou JSC (Joint Scientific Consultations)
3. Les ITSE (Identification des technologies de santé émergentes) ou EHT (Emerging Health Technologies),
4. Un GMP (Guide de méthodologie et de procédure)-DMPG (Development of Methodological and Procedural Guidance).

Décryptage 

1. Il s'agit de compiler des données scientifiques, d'échanger des informations afin d'élaborer un « rapport annuel d'identification des technologies émergentes » afin d'orienter les travaux scientifiques communs,
2. Mettre en place un « Groupe de Coordination des États membres de l'UE pour l'évaluation des technologies de santé » (HTACG), appuyé sur les quatre sous-groupes signalés ci-dessus (ECS-CSC-ITSE et GMP). Il faut savoir que le secrétariat de coordination de ce HTACG ne sera personne d'autre que la Commission de Bruxelles elle-même !
3. Mettre en place un « réseau des parties prenantes » : laboratoires, industriels, ONG, associations diverses proches du monde du médicament, etc.
4.  Installer une plateforme informatique et numérique
5. Organiser, sur la base des JCA (Evaluations cliniques communes) et des JSC (Consultations scientifiques communes) et sous la houlette du Groupe de Coordination (HTACG), une procédure unique au niveau "européen" de sélection des nouveaux médicaments et dispositifs médicaux (DM) qui seront lancés sur le marché. Non pas en fonction des besoins réels des populations, mais sur les seuls critères qui importent pour le capital : une forte valeur ajoutée (lire le profit), la dimension transfrontalière (libre échange), l'intégration de l'Intelligence Artificielle et des algorithmes utiles au dégagement du profit maximum, l'incidence sur les systèmes de santé dont la privatisation est un des objectifs de l’UE.

Ce dispositif déjà lancé, doit être généralisé pour tous les médicaments et DM au 1er janvier 2030. Les données dossiers et demandes, effectués dans le cadre strict des JCA (évaluations cliniques) et des JSC (Consultations scientifiques communes), n'auront pas à être re-déposés devant les instances nationales ! La souveraineté sanitaire est donc aux mains de l’UE.

Souvenons-nous que lors de l'épisode de la Covid 19, Madame von der Leyen avait anticipé en quelque sorte en négociant dans des conditions absolument opaques l'achat de 4,6 milliards de doses à huit laboratoires achats qui désormais prêtent à discussion et à contestation y compris par d'éminents chercheurs et spécialistes.

Cette stratégie scélérate de la « solidarité de fait » inaugurée par Jean Monnet, dit le « père de l’Europe », est donc toujours mise en œuvre par les adeptes de la « souveraineté européenne » et sera peaufinée avec le « saut fédéral européen » ! D’ici là (et rapidement), l’UE avance en toute opacité, secteur par secteur, méthode qu’elle maîtrise avec brio, dans le dos des citoyens et de la plupart des élus tandis que les gouvernements disent oui de manière constante.

La France prépare le terrain en repensant l’organisation de la HAS

Dans un communiqué publié le 20 décembre 2024, la Haute autorité de santé annonce la couleur, à mots choisis : « Dans un contexte de nécessaire maîtrise des dépenses publiques conjuguée à l’augmentation de la demande en santé et aux coûts croissants des innovations, la place de l’évaluation médico-économique est centrale pour déterminer comment faire le meilleur usage possible des ressources. Chargée de l’évaluation médico-économique des produits et interventions de santé, la Haute Autorité de santé (HAS) repense son organisation pour répondre au mieux à ce besoin. Cette ambition, qui sera portée dans son futur projet stratégique, se matérialise dès aujourd’hui par la création du service de l’évaluation économique (S2E) au sein de sa direction de l’évaluation et de l’accès à l’innovation (DEAI). »

Toute l’activité économique sera regroupée au sein de ce nouveau service, dont l’évaluation des dossiers d’efficience et d’impact budgétaire des produits de santé en vue de leur remboursement, ainsi que l’évaluation médico-économique des interventions de santé publique.
Elle fournira au décideur public « l’éclairage le plus utile sur l’efficience des dépenses de santé, y compris de prévention. Cette ambition constitue par ailleurs un axe du futur projet stratégique 2025-2030 de l’institution. »
Tiens donc 2030… Hasard ou nécessité ? En tout cas pas un mot sur le nouveau rôle de l’Union européenne mais quelques indices qui peuvent y faire songer pour qui a eu vent de « l’évaluation commune des médicaments et dispositifs médicaux avant autorisation de mise sur le marché » (AMM) ».
Parmi les missions du nouveau chef de service de la HAS figure notamment : « Assurer la représentation de la HAS dans tous les groupes en lien avec les missions du S2E, contribuer au renforcement de la place de la HAS sur l’évaluation économique en France et à l’international »

Si vous voulez vérifier ces informations ou en savoir plus, consultez les sources :

Union européenne : 
« À marché unique, procédure unique. L'Europe lance l'évaluation clinique commune (ECC) des nouveaux médicaments, pour remplacer les évaluations nationales de ses pays membres. Les laboratoires pharmaceutiques n'auront plus qu'un dossier à remplir… mais il devra contenir les données demandées par 27 Etats, et le secteur pharma prie pour que cette harmonisation ne tourne pas au cauchemar bureaucratique. » Les Échos.
https://www.lesechos.fr/industrie-services/pharmacie-sante/leurope-lance-levaluation-scientifique-commune-des-nouveaux-medicaments-2141265
« Pour accélérer l’accès aux médicaments innovants, l’Union européenne lance ce dimanche 12 janvier un nouveau système d'évaluation commune, ont indiqué Bruxelles et des acteurs du médicament. » 
https://www.cnews.fr/sante/2025-01-12/medicaments-lue-lance-une-evaluation-commune-aux-27-pays-avant-leur-autorisation

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/api/files/document/print/fr/ip_23_1843/IP_23_1843_FR.pdf
https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/eu4health-programme-2021-2027.html

(1)   https://pardem.org/hera-erigee-en-nouvelle-divinite-de-lue