22 février 2024 : 10e anniversaire du conflit en Ukraine

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Par Joël Perichaud, Secrétaire national du PARDEM aux relations internationales

C’est le « narratif » officiel, celui des politiques, des gouvernements, des parlements, de l’Union européenne, des États-Unis et de tous les médias qui reprennent sans broncher les « éléments de langage » qu’ils reçoivent en jets continus dans leurs rédactions. La Russie, enfin son chef, fou, malade et cruel, un vrai dictateur, s’est réveillé au matin du 22 février 2022 après un cauchemar épouvantable et insensé, un délire paranoïaque : l’OTAN, les États-Unis et leurs amis intimes de l’Union européenne voulaient écraser la Russie, son régime, et l’astreindre à devenir vassale des occidentaux. Oh ! Le dingue ! Pof Pof ! Poutine, énervé, mal en point, quasi dément, lance vite fait ses armées contre la douce et blonde Ukraine. Horreur ! La Russie veut envahir ce pays si pacifique, c’est sûr. Impossible de rester les bras baissés. L’Occident ne laissera pas commettre un tel crime. La machine est lancée. Solidarité ! Solidarité ! Envoyons le pognon, les munitions, les armes, les conseillers en guerre, et les chars, et les drones. Ce sera le prix de la défense de la tant chérie démocratie dont le modèle le plus exemplaire est incarné par les États-Unis et que l’Ukraine veut garder (la démocratie). Tous ensemble ! Tous ensemble ! Et ceux qui n’ont pas encore franchi le pas le feront : ils rejoindront le camp du bien, l’Otan. Punissons, sanctionnons, épuisons l’économie russe, gelons leurs avoirs à l’étranger, confisquons les intérêts de ces avoirs, privons-la de nos euros et dollars en cessant de leur acheter du gaz.. On se débrouillera sans. Quitte à faire exploser la dette publique. Quitte à faire payer les populations occidentales. Quitte à ce que des millions d’Ukrainiens quittent leur pays. Que les hommes, ô valeureux patriotes, montent au front, sous les viva des députés et des gouvernements occidentaux bien au chaud dans leurs cénacles. Leur chef est si magnifique. Cet ancien acteur, pas trop dans le besoin, se pare des habits ad’hoc : tee-shirt et pantalon de terrain, devenus son uniforme international.  D’ailleurs la Russie sera écrasée en quelques semaines, la guerre, comme toutes les autres n’est-ce pas, ne durera pas. Et l’UE ouvre grand ses frontières à ces femmes et enfants qui veulent quitter leur pays. Et les peuples de l’UE leur ouvrent grand les bras pour les loger, les soigner, les nourrir et même leur permettre d’accéder rapidement à un emploi. Quitte à déroger aux règles de l’UE puisque l’Ukraine n’en est pas membre.
Face au cauchemar poutinien, le rêve occidental est porteur de démocratie, d’humanité, de solidarité, de partage, de courage, de force… C’est vendeur et permet à chacun de se croire un peu un héros qui va se cailler les miches car le prix du gaz et de l’électricité (indexé sur le prix du gaz) c’est lui qui va le payer. Mais quoi, on ne va pas jouer les pleutres, les petits bras, les égoïstes. Tous solidaires les peuples pour sauver les Ukrainiens des griffes de l’envahisseur !
Sauf que… tout cela est une mise en scène de sit-com. La réalité est bien autre.
Nous vous proposons de remonter le fil de l’histoire. Vous serez donc assez curieux pour comprendre pourquoi le conflit dure ?

En réalité, historiquement, la “question ukrainienne” peut se diviser en 4 périodes : de 1945 à 1956 une guerre de sabotage et de terrorisme, de 1956 à 1990 une “accalmie”, de 1990 à 2014, un conflit latent, à partir de 2014, une nouvelle guerre. En 2022 la réaction de la Russie.

Selon le récit US-OTAN-UE-Kiev, avant le 24 février 2022, tout n’était en Ukraine que paix, calme et volupté. Mais ce jour-là, sans justification et sans préavis, comme un éclair dans un ciel serein, Poutine envahit l’Ukraine innocente. Consternation et incompréhension. Ah! les méchants Russes ! Heureusement, le camp du bien avec, à sa tête, les USA champions de la démocratie et bons samaritains, voleront au secours de la victime. Depuis, les États-Unis avec la charitable Union européenne (UE), sont la source inépuisable de dollars, d’euros, d’armes, de “conseillers” de l’OTAN et de volontaires y compris néonazis.

Rappelez-vous. Selon la petite cinquantaine de pays inféodés aux USA et pompeusement auto-proclamés ‘l’Occident”, le conflit ne devait durer, au plus, que quelques semaines et saigner la Russie pendant que les “sanctions économiques” la mettraient K.O (cf. fanfaronnade de Bruno Le Maire…) et ouvriraient la voie à un “soulèvement populaire” contre Poutine sur le modèle des “révolutions colorées”….
C’était, et c’est encore, le récit officiel ressassé ad nauseam par les gouvernements des pays membres de  l’UE et leurs médias aux ordres. Seule la propagande pro-USA-OTAN-Kiev, en effet, est permise. La pensée unique s’impose en réduisant au silence toutes les autres, y compris par la censure (exemple, l’interdiction de Russia Today-RT). La pensée politiquement correcte se présente fièrement comme la défense de la démocratie et de “valeurs”, sans jamais les préciser d’ailleurs.

Logique. Car dans le culte de l’instantané et dans la propagande, il n’y a pas d’Histoire. Les événements surviennent comme des apparitions soudaines ou des faits aléatoires répondant à des impulsions spontanées. Le rôle des “bons” (USA, OTAN, UE avec ceux qui s'alignent) et celui des “méchants” (ceux qui tiennent tête aux “bons”) sont figés d’avance. Rien d’autre. Il est donc facile de faire croire avec ce raisonnement simpliste et déformant, qu’un conflit ne commence qu’au moment où les “méchants” ripostent. Les actions provocatrices qui précèdent sont passées sous silence et ainsi effacées de l’histoire et de la mémoire individuelle et collective. Parfois certains, rares, tentent bien de défendre une autre analyse telle que « il s’agirait d’un putsch commandité par le camp occidental pour un changement de régime ("regime change") et la prise de pouvoir par des “démocrates” qui mettrait la Russie sous la coupe de l’impérialisme états-unien. » Accusés immédiatement d’être des suppôts de Poutine, montrés du doigt par l’écrasante majorité des partis politiques, le gouvernement français et des médias, leurs voix sont étouffées, jusqu’à la censure.

Le 24 février 2022 devient donc la date officielle du début du conflit en Ukraine. Les rôles des protagonistes sont distribués : celui de la responsabilité des gouvernements occidentaux comme initiateurs du conflit en Ukraine disparaît. Le scénario est ainsi mis au point :  un envahisseur sanglant est désigné tandis que l’Occident, bon camarade au cœur généreux, occupe spontanément le rôle du “défenseur” de l’Ukraine. Quitte à abandonner toute démarche diplomatique visant à rétablir la paix, l’argent coulera à flot pour armer les Ukrainiens envoyés dans les tranchées, où certains n’ont pas été relevés depuis deux ans !

Pourtant, pour qui s’est déjà intéressé aux conflits militaires, le déclenchement des guerres puise toujours ses racines dans une multitude de causes et s’annonce via plusieurs événements. C’est bien ce que nous allons montrer dans la suite de ce texte.

Repartons donc du début puisque historiquement, la “question ukrainienne” peut se diviser en 4 périodes : de 1945 à 1956 une guerre de sabotage et de terrorisme, de 1956 à 1990 une “accalmie”, de 1990 à 2014, un conflit latent, à partir de 2014, une nouvelle guerre qui ne dit pas son nom.

1945 : L’origine du conflit

Dès 1945, l’ancêtre de la CIA, l’Office of Strategic Services (OSS - service de renseignement en temps de guerre, créé par F. D. Roosevelt après Pearl Harbor), recrute des nazis allemands et leurs collaborateurs ukrainiens. L’un des plus connus est Reinhard Gehlen, chef du service des renseignements à l’Est, promu Général  du IIIe Reich à 42 ans, fondateur et chef du Bundesnachrichtendienst (BND - services de renseignements ouest-allemands) jusqu'en 1968. Il met son réseau d’agents en Europe de l’Est au service des USA, évitant ainsi la peine de mort qu’il méritait. Notons que Gehlen а intégré dans ses troupes une ribambelle d'anciens nazis et même de criminels nazis. Tous ses “employés” recevaient une nouvelle identité. Parmi les plus connus, Alois Brunner, proche d'Adolf Eichmann, et Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo à Lyon. La CIA elle-même estime que les anciens membres du NSDAP (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei - Parti national-socialiste des travailleurs allemands, le parti d’Hitler), du SD (Sicherheitsdienst des Reichsführers SS - (service de la sécurité du Reichsführer-SS, abrégé en SD) de la Gestapo (acronyme de Geheime Staatspolizei - Police secrète d’État) et des officiers de la SS représentaient jusqu'à 28% du personnel…
L’Ukrainien Stepan Bandera, l’un des dirigeants de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) également chef de file de la fasciste Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN-B), qui collabore avec l'Allemagne nazie en créant la Légion ukrainienne sous commandement de la Wehrmacht, rejoint Gehlen en Allemagne et, avec son organisation, mène une guerre sanglante contre l’URSS en Ukraine, alors territoire soviétique. Finalement l’URSS l’emporte et Bandera est assassiné en 1959.
La situation se stabilise jusqu’en 1991.

1991 et les tensions qui s’ensuivirent

Le démembrement de l’URSS, officiellement le 26 décembre 1991, donne naissance à une Ukraine indépendante, reconnue par la Russie et avec laquelle elle entretient de bonnes relations économiques. Entre autres accords, la Russie vend du gaz à l’Ukraine et lui verse des droits pour le gaz russe qui transite par l’Ukraine vers d’autres pays. La Crimée, qui a obtenu en 1991 le statut de République autonome de Crimée au sein de l'Ukraine indépendante (Sébastopol devenant une ville à statut spécial), reste aux mains de l’Ukraine et ce malgré le référendum de janvier 1991 favorable au maintien dans l’URSS. La Russie conservera, par traité, la base navale de Sébastopol, essentielle pour sa défense en mer Noire.

Mais, contrairement aux engagements des Occidentaux (1), le processus enclenché en 1991 se poursuit par une politique états-unienne de mainmise sur les pays de l’Est, ex-membres du bloc soviétique. Fondée en 1949, l’OTAN est de fait une alliance militaire contre l’URSS dirigée par les États-Unis. Malgré la chute du mur et la disparition de l’URSS, elle est maintenue comme instrument de contrôle de l’Europe et d’intervention militaire. Ce fut le cas en 1999, lors du bombardement de la Serbie (Opération Force alliée 23 mars-10 juin 1999), et hors de l’Europe : en Afghanistan de 2003 à 2021, en Libye en 2011.

Qui sait ou se souvient, qu’en 2000 la Russie avait envisagé, pour sa sécurité,  d’intégrer l’OTAN ? Mais celle-ci, demeurant une alliance militaire antirusse sous la direction des USA, refuse l’adhésion de la Russie tout en continuant son expansion militaire vers les frontières de la Russie par l’intégration des ex-pays du Pacte de Varsovie. L’OTAN prend ainsi un caractère menaçant pour la Russie. En 1999, la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie entrent dans l’OTAN. En 2004, c’est au tour des trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), de la Slovaquie, de la Slovénie, de la Roumanie et de la Bulgarie. Il suffit de regarder une carte pour comprendre que l’entrée de  l’Ukraine dans “l’Alliance” serait pour l’OTAN le bon moyen d’accéder à toute la frontière sud de la Russie. « Arracher » Sébastopol de la Russie permettrait de mettre en péril ses voies maritimes de la mer Noire et neutraliserait ses capacités balistiques de riposte par l’installation de missiles états-uniens, à quelques minutes de Moscou. Inacceptable pour n’importe quel État souverain !

Le 21 novembre 2004, jour du deuxième tour de l'élection présidentielle en Ukraine et de la victoire de Viktor Ianoukovytch, débutent des manifestations soutenues par les États-Unis. C’est le début de la “révolution orange”, déclenchée pour effectuer un changement de régime (regime change), véritable coup d’État pour faire basculer l’Ukraine dans le camp occidental. Car, n’en déplaise à certains, il est établi que ces manifestations ont été organisées en particulier par deux groupuscules, Znayu et Pora, grâce au financement de la National Endowment for Democracy (NED) faux-nez de la CIA ; de la United States Agency for International Development (USAID), agence officielle du gouvernement des États-Unis ; de la Westminster Foundation for Democracy (fondation britannique financée par le bureau des affaires étrangères et du Commonwealth (communément appelé Foreign Office) et de Freedom House, ONG historiquement liée à la World Anti-communist League (WACL - Ligue anticommuniste mondiale, rebaptisée en 1990 Ligue mondiale pour la liberté et la démocratie) ; du mouvement Resistance International, ainsi qu'à des organisations gouvernementales telles que Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL - station de radio et groupe de communication privé financés par le Congrès des États-Unis) ou encore, la Central Intelligence Agency (CIA, agence centrale de renseignement) chargée de fournir et d’analyser des “informations”, c’est-à-dire  d’espionner les gouvernements, les entreprises et les individus de tous les pays du monde pour le compte du gouvernement américain et conduire des opérations clandestines à l'étranger.

Rappelons que les groupuscules Znayu et Pora ont des liens avérés avec le mouvement Otpor qui avait réussi à faire chuter l'ex-président serbe Slobodan Milošević (juillet 2000 ) et était déjà impliqué dans la “révolution des roses” géorgienne de novembre 2003, ainsi que dans les tentatives de renversement du régime biélorusse (2001 et 2004). Ne passons pas sous silence les financements des organisations comme le Konrad Adenauer Institut, proche de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU) d’Angela Merkel, de l'Open Society Institute du milliardaire George Soros, du National Democratic Institute for International Affairs, think tank du Parti démocrate américain… Cette liste n’est pas exhaustive.
En appui des troubles et “révolutions colorées” organisées, l’OTAN formule des projets d’intégration de la Géorgie, située dans la zone sensible au sud de la Russie. Le pouvoir installé à Tbilissi par la “révolution des roses” de 2003 la réclame. L’expansion de l’OTAN se poursuit dans les Balkans en 2009, 2017 et 2020. L’OTAN passe de 12 membres fondateurs en 1949 à 16 membres en 1990, puis à 31 en 2020. Avec la disparition de l’URSS, l’OTAN double donc le nombre de ses pays membres.
Si, en 1990, on célébrait faussement  la fin des blocs, dans les faits, on assistait à l’absorption d’un bloc par l’autre. Car, aussitôt admis, les pays membres voient s’ouvrir sur leur sol des bases militaires de l’OTAN, de facto étasuniennes.

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Désillusions de la Russie post soviétique

À la fin de la guerre froide, la Russie finit par abandonner l’illusion que sa conversion au capitalisme pouvait lui permettre d’accéder au statut de partenaire de l’Occident. Elle réalise, à ses dépends, qu’elle n’est considérée que comme une vassale. Alors même que le capitalisme sauvage des années 1990 éclatait au grand jour, les Russes, étant plongés dans la misère, sont parfois contraints de vendre leurs chaussures sur les trottoirs pour se nourrir. L’État “libéral” n’est alors que le remplacement de l’État soviétique par la jungle des oligarques, du grand banditisme et du capital étranger. Copier l’Occident et intégrer la mondialisation US seront vus pour ce qu’ils sont : un miroir aux alouettes.

Ces désastres stratégiques, politiques, économiques et sociaux russes expliquent l’émergence de Vladimir Poutine sur la scène politique. Car s’il est à l’époque “occidentalisant” comme les autres dirigeants post-soviétiques, il doit, comme des millions de Russes, se rendre à l’évidence : déchéance du pays et drames économique et social sont la réalité. Toute la politique de Poutine consiste alors à restaurer l’État et à remettre la Russie sur pied. Son succès sur tous ces plans lui vaut sa popularité en Russie et la détestation profonde, viscérale, de l’impérialisme étasunien et de ses affidés européens qui ne peuvent admettre qu’un pays défende sa souveraineté et ses intérêts. Pour les USA et l’UE, le « Far Ouest russe », faible et corrompu de l’ivrogne Eltsine était bien plus préférable et profitable.

L’avancée de la pieuvre otanienne alarme la Russie qui multiplie alors les appels à l’Occident. Elle demande à être écoutée, qu’il soit tenu compte de ses besoins de sécurité, que ne soit pas poursuivie la dangereuse expansion de l’OTAN, que lui soit reconnu le droit de penser en termes de sécurité collective et pour tous, etc. En février 2007, à Munich, Poutine prononce un discours, devenu une référence. Il critique l’unilatéralisme étasunien et rappelle que la souveraineté des États et le droit international sont bafoués par « l’unique superpuissance » . Rien n’y fait. Les États-Unis continuent à entretenir le mythe : ils seraient un pays “exceptionnel" et “indispensable". La « fin de l’histoire » aurait sonné, la mondialisation serait le bonheur des peuples, la disparition des États souverains (excepté les États-Unis), serait le seul horizon de l’humanité, etc. Avançant inexorablement, intervenant partout dans le monde sous divers prétextes discutables, voire inventés, (guerre contre le terrorisme, défense des droits humains et de la démocratie, lutte contre un dictateur, etc.), les États-Unis veulent absorber le monde entier dans leur impérialisme planétaire… La Russie ne serait qu’une variable négligeable à acculer dans ses derniers retranchements pendant qu’ailleurs les USA déroulent sans interruption de multiples opérations à caractère expansionniste.

2008 : Conflit armé entre la Géorgie et la Russie

En 2008, une crise financière et économique, générée par les États-Unis, touche l’ensemble du monde et écorne le mythe de la mondialisation heureuse et des bienfaits de l’hégémonie étasunienne. Au même moment, les économies “dirigées“, partiellement ou entièrement, de la Chine et de plusieurs pays du Sud, montrent leur dynamisme. Le modèle néolibéral est discrédité.

Sur le plan stratégique, la Russie (Dmitri Medvedev) réagit pour la première fois militairement, le 8 août 2008, lorsque ses troupes sont attaquées par le pouvoir géorgien issu de la “révolution des roses” de novembre 2003. Ce jour-là, le président Mikheil Saakachvili avait décidé d'un assaut sur Tskhinvali, la capitale de l'Ossétie du Sud, visant les points stratégiques défendus par un bataillon russe. Ce fut la “deuxième guerre d'Ossétie du Sud” qui se solda par un échec cuisant du gouvernement géorgien. De fait, cette intervention représente la première véritable réaction de la Russie après des années de paralysie face aux brimades internationales qu’elle subit. La déroute des forces géorgiennes signale la détermination de la Russie à protéger ses frontières et met un coup d’arrêt aux projets d’expansion de l’OTAN.
Au passage, rappelons que Saakachvili (président de janvier 2004 à octobre 2012) avait “ouvert” l’économie géorgienne au capitaux américains et “européens”, mis en œuvre une politique pro-occidentale et demandé l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN…

Pourtant, à cette époque, la Russie n’est toujours ni hostile ni belliqueuse envers l’Occident. Elle continue de plaider, de faire appel à la raison, au sens de l’intérêt général… A-t-elle conscience de l’intensité de l’hostilité occidentale à son encontre ? On peut en douter.  Elle pratique une diplomatie classique, de diplomates à diplomates, loin de la “communication”, de la démagogie, du sensationnalisme et du tapage médiatique occidental. Alors que la Russie est vitupérée et traînée publiquement dans la boue par les gouvernements étasuniens et de l’UE à jet continu et sur tous les sujets, Sergei Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères parle encore de « nos partenaires occidentaux »… 
La Russie perdra ensuite toute illusion occidentaliste. Dans les faits, elle ne sera jamais acceptée dans le “camp occidental” car elle refuse de renoncer à sa souveraineté. C'est cela qui en fait une “bête noire”  pour le monde unipolaire voulu par les USA, mais aussi un exemple pour d’autres pays attachés à leur indépendance nationale. Le rejet de la Russie depuis 1990, formalisé par l’Occident depuis le début des années 2010 a ouvert la phase actuelle qui a abouti à l’affrontement militaire en Ukraine.

L’OTAN ouvre le front sud : Lybie, Syrie, Irak

Tout en subissant la pression de l’OTAN à l’Ouest, la Russie a été est humiliée par l’attaque de l’OTAN contre la Serbie en 1999, sans mandat de l’ONU. Elle a assisté à l’installation des États-Unis en Afghanistan en 2001 et vu apparaître un autre danger : la militarisation des  réactionnaires ”révolutions colorées”.

Puis, en 2011, profitant des révoltes arabes, les États-Unis, leurs affidés et son bras armé l’OTAN, abattent directement les régimes des pays arabes qui échappaient encore à leur emprise. Ils attaquent militairement la Libye en détournant le mandat accordé par le Conseil de sécurité de l’ONU. La Russie qui, comme les autres membres, a voté pour un mandat de protection des populations, se rend compte de la supercherie : le mandat initial est transformé par l’OTAN en feu vert pour renverser le régime et assassiner Muammar Kadhafi (à la grande joie de Nicolas Sarkosy). La Russie prend alors conscience, un peu tard, qu’elle a été instrumentalisée et que la résolution votée donnait une couverture juridique aux interventions impériales occidentales.
Une coalition (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Turquie, Arabie saoudite, Qatar, Israël) déclenche une guerre pour effectuer un changement de régime en Syrie. Il ne faut pas se méprendre. Les “Occidentaux” ne veulent pas détrôner un “dictateur” pour apporter la démocratie au peuple syrien mais attaquent directement un allié de la Russie. En effet, si la démocratie avait été l’objectif des Américains, de la Grande-Bretagne, de la France et mettons de la Turquie, ils auraient dû envahir depuis longtemps leurs propres alliés : Arabie saoudite, Qatar et Israël. Les faux arguments de la démocratie et de la chute du “tyran” Bachar el-Assad sont avancés pour leurrer l’opinion. La véritable raison reste dans l’ombre : porter atteinte aux intérêts de la Russie dans la région.

Le 22 mai 2014, à l’ONU, la Russie et la Chine usent de leur veto pour empêcher le Conseil de sécurité d’avaliser une attaque aérienne occidentale en Syrie, mais la guerre aura quand même lieu… par d’autres moyens. Tirant l’unique leçon de leur échec à contrôler l’Irak qu’ils occupent depuis 2003, et aux pertes qu’ils subissent, les États-Unis choisissent alors de mener les futures guerres par procuration, d’envoyer “au casse-pipe” des supplétifs disponibles pour faire le sale boulot. En Syrie, la mission sera  confiée aux djihadistes de tous poils sur le modèle employé en Tchétchénie contre la Russie durant les années 1990. Dans ce scénario étasunien, l’installation de djihadistes à Damas devait mettre le feu à toute la région, et s’étendre ainsi à la Russie par le biais de manipulations de ses populations musulmanes, qui, incapables de vaincre, appelleraient leurs parrains étasuniens, britanniques et français à effectuer des bombardements. Un scénario connu.
C’est pourquoi, en 2013, une attaque chimique, sous faux drapeau, avait été montée de toute pièce pour provoquer une intervention US. Mais le peuple étasunien, échaudé par le coûteux fiasco en Irak, fait hésiter Obama qui finira, en saisissant la porte de sortie offerte par V. Poutine, par renoncer à attaquer la Syrie. 
Le chaos antirusse n’ayant pu être répandu depuis la Syrie, les USA provoquèrent alors, à partir du 21 novembre 2013, les manifestations de Maïdan à Kiev. L’encerclement de la Russie à l’ouest et dans les Balkans n’a pas pu se compléter par le volet sud, mais les conflits générés par les États-unis en Syrie et en Ukraine ont la même cible : la Russie.

2014 “révolutions de couleur” financées par les États-Unis

Suivant la recette bien rodée des “révolutions de couleur”, des agitateurs du groupe Pravyï sektor (Secteur droit) ont fait dégénérer les manifestations en violence… En effet, pour que l’appel occidental à renverser un pouvoir  légitime soit admis, il faut un bon prétexte : que le sang coule. Des tireurs embusqués (snipers) ouvrent donc le feu depuis (notamment) l’Hôtel “Ukraina” et abattent autant de manifestants que de membres des forces de l’ordre, dans l’espoir de les inciter à s’entretuer, pendant que  l’accord franco-germano-polonais du 21 février 2014 pour une transition pacifique du pouvoir avec le président ukrainien légitime Viktor Ianoukovytch est saboté par les États-Unis quelques heures plus tard en utilisant des néonazis bandéristes (2)… Qui remplissent ainsi  le rôle des djihadistes de Syrie.
Le 22 février 2014, le gouvernement élu est renversé mettant au pouvoir des ultranationalistes russophobes soutenus par les “bandéristes”. Foin de complotisme, les faits sont avérés : sur place, la représentante du gouvernement des Etats-Unis, Victoria Nuland, sélectionne elle-même les membres du nouveau gouvernement putschiste. Elle révélera plus tard que l’organisation du coup d’État de Maïdan a coûté 5 milliards de dollars aux États-Unis. Poour le "plaisir" on ne peut oublier que notre philosophe national, dit BHL soutient les manifestations populaires à Kiev en 2014, au nom de la liberté. Il chante à la tribune les louanges du peuple ukrainien combattant pour sa souveraineté, saluant son appétit revigorant pour l’Union européenne !
L’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN devient d’actualité et donc un danger imminent pour la Russie. Le tournant vers le conflit armé contre la Russie est effectué en 2014. 
Les milices d’extrême-droite, au centre desquelles se trouve le groupe Azov (3), ont désormais les mains libres. Elles seront ultérieurement intégrées à l’armée ukrainienne. Débute immédiatement la guerre interne contre les russophones ukrainiens, marquée par le massacre d'Odessa, le 2 mai 2014, l’interdiction de la langue russe et un conflit armé contre les populations des régions (oblast) du Donbass qui résistent à la dé-russification et se battent pour la sécession. Plus de 14 000 civils seront tués entre 2014 et 2022 dans les bombardements quotidiens de l’armée ukrainienne fortement composée, sur place, d’éléments néonazis divers.
Les russophones de l’est de l’Ukraine réclament l’unification avec la Russie. Celle-ci donne d’abord la priorité à sa sécurité, en conservant sa base navale de Sébastopol, en annexant la Crimée (très majoritairement russophone et pro-réunification). Dans un premier temps, la Russie veut le maintien de l’intégralité de l’État ukrainien et ne reconnaît donc pas les républiques sécessionnistes de Donetsk et de Lougansk. Mais elle s’efforce de trouver une solution qui protège les droits des russophones (langue, autonomie administrative) sans les soustraire à l’Ukraine. Les accords de Minsk I (septembre 2014) et Minsk II (février 2015), signés par l'Ukraine, la Russie, la France et l'Allemagne (et garantis par ces deux dernières), ne seront jamais respectés. Ils seront même instrumentalisés par la partie occidentale qui reconnaîtra par la voix de l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, dans une interview au journal Die Zeit  (7 décembre 2022), que « les Accords de Minsk ont permis de donner du temps à l’Ukraine pour se renforcer militairement ». Ces propos seront confirmés par François Hollande dans un entretien au Kyiv Independent (28 décembre 2022).

2021-2022 : montée du conflit entre l’Ukraine et la Russie

Avec l’entrée en fonction de Biden, le 20 janvier 2021, les manœuvres militaires occidentales et de l’OTAN autour de la Russie, les survols de bombardiers à sa frontière et les heurts navals en mer Noire près des côtes russes signent l’activation du front ukrainien et le passage à l’offensive. L’armée ukrainienne est maintenant prête à lancer l’assaut contre le Donbass et à affronter militairement la Russie. Zelensky affirme en 2021 son souhait d’acquérir l’arme nucléaire.
Fin 2021, la Russie change de ton par rapport à sa réserve des années 1990-2021. Elle oppose un refus catégorique à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, laquelle serait immédiatement suivie de l’installation de missiles étasuniens sur son flanc sud. Elle propose et soumet alors des traités de sécurité pour l’ensemble de l’Europe, qui seront immédiatement rejetés par les Occidentaux. Un accord multilatéral basé sur le droit international ainsi rejeté signifie, tout simplement, que les Occidentaux veulent la guerre et que, par conséquent, la Russie n’a pas de droit à sa sécurité. C’est d’ailleurs ce que préconisait déjà la Rand Corporation (think tank US au service de la décision politique et économique) dans un rapport de 2019. La “Rand” y recommandait une escalade des pressions contre la Russie afin de l’obliger à réagir pour son autodéfense par une opération militaire en Ukraine dans le but de permettre aux États-Unis de détruire la Russie économiquement par des “sanctions”, l’exclusion du système Swift et la rupture des exportations de gaz vers l’Europe. Ce scénario diabolique et guerrier a été suivi à la lettre par les États-Unis et leurs affidés.

24 février 2022 Ukraine : début de la guerre par procuration

2022, tout est en place pour que la Russie assure elle-même sa sécurité en obligeant l’Ukraine à renoncer à une adhésion à l’OTAN et cesse le massacre des civils du Donbass. Le 24 février 2022 n’est pas le début de la guerre en Ukraine mais la dernière étape de la guerre engagée en 2014. Elle n’est ni le fait du hasard ni celui de l’esprit maléfique de Poutine, de sa folie ou de ses maladies supposées. Elle est la pure conséquence  de la politique occidentale vis-à-vis de la Russie depuis 1990 et, en particulier, depuis 2014. Les États-Unis combattent aujourd’hui  la Russie par Ukrainiens interposés, c'est la guerre par procuration.
Mais la phase 2022-2024, si elle est mieux connue, n’est pas mieux analysée que les précédentes. Les guerres se déroulent rarement comme prévu. A seule fin “d’appuyer” sa demande de signature d’un traité de neutralité de l’Ukraine, la Russie n’envisage qu'une intervention limitée (opération militaire spéciale). En effet, il lui suffit que l’Ukraine ne soit pas hostile et ne mette pas son territoire à la disposition de l’OTAN, c’est-à-dire des ennemis occidentaux de la Russie. Elle n’envisage donc pas une “vraie” guerre et surtout pas la conquête de l’Ukraine. Mais la Russie fait face à un Occident décidé à lancer les Ukrainiens au combat. Prenant ses désirs pour des réalités, l’Occident pense que la Russie s’écroulera rapidement économiquement et militairement. Mais c’est le contraire qui advient. La Russie se porte mieux qu’avant les imbéciles “sanctions” et possède un armement de qualité en quantité. C’est l’Ukraine qui est en train de perdre la guerre.. Si le plan russe était optimiste, le plan occidental est criminel.

Si le groupe USA-OTAN-UE-Kiev n’admet pas la réalité, il y aura donc une guerre “de haute intensité” sur le territoire de l’UE. Non dans l’espoir que l’Ukraine puisse l’emporter militairement contre la Russie mais dans l’espoir de provoquer une “révolution de couleur” à Moscou pour y effectuer un changement de régime c’est-à-dire y installer un paillasson de l’Occident. Et ce, quoiqu’il en coûte en sang ukrainien, russe et de citoyens de pays européens. Tandis que les multinationales sont déjà prêtes à envahir l’Ukraine à la fin du conflit armé, les populations restent soumises aux drames et dégâts de la guerre.
Malgré la série ininterrompue de défaites des forces de Kiev depuis 2022, la destruction des armes occidentales sur le champ de bataille et l’état exsangue de l’Ukraine, la stratégie occidentale n’est pas un échec pour les multinationales et les marchands de canon. En effet, les puissances capitalistes occidentales se sont déjà réparties les lambeaux de l’Ukraine ! (4)

Aujourd’hui, la voie rationnelle d’une résolution diplomatique n’est pas envisagée car les enjeux véritables pour l’Occident sont d’ordres mondiaux (sa perte de domination politique et économique) et ont toujours dépassé l’Ukraine.
Mais du côté des peuples, à qui personne ne demande leur avis, une guerre est un drame car ce sont eux qui en souffrent toujours. Il est donc urgent qu'ils se manifestent dans tous les pays occidentaux pour contraindre leur gouvernement à abandonner toute rhétorique guerrière, à cesser toute livraison d’armes à l’Ukraine et à emprunter la voie diplomatique pour la paix. Nous sommes loin du compte, hélas ! Il y a urgence désormais à désamorcer la bombe de l’escalade guerrière et pas de miracle à attendre.

 


Notes

1 - À Moscou, le 9 février 1990, le secrétaire d’État américain James Baker multiplie les promesses devant Édouard Chevardnadze, le ministre des Affaires étrangères soviétique, et M. Gorbatchev. Ce dernier explique que l’intégration d’une Allemagne unie dans l’OTAN bouleverserait l’équilibre militaire et stratégique en Europe. Il préconise une Allemagne neutre ou participant aux deux alliances - OTAN et Pacte de Varsovie -, qui deviendraient des structures plus politiques que militaires. En réponse, M. Baker agite l’épouvantail d’une Allemagne livrée à elle-même et capable de se doter de l’arme atomique, tout en affirmant que les discussions entre les deux Allemagne et les quatre forces d’occupation (États-Unis, Royaume-Uni, France et URSS) doivent garantir que l’OTAN n’ira pas plus loin : « La juridiction militaire actuelle de l’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’Est », affirme-t-il à trois reprises.

2 - Bandéristes : Disciples de Stepan Andriïovytch Bandera, l'un des dirigeants de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) et lchef de file de l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN-B) à tendance fasciste, qui assassine au total une soixantaine de personnalités politiques. Le 19 avril 1940, les nationalistes de l’OUN-B jurent loyauté au Troisième Reich représenté par le gouverneur général de la Pologne, Hans Frank. En novembre 1940, Stepan Bandera et l'Abwehr (contre-espionnage du Reich) installent le siège de l'OUN-B à Vienne. Dans les pays occupés, l’Abwehr mène la lutte contre les Résistants. En France, l'organisation de sinistre mémoire occupait l'Hôtel Lutetia à Paris.

3 - Azov : Le bataillon Azov, devenu Régiment Azov en septembre 2014 (appelé aussi « hommes en noir », est une unité paramilitaire spéciale formée de volontaires ukrainiens (et étrangers) intégrée à la garde nationale ukrainienne. Il est placé sous le commandement du ministère de l'Intérieur d'Ukraine et intégré aux “forces de défense” par l’État-major ukrainien. Il a été entraîné par des parachutistes US et commet des exactions avec le soutien logistique de l'armée ukrainienne. Son emblème reprend les couleurs bleu et jaune de l'Ukraine, ainsi que le trident (ou faucon stylisé) du blason de l'Ukraine. Il reprend aussi des symboles nazis :
- La Wolfsangel (croc de loup) inversée, logo du parti néo-nazi Svoboda et du groupe paramilitaire ultranationaliste Patriotes d'Ukraine, fut un symbole utilisé par le parti nazi et par plusieurs unités SS au cours de la Seconde guerre mondiale, notamment la deuxième division SS Das Reich 
-    Le soleil noir de couleur inversée, employé comme symbole par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale
https://pardem.org/lukraine-le-neonazisme-et-lotan

4 - voir https://pardem.org/ukraine-les-investisseurs-vautours-planifient-le-depecage-du-pays