Venezuela : gauches du Sud contre « gauche » française

Nous diffusons un article paru sur le blog de Thierry Deronne le 11 août (https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/08/11/venezuela-gauches-du-sud-contre-gauche-francaise/) qui montre que la "gauche" française, à l'opposé des organisations ouvrières  du sud, a une analyse faussée par les médias dominants à propos du Venezuela et comment elle est prompte à épouser les positions des États-Unis  et de l'Union européenne qui depuis des décennies combattent les forces qui s'opposent à leurs intérêts. 

Image
Soutien à Maduro
Mobilisation des travailleurs avec Nicolas Maduro, le 1er mai 2024 à Caracas. 

 

Depuis les Lettres Persanes, l’usage de pays lointains pour régler des comptes franco-français est devenu une tradition. Le passage du politique sous commande médiatique a creusé l’abîme entre le réel et son image. C’est le cas du texte cosigné par le Parti Socialiste, le NPA (« trotskiste ») et autres mouvements de « gauche » pour dénoncer la « répression au Venezuela ». [voir en fin d'article].
Ce texte (qui n’a été signé ni par la France Insoumise ni par le Parti Communiste Français) procède d’une inversion accusatoire devenue classique en ce qui concerne la nation caraïbe. Face à l’énième tentative de coup d’État d’une extrême droite formée, armée et financée à la fois par les États-Unis, le paramilitarisme colombien et Israël (1), la démocratie vénézuélienne n’a pourtant fait que ce qu’ont fait les gouvernements des États-Unis, de Bolivie, du Brésil ou du Royaume-Uni : appliquer la loi, en arrêtant les auteurs de violences. Comme l’ont été les trumpistes qui ont pris d’assaut le Capitole au moment de la victoire de Biden en 2021, les phalanges racistes du putsch sanglant contre la victoire d’Evo Morales en 2019, les bolsonaristes qui détruisirent le palais présidentiel à Brasilia après la victoire de Lula en 2023, ou les émeutiers d’extrême droite qui ont rallumé la violence raciste dans le Royaume-Uni du gouvernement travailliste. « Si vous provoquez des troubles violents dans nos rues ou en ligne, vous devrez faire face à la pleine force de la loi » a déclaré le Premier ministre anglais, Keir Starmer (2). Mais sans doute les auteurs de ce communiqué préfèrent-ils que la loi ne s’applique pas au Venezuela, et que ces violences, à chaque fois relookées par les grands médias en « révoltes populaires », se déploient en toute impunité, et avec elles les assassinats de chavistes (comme les deux femmes leaders communautaires exécutées par des commandos d’extrême droite). Tout ce qui s’est passé ces derniers jours au Venezuela – notamment le forcing des médias, de Musk et des USA pour faire croire à une victoire de l’extrême droitier Gonzalez -, était prévu. Je l’avais expliqué ici dès le mois de juin : « Comment les médias français préparent les violences d’extrême droite au Venezuela » (3)

Le communiqué français exprime une « indignation particulière » face à l’évocation par Maduro de « camps de rééducation ». En réalité, le président a révélé que 80% des personnes arrêtées, entraînées depuis des mois en Colombie, au Pérou ou au Chili comme mercenaires, droguées et payées comme en 2014 et en 2017 pour « tuer du chaviste » ou incendier des services publics, n’avaient même pas voté. Il a proposé que plutôt que de végéter en prison, ils puissent y apprendre un métier. A la manière du nicaraguayen Tomas Borge, qui lança à son tortionnaire : « ma vengeance sera le pardon ». Cette politique humaniste, empreinte de culture chrétienne, contraste avec celle des pays comme la France où les organisations des droits humains dénoncent régulièrement le traitement dégradant des détenu(e)s, et les nombreux suicides qu’il entraîne. En 2019, in tempore non suspecto, le journaliste argentin Marco Teruggi enquêta sur cette volonté politique d’humaniser les prisons au Venezuela, bien différente des « fabriques de délinquants » occidentales (4). Pourquoi le PS, le NPA et consorts veulent-ils dès lors nous faire croire à l’existence de « camps de rééducation » au Venezuela ? Parce qu’ils veulent associer magiquement l’image du Venezuela à l’image des camps soviétiques ou à ceux de la révolution culturelle chinoise.
Sur le reste de ce texte, qui fait preuve d’ignorance sur le processus électoral vénézuélien, le sociologue et anthropologue Christian Rodriguez, présent au Venezuela, rétablit la vérité dans un « fil » précis. (5)

Le fait que des partis français reprennent l’argumentaire et l’imaginaire des grands médias, de Washington ou d’ONGs sous influence, révèle leur coupure du monde mais aussi leur isolement. Il suffit de comparer avec la « lettre à Lula sur le Venezuela » que viennent d’écrire les principaux mouvements sociaux brésiliens (féministes, syndicalistes, afrodescendants, mouvement de jeunesse ou Sans Terre). Une position partagée par le Groupe de Puebla et le Forum de São Paulo qui regroupent la quasi-totalité des partis de gauche en Amérique Latine, parfaitement conscients du devoir de défendre la démocratie vénézuélienne face aux coups d’État de l’extrême droite (6):

Cher camarade président Lula,
Vous savez que beaucoup d’entre nous, membres des mouvements populaires brésiliens, ont suivi les élections vénézuéliennes, certains en personne à Caracas et d’autres à travers les actualités. Nous avons assisté à la vague de violence systématique de groupes dirigés par l’extrême droite dont l’objectif est de déstabiliser le pays -, comme l’a fait ici le bolsonarisme -, provoquant des troubles extrêmement violents, brûlant tout, des hôpitaux aux écoles, assassinant plusieurs militants du PSUV (principal parti chaviste, NdT) et des organisations communautaires, entre autres. Une véritable terreur causée par ceux qui savent qu’ils n’ont pas raison et qui cherchent donc à créer un scénario de chaos et de confusion, comme cela a également été tenté ici au Brésil.
Ce qui se passe au Venezuela trouve ses racines dans la politique impérialiste des États-Unis contre l’Amérique latine, dont le Brésil a fait l’expérience avec l’opération de lawfare « Lavajato », le coup d’État contre la présidente Dilma et votre emprisonnement injuste.
Nous saluons la sagesse de votre position commune avec les gouvernements colombien et mexicain. Nous pouvons imaginer la colère de la droite mondiale et des médias brésiliens face à votre courage. C’est pourquoi nous voudrions simplement vous embrasser fraternellement et vous dire que nous sommes ensemble et que nous espérons que cette situation avec les procès-verbaux sera bientôt résolue, même si nous comprenons que la cyber-attaque contre le système électoral a eu un impact sur le processus régulier du Centre National Électoral.
Nous savons que le peuple vénézuélien a déjà repris courageusement les mobilisations massives de rue en soutien au président Nicolás Maduro et qu’il rejette les actes de violence de la droite, parce qu’il veut construire un Venezuela de paix et de souveraineté.
Cordiales salutations des mouvements populaires soussignés :
Centrale des Travailleurs du Brésil (CTB)
Union des hommes et des femmes noirs pour l’égalité (Unegro)
Mouvement Populaire de la Jeunesse
Mouvement des femmes paysannes (MMC)
Marche mondiale des femmes (MMM)
Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST)
Mouvement des petits agriculteurs (MPA)
Mouvement des pêcheurs artisanaux (MPP)
Mouvement des travailleurs ruraux (MTC)
Mouvement populaire brésilien (MBP)
Mouvement des personnes affectées par les barrages (MAB)
Mouvement pour la souveraineté populaire dans l’industrie minière (MAM)
Mouvement des droits des travailleurs (MTD)
Front progressiste évangélique
Commission brésilienne pour la justice et la paix (CBJP)
Agents pastoraux noirs du Brésil (APN) »
(Source : https://mst.org.br/2024/08/07/movimentos-do-brasil-manifestam-apoio-a-posicao-de-lula-sobre-eleicoes-na-venezuela/)
 

Notes :
1.    « Du Plan Condor au « plan perroquet » : la droite a son candidat pour affronter Nicolas Maduro. », https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/05/25/du-plan-condor-au-plan-perroquet-la-droite-a-son-candidat-pour-affronter-nicolas-maduro/. Sur les liens de coopération entre extrêmes droite vénézuélienne et israélienne, et sur leur volonté de déstabiliser un gouvernement bolivarien solidaire du peuple palestinien depuis l’époque de Chávez, on lira le dossier récent de Maurice Lemoine « Israël au miroir de l’Amérique latine » https://www.medelu.org/Israel-au-miroir-de-l-Amerique-latine.
2.    Violences attisées, à chaque fois, par un certain… Elon Musk, l’oligarque prédateur des ressources du Sud, grand allié de Trump et de Netanyahu.
3.    Comment les médias français préparent la violence de l’extrême droite au Venezuela, https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/06/20/comment-les-medias-francais-preparent-la-violence-de-lextreme-droite-au-venezuela/
4.    Le sucre vénézuélien et une politique stratégique à la frontière avec la Colombie, https://venezuelainfos.wordpress.com/2019/10/03/le-sucre-venezuelien-et-une-politique-strategique-a-la-frontiere-avec-la-colombie/
5.    « Argumentaire sur le Venezuela pour les naïfs de gauche », Christian Rodriguez, https://x.com/ChrisRodrigAl/status/1822023612368376029?s=09
6.    Le 2 août, le Conseil National Électoral du #Venezuela a publié son deuxième bulletin avec 96,87 % des procès-verbaux transmis depuis les bureaux de vote. Nicolas Maduro remporte l’élection présidentielle avec 51,95 % des voix tandis que son principal opposant Edmundo González a obtenu 43,18 %. Le Président mexicain López Obrador a critiqué les USA « qui ont dépassé les limites » en proclamant l’extrême droitier Gonzalez comme « président du Venezuela » sans attendre les résultats : « Où est le droit international ? La reconnaissance ne peut venir d’un pays étranger mais de la souveraineté populare ". Le 10 août, la Salle électorale du Tribunal Suprême a fini d’auditionner tous les partis politiques. Elle va procéder à l’examen minutieux de toutes les pièces électorales reçues pour prononcer le résultat définitif dans une dizaine de jours. Sur les délais, on notera qu’au Mexique ce n’est que le 10 août que le Tribunal électoral a confirmé la victoire de Claudia Sheinbaum, soit neuf semaines après la tenue des élections. Au Venezuela, seule l’extrême droite, qui affirme avoir gagné les élections, a refusé de se présenter à ce tribunal, et n’a consigné aucun matériel électoral. Plusieurs partis alliés, de droite, ont d’ailleurs pris leurs distances avec l’oligarque Machado et son candidat Gonzalez, laissant entendre qu’une partie de leurs PVS électoraux étaient falsifiés.