Sommet européen : Arsenic et vieilles dentelles

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Par le Parti de la démondialisation

Le 29 juillet 2020

La messe est dite : l’accord est historique ! « Nous sommes parvenus à un accord sur le plan de relance et le budget européen. Ces négociations, qui se sont déroulées en des temps très difficiles pour tous les Européens et toutes les Européennes, ont, bien sûr, été difficiles. Un marathon qui a été couronné de succès pour l'ensemble des 27 États membres, mais surtout pour les citoyens et les citoyennes. C'est un bon accord. C'est un accord solide. Et, surtout, c'est l'accord qui convient le mieux à l'Europe, en ce moment. » Ainsi parlait Charles Michel, président du Conseil européen à l’issue du Sommet extraordinaire de juillet 2020. (1)

Ainsi « Next Generation EU dotera l'Union des moyens nécessaires pour relever les défis posés par la pandémie de COVID-19. Au titre de l'accord, la Commission pourra emprunter jusqu'à 750 milliards d'EUR sur les marchés. Ces fonds pourraient servir à financer des prêts adossés et des dépenses engagées par l'intermédiaire des programmes du CFP. Les capitaux levés sur les marchés financiers seront remboursés au plus tard en 2058. »

Quel talent ces réalisateurs de télé-réalité !

4 jours, les nerfs à vifs, les nuits qui n’en finissent pas, les gros plans sur les visages fatigués, les mâchoires serrées, le ballet des masqués (ou pas), en direct du sommet de Bruxelles où le gratin dirigeant s’affronte entre deux grandes équipes : d’un côté « les frugaux », crispés sur leur pognon et leurs principes rigides et les « innovateurs solidaires », la chancelière de l’Allemagne et le prince de France. Scénario bien ficelé.

Oh ! La moquerie n’est pas de mise. L’heure est sérieuse. Les enjeux sont de taille. A tel point d’ailleurs qu’on ne sait même plus de quoi il s’agit : apporter de l’aide (du sonnant et trébuchant) aux pays du sud de l’Europe (euh de l’Union), frappés par les conséquences du Covid qui ont le PIB en berne et le déficit caracolant ; sauver « l’Europe » d’une éventuelle sortie de l’Italie de l’Union ; franchir un nouveau cap pour l’UE par une opération publique de solidarité financière (entendez s’endetter collectivement et avancer vers un plus grand fédéralisme) ; sauver la peau de Macron pour l’échéance électorale de 2022 ; faire refluer les eurosceptiques/souverainistes ; démontrer que le couple allemand est plus uni que jamais et que, main dans la main, il œuvre pour le bien de tous…

Revenons aux faits

Les deux points inscrits à l’ordre du jour du sommet vont nous éclairer.

  • Bien sûr, les 750 milliards (subventions et emprunts) dont se repaissent les médias enthousiastes puis qui, au fil des heures et des jours, inquiets, voire angoissés, finissent par exploser de joie à l’annonce de la « réussite » du sommet. En fait, comme on n’a plus de matches à la télé pour raison de Corona, ni même de Tour de France, le sommet tombait bien pour l’audimat… Notons le parent pauvre du sommet télé-réal : le Brexit totalement disparu des ondes mais dont le retour est programmé prochainement. Le montage n’était pas encore terminé…
  • En arrière-plan (mais pas pour tout le monde), le budget de l’UE joliment nommé cadre financier 2021-2027. Il n’a pas fait l’objet de nombreux commentaires ni d'explications alors que, voyez-vous, tout est bien lié. Le budget, prévu entre 1 200 et 1 300 milliards, a été revu à la baisse.
    Selon Les Echos : « Le budget a même été doublement victime de la dureté des discussions sur le plan de relance. Ce dernier était aussi censé venir compléter le budget traditionnel en distribuant des subventions sur des projets européens. Or cette partie de l'enveloppe a fondu tout au long du sommet pour préserver celle réservée aux subventions directes aux Etats, pour leurs plans nationaux. » (2)

   Des secteurs pourtant annoncés prioritaires en subissent les conséquences :

Le Fonds européen de défense perd 6 milliards, le programme EU4Health (Santé) a lui été purement et simplement annulé, le « Fonds pour la transition juste », destiné à aider les pays les plus en retard à sortir du charbon (en particulier la Pologne), a été divisé par trois ; le programme HorizonEU (recherche) perd 19 milliards et même Erasmus y laisse des plumes !

Revenons aux 750 milliards empruntés sur les marchés financiers et à la grande mascarade

En 4 jours et 3 nuits, les 500 milliards de « subventions » prévues sont passées à 312 milliards disponibles tandis que les emprunts montaient en proportion. Le « compromis » salué en grandes pompes vernies aurait dû avoir un goût âcre. Mais contre mauvaise fortune le couple franco-allemand a fait bonne figure. Qui va payer ? Hum pas de réponse précise sauf une promesse macronienne : ce ne seront pas les Français. Ah bon ? Qui alors ? Et combien ? Et quand ? D’où viennent les milliards ? A quoi serviront-ils ?

Pour se repérer il faut faire un détour dans les méandres des textes européens (on a du mal à tout lire mais faut bien se forcer un peu).

Connaissez-vous les mécanismes de correction budgétaire ?

Là est la clé ! Il s’agit en fait d’une ristourne accordée à certains pays sur les contributions financières qu’elles versent à l’Union européenne. D’abord il y a le principe : « Les contributions des États membres de l’UE au budget de l’UE sont calculées sur la base de leur puissance économique relative, mesurée par leur revenu national brut (RNB), ce qui garantit la solidarité et l’équité des recettes du budget de l’UE. » (3)

Et puis il y a le réel : « Dans le passé, certains pays ont estimé qu’ils versaient trop au budget de l’UE par rapport à d’autres, même si les contributions étaient fondés sur des critères économiques objectifs. Des mesures ont été prises pour corriger (compenser) les contributions financières qui semblaient excessives. »

« I want my money back ! »

C’est en 1979 que Madame Thatcher commence sa croisade pour obtenir une ristourne. Malgré les cris d’orfraies des dirigeants allemands et français elle obtiendra satisfaction en 1984. Ainsi le Royaume-Uni [était] « remboursé à hauteur de 66 % de la différence entre sa contribution et ce qu’il reçoit en retour du budget. Le coût de la correction britannique est [était] réparti entre les États membres proportionnellement à leur contribution calculée en fonction du RNB. Toutefois, depuis 2002, cette part est limitée à 25 % de leur part de financement normale pour l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède.

Pour la période 2014-2020 uniquement, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède bénéficient de réductions brutes de leur contribution annuelle calculée en fonction du RNB, soit 130 millions d’EUR, 695 millions d’EUR et 185 millions d’EUR (exprimés en prix de 2011) respectivement. L’Autriche a bénéficié d’une réduction brute de sa contribution annuelle calculée en fonction du RNB jusqu’en 2016.

Pour la période 2014-2020 uniquement, les taux réduits d’appel de TVA pour l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède sont fixés à 0,15 % (le taux d’appel normal est de 0,30 %). »

En résumé : il y a deux poids deux mesures et des contributions fixées « à la carte ». Ah que l’Union européenne est rigoureuse et transparente !

Mais, pas trop à l’aise dans leurs pompes de luxe, et histoire de se prémunir d’attaques de malintentionnés, ou encore pour donner le change, les dirigeants européens avaient créé en 2014 un “groupe de haut niveau sur les ressources propres“ « afin d’examiner comment le système de financement du budget de l’UE peut être rendu plus transparent, équitable, simple et démocratiquement responsable ».

Son rapport final et ses recommandations sur le « Financement futur de l’UE » ont été publiés le 17 janvier 2017 : « la Commission propose de moderniser et de simplifier le système des ressources propres existant et de diversifier les sources de recettes dans le prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027 ».

Et de conclure : « la Commission propose d’éliminer progressivement toutes les corrections concernant les recettes dans le cadre d’un paquet budgétaire équitable et équilibré. » (3)
Encore une fois c’est de la flûte ! Tout le contraire a été entériné par le Sommet de juillet 2020.

Vous allez comprendre bientôt. Ne quittez pas !

Les pays dits frugaux bénéficiaient donc déjà de réduc mais ils allaient les perdre fin 2020. Belle aubaine que le sommet de « relance » pour les conserver, voire les augmenter. D’autant que le Brexit devait engendrer une augmentation de contribution de tous les pays membres. Le sommet de juillet 2020 se révélait ainsi une occasion en or pour négocier au mieux de leurs intérêts. Ils ont parfaitement réussi. Mais dans la plus pure hypocrisie qui est une marque de fabrique de l’Union européenne.

On peut donc lire dans les conclusions adoptées par le Conseil européen de la Réunion extraordinaire du Conseil européen (17, 18, 19, 20 et 21 juillet 2020) :

« Pour la période 2021-2027, des corrections forfaitaires réduiront la contribution annuelle fondée sur le RNB du Danemark, de l'Allemagne, des Pays-Bas, de l'Autriche et de la Suède. Les États membres concernés bénéficient d'une réduction brute de leur contribution annuelle fondée sur le RNB. » (4)

Mieux encore (ou pire) : Ces réductions brutes sont financées par tous les États membres en fonction de leur RNB. » Conséquence : la France va débourser un gros paquet ! Elle paiera au prix fort les 40 milliards de subvention que le plan de relance doit lui octroyer. Juste pour se faire du mal sachez que si elle avait bénéficié du même taux de réduction que les Pays-bas, elle aurait économisé plus de 5 milliards d’euros !

Donc si on fait les comptes la France reçoit moins que prévu, 40 milliards à la place de 60, et va contribuer plus pour compenser les 7,6 milliards de ristournes annuelles accordés à quelques pays meilleurs négociateurs que Macron, soit au total sur 6 ans 45 milliards ! Ouah belle gestion de « père de famille » !

Selon l’hebdomadaire Marianne (5) « Les Pays-Bas obtiennent 1,92 milliard de ristournes par an, le Danemark 377 millions, l'Autriche 565 millions, la Suède 1,07 milliard, et l'Allemagne 3,67 milliards. Soit un total de 7,6 milliards de réductions annuelles, qui devront être compensées par les autres Etats. Une forme de contrepartie au plan de relance de 750 milliards adopté par les 27, qui doit d'abord bénéficier aux pays les plus touchés par la crise. Dans le cas de l'avantage allemand, le texte adopté précise ainsi qu'il est concédé dans le contexte du soutien à la reprise ».

Ah ? L’Allemagne - malgré son excédent commercial de 250 milliards d’euro - passe à la caisse !

Cet accord est une capitulation de la France !

Mais peut-on sérieusement croire une minute que les pays « non frugaux » n’étaient pas avertis de la manœuvre ? Y-a-t-il eu vraiment mistoufle ou une bonne mise en scène décidée en commun ?

Marianne nous livre la réponse : « Le cadre de négociations proposé quelques jours avant la rencontre par Charles Michel, le président du Conseil européen, prévoyait déjà une hausse des ristournes. Et elles ont encore vu leur montant grimper lors des négociations pour les Pays-Bas (+22% par rapport à la proposition initiale), l'Autriche (+138%), la Suède (+34%) et le Danemark (+91%). » (5)

Accordons sans rancœur dans ce bal des faux culs une mention spéciale au pseudo couple franco-allemand pour la qualité de son jeu : Madame Merkel, qui en réalité a partie liée avec les frugaux, ramasse la mise. Monsieur Macron, lui, dans le rôle du cocu consentant, continue de faire mordre la poussière aux Français tout en endossant le costume du héros…

On ne pourrait pas conclure sans souligner la tumeur maligne qu’engendre cet accord « historique » : les pays postulant pour une subvention (ou un prêt) devront répondre à des critères et notamment la mise en application fissa des recommandations de l’Union européenne. Exemples : réforme des retraites, réduction du déficit, réduction des services publics, poursuite des réformes du code du travail, etc. De plus les aides seront « fléchées » autrement dit les sommes perçues ne pourront être utilisées que dans certains secteurs et sous certaines conditions. Bref si cela ne ressemble pas aux conditions imposées par le FMI ça y ressemble ! Le peuple grec en fait toujours l’amère et dramatique expérience.

Bien joué l’UE !

Alors on se bouge ?

A quand la sortie de cette mascarade, tragique pour les peuples pris dans les nasses de l’Union européenne, condamnés à assister à des vaudevilles de seconde zone alors qu’ils paient, et paieront encore à coup de taxes, d’impôts et de chômage, de réduction de services publics, de protection sociale, d’allongement du temps de travail, de délocalisation, etc. Et surtout au prix de la démocratie.

L’Union européenne en infligeant une dette remboursable d’ici 2058 considère avec satisfaction que nous en prenons pour 30 ans de plus de sa tutelle. On ne saurait lui donner raison ! Alors debout les peuples ! Réveillez-vous les syndicats de la CES ! Quittez le navire européiste et rejoignez la lutte pour la souveraineté qui ne peut être que nationale.

Pour en savoir plus : Le programme du Pardem