Sommet des BRICS Vers le multilatéralisme et le respect des nations

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BRICS+ à Kazan

 

Par Joël Perichaud, secrétaire national du Parti de la démondialisation chargé des relations internationales

Le 16e sommet des BRICS+ s’est tenu du 22 au 24 octobre 2024 à Kazan, en Russie. Avant d’en mesurer toutes les conséquences, il convient de remonter un peu dans l’histoire récente. 
La création des BRIC remonte à 2005, lors d’une réunion aux Nations unies (ONU) et 2006 pour la première réunion formelle. 
Précisons que l’acronyme BRIC est utilisé pour la première fois en 2001, par un financier de la banque américaine Goldman Sachs, pour désigner le groupe formé par le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine. Ces quatre pays ont un développement rapide et se distinguent des autres pays émergents par leur poids démographique et économique et par leur volonté de jouer un rôle politique de plus en plus important dans les institutions internationales (ONU, OMC, FMI). 
Les dirigeants des BRIC, qui ont parlé d'une seule voix lors du sommet de Copenhague sur le changement climatique en 2009, décident de se rapprocher diplomatiquement en se réunissant régulièrement. Ainsi, ils se retrouvent le 16 juin 2009, pour le premier sommet des BRIC à Ekaterinbourg, en Russie. À l'issue de cette rencontre, les quatre dirigeants affirment leur volonté de mettre en place un monde multipolaire, qui ne serait plus seulement dirigé par les pays riches.
À l'issue du deuxième sommet organisé à Brasília (Brésil) le 16 avril 2010, les BRIC participent au règlement de la question du nucléaire iranien. Lors du troisième sommet à Sanya, en Chine, le 14 avril 2011, les dirigeants soutiennent une réforme du système monétaire international. Lors de cette rencontre, le groupe s'élargit, en accueillant l'Afrique du Sud. Les BRIC deviennent les BRICS (S pour South Africa). Le groupe des BRICS prend alors la forme d'une conférence diplomatique à part entière, donnant lieu à un sommet par an, se déroulant à tour de rôle dans chacun des cinq États.

Sur le plan économique, les BRICS se sont dotés en 2014 d'une banque de développement, la Nouvelle banque de développement (NBD), basée à Shanghaï. Parmi leurs préoccupations, la réforme du Fonds monétaire international (FMI) et du système monétaire international. D'une manière générale, les BRICS promeuvent la multipolarité économique et politique mondiale, en rupture avec les organisations héritées de l'après Seconde Guerre mondiale sous domination des États-Unis et du dollar.
Le but de ces sommets est d'affirmer la place majeure de ces pays sur la scène internationale et de mettre en scène leur poids économique et politique, en particulier au regard des États-Unis et de son affidée, l'Union européenne.
Le 1er janvier 2024, le groupe s'est élargi à cinq nouveaux membres : Arabie saoudite, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie et Iran. Les 10 membres sont appelés BRICS+.

Le 16e sommet des BRICS+ qui s’est tenu du 22 au 24 octobre à Kazan (Russie) a réuni 36 nations, dont 22 étaient représentées par des chefs d’État et 6 organisations internationales dont les Nations unies (ONU), représentée par son Secrétaire général, António Guterres. Ces nations ʺpèsentʺ près de 50% du PIB mondial et plus de 40% du volume mondial des échanges. Ajoutons que cinq membres des BRICS+ font partie du G20 et qu’avec l’Arabie saoudite, si son adhésion au groupe est ratifiée, c’est pratiquement un tiers du G20 qui fera partie des BRICS+.
Le G7 (Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume uni et États-Unis), représente 29,08% du PIB mondial contre 33,7% pour les BRICS+ et 35% pour le G20… Les milliers de sanctions imposées à la Russie depuis 2014 ainsi que les vociférations occidentales sur « l’isolement » de la Russie ont volé en éclat au sommet de Kazan…

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BRICS versus G7

 

Vers une nouvelle organisation du monde

Après avoir, avec morgue, tenté de discréditer le 16e sommet des BRICS, « l’occident global » (pays néolibéraux occidentaux et d'Asie dominés par les États-Unis), impose le silence sur la  déclaration finale de Kazan. En effet, les avancées considérables et les espoirs que font naître les BRICS+ dans les quelque 59 pays d’Asie, d’Afrique, d’Europe de l’Est et d’Amérique Latine qui ont exprimé leur intérêt à rejoindre les BRICS+ annoncent un changement de l’ordre international jusqu’ici dominé par les impérialismes étasuniens et européens.

La déclaration de Kazan (non traduite en français par la presse aux ordres du capital) comporte 138 paragraphes. Ce document sera soumis à l'ONU sous le titre de déclaration conjointe. Le document contient des évaluations générales de l'état du monde, résume les résultats de la présidence russe des BRICS+ et définit des lignes directrices pour la coopération à long terme.
En voici les principaux points :

-    L’adhésion de quatre nouveaux pays a été actée : Egypte, Ethiopie, Iran, Emirats arabes unis, (l’Arabie saoudite n’a pas encore ratifié son adhésion).

-    Création du statut de « pays partenaire ». Destiné à élargir les échanges commerciaux entre les pays des BRICS+ et les partenaires, c’est aussi un moyen de permettre l’observation (mutuelle) des pays partenaires avant leur adhésion éventuelle au groupe BRICS+. Sont partenaires : l’Indonésie, la Malaisie (microprocesseurs), la Thaïlande, le Vietnam (qui sont tous des pays importants de l’Asie du sud-est), l’Algérie et le Nigéria (producteurs de gaz et pétrole), l’Ouganda, la Bolivie, le Belarus, Cuba, le Kazakstan, l’Ouzbékistan et la Turquie (pays de l’OTAN et candidate à l’adhésion à l’UE).

-    Création d’un marché des produits alimentaires (Bourse aux céréales) en alternative (et en concurrence) au Chicago Board of Trade (CBOT) de Chicago. En effet, jusqu’à aujourd’hui, c’est à Chicago (USA) que le prix et les échanges des matières premières alimentaires (blé, maïs, avoine, riz, etc.) se font. Dorénavant, les pays BRICS et leurs partenaires pourront échanger ces productions sur leur propre marché, sans employer le dollar. C’est donc une alternative au système de paiement SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications), système automatisé d’échange d’informations qui permet aux banques et aux autres institutions financières privées de transférer des paiements de manière rapide, sûre et standardisée.

-    Création d’un système d’échange (BRICS Clear) entre les pays BRICS et leurs partenaires à la fois monétaire, via une cryptomonnaie (stablecoin : monnaie numérique dont la valeur est liée à une « devise » x à définir) et de « clearing » c’est-à-dire d’un système de compensation permanente dans les échanges entre deux ou plusieurs pays sans utiliser de devises. En clair, un accord de clearing est une convention entre des pays aux termes de laquelle le produit des exportations d'un des pays est affecté au règlement de ses importations et qui tend à réaliser un équilibre des échanges entre les pays. 
Ainsi, plutôt que d’effectuer un règlement achat par achat, la balance est faite, à un terme prévu (par exemple à 3, 6 ou12 mois) et seul le débit est réglé. Le transfert de devises est donc limité, les échanges s’accélèrent et le dollar n’est plus employé. Un premier pas significatif vers la « dédollarisation » des échanges pour une vingtaine de pays… Notons que le système du clearing a été employé avec succès entre le 19 septembre 1950, avec la création de l'Union européenne des paiements en « Europe de l’ouest », jusqu’à la fin de 1957.

-    Création de « BRICS (Re)Insurance Company » comme complément de BRICS Clear. Les transactions commerciales impliquent, en effet, des services d’assurance des marchandises et du transport induisent des activités de réassurance. Avec la création de la BRICS (Re)Insurance Company, les pays des BRICS veulent construire leur indépendance vis-à-vis des sociétés d’assurance et de réassurance occidentales. Logiquement, BRICS (Re)Insurance Company devrait offrir des services d’assurance et de réassurance à un coût inférieur aux sociétés occidentales.

-     Développement d'une plateforme multilatérale de paiements numériques « BRICS Bridge »  pour améliorer l’efficacité du système commercial entre les membres.

-  Appel à des réformes du FMI pour renforcer la représentation des pays en développement et garantir un processus de sélection basé sur le mérite pour ses postes de direction.

-  Élargissement du financement en monnaie locale de la Nouvelle banque de développement (NBD) et soutien des mécanismes de financement innovants pour stimuler le développement dans les marchés émergents.

Ces éléments renforceront le rôle des pays BRICS sur la scène financière mondiale. C’est pourquoi les pays du Sud qui veulent mettre en place un ordre financier alternatif leur permettant de contourner le FMI et le dollar, s’appuieront notamment sur la NBD des BRICS+, (dirigée actuellement par Dilma Rousseff), qui réunit les conditions pour prêter de l’argent dans le but d’aider les pays et non de les asphyxier comme le fait le FMI.

Outre les avancées considérables sur le plan économique, la déclaration de Kazan comporte nombre de décisions politiques.

Les principales sont :

-    Les pays BRICS+ condamnent la mort de civils à la suite d'attaques israéliennes contre les zones résidentielles du Liban : « Nous soulignons la nécessité de préserver la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'État du Liban et de créer les conditions d'une solution politique et diplomatique afin de sauvegarder la paix et la stabilité au Moyen-Orient tout en soulignant l'importance du strict respect des résolutions 1701 (2006) et 2749 (2024) du CSNU (Conseil de sécurité des Nations unies). Nous condamnons fermement les attaques contre le personnel de l'ONU, les menaces à leur sécurité et appelons Israël à cesser immédiatement cette activité ».

-    Les BRICS+ appellent au renforcement du régime de non-prolifération et de désarmement pour maintenir la stabilité mondiale, la paix et la sécurité internationales : « Nous notons l'importance primordiale des efforts visant à accélérer la mise en œuvre des résolutions sur l'établissement d'une zone sans armes nucléaires et autres armes de destruction massive au Moyen-Orient »

-    Les BRICS+ condamnent  l'attaque contre la mission diplomatique iranienne à Damas, qui a été menée par Israël le 1er avril dernier.

-    Les pays BRICS+ ont exprimé leur inquiétude quant à la situation dans la bande de Gaza et en Cisjordanie : « Nous soulignons la nécessité urgente d'un cessez-le-feu immédiat, complet et permanent dans la bande de Gaza, la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages et détenus des deux côtés qui sont illégalement retenus en captivité et l'approvisionnement durable et à grande échelle sans entrave d'aide humanitaire à la bande de Gaza, et la cessation de toutes les actions agressives. Nous dénonçons les attaques israéliennes. »

-    Sur le conflit ukrainien, la déclaration rappelle : « les positions nationales concernant la situation en Ukraine et dans les environs telles qu'exprimées dans les forums appropriés, y compris le CSNU (Conseil de sécurité des Nations UQnies) et l’UNGA (Assemblée générale des Nations unies). Nous soulignons que tous les États devraient agir de manière cohérente avec les objectifs et les principes de la Charte des Nations Unies dans leur intégralité et leur interrelation. Nous notons  les propositions pertinentes de médiation et de bons offices visant à une résolution pacifique du conflit par le dialogue et la diplomatie ».

En outre, Les pays BRICS+, dans leur déclaration :

-    Condamnent l'attaque terroriste avec l'explosion d'appareils de communication portables à Beyrouth.

-    Sonnent l'alarme face à la situation dans le sud du Liban et appellent à une cessation immédiate des actions militaires dans le pays.

-    Soutiennent l'admission de la Palestine en tant que membre à part entière de l’ONU.

-    Confirment la nécessité d'une réforme des institutions de Bretton Woods (Fonds monétaire international - FMI - et Banque internationale pour la reconstruction et le développement - BIRD) tenant compte de la représentation accrue des pays en développement.

-    Demandent la reprise de l'accord nucléaire iranien par toutes les parties.

-    Étudieront la création d'une plate-forme de transport unique pour assurer une logistique multimodale entre les pays de l’association BRICS.

-    Se prononcent en faveur du respect inconditionnel de la souveraineté de la Syrie et de la protection de son intégrité territoriale.

-    Soutiennent la création d'un État souverain de Palestine à l'intérieur des frontières internationalement reconnues de 1967.
-    Proposent de construire un Parlement des BRICS+. Un tel Parlement, une ONU alternative, permettrait de transformer les BRICS+ en une organisation ayant vocation à compenser le déséquilibre qui existe aujourd’hui au sein des Nations Unies.

-    Resserrent leurs liens avec l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), fondée en 2001 par la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, rejoints par l’Inde et le Pakistan en 2016, l’Iran en 2021 et le Bélarus en 2024. L’OCS vise à garantir la sécurité collective contre le terrorisme, l’extrémisme et le séparatisme.

-    Réaffirment leur condamnation sans équivoque du terrorisme sous toutes ses formes, le décrivant comme une menace commune nécessitant une approche équilibrée et complète. Ils soulignent la nécessité de mesures décisives pour prévenir les mouvements transfrontaliers de terroristes, le financement du terrorisme et d'autres formes de soutien : « Nous reconnaissons que tous les actes de terrorisme sont criminels et injustifiables, quels que soient leurs motifs ».

Grâce à ces positions, l’attrait des BRICS se fait aussi sentir en Europe, où la Serbie, par exemple, aspire à devenir, en même temps, membre des BRICS+ et de l’UE et où certains pays membres de l’UE souhaitent collaborer avec les BRICS+. Une telle coopération offrirait des opportunités pour des partenariats constructifs entre des pays de l’UE et les pays BRICS ainsi qu’avec les pays africains tout en respectant les principes de non-ingérence et l’identité culturelle et politique de ces pays.

Nous assistons donc à un affaiblissement, certes lent mais inexorable, de «l’Occident global» (pays néolibéraux occidentaux et d'Asie dominés par les États-Unis) et des institutions qu’il contrôle (ONU, FMI, OTAN, Banque mondiale). Cet affaiblissement s’accélère grâce notamment à l’attitude conquérante de l’impérialisme occidental lui-même. Celui-ci, outre son mépris affiché pour les pays dits «émergents», transgresse constamment, en effet, le droit international qu’il a créé pour établir sa domination, sanctionne un tiers des pays du globe, impose le droit étasunien, sous forme extraterritoriale au monde entier et tente de maintenir son néocolonialisme économique par le dollar, et culturel notamment par la langue anglaise sur toute la planète.
Oui, l’Occident global a bien compris que sa domination, depuis cinq siècles, était très fortement remise en cause, risquait de disparaître et qu’un nouvel ordre international était en train de naître.

Mais pour les États-Unis et l’Union européenne, sa fidèle créature, ainsi que pour tous les pays néolibéraux alignés sur Washington, cette réalité du déclin ayant pour conséquence de laisser une place grandissante aux nations souveraines avec tout ce que cela implique, est inacceptable.

Alors, l’Occident global tente, comme il l’a toujours fait, de maintenir sa position par la force, par la guerre. C’est la cause des guerres actuelles en Ukraine et en Palestine et des guerres annoncées contre la Russie, la Chine et l’Iran pour dominer ces nations, leurs populations et s’approprier leurs immenses ressources qui lui sont inaccessibles aujourd’hui.

Face aux offensives de l’impérialisme occidental global, éviter les guerres, lutter pour l’indépendance nationale et populaire est le combat majeur des peuples. Pour cela, il est indispensable et urgent de quitter les alliances supranationales qui nous mènent au désastre annoncé et nous lient les mains. Il faut, a minima, sortir de l’Union européenne et de l’OTAN et demander à rejoindre les BRICS. C’est le plus grand devoir patriotique de notre temps.