Le 29-11-2024
Par Patrick Serres, membre du bureau du Pardem
La concurrence libre et non faussée de l’UE a sacrifié froidement le service public ferroviaire, faisant fi des besoins sociaux et de la protection de l’environnement. Après la compagnie nationale SCNF, éclatée façon puzzle, la RATP subit le même sort.
Afin d'éclairer ceux qui, en confiance naïve ou en menteurs patentés, continuent à présenter l'UE comme « sociale » et « verte », le mieux est toujours de s'appuyer sur des faits et des exemples. Ils parlent d’eux-mêmes. Démonstration de la méthode employée pour transférer aux entreprises « profitables » le réseau ferroviaire et tous les transports publics, y compris la RATP. Le Fret SNCF fait ses derniers voyages, 33 ans après la première directive européennes 91/440. Découvrez ou rafraichissez votre mémoire.
Pour mieux comprendre la stratégie et la mécanique employées remontons le temps entre : l'annonce de la disparition de fret SNCF (2024), le rapport de la Cour des comptes (fin 2023) sur le fret ferroviaire (Pierre Moscovici, socialiste et européiste zélé) et l'historique de cette entreprise dont le fret fait partie intégrante.
La SNCF est créée le 1er janvier 1938 (convention du 31 août 1937). Société anonyme d'économie mixte dont l'État possédait 51% du capital, elle est passée en 1983 sous le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial (Épic).
Cette entreprise d'État intégrée est propriétaire, gestionnaire et exploitante du réseau, donc du trafic voyageurs et de marchandises. Cette situation va perdurer jusque dans les années 1990.
1991 : Première directive de l’UE d’ouverture à la concurrence du transport fret
"Les transports sont un des principaux éléments constitutifs du marché unique européen. Ils permettent la libre-circulation des personnes et des marchandises et tendent à être libéralisés et organisés à l’échelle du continent." https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/les-transports-dans-l-union-europeenne/
En quelques mots : libre circulation des personnes et des marchandises, libéralisation, organisation supranationale; tout est dit, nous sommes rentrés dans l’ère de la mondialisation néolibérale.
On peut lire aussi avec grand intérêt la prose de l’UE que nous vous conseillons vivement puisqu’elle retrace toutes les étapes de sa mainmise sur les transports.
« Avec l’adoption du traité de Lisbonne en 2009, l’intégralité de la politique des transports est désormais soumise à la procédure législative ordinaire. Les articles 170 et 194 prévoient ainsi que le Parlement européen et le Conseil codécident des orientations, qui identifient les “projets d’intérêt commun” et les “projets prioritaires”, ainsi que les objectifs, les priorités et les grandes lignes des actions. » (1)
Dès les années 1990, le désossement annoncé du Fret puis de la SNCF entière avait bien été compris par les cheminots et leurs syndicats : la CGT n'était pas encore membre de la Confédération européenne des syndicats (CES) ; son ralliement à l’idéologie néolibérale ne viendra qu'en 1999.
• Dès 1991, la directive européenne 91/440 bien connue des cheminots à l'époque, définit une nouvelle politique des transports ferroviaires. Cette directive européenne demandait aux États de réduire l’endettement des compagnies ferroviaires avant l’ouverture à la concurrence. La France choisit alors de transférer une grande partie de la dette à Réseau ferré de France (RFF) devenu SNCF Réseau (1997).
• En 1995 une nouvelle directive définit les conditions d'attribution de licences ferroviaires et d'attribution de sillons (créneaux horaires de circulation des trains) ; l'ouverture matérielle à la concurrence se met en place.
• 1996 parution du premier livre blanc. (2)
• 1997 la compagnie nationale est scindée en deux : Réseau ferré de France (RFF) et la SNCF. RFF propriétaire du réseau (de l'infrastructure) puis SNCF Réseau (qui gère ce réseau) et SNCF Mobilités (qui exploite et commercialise les transports).
• 2001, 1er paquet "infrastructures" de l'UE puis deuxième livre blanc.
• Le 15 mars 2003, le transport de marchandises (fret) est ouvert à la concurrence à l’international.
• 2004, deuxième paquet d'ouverture à la concurrence pour le fret national.
• Le 13 juin 2005, circulation du premier train privé de fret en France.
• 2006 : généralisation de l’ouverture à la concurrence.
Par crainte de la réaction populaire, l'ouverture à la concurrence s'effectue toujours sous le même schéma et prend un peu de temps :
• 1 - Un état des lieux incomplet et partisan arguant de difficultés réelles et toujours empreint de visées "environnementales" et ʺd'assainissement" financier qui constituent perpétuellement les deux faces de l'offensive libérale. Bien sûr, les endettements de certaines entreprises nationales sont une aubaine, sans qu'à aucun moment ine soit indiqué d'où provient cet endettement et comment y remédier en dehors du marché.
• 2 - Des livres blancs qui expliquent tout cela en détail et préconisent des orientations et mesures à prendre.
• 3 - Des directives européennes qui fixent des diktats aux États pour mettre en œuvre les préconisations du livre blanc, délai (2 à 3 ans maxi) pour transcrire dans le droit national la directive. Seule une discussion au parlement est permise, le référendum, émanation de la volonté du peuple n'est pas envisageable !
• 4 - Application effective de l'ouverture à la concurrence, avec notamment l'obligation de scinder la propriété du réseau d'avec sa gestion, son exploitation et sa commercialisation. Pour la SNCF cela se traduit par la scission entre RFF et SNCF.
• 5 - Pour le ferroviaire, l'ouverture s'opère d'abord pour le trafic international (européen) des marchandises, puis ensuite pour le trafic intérieur.
Idem pour les voyageurs, mais le sujet étant plus sensible pour les citoyens que le fret, après l'international, ils commencent par les TGV et les inter-cités, puis la concurrence est ouverte aux TER (régions) et enfin à l’Île-de-France (RATP). En cette fin d’année 2024, l’ouverture à la concurrence des bus RATP est en cours de « concurrentialisation » : « l’offre » est ouverte ! Dans la foulée c’est le métro qui sera frappé !
Quelles raisons ont pu étayer ces décisions de l'UE ?
Mais alors quels buts sont poursuivis par l'UE avec ses attaques contre les "monopoles" d'État (SNCF/ EDF/ PTT, etc. )? Tous désossés de la même manière !
• Axe central de la mondialisation néolibérale : le libre-échange et donc la libre "concurrence". Bien évidemment, l'UE a gravé dans le marbre des traités ces préceptes figurant dans son fonctionnement et édicte des directives qui s'imposent aux États membres. Dans la pratique, il s’agit de privatiser toutes les entreprises nationalisées. C'est donc, en France, tout l'acquis du Conseil national de la Résistance (CNR) qui est visé avec la remise en cause de l'appartenance des grands moyens de production et d'échanges à la nation. L’UE veut "casser" cette spécificité française du service public. Notons au passage que depuis la directive services en 2011, l’UE ne reconnaît pas les services publics, seuls les « services au public » de préférence privés car « concurrentiels » sont cités dans les directives de la Commission européenne…
• Dans le même temps, tout cela permet de remettre dans la sphère privée, donc capitaliste, des masses considérables d'argent qui étaient jusqu'alors gérées par l'État et basées sur une certaine solidarité.
• Autre « intérêt » de libéraliser et de privatiser nos entreprises nationales : remettre en cause tous les « régimes spéciaux » des agents y travaillant, fruits des conquêtes sociales et des luttes syndicales fortes dans ces entreprises. Casser les "bastions" syndicaux et en même temps niveler par le bas (régime général) le droit du travail.
C'est tout bénéfice pour le capital ! Pour l'environnement il faudra attendre
Pourtant, déclament toujours les européistes, rien d'incompatible avec une politique environnementale. L'ouverture à la concurrence étant sensée permettre le développement du fret au détriment de la route puisque les nouvelles entreprises privées vont transporter pour moins cher et mieux que Fret SNCF et ses lourdeurs !
FAUX ! Faisons un état de la situation :
· En 1970 : SNCF transportait 67,6 milliards de tonnes kilomètres (MTK mesure du transport fret) soit environ 50% de la part du transport de marchandises. Aucun entrant privé alors.
· En 2000 : SNCF 55,4 MTK
· En 2010 : ce chiffre baissait à 22,8 MTK. Le ferroviaire représente environ 25% du transport de marchandises avec quelques nouveaux entrants privés.
· En 2019 : 16,7 MTK. Le ferroviaire représente 9% de la part du transport de marchandises avec une dizaine de sociétés privées.
Premier constat sans appel : le volume de marchandises transportées par le rail sur le réseau français a chuté de plus de 50% en à peine vingt ans de libéralisation organisée par l'Union européenne et les gouvernements français : un triste exploit ! Le nombre d'agents du fret à la SNCF est passé de 25 000 en 1994 à moins de 5 000 en 2024.
Où est donc passé le volume perdu de marchandises quand on sait que les flux transportés sont en augmentation constante ? Il est passé au transport routier qui s’est développé à un rythme équivalent à la baisse du fret ferroviaire, selon le principe des vases communicants. À noter que la SNCF, à travers sa filiale Géodis, est l’acteur principal du transport routier.
Échec d'une orientation de l'UE pourraient rétorquer nos écologistes, mais pas du tout, au contraire, car dans le même temps la part de marché des nouveaux entrants, concurrents de Fret SNCF, est passée de 11% en 2008 à près de 32% en 2011 et 40% en 2020.
La mascarade de la communication verte « flonflon » continue sa tournée !
Il faut reconnaître qu'en matière de communication l'environnement n'est jamais oublié. Le dernier plan gouvernemental pour le ferroviaire (24 février 2023) est un modèle de trompe-l’œil : « Enfin, nous n’oublions pas le transport de marchandises, qui représente une part importante des émissions du secteur. Nous avancerons dans sa décarbonation par la modernisation du réseau ferré, bien sûr, mais aussi des investissements pour la régénération du réseau fluvial, pour la modernisation des grands ports et en facilitant les connections entre les différents réseaux ». Six lignes sur un discours de plus de 20 pages ! Objectifs affichés de l'État : un grand plan vert pour le ferroviaire, enfin nous allons y arriver…
Doubler d'ici 2030 la part du trafic ferroviaire de marchandises : à aucun moment il n'est écrit “réalisé“ par Fret SNCF mais passons. Cependant doubler 9% ne fait jamais que 18% c’est-à-dire revenir à la part du fret en 2019 !
Doubler d'ici 2050, même raisonnement que ci-dessus, 25% ce serait revenir au niveau des années 2000 !
Avec quels moyens ? 100 milliards d'euros d'ici 2040 sont annoncés pour le réseau. Ceux qui sont perspicaces auront compris que cette somme n'ira pas uniquement aux trafic fret mais aussi au trafic voyageurs. Soit 5,9 milliards par an quand, dans le même temps, ce gouvernement annonce 413 milliards sur 7 ans soit 59 milliards par an pour le budget militaire.
Simple détail si l’on peut dire, ce plan a été élaboré avant le nouveau budget national 2025 qui prévoit 60 milliards d’économies…
2023/2025 : l’UE termine son dépeçage du fret SNCF
La meilleure arme de destruction massive des services publics est connue : la Commission européenne. Elle remet en cause le soutien dont a bénéficié Fret SNCF sur la période 2007-2019, et en particulier l'annulation de sa dette de 5,3 milliards d'euros intégrée à la dette de la holding du groupe SNCF lorsque celui-ci a été refondé début 2020, en application de la dernière réforme ferroviaire.
La Commission déclare "ces aides" illégales car non conformes aux règles de l'UE en matière d'aides d'État, ce qui provoque automatiquement la faillite de Fret SNCF, incapable de rembourser.
Macron, jamais à court d'idées néolibérales ainsi que ses gouvernements, "propose" donc de céder à des concurrents les "trains dédiés". Ces trains de marchandises réguliers, affrétés par des clients uniques, représentant encore 30% du trafic et 20% du chiffre d'affaires de Fret SNCF (750 millions d'euros environ). Trains simples à produire et à gérer, sans trop de personnel, sans commerciaux à embaucher pour démarcher la clientèle : une aubaine pour le privé et ses opérateurs ferroviaires.
Autre idée pas très nouvelle : supprimer définitivement Fret SNCF et créer deux entreprises privées (Hexafret et Technis) à la place et, pour faire bonne mesure, transférer les 4 500 agents du fret dans ces compagnies privées en supprimant bien évidemment leur statut de cheminot. En fait, 4 500 sur 5 000 aujourd'hui puisque 500 suppressions d'emploi seront réalisées à l'occasion de ce transfert, ce sera toujours cela de gagné !
Bilan : En 2025, Fret SNCF va définitivement disparaître et le volume de trafic ferroviaire par fer continuera de décroître dans notre pays, au bénéfice de sociétés privées et du transport routier qui ne cherchent qu’à maximiser leurs profits en contradiction avec tous les discours sur la protection de l’environnement.
Vive la concurrence libre et non faussée : que du privé, fin des statuts spéciaux, moins de transport de marchandises par le rail !
Peut-on faire autrement ? Oui !
Il est crucial de revenir à un service public du transport qui prenne en compte la protection de l’environnement. Ce n'est pas la voie empruntée par l’Union européenne et ses États membres qui continuent leur marche en avant, guidés par leurs mantras religieux de la concurrence et du marché unique. Nous dénonçons inlassablement ceux qui se sont succédé depuis plus de 30 ans au pouvoir, de droite comme de gauche qui ont accepté les diktats (directives) de l’UE. Ils trompent sans vergogne les citoyens qui s'émeuvent des problèmes sociaux et environnementaux mais ne font pas le lien entre une véritable politique nationale sociale et écologique et la nécessité de remettre en cause les dogmes et les institutions néolibéraux.
La libéralisation forcenée qui a été engagée depuis plus de trente ans dans le cadre de l’Union européenne montre que la concurrence appliquée aux entreprises de réseau qui opèrent sur un monopole naturel (transport, énergie, télécommunications), est moins efficace que l’exploitation par un seul opérateur national.
Rappelons au passage aux benêts ergotant sur la création de pôles publics (énergie, transports, télécommunications… par exemple) qu'ils sont en contradiction totale avec les directives européennes, via le traité de Lisbonne intégré à notre constitution (Titre XV) depuis 2008. La création de pôles publics est impossible dans le cadre européen et anticonstitutionnelle !
Le Pardem appelle à sortir de la mondialisation néolibérale, à reconquérir la souveraineté nationale et populaire pour plus de justice sociale et environnementale et à établir des coopérations internationales solidaires. Pour cela le préalable consiste à sortir de l'Union européenne, de l'Euro et de l'Organisation du traité de l'atlantique nord (OTAN). Mais aussi de sortir de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et du fond monétaire international (FMI).
Ce programme politique n'a rien d’isolationniste. Au contraire, il s'inscrit dans l'air du temps où la plupart des pays qui ne sont pas inconditionnellement arrimés aux USA réfléchissent et même mettent en place des mécanismes permettant de s'affranchir de la mainmise du dollar sur l'économie mondialisée (les BRICS+), et souhaitent un fonctionnement différent des institutions internationales, de l’Organisation des nations unies (ONU) notamment.
Pour les grands pôles (énergie, transports, santé, etc.) il est nécessaire de détenir des opérateurs publics qui développent leurs activités de services avec la mission de satisfaire les besoins des populations, en prenant réellement en compte les impératifs sociaux, environnementaux et d'aménagement du territoire.
Les citoyens doivent avoir leur mot à dire pour définir les besoins et contrôler la mise en œuvre de solutions efficaces. Car au-delà des échéances électorales, il s'agit bien de faire en sorte que le peuple lui-même prenne les choses en main et arrête de déléguer les pleins pouvoirs à celles et ceux qu'il élit tous les cinq ans.
Le Pardem appelle à redonner au peuple sa place dans la démocratie en rebâtissant une nouvelle constitution.
2025 : c’est le 20e anniversaire du NON au TCE des Français : 55% d’entre eux dont voté non, en toute connaissance de cause. Pourtant, en 2008 le traité de Lisbonne a été adopté par les parlementaires réunis en congrès et intégré à la constitution française, plaçant ainsi la France sous tutelle de l’UE.
Vingt ans après le Non et la trahison des « représentants du peuple », il est temps de faire le bilan de la catastrophe dans laquelle l’Union européenne a plongé notre pays et d’en tirer des conclusions rationnelles. Et si les Français pouvaient voter en 2025 pour dire OUI ou NON à l’Union européenne ? Quel serait leur choix ? Pour le savoir, seul un référendum pourrait le dire ! À bon entendeur…
NOTES
(1) https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/le-reseau-trans-europeen-de-transport/
Extrait : « La mise en place d’un réseau central de transport d’ici à 2030, formant la charpente des transports au sein du marché unique. Un deuxième niveau de structure, dit réseau global assurant les connexions vers toutes les régions de l’UE viendra compléter le RTET, à l’horizon 2050. Selon le règlement 1315/2013, l’ensemble vise à promouvoir “l’accessibilité et la connectivité de toutes les régions de l’Union” et “la garantie de normes de sûreté, de sécurité et de grande qualitéʺ ».
(2) Les livres blancs de la Commission européenne sont des documents contenant des propositions d’action de l’Union européenne (UE) dans un domaine spécifique. Dans certains cas, ils font suite à un livre vert publié pour lancer un processus de consultation au niveau européen.
L’objectif d’un livre blanc est de lancer un débat avec le grand public, les parties prenantes, le Parlement européen et le Conseil afin de parvenir à un consensus politique.
Ils sont publiés sur le portail web «Donnez votre avis» de la Commission.
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