Les lois Blanquer

loi Blanquer

Par Andrée Hemet, membre du Conseil national du Parti de la démondialisation

Le 14 juin 2019

En France, la dépense nationale d’éducation (en 2016) pour ses 15,6 millions d’élèves et la formation continue est de 149,9 milliards d’euros ; dont les ¾ pour les personnels. Comme pour les autres services publics (santé, transport, énergie, etc …) l’éducation représente un marché important que cherchent à s’approprier les pillards libéraux, soutenus par les lois européennes et avec la complicité des gouvernements.

 

Les 120 000 suppressions de postes prévues par le gouvernement de M. Macron dans la Fonction Publique ne sont que l’application des directives européennes imposant la limitation du nombre de fonctionnaires, donc des dépenses publiques, pour toujours moins d’Etat et plus de concurrence libre et non faussée.

La première des valeurs républicaines de l’école est que tout élève reçoit le même enseignement, suit les mêmes programmes et obtient des diplômes qui ont la même valeur sur tout le territoire français. La politique que promeut Jean-Michel Blanquer anéantit cette valeur d’égalité.

 


Le désengagement de l’état dans l’éducation.

M. Blanquer continue ses expérimentations dangereuses. Après la promotion des neurosciences comme mode de classement et de sélection des élèves dès le plus jeune âge, il lance une réforme précipitée du Bac pour que celui-ci soit installé avant la prochaine élection présidentielle. Il impose deux années de suite, un changement sans aucune cohérence dans les programmes. Les modes d’évaluations ne sont toujours pas connus à deux mois des épreuves. Le premier degré est lui aussi démantelé. Depuis plus de vingt ans, toutes les réformes proposées vont dans le même sens de destruction de l’Education nationale ; il faut souligner que seuls les établissements privés tirent profit de ces réformes et reçoivent toujours plus de financement public.

Les nouvelles réformes du lycée et du Bac laissent les parents, les enseignants et les élèves dans un flou permanent quant à l’orientation de ces derniers. Les filières, deviennent des « spécialités » et seront déterminantes pour prétendre à un accès à des études supérieures. Les attentes des universités, qui choisissent seules leurs étudiants, restent inconnues ; si bien que les élèves doivent décider à l’aveugle de leurs options, sans savoir si elles leur permettront de postuler en faculté pour la matière de leur choix. Les codes qui permettent de choisir ces spécialités deviennent très complexes et renforcent les inégalités sociales.

 

La politique « curriculaire ».

M. Blanquer continue la politique visant à court-circuiter les programmes nationaux et instaurer une logique différentialiste par le curriculum de l’élève, c’est à dire le parcours d’apprentissage, ce que l’élève a compris, ce qu’il est capable d’utiliser. Ainsi, l’enseignement sera « différencié » selon la catégorie socio-professionnelle des parents et le niveau socio-économique du territoire sur lequel l’école est située. En résumé, il s’agit d’adapter l’offre scolaire aux besoins du marché.

Une année de Bac général revient à 117 330 €, de Bac professionnel à 121 860€.  Une première année d’université à 11 510 € ; une licence à 30 620€ ; un BTS à 27 570 €. C’est aussi pour des raisons comptables que les redoublements sont refusés aux élèves et que sont privilégiés le Bac général et le BTS.

 

L’école maternelle.

Bien que facultative, le modèle de l’école maternelle française, était, il y a une vingtaine d’années encore, envié par de nombreux pays pour son efficacité auprès des enfants de 3 à 6 ans dans la mise en place de nombreux apprentissages. Entre autres : les prérequis de l’apprentissage de la lecture, le travail de socialisation, le développement du langage oral, le développement de la motricité, de l’ouverture au monde et à la culture, la détection et la prise en charge des handicaps etc.

« Les lois pour une école de la confiance » de J.M Blanquer, rendent la scolarité obligatoire dès 3 ans. Avec actuellement 97,6% d’enfants scolarisés en maternelle, on peut considérer que la quasi-totalité des enfants de 3 à 6 ans bénéficie déjà de cet enseignement.

Depuis la loi Debré de 1959, les collectivités locales doivent assumer les coûts de fonctionnement et d’entretien des écoles privées sous contrat. L’abaissement de l’obligation scolaire à 3 ans va permettre aux établissements privés d’ouvrir de nouvelles classes de maternelle financées par l’argent public.

Le surcoût pour les communes, qui ne recevront quasiment aucune dotation supplémentaire, va les contraindre à supprimer des classes ou des postes d’Atsem (Agent Territorial Spécialisé des Ecoles Maternelles, assiste l’enseignant dans la classe sans responsabilité pédagogique). Les disproportions des finances municipales vont induire des écoles à plusieurs vitesses, favorisant une fois de plus les territoires riches et les écoles privées. La loi NOTRe visant à faire disparaître les communes au profit de mégapoles régionales transfèrera le pouvoir de créer ou conserver une école à des gestionnaires éloignés des administrés. En outre, rien n’est précisé quant au degré de formation qui sera exigé des personnels ; vu le recours massif actuel aux contrats CDD pour des enseignants sans formation, on est en droit de craindre le renforcement de l’enseignement au rabais.

Cela n’est pas sans rappeler les TAP (Temps d’Activités Périscolaires) mis en place en 2012 qui, organisés dans une disparité inacceptable et catastrophique, ont anéanti nombre d’écoles de musiques, de danse, de sport dans lesquelles les enfants recevaient un véritable enseignement dispensé par des professionnels, se sont vus proposer des activités incohérentes et sans intérêt encadrées par des personnels enthousiastes mais non formés.

 

Les établissements en milieu rural.

Les collèges des petites villes ou des régions peu peuplées pourront-ils proposer des enseignements de langues aussi variés que dans les collèges de grandes villes ou régions riches ? Comme l’a affirmé M. Blanquer en visite à Rennes, « qu’est-ce qu’un élève breton aurait à faire d’apprendre l’allemand ? ». Il faut donc en conclure que si un élève souhaite apprendre l’espagnol, il faudra qu’il habite dans le sud-ouest, pour le russe ou le chinois, il faudra compter sur l’école privée ou les cours par correspondance. Evidemment pour ce qui est du latin et du grec, autant y renoncer à moins de pouvoir entrer dans un lycée renommé (Henri IV ou Louis Le Grand ?). Quant aux classes bi-langues ou internationales, elles vont disparaître des établissements publics et n’être accessibles que dans le privé.

Il est certain que les lycées se situant en dehors des grandes métropoles ne pourront pas proposer toutes les spécialités et options qui mènent aux universités. Les options culturelles comme le théâtre, la musique ou les arts plastiques ont déjà quasiment disparu. Ce renforcement des inégalités territoriales est un coup supplémentaire aux populations qui, à cause de la spéculation immobilière, ne peuvent se loger dans les centres-villes.

 

Les élèves en situation de handicap.

Le projet de fermeture des Instituts Médicaux Pédagogiques, va renforcer « l’inclusion scolaire » de tous les enfants à partir de 3 ans en milieu ordinaire quelle que soit la lourdeur du handicap. Les nouveaux Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisé organiseront l’accompagnement de ces élèves. Ces Pôles devront gérer les moyens mis à disposition des circonscriptions pour la scolarisation des élèves porteurs de handicaps. Vu le manque de personnel (AVS etc.) il est à craindre que la prise en charge ne soit plus individualisée et que le volume horaire de prise en charge soit restreint.

Cet abandon des élèves en situation de handicap est une réelle maltraitance, pour eux comme pour les autres élèves. Et les enseignants doivent se substituer aux personnels spécialisés sans avoir reçu de formation, au risque d’agir, sans le savoir, contre le bien être de l’enfant.

 

La disparition des directeurs et les EPSF.

Regrouper les écoles (une dizaine voire plus) et les intégrer dans un même Etablissement Public des Savoirs Fondamentaux permettrait de récupérer les postes de directeur et leur décharge pour direction. De plus les moyennes d’effectifs par classe, calculées sur un plus grand diviseur, permettront de fermer plus facilement des classes et ainsi récupérer encore des postes.

L’actuel directeur d’école est un collègue chargé de la direction et de l’animation pédagogique de son équipe et non un supérieur hiérarchique. La mission des directeurs d’EPSF évolue vers un management des enseignants et une gestion comptable des moyens.

Quant aux parents d’élèves, que pourront-ils attendre d’un directeur qui ne connait pas leur enfant et qui ne sera sûrement pas disponible pour répondre à leurs questions ? Cette communication relèvera-t-elle de l’enseignant seulement ?

 

Les évaluations permanentes des élèves.

La loi Blanquer crée une nouvelle instance : le Conseil d’Evaluation de l’Ecole qui sera composé de 10 personnes dont 8 choisies par le ministre ; sur ces 8, 4 seront des fonctionnaires. Il existe déjà deux instances d’évaluation : la DEPP (ministérielle) et le CNESCO (évaluation indépendante).

Ce nouveau conseil est un assistant à la politique managériale du ministre. J.M Blanquer est obsédé par l’évaluation permanente et la culture du résultat ; les évaluations dès le CP ne permettent pas aux élèves d’intégrer les apprentissages ; à peine abordées, les notions sont déjà évaluées, mesurées et entraînent un classement de chacun dans des cases : « notion acquise, en cours d’acquisition, non acquise », alors qu’une notion nécessite un temps de maturation différent selon les élèves. Aucune chance pour celui qui a besoin de plus de temps, de parvenir à apprendre ; son curriculum indiquera définitivement ses « incapacités » !

Cette culture du résultat est très dangereuse car elle pousse les équipes enseignantes à rechercher la « rentabilité » en postes, dotation, primes au mérite, promotions, etc. Suivra le classement des établissements, l’arbitraire et la généralisation des postes à profil. La grande oubliée de ces réformes reste la réussite des élèves.

 

La formation des enseignants.

Pour la deuxième année consécutive, les postes au concours de professeur des écoles du public sont en chute : - 9%, alors que le concours de l’enseignement privé bénéficiera d’une hausse de postes de +38%.

La liberté pédagogique et l’expérimentation pédagogique sont des pratiques institutionnelles reconnues depuis très longtemps dans l’éducation nationale ; les pédagogies actives, par exemple la méthode Freinet, ont permis de développer la réflexion sur les difficultés d’apprentissage et ont apporté des solutions souvent efficaces. Alors que l'expérimentation est de mise dans les établissements privés même hors contrat (Montessori, Steiner etc.), pour l’école publique on constate une disparition de la liberté pédagogique notamment en ce qui concerne le choix des méthodes d’apprentissage de la lecture. En imposant les méthodes syllabiques restreintes aux enseignants de CP, malgré la remise en cause de ces méthodes dans un rapport de l’Inspection Générale de l’Education Nationale, le ministre entend bien discipliner les enseignants et les enseignements. Ces méthodes sont ardemment soutenues depuis près de 30 ans par les ministres successifs de l’Éducation qui ont tous essayé, par la désinformation, de convaincre les parents d’élèves de leur efficacité. On ne cesse d'accuser "la méthode globale" d'être à l'origine des incapacités de lecture et d’orthographe des citoyens alors qu'elle n’a jamais été réellement enseignée et que ce sont bien ces méthodes syllabiques pures qui sont à l’origine du problème.

Le devoir de réserve pour les personnels de l’éducation empêchera les enseignants de s’exprimer dans des réunions de parents, ou autres ! Le gouvernement a déjà commencé à sanctionner les personnels qui ont critiqué la réforme Blanquer (pressions, blâmes, mises à pied, mutations…)

Les ESPE qui avaient remplacé les IUFM qui eux-mêmes avaient remplacé les Ecoles Normales (où les élèves-maîtres étaient salariés) deviennent des Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat dont les directeurs sont désignés par le ministre.

Depuis une vingtaine d’années, l’Education nationale s’évertue à recruter « des candidats qui ne vont pas bousculer les codes et les hiérarchies. La qualité du futur enseignant ne sera pas son indépendance d’esprit mais sa docilité et sa servilité », comme le souligne Augustin d’Humières, dans son livre « Un petit fonctionnaire ». Il ajoute (Page 62) «(…) lors de mon passage au jury du défunt CAPES de lettres classiques « il est trop savant, il ne saura pas s’adapter ! » murmurait un membre du jury en entendant un candidat dire qu’il envisageait d’expliquer à une classe de 5ème comment un mot latin se déforme pour aboutir au mot français (…) » et encore, à propos d’un autre candidat :  « c’était nul, il a classé Lamartine parmi les symbolistes ! Enfin on lui a mis 7 quand même, il sera très bien pour Villiers-le-Bel ! ».

 

Conclusion.

En 1833 la loi Guizot instaure une école primaire par commune et une école Normale d’instituteurs par département. En 1879, les lois de Jules Ferry - Paul Bert ont institué l’école gratuite et obligatoire ainsi que les écoles Normales d’institutrices. En 1879, la loi Goblet crée des écoles maternelles pour tous.

En 1977 le concours de recrutement des élèves instituteurs de fin de collège (3e), emblématique de la France rurale et modeste est supprimé. En 1986 un niveau Bac +2 est exigé pour se présenter au concours. En 1989, L. Jospin, ministre de l’Education crée les IUFM et le statut de Professeur des écoles. Par sa circulaire, il affaiblit la loi Jean Zay de 1936 en laissant à l’appréciation des chefs d’établissements, l’autorisation du port des signes religieux à l’école. En 2004, la loi sur les signes religieux à l’école calme les problèmes de communautarisme dans les écoles. En 2008 la loi Fillon intègre les IUFM aux universités. En 2010 les enseignants sont recrutés au niveau Bac+5. En 2013 suppression des IUFM au profit des ESPE. 2019 : lois Blanquer.

On constate que depuis 40 ans, les ministres successifs se sont attelés à la destruction de l’école. D’abord en supprimant le recrutement des enseignants dans les toutes les classes sociales de la société (1977) mettant du coup en place la reproduction sociale renforcée et limitant l’accès au métier aux catégories socio-professionnelles supérieures. L. Jospin ouvre (1989) la communautarisation et la disparition progressive de l’école de la République des quartiers-ghettos. De gauche comme de droite, tous les gouvernements ont appliqué les directives européennes et ont attaqué l’école publique dans le seul but de pouvoir ouvrir le marché de l’éducation au privé.

Les syndicats enseignants n’ont pas joué leur rôle d’information politique et ont accompagné tant bien que mal les réformes, essayant de limiter la casse sans jamais remettre en cause le système. Ils n’ont jamais alerté les parents ou les enseignants sur les projets meurtriers de la politique libérale.

Il est temps de réagir, parents, élèves, enseignants et citoyens doivent récupérer l’outil d’émancipation et de liberté du peuple qu’est l’Ecole de la République.

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