Mexique : Andrés Manuel Lopez Obrador ou le capitalisme social

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Par Joël Perichaud, Secrétaire national du Parti de la démondialisation chargé des relations internationales
Le 7 juillet 2018

Selon tous les grands médias, l’élection d’Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) inaugurerait une politique de « gauche » au Mexique. Il convient de se baser sur les faits, pas sur la propagande.

Le 1er juillet, près de 90 millions d’électeurs mexicains (sur 125 millions d’habitants) ont élu leur président (pour six ans) et ont renouvelé leurs 500 députés, 128 sénateurs, 9 gouverneurs et 2800 conseillers municipaux.

Le parti d’AMLO, le Mouvement de régénération nationale (Morena), fait partie de la Coalition Juntos Haremos Historia (Ensemble nous ferons l’histoire). Après déjà deux tentatives infructueuses aux présidentielles de 2006 (35,3% des voix) et 2012 (31,6%), la troisième fois aura été la bonne.
Le Parti d’action nationale (PAN - droite), qui obtient 22,6 %, n’a heureusement pas profité de l’énorme mécontentement généré par les six dernières années du gouvernement d’Enrique Pena Nieto (Parti révolutionnaire institutionnel – PRI – Centre droit).

Enrique Peña Nieto, issu du PRI (parti qui vampirise le pays depuis près d’un siècle), était l’un des chefs d’État les plus impopulaires d’Amérique latine après six années au pouvoir marquées par de nombreux scandales financiers et une violence inouïe, dans un Mexique gangréné par la corruption et le trafic de drogue. 60 % des Mexicains jugent d’ailleurs que le gouvernement Nieto est responsable de la situation actuelle. Jose Meade, candidat du PRI pour ces nouvelles élections parvient péniblement à 15,6 % et c’est déjà beaucoup.

La moitié des Mexicains et le tiers des entreprises du pays déclarent verser des pots-de vin aux fonctionnaires. Selon la Banque mondiale, l’activité économique liée à la corruption aurait représenté 9 % du PIB en 2015... Le pays est malade du narcotrafic, comme l’illustre le nombre record d’homicides en 2017 (25 339). Des meurtres en hausse de 58 % depuis l’arrivée au pouvoir de Peña Nieto en 2012...

La violence politique a marqué la campagne électorale. Depuis septembre 2017, au moins 116 personnalités politiques ont été assassinées et 400 agressées (toutes tendances politiques confondues)

La victoire d’AMLO avec 53,6% est donc historique.

Andrés Manuel Lopez Obrador, qualifié de populiste et d’anti-système, vient du « centre droit ». Il a quitté le PRI en 1983. Après avoir participé à la création d’un parti de « centre-gauche » (Parti de la révolution démocratique – PRD – membre de l’internationale socialiste) qu’il quitte en 2012, AMLO fonde le Mouvement pour la régénération nationale (Morena), dont la déclaration de principes prône une société ouverte sans distinction d’âge, de sexe, de classes et d’appartenance ethnique, tout en accordant à l’écologie et à la culture une place équivalente à celle de l’économie.
Connu pour son combat contre la « mafia au pouvoir » et le système corrompu du PRI et du PAN, son programme de campagne s’est articulé autour des questions de respect des peuples indigènes, de sauvegarde des campagnes, d’autonomie alimentaire ou encore de droits humains et sociaux.
Il veut en « finir avec la corruption », la lutte contre la pauvreté et le néolibéralisme. Il propose la gratuité de l’école et des soins ou encore une augmentation du salaire minimum et l’abandon du projet controversé (en cours) de construction du nouvel aéroport de Mexico. Il veut diminuer de moitié le salaire des hauts fonctionnaires, ainsi que le sien, et continuer à vivre dans son appartement de la capitale.
Il lancera de grands travaux, développera l'accès à internet pour tous, offrira des bourses aux étudiants ou encore accroîtra l'autosuffisance alimentaire du pays.
Sa proposition la plus critiquée par ses opposants est sa volonté d’amnistier certains petits narcotrafiquants pour stopper les violences.

Jean-Luc Mélenchon, qu’AMLO avait soutenu lors de la présidentielle de 2017 lui a rendu la pareille, en déclarant : « AMLO est notre candidat à l’élection présidentielle ».

Mais Andres Manuel López Obrador a bénéficié du soutien d’une partie du patronat grâce à sa réputation d’homme politique incorruptible.
D’un côté, AMLO a donc intégré dans sa coalition le très anticapitaliste Parti du travail (PT – anticapitaliste) de l’autre, il rassure une partie des conservateurs mexicains en s’alliant au Parti rencontre sociale (PES), parti évangélique ultraconservateur opposé à l’avortement et au mariage homosexuel.

Morena, issu du PRD avec lequel AMLO a dirigé la ville de Mexico, vient, tout en gagnant la présidence, de rafler 211 sièges de députés sur les 300 que compte la Chambre basse. Morena a fait élire six gouverneurs sur les neufs États en lice et a gagné la mairie de Mexico avec Claudia Sheinbaum, proche d’AMLO

Pendant cinq mois, AMLO va pouvoir préparer son installation au pouvoir et pendant cinq mois, les autorités en place vont pouvoir lui savonner la planche dans un État de non-droit, où nombre de régions sont sous la coupe des cartels de la drogue et autres mafias. La tâche s’annonce donc difficile.

La priorité serait de commencer par des réformes sociales, afin de soulager la misère et des réformes pour stopper la corruption. Mais la justice est presque aussi corrompue que la police. Par ailleurs, lutter contre les corrompus, c’est traiter les effets et non les causes.

AMLO, avec son image de « Monsieur propre », laisse croire que la corruption est une question de morale quand il s’agit d’une question économique.
L’accord de libre échange avec les USA, qui a conduit à l’installation d’usines (Maquiladoras) où les salaires sont misérables, le droit du travail et la liberté syndicale inexistants est un facteur majeur du développement de la misère.
Combattre efficacement la misère signifie sortir de cet accord néocolonial (contre lequel s’était opposé le mouvement Zapatiste en 1994).
AMLO est-il l’homme de gauche qu’il prétend être ? On peut en douter...Il a été soutenu par une partie de la droite tandis que le parti de droite (PAN) bénéficiait de l’appui de l’aile gauche du PRD...Au Mexique, comme ailleurs, le clivage gauche-droite n’a plus de sens.
Il faudra attendre les premières mesures du gouvernement d’AMLO pour juger sur pièce.
Si les conditions de vie du peuple mexicain ne s’améliorent pas rapidement et sensiblement, Mélenchon fera-t-il preuve du même soutien aveugle et inconditionnel qu’il a bruyamment manifesté à l’égard de Tsipras ?