Vous avez dit Aquarius ?

Par Leonardo Mazzei, membre du « Mouvement populaire de libération nationale - Programa 101 » (P101).

1er juillet 2018

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Le Pardem publie le texte de Leonardo Mazzei, militant du « Mouvement populaire de libération nationale - Programa 101 » (P101), organisation politique italienne membre de la Coordination européenne contre l’Union européenne, l’euro et l’OTAN dont fait également partie le Pardem.

La presse européenne aux ordres du système déforme sciemment les faits et actes de la politique du gouvernement italien. Le but de la publication de ce texte est de faire connaître la position de certains mouvements de la gauche italienne. De la même manière, Riccardo Barrenghi, ancien directeur du quotidien communiste Il Manifesto, écrit dans La Stampa du 13 juin : « Brûlez cette chronique immédiatement après l’avoir lue, mais cette fois Conte [le Premier ministre italien] a raison. » Son propos portait sur la décision italienne de ne pas accueillir l’Aquarius dans un port italien, car le gouvernement avait raison de placer les autres pays européens devant leurs responsabilités.

 

 

A quel point l'humanitarisme est-il humain ?

Hypocrites ! Concernant le cas de l’Aquarius, la course pour savoir qui le sera le plus vient de commencer. Des forces d'opposition de l’oligarchie aux présumés partenaires d'une Europe en train de s'effondrer, le chœur est unanime. L'Italie, ou si vous préférez son gouvernement, aurait fait preuve de « cynisme » et d ' « irresponsabilité », en jouant sur des vies humaines par simple calcul politique. Il nous semble plutôt que le cynisme et l'irresponsabilité sont de l'autre côté. D’une part, certainement à Paris et dans d'autres capitales européennes, d’autre part par les actes de destruction de la nation menée par notre élite qui ne réalise pas encore qu’elle a perdu les élections et le gouvernement.

Soyons clairs. Certaines « tonalités saviniennes » non seulement ne peuvent être partagées, mais au final pourraient être contre-productives pour le gouvernement lui-même. Cela dit, essayons de rester sur les faits. Et les faits sont simples, il suffit de les observer avec un minimum d'objectivité.

Depuis des années - mais beaucoup plus, depuis la guerre libyenne voulue par la France en 2011, à laquelle l'Italie fut poussée à participer (en particulier par Giorgio Napolitano) - la Méditerranée est traversée par un trafic d'êtres humains sur lequel s’enrichissent considérablement, à la fois les trafiquants qui organisent le voyage de tant de désespérés et les patrons et sous-traitants qui exploitent les bras de ces derniers. En gardant à l'esprit ces deux éléments, nous devons d'abord répondre à une question : sommes-nous ou non confrontés à un commerce moderne d'esclaves ? La réponse est oui, seul l'aveugle ne peut pas le voir. Mais si tel est le cas, comment est-il possible de ne pas fixer l'objectif d’éradiquer ce commerce immonde ?

Face à cette exigence primordiale, tout le monde détourne le regard. Que ce soient les membres de la classe dirigeante qui ont tout à gagner de ce trafic ou les représentants d'une gauche désormais incapable de lire les phénomènes sociaux pour ce qu'ils sont. Les premiers y trouvent avantage par l'exploitation directe des immigrés, mais plus encore pour l'effet de dépression sur les salaires provoqué par l'élargissement de l'armée industrielle de réserve qu’est le chômage. Les seconds ne savent pas bien quels avantages ils ont, mais - politiquement parlant - hurler au « racisme » est quelque chose qui leur fait croire qu'ils existent encore. L'analyse concrète de la situation est ainsi abandonnée au nom d'un humanitarisme vague et « faux-cul ».

Mais jusqu’à quel point cet humanitarisme est-il humain ? Nous sommes habitués depuis longtemps à ce que les guerres impérialistes soient motivées par des raisons « humanitaires » et « démocratiques » (Yougoslavie, Irak, Libye, et ainsi de suite). Maintenant voici le sermon de ceux qui ne voient que « humanité » quand il s’agit principalement d'esclavage. Clairement, comme pendant son long périple, le migrant africain rencontre aussi des personnes ayant les meilleures intentions, mais cela ne change pas la nature du phénomène qu’il subit. Un phénomène qui, tout en divisant et en incitant à la guerre (entre pauvres) les couches inférieures de la main-d'œuvre en Europe, pille les forces vives de tant de pays africains.

Revenons maintenant à l'hypocrisie insupportable du moment. Le gouvernement italien n'a pas - comme nous l'avons dit – « fermé les ports », mais a simplement appliqué le principe suivant : les navires d’ « organisations étrangères battant pavillon étranger ne peuvent pas gérer l'immigration en Italie » (Salvini dans une interview au Corriere della Sera du 13/06/2018). Le fait est que, bien que 500 des 629 migrants de l’Aquarius iront, en toute sécurité, à Valence, 932 autres immigrés ont débarqué du navire de la Garde côtière italienne « Diciotti » à Catane. Mais alors que le nouveau gouvernement espagnol a été acclamé par l'Europe, le gouvernement italien est décrit comme un gouvernement inhumain, indifférent à la souffrance ou à la faim des migrants. Peut-on être plus malhonnête, peut-on être plus hypocrite?

L'Espagne, que l'on qualifie aujourd'hui de modèle accueillant en opposition à l'Italie, est ce sympathique pays qui accueille habituellement les migrants africains avec 20 km de double rangs de barbelés dressés dans les enclaves de Ceuta et Melilla. En 2017, les migrants africains arrivés en Europe par la mer étaient 171 635. Parmi eux, 119 369 (69,5%) sont arrivés en Italie, 21 663 (12,6%) en Espagne. De quoi parlons-nous ? Plus exactement, de quoi parle la ministre espagnole de la Justice, Dolores Delgado, quand elle menace l'Italie d’actions en justice ?

Et de quoi parle l'ineffable Paolo Gentiloni Silveri avec son « Vas-y Pedro ! » (Pedro Sanchez, le nouveau Premier ministre espagnol) ? Nous avons réduit de 80% le trafic des passeurs. Des faits, pas de propagande sur le dos des migrants ». Enfin, réduire le nombre de débarquements n'est positif que si c’est le gouvernement du Parti démocrate qui le fait ; alors que si le gouvernement est vert-jaune (vert couleur de la Lega,

jaune du M5S, - NDT), c'est fondamentalement un acte inhumain et criminel. Oui, certains le diront, mais une chose est d'empêcher les embarcations de prendre la mer, une autre est de les bloquer en mer. Sauf que nous ne voyons pas quelle différence il y a pour les migrants. Comment pourrions-nous oublier le blocus naval de 1997, décidé par le gouvernement Prodi, contre les bateaux albanais ? Ce blocus n'a pas été sans conséquences tragiques. Dans la nuit du 28 mars 1997, un vendredi saint, le navire de patrouille albanais « Kater I Rades » a été éperonné par un navire de la Marine militaire italienne. 81 personnes sont décédées, dont trente-et-une âgé de moins de 16 ans. Mais Prodi est « bon » par définition, et en Europe, personne n'oserait l'attaquer. Salvini en revanche...

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Ce « deux poids, deux mesures » est vraiment écoeurant. L'hypocrisie de la « gauche officielle » est révoltante comme celle des membres de Refondation communiste, qui crient aujourd'hui au nazisme alors qu’en 1997, ils tenaient la chandelle au chef de l'Ulivo (1). La prétention espagnole d’être le seul défenseur des droits humains en attaquant le nouveau gouvernement italien est révoltante.

Mais si l'hypocrisie du gouvernement de Madrid est dégoûtante, qu'en est-il de l'attitude arrogante des Français ? Paris n'a pas de limites. En 2017, la France n'a pas accepté un seul migrant arrivé par la mer. Pas un. On dira que les côtes françaises sont trop éloignées des côtes africaines. Très bien, mais il y a encore des frontières terrestres. Dommage qu’elles soient parmi les plus fermées d'Europe. Pensez aux postes de contrôle de Vintimille ou aux huissiers postés aux cols alpins entre l'Italie et la France. Des barrages qui ont fait des victimes, comme la femme enceinte repoussée à la frontière de Bardonecchia en mars dernier. Là-bas, il y a eu un mort, alors qu’il n’y a pas eu un seul blessé sur l’Aquarius.

Mais la politique humanitaire dans le pays qui était la Patrie des droits de l’Homme se vante aussi d'être excellente dans d’autres domaines. C'est vrai, Salvini aime les sweat-shirts avec des bulldozers, même si maintenant il doit s'en séparer. Mais en Italie, pour l'instant, les bulldozers restent confinés. En France, au contraire, les bulldozers sont entrés en action dans le camp de réfugiés de Calais, à l'automne 2016, quand 6 500 personnes ont été expulsées de force.

L' « humanitarisme » français est en effet le plus nauséabond de tous. Pourtant, Macron n’a pas hésité à définir la position du gouvernement italien sur l'Aquarius comme « irresponsable et cynique », tandis que Gabriel Attal, porte-parole du parti LREM, est allé encore plus loin: « Je considère la ligne du gouvernement italien dégoûtante. Il est inadmissible de faire de la politique avec des vies humaines, je trouve ça immonde ». Vous avez compris de quelle chaire vient le sermon ! L'hypocrisie de ces « Messieurs » est à faire vomir et immonde. Des gens éhontés, qui voudraient que l'Italie s'agenouille pour continuer à la piller, tout autre chose que l'humanitarisme !

Devant tant d'arrogance, tant d'hypocrisie, le gouvernement Conte a demandé des excuses à Paris. Cela me semble le minimum.

Mais nous savons bien que nous en sommes seulement au commencement. La guerre contre l'Italie a été déclarée directement par les oligarchies européennes. Et elle se cachera encore derrière des arguments « nobles » et « humanitaires », nous pouvons en être sûrs. Par conséquent ; il faut avoir des nerfs solides et tenir la barre fermement. L'hypocrisie de ces « Messieurs » doit être fermement dénoncée, en ayant compris l'objectif politique, qui n'est pas d’avoir une Italie plus « humaine », mais une Italie pleinement dominée. Ils ne s’intéressent pas aux migrants, mais aux industries, aux banques et à l'épargne des italiens.

Les journaux nationaux ont dû ajuster le tir. C’est le jeu avec le gouvernement, ils jouent leur rôle du moment, mais les rédactions ont dû comprendre l'insoutenabilité de l'attaque européenne, espagnole et française en particulier. Ils ont surtout compris de quel côté est le soutien populaire. Et ils ont dû reculer, critiquant même leur « chevalier blanc » Macron. Naturellement, ce n'est qu'un recul tactique, à partir duquel ils vont lancer la prochaine attaque. Mais c'est quand même bon signe !

Article original : https://sollevazione.blogspot.com/2018/06/aquarius-chi-di-leonardo-mazzei.html?m=1

 

Notes du traducteur, Joel Périchaud

1 – L’Ulivo (l’Olivier) est une coalition politique de centre gauche, fondée en 1995 par Romano Prodi et dissoute en 2007 au profit du Parti démocrate (PD).

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