Mossoul : après Daech, la seconde bataille

Deux hommes, jadis à la tête de la ville irakienne, espèrent en reprendre les rênes. L’un sert les intérêts de la Turquie l’autre, ceux du gouvernement central et donc de l’Iran.

Préparée depuis des mois, l’offensive contre Mossoul des forces gouvernementales irakiennes, soutenues par la coalition, sous commandement américain, a commencé le 24 octobre dernier.

Environ 30 000 soldats et policiers, peshmergas kurdes ou miliciens tribaux sunnites participeraient à cette attaque. Face à eux, 4 000 à 8 000 djihadistes se trouveraient retranchés dans Mossoul, principale ville du nord de l’Irak qui comptait 1,5 million d’habitants lorsqu’Abou Bakr al Baghdadi, leader de l’Etat Islamique (EI), y a proclamé son « califat » en 2014.

 

L’offensive sur Mossoul, déclenchée à grand renfort d’images télévisées, masque des luttes de pouvoir et des désaccords stratégiques au sein des forces engagées contre Daech. Ce sont les préludes à d’autres affrontements, peut-être armés, autour de la question : qui va gouverner la ville de Mossoul et la province de Ninive dès lors que les djihadistes en auront été chassés ? Quelle puissance régionale, de la Turquie ou de l’Iran, l’emportera ?

Deux figures sunnites, ayant une vision différente de l’avenir de l’Irak, ont été gouverneurs de Mossoul et veulent le redevenir, mais pas pour le compte des mêmes patrons. Gouverneur de la province de Ninive depuis 2005, ancien baasiste [le parti de Saddam Hussein], Naoufal al-Soultan (dont le frère a prêté allégeance à l’État islamique) est à la tête de la force sunnite appuyant l’armée irakienne et les milices chiites.

Son prédécesseur, au poste de gouverneur de la province (et aujourd’hui réfugié au Kurdistan autonome), Athil al-Noujaïfi est issu d’une grande famille maslawie (originaire de Mossoul), et a fui la ville lorsque Daech en a pris le contrôle en juin 2014. Il s’appuie sur des alliés de circonstances : les Turcs et les Kurdes d’Irak. Al-Noujaïfi dirige la Mobilisation nationale, al-Hachd al-Watani, qui rassemble des milliers d’hommes.

Les libérateurs de Mossoul  se font face : d’un côté, Naoufal al-Soultan qui s’appuie sur le pouvoir central à Badgad et de facto sur les chiites et l’Iran. De l’autre, Athil al-Noujaïfi qui roule pour la Turquie et veut « une autonomie régionale sunnite comme alternative à l’État islamique ». Et surtout, qui refuse toute ingérence des chiites dans la libération de Mossoul... Ces deux visions incompatibles de ce que doit être l’Irak après Daech expliquent que l’opération militaire complexe, qu’est la prise de Mossoul, ne dépend pas d’un commandement unique pour coordonner l’action sur le terrain, comme le voudrait la logique militaire…Chacun fait ce qu’il veut…

 

Ce qui se joue dans la bataille pour la libération de Mossoul

 

Erdogan considère que la Turquie a des droits historiques sur son voisin proche et veut y exercer une prépondérance politique. En effet, après le démantèlement de l’Empire ottoman par les alliés après la première guerre mondiale, la Turquie n’a reconnu la frontière avec l’Irak qu’en 1926, acceptant que Mossoul et la plaine de Ninive ne soient plus en territoire turc.

Depuis 1994, l’armée turque est revenue dans la région, avec une dizaine d’avant-postes militaires et une grande base vers Baachiqa pour y combattre le PKK kurde.

Le gouvernement régional du Kurdistan, autonome depuis 1991, a conclu une alliance stratégique et économique avec la Turquie. Les Kurdes d’Irak, des conservateurs fidèles au président du Kurdistan irakien Massoud Barzani, ne partagent pas le même projet politique que ceux du PKK progressiste de Turquie et de Syrie. Le clivage idéologique et les rivalités ancestrales sont plus forts que la solidarité kurde.

La Turquie, alliée aux Kurdes d’Irak, appuyant les sunnites contre leurs compatriotes chiites, tente de reconstituer sa zone d’influence. Elle le fait en s’opposant à l’Iran, « protecteur » des chiites, majoritaires en Irak.

Par contre, en Syrie, la Turquie appuie depuis le mois d’août (opération Bouclier de l’Euphrate) des groupes de « l’armée syrienne libre » engagés contre Daech et les Kurdes du PYD, la branche locale du PKK.

Que deviennent les populations locales dans ces luttes d’influences ?  

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