Le 18-04-2016
Sommaire
3.- Rétablir la souveraineté populaire et nationale sur la politique monétaire
- Mettre fin à l’indépendance de la Banque de France
- Assurer le monopole de la création monétaire
- Remettre en place l’encadrement du crédit
- Remettre en place la sélectivité du crédit
- Utiliser la monétisation
3.- Rétablir la souveraineté populaire et nationale sur la politique monétaire
On appelle politique monétaire les mesures prises par les banques centrales, sous l’impulsion des gouvernements, concernant les conditions du financement de l’économie : niveau des taux d’intérêt (le loyer de l’argent), création de nouvelles quantités de monnaie, parités de change avec les autres monnaies, prêts gratuits à l’État, achat de titres d’État à un faible taux d’intérêt, avances non-remboursables faites à l’État, contrôle du système bancaire et financier, gestion d’un fonds de réserve pour les changes, préteur en dernier ressort…
La politique monétaire décidée par le nouveau gouvernement que nous appelons de nos vœux reposera sur un principe central : assurer un plein-emploi de qualité et sans précarité, dans le cadre d’une mutation écologique du mode de production. Pour mettre en œuvre ce principe, cinq outils seront utilisés (en plus de la nationalisation du système bancaire et des assurances, et de la création d’un Pôle financier public) : une banque centrale autonome et non plus indépendante, le monopole de la création monétaire, l’encadrement du crédit, la sélectivité du crédit, la monétisation.
1).- Mettre fin à l’indépendance de la Banque de France
Pour s’assurer que le capitalisme disposera des moyens de son financement et de la rentabilité des capitaux quelles que soient les majorités politiques, les banques centrales, chargées de la politique monétaire, ont été rendues indépendantes du pouvoir politique à partir de la révolution néolibérale du tournant des années 1970 et 1980. Elles ont alors été confiées à des mains « sûres » : des agents des marchés financiers.
Les politiciens de droite, avec l’accord enthousiaste de nombreux sociaux-démocrates, ont verrouillé le système monétaire pour qu’il ne serve qu’aux intérêts des marchés financiers.
C’est la raison de la création de la Banque centrale européenne. On ne peut mieux dire que le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz pour dénoncer le principe de l’indépendance des banques centrales : « la banque centrale indépendante se voit donner un mandat pour servir un certain groupe d’intérêts. Il s’agit d’une sorte de verrouillage, soit par Constitution, soit par traité. [par exemple le traité de Lisbonne] On cadenasse certaines politiques économiques pour servir les intérêts de quelques groupes au détriment d’autres[1] ».
La BCE n’a donc aujourd’hui qu’une seule priorité : la lutte contre l’inflation. Cet objectif ne sert que les détenteurs de capitaux qui protègent ainsi leur rentabilité en évitant qu’elle soit rongée par l’inflation.
Bien entendu, aucune politique favorable aux classes populaires et moyennes ne sera possible si la Banque centrale européenne reste dans les mains des représentants des marchés financiers. C’est pourquoi, dès sa victoire électorale, la nouvelle majorité devra changer d’attitude par rapport à ses prédécesseurs et tenir compte des leçons du passé. Sans attendre et conformément aux engagements pris par cette majorité, l’action devra être engagée pour quitter l’euro et rompre avec la BCE. Pour mener cette politique, le contrôle du peuple, par l’intermédiaire du Parlement, sera rétabli sur la politique monétaire et donc sur la Banque de France.
Une loi devra être votée dans les meilleurs délais pour mettre fin à l’indépendance de la Banque de France et lui donner un statut d’autonomie.
Renoncer à l’indépendance de la Banque de France ne signifie pas pour autant la rendre dépendante du gouvernement comme peut l’être un ministère. Car le gouvernement aurait alors une « marge de déviation pernicieuse. En effet, en cas de conjoncture plus mauvaise que prévu […] le gouvernement peut avoir tendance à laisser filer la création monétaire[2] ».
La notion d’autonomie de la Banque centrale paraît la plus adéquate[3]. Par exemple, le personnel doit disposer d’un statut particulier le mettant à l’abri des pressions politiques, particulièrement les dirigeants de la banque centrale. La politique monétaire doit être définie par le Parlement (et non par la Banque de France elle-même ou seulement le gouvernement). Cependant, comme le rappelle la nationalisation de fait de la Banque de France en 1936, c’est le pouvoir politique, émanation du peuple, qui doit contrôler toujours en dernier ressort la politique monétaire et la banque centrale. En cas de difficultés, le gouvernement pourra même réquisitionner la Banque de France.
2).- Assurer le monopole de la création monétaire
Les pays qui reprendront en main leur banque centrale pourront alors retrouver le monopole de la création de leur monnaie, soustraire cette activité essentielle des griffes des banques privées, et finalement recouvrer leur indépendance et leur souveraineté monétaires. Beaucoup de citoyens croient que l’argent en circulation appartient à l’État. Ils ont à la fois tort et raison. Ils ont tort, car la Banque de France a abandonné son monopole de création monétaire (scripturale) en le transférant aux banques privées. Mais ces citoyens ont raison dans le principe, car c’est bien à l’État de conserver ce monopole. À cet égard, deux outils de politique monétaire seront réactivés : l’encadrement du crédit et la sélectivité du crédit.
3).- Remettre en place l’encadrement du crédit
Il consiste, pour un gouvernement, à fixer à la banque centrale du pays la mission de déterminer les taux de progression maximums imposés aux banques privées (ou nationalisées) pour la distribution des crédits. C’est un dispositif très simple, très efficace et aux effets immédiats, qui permet d’éviter la politique d’argent cher.
Chaque banque se voit allouer une enveloppe de crédits, les parts de marché sont ainsi gelées, la concurrence entre les banques change de nature.
La course au gigantisme et à la rentabilité des fonds propres (pour rémunérer les actionnaires) au détriment de la sécurité des fonds déposés par les épargnants et le financement de l’économie sont stoppés net grâce à la nationalisation du secteur en son entier. Comme le seront aussi les opérations spéculatives à effet de levier. En revanche, la concurrence portera sur la qualité de la relation avec les clients, qu’ils soient des particuliers ou des petites (et grandes) entreprises. Le système ne sera pas centralisé, il y aura encore différentes banques, mais leur action sera coordonnée au sein du Pôle financier public. La compétence et la modestie reprendront le pas sur l’incompétence et l’arrogance. Grâce à l’encadrement du crédit, la création monétaire reste du seul ressort de la banque centrale. Celle-ci retrouvera les prérogatives qui étaient auparavant les siennes : contrôler les taux de progression maximum imposés aux banques pour la distribution du crédit à partir des objectifs fixés par le Parlement. Ce système, supprimé en 1985 par le socialiste Pierre Bérégovoy, ministre des Finances, sera donc rétabli.
4).- Remettre en place la sélectivité du crédit
Jusqu’en 1986, avant que le même ministre des Finances, Pierre Bérégovoy, supprime cet instrument, le gouvernement pouvait donner des instructions aux banques concernant le niveau des taux d’intérêt à accorder à tel ou tel secteur de l’économie (à partir d’une orientation définie par le Parlement). Les banques étaient ainsi le relai obligé des politiques publiques pour soutenir des branches économiques particulières en leur accordant des taux d’intérêt plus bas qu’aux autres. Parfois même ces taux d’intérêt étaient bonifiés.
Prenons l’exemple des délocalisations. Certaines entreprises privées qui s’endettent aujourd’hui le font pour placer leurs fonds ailleurs, en particulier pour financer les délocalisations. En France, en 2009, le phénomène a représenté 150 milliards d’euros. L’encadrement du crédit et sa sélectivité empêcheront définitivement ces opérations sans qu’aucune difficulté technique ne puisse être opposée : c’est très simple à faire.
Prenons un second exemple, celui des prêts accordés par les banques aux Hedge Funds, aux opérations de LBO’s et à celles de fusions et acquisitions.
Toutes ces opérations ont pour point commun d’être uniquement à vocation spéculative, sans aucun rapport avec le développement harmonieux de l’économie et des entreprises concernées.
Les banques, complices de ces opérations par les prêts qu’elles leurs accordent, ne pourront plus agir en sens contraire de l’intérêt général. Ces prêts seront purement et simplement interdits, la pompe à finance sera arrêtée, les spéculateurs seront asphyxiés.
Avant le passage de la révolution néolibérale, pour contrôler ce système, les banques devaient remettre à la Banque de France, chaque fois qu’elles atteignaient 25 millions de francs, un bilan complet de leurs opérations avec le détail des prêts accordés ; un bilan annuel était remis aux autorités publiques. Ce contrôle sera rétabli.
Grâce à la sélectivité du crédit on peut aider particulièrement certaines branches d’activité ou, au contraire, en freiner d’autres. Il est alors possible d’exiger que les crédits bancaires s’attachent, en priorité, à financer les projets conformes aux objectifs nationaux, par exemple la mutation écologique du mode de production.
5).- Utiliser la monétisation
La Banque de France pourra faire comme celle des États-Unis où, en mars 2009, pour ne prendre que cet exemple, la Banque centrale américaine a annoncé qu’elle achèterait 300 milliards de dollars de bons du Trésor américain et, fin 2010, à nouveau 600 milliards de dollars. En outre, la Réserve Fédérale a versé 46,1 milliards de dollars au Trésor américain en janvier 2010 qui proviennent des intérêts réalisés sur ses opérations[4].
Au lieu d’emprunter sur les marchés financiers, les États doivent pouvoir se financer en partie auprès de leur banque centrale, c’est ce qu’on appelle la monétisation.
Les finances publiques ont quatre sources de revenus : l’impôt, les recettes non fiscales (par exemple les dividendes payés à l’État par les entreprises nationalisées), l’emprunt et la création monétaire. Cette dernière devra s’effectuer dans le cadre d’un plafond fixé par le Parlement.
Prenons l’exemple de la Première Guerre mondiale. Les 11% de création monétaire qui ont contribué à financer la guerre de 14-18 ne représentent pas un plafond qui résulterait d’une « loi » économique qui n’existe pas. On peut simplement s’inspirer de cette expérience et considérer que les avances de la Banque de France (sous forme de prêts avec ou sans intérêt, remboursables ou non, achats de titres d’État) ne sont pas extensibles à l’infini et qu’il faut contrôler la création monétaire. Un plafond de 15% des dépenses publiques sous forme de création monétaire peut être admis pour notre démonstration. En 2015, la loi de Finances a prévu 279 milliards d’euros de recettes fiscales, 14 milliards d’euros de recettes non fiscales et 188 milliards d’euros d’émission nette de dette. Le total fait 481 milliards d’euros. On peut donc envisager des avances non-remboursables, sans intérêt[5], par la Banque centrale, soit environ 70 milliards d’euros.
Financement des dépenses françaises entre 1914 et 1918, en pourcentage des ressources publiques | |
Impôt et recettes non fiscales | 15% |
Dette Court et moyen terme (inférieure ou égale à 10 ans) Long terme (supérieure à 10 ans) Dette extérieure |
74% 35% 22% 17% |
Avances de la Banque de France | 11% |
Bertrand Blancheton, op. cit. |
Une fois la France sortie de l’Union européenne et de l’euro, la Banque de France aura été restituée à la Nation. La coupure de ses liens de subordination à la Banque centrale européenne permettra d’utiliser l’arme monétaire pour reconstruire la France, défigurée par quatre décennies de politiques néolibérales.
Ainsi la Banque de France pourra prêter à l’État, aux services publics, aux collectivités locales et aux entreprises, dans certaines conditions, à taux d’intérêts très faibles ou nuls.
La Banque de France, dans certaines limites, pourra également faire des avances non-remboursables au Trésor. Dans la phase de sortie de l’euro le franc sera rétabli comme monnaie de la République et ne sera pas convertible. Son taux de change avec l’euro sera de 1 pour 1.
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[1] Joseph Stiglitz, « Une banque centrale indépendante ou démocratique ? », Le Monde, 27 février 2004.
[2] Gabriel Galand et Alain Grandjean, La Monnaie dévoilée, L’Harmattan, 1996.
[3] Bertrand Blancheton, Le Pape et l’Empereur – La Banque de France, la direction du Trésor et la politique monétaire de la France (1914-1928), Albin Michel, 2001.
[4] Les Échos, 13 janvier 2010.
[5] On peut toujours payer des intérêts à la Banque de France sur les obligations qu’elle achètera au Trésor, mais la Banque de France, en fin d’année, comme le fait par exemple la banque centrale américaine, paiera à l’État une sorte de dividende. Autant annuler les intérêts immédiatement pour éviter une opération blanche.
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