COP21 : coup d'épée dans l'eau

La Conférence de Paris sur le climat qui s’est tenue du 30 novembre au 11 décembre 2015 (COP21) [1] était-elle la conférence de la dernière chance ? Avons-nous seulement 15 ans pour changer radicalement de cap et éviter la catastrophe ? Que veut dire concrètement cette « crise climatique » et surtout pour qui ?

La relation entre la crise climatique, le capitalisme et le libre-échange n’est malheureusement presque jamais établie. Elle a été inaudible dans la lutte menée courageusement et inutilement par toutes les associations environnementales qui se sont mobilisées lors de la COP21.

Elles cherchent à concilier l’inconciliable : capitalisme et lutte contre le réchauffement climatique.

Parce que la crise climatique ne se contentera pas de demi-mesures et encore moins prises à l’échelle supranationale, on ne peut que dénoncer la mascarade de la Conférence de Paris.

Il est grand temps d’avoir un discours clair : la crise climatique, nous sommes en plein dedans et il ne faut pas en parler seulement au futur. Dans les années 1970, on a rapporté 660 catastrophes naturelles dans le monde, dont des sécheresses, des inondations, des records de température, de feux de forêts et des tempêtes. Dans les années 2000, on en a dénombré 3.322, soit cinq fois plus en trente ans. La facture associée à l’ouragan Sandy a été évaluée à quelque 65 milliards de dollars. L’année précédente, en 2011, l’ouragan Irene avait causé environ 10 milliards de dommages, et figurait parmi 14 catastrophes ayant chacune entraîné des coûts d’un milliard de dollars aux États-Unis cette année-là seulement. Le réchauffement est bien là, il tue, il déplace des populations privées d’eau, il génère des conflits et il est le principal facteur de l’extinction massive d’espèces que nous observons, similaire par son rythme à celle qui a rayé les dinosaures du planisphère.

Quant aux opportunités d’agir efficacement, on les a en grande majorité laisser passer ; c’est dans les années 80 que le tournant aurait dû être pris et les hésitations scientifiques de l’époque auraient dû être un argument de plus pour agir et non pas une excuse pour l’inaction. Les solutions pour stopper les émissions massives de gaz à effet de serre ne coûtent rien ou si peu au regard de la facture dont nous devrons nous acquitter pour réparer les dégâts de trois décennies d’inaction.

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La conférence de Copenhague de 2009 avait, certes, ravivé les espoirs, d’autant plus que se discutait au même moment une loi sur le climat aux USA qui s’annonçait ambitieuse. Mais depuis 2009, il est du devoir des hommes et femmes politiques informés de dire la vérité aux citoyens. Au train où vont les choses, nous nous acheminons vers une hausse de 4 à 6°C d’ici la fin du siècle. La banquise arctique va fondre entièrement. La mer va monter d’un demi-mètre au bas mot d’ici la fin du siècle et s’acidifier. Les tornades vont se multiplier et les déserts s’étendre. Le plus important est encore de préciser que ce sont les pays pauvres qui seront touchés de plein fouet et, dans les pays « riches », les plus précaires et les plus mal logés.

Pour une fois, la Banque mondiale fait preuve de lucidité quand elle écrit, dans un rapport de 2012 : « Au train où vont les choses, le monde [de la fin du siècle] sera plus chaud de 4°C et sera marqué par des vagues de chaleur extrême, un déclin des réserves mondiales de nourriture, la perte d’écosystèmes, l’appauvrissement de la biodiversité et une hausse du niveau de la mer qui mettra des vies en danger. De plus, il n’existe aucune certitude que l’adaptation à un monde plus chaud de 4°C soit possible. »

 

Le réchauffement ne s’arrêtera qu’avec le capitalisme

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Quand il fut décidé en 2009, l’objectif de maintenir l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe en-dessous de 2°C à la fin du siècle par rapport à l’époque préindustrielle, avait choqué des représentants des pays du sud au motif qu’il annonçait déjà de très lourds sacrifices, notamment la disparition d’îles habitées. Il serait temps d’affirmer aujourd’hui qu’il relève de la pure utopie. Et pourtant, on se demande, dans les discussions de préparation de la Conférence de Paris à la fin de l’année, s’il ne serait pas plus sérieux de rabaisser cet objectif à 1,5°C ! Les discours sont en contradiction flagrante avec les chiffres. Les émissions mondiales de dioxyde de carbone ont été plus élevées de 61% en 2013 par rapport à 1990. L’année 1990 est une date charnière à deux titres : c’est en 1990 qu’on a commencé « sérieusement » à négocier sur la question climatique, mais c’est également une violente vague d’extension du capitalisme sur toute la terre et dans tous les domaines de nos vies après l’implosion du système soviétique. La course à la production et à la consommation généralisée à toutes les populations solvables a entraîné une explosion de la consommation énergétique et du transport sur de longues distances. L’échec est patent, ou plutôt c’est le succès du capitalisme mondialisé.

Naomi Klein résume bien la cause de l’inaction dont fait l’objet la question climatique [2] : « Si le nécessaire n’a pas encore été fait pour réduire les émissions, c’est parce que les politiques à mettre en œuvre sont fondamentalement incompatibles avec le capitalisme déréglementé dont l’idéologie a dominé toute la période durant laquelle nous nous sommes démenés pour trouver une issue à la crise du climat. Si la situation ne se débloque pas, c’est parce que les mesures grâce auxquelles on aurait le plus de chances d’éviter la catastrophe (et qui profiteraient à l’immense majorité de la population) représentent une grave menace pour la minorité qui a la haute main sur l’économie, la sphère politique et la majorité des grands médias. [...] Un système de croyance qui vilipende l’action collective, dénigre le secteur public et pourfend toute réglementation des marchés est fondamentalement inconciliable avec la résolution d’une crise qui réclame justement une mobilisation collective à une échelle sans précédent et une répression spectaculaire des forces du marché, ces dernières étant aussi responsables de la crise que de son aggravation. »

Dans les années 90, alors que le processus d’intégration des marchés s’accélérait, les émissions mondiales de gaz à effet de serre augmentaient de 1% par an en moyenne ; dans les années 2000, une fois les « marchés émergents », comme la Chine, pleinement intégrés à l’économie mondiale, la croissance des émissions s’est accélérée de façon catastrophique, atteignant 3,4% pendant l’essentiel de la décennie. Ce taux s’est maintenu jusqu’à nos jours, si l’ont fait exception de la brève interruption de 2009 dans la foulée de la crise financière.

On parle de plus en plus de « dette climatique » à propos de l’injustice que cette question soulève vis-à-vis des pays qui sont en pleine industrialisation par rapport aux pays qui en sortent. Certains représentants africains ont parlé de génocide à propos de la crise climatique. De fait, elle va raviver les tensions nord-sud (à supposer qu’elles se soient apaisées) qui nous rappelleront certainement la période coloniale. En revanche, personne ne semble remettre en question le fait que les États sont uniquement tenus responsables des émissions générées sur leur propre territoire, et non de celles qui découlent de la fabrication des biens qu’ils importent. Il n’est donc pas étonnant que la Chine où d’autres pays en plein essor industriel se voient désigner comme les méchants petits canards du réchauffement climatique.

Pourtant, ce n’est pas tant le développement des pays dits « en développement » qui induit des augmentations importantes de CO2 sur leur territoire que le rôle d’atelier du monde qui leur a été dévolu dans le partage international du travail mis en place avec la libération des échanges de marchandises, de services et la libéralisation financière. Selon une étude publiée en 2011 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, la hausse des émissions attribuables à la production dans les pays en développement de biens consommés dans les pays industrialisés s’avère six fois plus importante que la baisse des émissions observée dans ces derniers pays.

 

Les compagnies pétrolières n’ont pas inscrit la conférence de Paris dans leur agenda

Pourquoi pouvait-on être sûr que la Conférence de Paris ne donnerait aucun résultat ? Pour savoir si une élection aura une quelconque portée, il faut en premier lieu regarder si la Bourse réagit négativement, ce qui est toujours une très bonne nouvelle pour les citoyens. En matière de climat, il faut observer la stratégie des firmes pétrolières. Or, celles-ci n’ont jamais déployé autant de moyens pour prospecter et spéculer sur l’avenir du pétrole, lequel avenir s’est subitement éclairé avec l’exploitation des sables bitumineux, du gaz de schistes et des forages en eau profonde. Notons que ces trois technologies nouvelles sont extraordinairement plus polluantes que les techniques d’extraction classique, à tel point que le gaz, qui était vu comme une énergie propre, est en train de devenir une énergie plus polluante que le charbon.

La Compagnie Pétrolière Impériale (dont ExxonMObil est l’actionnaire majoritaire) a englouti environ 13 milliards de dollars dans l’aménagement de l’immense mine à ciel ouvert de Kearl, dans la région des sables bitumineux de l’Alberta. D’une superficie de 200 kilomètres carrés, ce site est appelé à devenir la plus grande mine à ciel ouvert du Canada. Et il ne représente qu’une fraction des nouvelles installations prévues par l’industrie des sables bitumineux : selon le Conference Board du Canada, des investissements totalisant 364 milliards sont envisagés d’ici 2035. La valeur des réserves totalise environ 27.000 milliards de dollars, soit plus de dix fois le PIB du Royaume-Uni. Si l’on mettait en œuvre les mesures nécessaires au respect de l’objectif des 2°C, environ 80 % de ces réserves devraient être laissés sous terre.

Peut-on croire un seul instant que les compagnies pétrolières font de tels investissements, qui ne peuvent être rentabilisés que sur des échelles de 15 ou 25 ans, avec la crainte de se voir interdire toute exploitation de nouveaux gisements à Paris à la fin de l’année 2015 ?

En avril 2014, la direction d’ExxonMobil a répondu à un groupe d’actionnaires qui la pressait de questions sur des reportages affirmant qu’une bonne partie de ses réserves deviendraient des actifs délaissés si les gouvernements adoptaient des lois draconiennes en vue de respecter l’objectif des 2°C, que l’adoption de politiques climatiques contraignantes était « hautement improbable » et que, « en vertu de cette analyse, nous sommes persuadés qu’aucune de nos réserves d’hydrocarbures n’est ou ne deviendra un actif délaissé ». Voilà qui a le mérite d’être plus clair que tous les grands discours politiques qu’on va nous servir en décembre.

Il est temps de dire que l’extractivisme est une composante intrinsèque au capitalisme.

Le capitalisme appliqué à tous les domaines (la forêt, l’air, l’eau, le sol) conduit nécessairement à l’exploitation des ressources jusqu’à leur épuisement. À ce titre, la loi américaine qui rend les propriétaires du sol également propriétaires du sous-sol met en évidence ce que le capitalisme sait faire de pire.

Aurions-nous pu arrêter les forages de gaz de schiste dans le sud de la France sous un tel régime ?

 

Comment les entreprises privées s’investissent et investissent dans le réchauffement ?

Le lobbying en faveur du climatoscepticisme (position qui vise à nier le réchauffement ou à ne pas l’imputer à l’utilisation d’énergies fossiles) reste un poste de dépense important. Selon une étude récente, les groupes de réflexion climatosceptiques et les autres organismes qui constituent ce que le sociologue Robert Brulle appelle le « contre-mouvement sur le changement climatique » touchent collectivement plus de 900 millions de dollars par an. En 2013, aux États-Unis seulement, l’industrie gazière et pétrolière a dépensé près de 400.000 dollars par jour en lobbying auprès des parlementaires et des membres du gouvernement et a fait des contributions politiques totales de 73 millions au cours du cycle électoral de 2012, soit 87% de plus qu’en 2008.

Hélas pour les grandes puissances financières, le climatoscepticisme a fait son temps. Il fallait donc trouver une stratégie qui résiste mieux à l’épreuve des faits. C’est ainsi que le réchauffement climatique est devenu récemment la marotte des milliardaires. Bill Gates ou Richard Branson, dirigeant fou de Virgin, injectent de l’argent dans des projets du type « nucléaire de 3e génération », diffusion de dioxyde de soufre dans la stratosphère, piégeage du carbone en mer ou sous terre... Ces projets doivent autant nous inquiéter que le réchauffement lui-même. Sans compter qu’ils détournent des vraies questions du changement climatique un nombre conséquent de chercheurs qui sont attirés par les financements concentrés sur ces projets. Ils ont l’intérêt, pour ceux qui les promeuvent, d’alimenter l’idée qu’il est possible, pour le capitalisme libéralisé (par exemple la compagnie aérienne de Virgin), de poursuivre son petit bonhomme de chemin comme si de rien n’était puisqu’il sera, in fine, sauvé par la technologie.

Les innovations écologiques sont passées en tête des innovations technologiques, sans que personne n’y trouve à redire. Consommer des produits à faible consommation énergétique, c’est toujours consommer et cela rentre bien dans notre schéma de société. On peut ainsi renouveler le parc automobile, les machines à laver ou les ampoules électriques tous les 5 ans au profit d’un modèle moins énergivore. Cette évolution s’accompagne d’un arsenal réglementaire qui durcit les normes environnementales sur les produits en prenant soin de le faire très progressivement et avec beaucoup de retard sur les vraies avancées technologiques. De 2008 à 2010 ont été déposés au moins 261 brevets portant sur des semences « adaptées au changement climatiques » c’est-à-dire prétendument capables de résister à des conditions météorologiques extrêmes. Les résultats concrets ne sont pas encore au rendez-vous mais il s’agit déjà de se positionner sur les nouveaux marchés du réchauffement.

Les tentatives pour faire fonctionner un marché du carbone basé sur un quota d’émissions, notamment dans l’Union européenne depuis 2005, traduisent une volonté manifeste de concilier l’inconciliable : capitalisme et lutte contre le réchauffement climatique. Un dispositif similaire avait été expérimenté aux USA pour réduire les émissions soufrées responsables des pluies acides, avec des résultats médiocres. On connaissait parfaitement les « travers » d’un tel système qui incite les pollueurs à se lancer dans une course à la collecte de crédits et un chantage à la pollution. A contrario, l’exemple de la lutte contre les émissions de CFC (chloro-fluoro-carbures) pour préserver la couche d’ozone avait démontré que des interdictions pures et simples, sans contrepartie financière, donnaient de très bons résultats à court terme. En optant pour un marché du carbone à Kyoto en 1997, les décideurs politiques ont choisi d’un seul geste l’inefficacité, l’enrichissement des pollueurs et la création d’un nouveau terrain de jeu pour les spéculateurs.

À qui sait attendre son heure, le dérèglement climatique sera aussi juteux qu’une guerre et le capitalisme affectionne les deux.

Dans une guerre, il gagne deux fois : une fois pour détruire, une fois pour reconstruire. En matière de climat, il a la ferme intention de faire de même. Nous sommes manifestement encore dans la phase de destruction qui ne doit pas s’achever trop tôt pour révéler tout son potentiel. Mieux vaut que la situation s’aggrave encore, si possible dans les pays ou les citoyens sont encore solvables pour réparer les dégâts. Nombreuses sont les entreprises qui se placent sur la ligne de départ de la course aux réparations climatiques, à commencer par les compagnies d’assurance. Il ne s’agit pas de brosser un tableau caricatural de la situation ; il faut simplement comprendre le cynisme des raisonnements des puissances qui nous gouvernent car cette prise de conscience est indispensable pour se doter des bons outils de combat.

 

La « dette climatique » : une nouvelle crise de la dette se prépare au sud

L’argent qui devait être consacré à l’adaptation des pays pauvres pour faire face à la crise climatique, qu’ils subissent de plein fouet sans y avoir contribué le moins du monde, est bien difficile à palper. Le Fonds vert promis à Copenhague en 2009 a vu le jour in extremis fin 2014, sous l’égide de la Conférence des parties de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), pour sauver la conférence de Lima. 35 pays se sont engagés à l’abonder pour un montant de 10 milliards de dollars contre 100 milliards par an annoncés en 2009. Seules 60% des promesses ont été validées au printemps 2015. Gageons que, quelques semaines avant la conférence de Paris, les promesses vont se multiplier pour au moins doubler la somme. À moins que l’affaire ne soit éclipsée par un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le think tank Climate Policy Initiative (CPI) rendu public mercredi 7 octobre 2015 intitulé Climate Finance in 2013-14 and the USD 100 billion goal. Ce rapport, qui arrive fort à propos, présente une autre estimation des financements mobilisés en 2013 et 2014 par les pays développés pour répondre à l’objectif des 100 milliards de dollars par an pour faire face au dérèglement climatique dans les pays en développement. La somme annoncée par le rapport s’élève à 62 milliards de dollars en 2014 et elle est même en hausse par rapport aux 52 milliards dollars calculés sur 2013. Il suffit de changer le mode de calcul, et notamment d’inclure toutes sortes de financements privés, pour arriver à un résultat plus présentable. Preuve, s’il en était besoin, que la Conférence de Paris ne sera qu’affaire de communication.

 

Les subventions aux énergies renouvelables sont désormais illégales

Les subventions au développement des énergies renouvelables ne progressent pas, même dans les pays qui s’étaient montrés ambitieux en la matière il y a quelques décennies. Si le Danemark a pu arriver à un taux de 40% de fourniture d’électricité de source renouvelable, c’est grâce à des subventions publiques importantes, accordées dans les années 80, non pas à des prestataires privés mais à des collectivités locales. Aujourd’hui, la multiplication des accords bilatéraux rendrait une telle politique beaucoup trop risquée.

Il y a près de 10 ans, un porte-parole de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) affirmait que son organisation rendait possible la contestation « de pratiquement toute mesure de réduction des émissions de gaz à effet de serre ». En 2013, pas moins de 60 des 169 litiges soumis au Centre international pour le règlement des différends (CIRDI) relatifs aux investissements étaient issus des secteurs pétrolier, gazier ou minier, alors qu’on n’en avait rapporté que sept dans les années 1980 et 1990. Selon Lori Wallach, directrice de l’observatoire du commerce mondial de l’association Public Citizen, plus de 85% des compensations supérieures à 3 milliards de dollars déjà accordées en vertu d’accords de libre-échange et de traités bilatéraux sur les investissements conclus par les États-Unis, « ont trait aux contestations de politiques relatives aux ressources naturelles, à l’énergie et à l’environnement. »

Subventionner le pétrole ne semble pas poser autant de problèmes. En 2013, les subventions allouées aux combustibles fossiles représentaient 550 milliards de dollars, soit plus de quatre fois la somme des subventions aux énergies renouvelables. [3]

« TAFTA ou climat, faites votre choix » pourrait être un beau slogan pour les militants qui luttent contre le TAFTA et ceux qui luttent pour le climat et qui sont trop rarement les mêmes. Le choix est fait, malheureusement, puisque ce sont toujours les accords de libre-échange qui ont le dessus et permettent d’attaquer presque systématiquement toutes les mesures prises par des gouvernements en faveur du climat. Le gouvernement qui voudrait sincèrement respecter des engagements pris lors de la Conférence de Paris ne pourrait tout simplement pas le faire.

Tous les accords de libre-échange sont incompatibles avec les objectifs définis en matière climatique et devraient être attaqués juridiquement sur ce terrain. Cette relation entre la crise climatique et la question du capitalisme et du libre-échange n'est malheureusement presque jamais établie.

Elle sera assurément inaudible dans la lutte que vont mener courageusement et inutilement toutes les associations environnementales qui vont se mobiliser lors de la COP21.

 

Bisounours

Le site officiel de la COP21 affichait comme slogan « pour un accord universel sur le climat ». L’image irrésistible d’un monde de dirigeants bisounours qui agiraient pour le bien de tous et sans que les rapports de force entre nations aient une quelconque prise sur le déroulement des négociations surgissait devant nos yeux.

Il semblait convenu, non seulement par nos représentants, mais, hélas ! par l’écrasante majorité des organisations et associations qui s’activent sur le climat que, dans la mesure où le problème dépasse les frontières, la solution sera trouvée au niveau supranational (voire universel !). C’est ignorer superbement une réalité incontournable : il n’existe pas de gouvernement mondial. La scène internationale n’est jamais que l’affrontement d’intérêts nationaux où les plus forts mènent la danse. Une conférence, qu’il faudrait commencer par qualifier d’inter- « nationale » (et non universelle !), ne peut jamais être qu’une mise en musique de décisions nationales qui doivent donc la précéder.

L’aboutissement à un accord contraignant n’était pas inscrit dans les préalables aux négociations de Paris. Les représentants du monde entier qui allaient se retrouver à Paris pourraient s’autoriser à peu de frais des déclarations fracassantes qui ne les engageront pas, comme ils le firent en 2009 à Copenhague. Ils se sont comportés comme des dirigeants « hors sol », débarrassés pour quelques jours de leur peuple encombrant. Serait-il contraignant, que l’accord de Paris aurait posé également des problèmes insolubles au regard du respect de la souveraineté des pays. Ce n’est pas devant ses homologues qu’un représentant politique doit s’engager mais devant le peuple qu’il représente et dont il tire sa légitimité.

Tout a été fait pour nous laisser croire que des hommes et des femmes politiques « éclairés » allaient négocier courageusement. On aurait presque accepté qu’ils le fassent dans le dos des peuples, supposés ignorants de ces enjeux qui les dépassent et suffisamment irresponsables pour ne pas assumer leur pleine culpabilité dans la crise climatique. La réalité est à l’opposé. C’est toujours sous la pression de leurs populations, animées par un instinct vital et non pas sous le poids de la culpabilité, que nos dirigeants finissent par renoncer à polluer davantage, qu’il s’agisse de l’air, de l’eau ou des sols. Contre la politique gouvernementale, ce sont des dizaines de milliers de Français qui se sont mobilisés pour obtenir le premier moratoire au monde sur l’exploitation des gaz de schiste. En dépit d’une situation économique terrible, ce sont les Grecs qui entendent stopper le projet de la société minière canadienne Eldorado Gold de raser une grande étendue de la forêt ancienne de Skouries pour aménager une immense mine d’or et de cuivre à ciel ouvert. Les Britanniques sont très majoritairement favorables à une nationalisation des chemins de fer pour mettre en place une vraie politique du rail. Les exemples sont bien plus nombreux dans les pays du sud parce que les populations sont plus vulnérables et ont été les premières victimes des activités d’extraction. En 1993, ce sont 300.000 Ogonis qui ont bloqué l’extraction du pétrole dans le delta du Niger et obtenu son arrêt sur un vaste territoire. En Chine, l’exploitation du charbon rencontre une opposition croissante des populations terriblement frappée par la pollution de l’air. Les peuples sont prêts à prendre des mesures radicales pour sortir du modèle productiviste et extractiviste qu’on leur impose car elles seules leur permettront de préserver ce qu’ils ont de plus précieux : leur lieu de vie, leurs ressources et leur santé. Ils n’attendent pas la Conférence de Paris pour savoir ce qui se passe ou ne se passe pas chez les voisins ou à l’autre bout du monde pour exiger des changements chez eux et maintenant.

Parce qu’elle doit s’attaquer, pour être efficace, aux puissances qui dirigent nos économies, la lutte contre le réchauffement ne se fera pas dans un pays comme la France sans un changement structurel de notre modèle économique et politique.

La lutte contre le réchauffement doit donc s’inscrire dans un programme politique dont la pierre angulaire sera la démondialisation.

Ce programme doit inclure des mesures protectionnistes aux frontières nationales pour relocaliser notre industrie. Il doit limiter les échanges sur de grandes distances et promouvoir la sobriété énergétique. Il doit permettre aux populations d’assumer pleinement les conditions d’exploitation des ressources et de production des biens manufacturés qu’elles consomment. Nous avons notre mot à dire sur notre modèle énergétique, ses conséquences sur le climat mais également les dégâts sur les zones d’extraction et sur les voies de transport terrestre et maritime. Il n’est pas possible de refuser les gaz de schiste en France tout en achetant du gaz extrait de schistes étatsuniens. Ni de lutter contre le passage des pétroliers au large de la Bretagne tout en consommant du pétrole extrait de la plateforme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique, le puits offshore le plus profond du monde, exploité par la compagnie pétrolière britannique BP, et qui nous a valu la pire marée noire jamais enregistrée (4,9 millions de barils déversés). Si le nucléaire ne s’est jamais sérieusement développé (11,7% de la production d’énergie nucléaire dans le monde contre 16,3% pour l’hydro-électricité, chiffre 2011), c’est bien sans doute parce que l’électricité ne se transporte pas comme le gaz ou le pétrole. Certes, on peut extraire de l’uranium en Afrique, très loin du regard des populations bénéficiaires mais on ne peut pas délocaliser les centrales nucléaires. Il nous faut bien assumer les risques qui leur sont associés, ainsi que les coûts astronomiques consacrés à la gestion de ces risques.

Sortir de l’Union européenne pour relocaliser la production d’énergie et de marchandises, c’est ce que propose le Parti de l’émancipation du peuple, non seulement pour créer des emplois sur notre territoire mais également pour assumer toutes les externalités de nos choix de consommation. Nul doute que nos choix, dans ces conditions, s’orienteront tout naturellement vers la sobriété.

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[1] La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, dite « CCNUCC » (« UNFCCC » en anglais), a été adoptée au cours du sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992. Elle est entrée en vigueur le 21 mars 1994 et a été ratifiée par 196 « parties » prenantes à la Convention. La Conférence des parties (COP), composée de tous les États « parties », constitue l’organe suprême de la Convention. Elle se réunit chaque année lors de conférences mondiales où sont prises des décisions pour respecter les objectifs de lutte contre les changements climatiques. Les décisions sont prises à l’unanimité ou par consensus. La COP, qui se tiendra à Paris, sera la 21ème d’où le nom de « COP21 ». On parle aussi de « CMP » pour désigner les États qui participeront à la réunion des parties au protocole de Kyoto, Paris sera la 11e session (d’où l’abréviation « CMP11 »). La CMP veille à la mise en œuvre du protocole de Kyoto et prend des décisions pour promouvoir l’effectivité de celle-ci.

Site officiel de la COP21 (France) : http://www.cop21.gouv.fr/

[2] Naomi Klein, Tout peut changer, capitalisme et changement climatique, Actes sud, mars 2015.

[3] Agence Internationale de l’Énergie, World Energy outlook 2014.

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