Le 17-04-2016
par le Parti de la démondialisation (Pardem)
Résumé
Le projet néolibéral, intégrant la fabrication d’un homme « nouveau », « l’homme néolibéral », ne peut advenir sans détruire la capacité individuelle et collective des individus à s’ériger en peuple. Il faut anéantir la citoyenneté, le sens du bien commun, les solidarités, tout ce qui est collectif. La souveraineté est incompatible avec le néolibéralisme et son action mondialiste.
La notion de souveraineté, pour bien être comprise, peut être expliquée à partir de l’exemple de la « souveraineté alimentaire ». Celle-ci a été développée par Via Campesina, l’organisation paysanne mondiale, et portée au débat public à l’occasion du Sommet mondial de l’alimentation en 1996. Cette idée présente une alternative aux politiques néolibérales. Depuis, ce concept est devenu un thème majeur du débat agricole international, y compris dans les instances des Nations Unies.
La souveraineté alimentaire désigne le droit des populations et de leurs États à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping vis-à-vis des pays tiers. Elle vise à donner la priorité à la production agricole locale pour nourrir la population, l’accès des paysan-ne-s et des sans-terres à la terre, à l’eau, aux semences, au crédit. D’où la nécessité de réformes agraires, de la lutte contre les Organismes génétiquement modifiés (OGM), pour le libre accès aux semences, et de garder l’eau comme un bien public à répartir durablement.
C’est le droit des paysan(e)s à produire des aliments et le droit des consommateurs à pouvoir décider ce qu’ils veulent consommer, qui va le produire et comment. C’est le droit des États à se protéger des importations agricoles et alimentaires à trop bas prix. Ce sont des prix agricoles liés aux coûts de production, mesures qui sont possibles à condition que les États aient le droit de taxer les importations à trop bas prix. C’est la participation des populations aux choix de politique agricole. Les politiques néolibérales donnent la priorité au commerce international libre-échangiste et non à l‘alimentation des populations. Elles n’ont en rien contribué à éradiquer la faim dans le monde. Au contraire, elles ont accru la dépendance des populations envers les importations agricoles. Et elles ont renforcé l’industrialisation de l’agriculture, en mettant en danger le patrimoine génétique, culturel et environnemental de la planète, ainsi que la santé des populations. Elles ont contraint des centaines de millions de paysan-ne-s à l’abandon de leurs pratiques agricoles traditionnelles, à l’exode rural, ou à l’émigration.
La souveraineté alimentaire inclut un commerce international juste. Elle ne s’oppose pas aux échanges, mais à la priorité donnée aux exportations. Elle permet de garantir aux populations la sécurité alimentaire, tout en échangeant avec d’autres régions des productions spécifiques qui font la diversité de notre planète.
L’accès aux marchés internationaux, en effet, n’est pas une solution pour les paysans. Le problème des paysans c’est d’abord le manque d’accès à leurs propres marchés locaux à cause des prix trop bas pour leurs produits et des pratiques de dumping à l’importation auxquelles ils sont confrontés. L’accès aux marchés internationaux concerne seulement 10 % de la production mondiale ; il est contrôlé par des firmes transnationales et les plus grandes entreprises agro-industrielles grands producteurs.
Comprendre les origines et l’intérêt de la souveraineté
La notion de « souveraineté » vient de 1789, lorsque la « Révolution bourgeoise à soutien populaire » s’est faite pour conquérir la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. Or, ces deux principes politiques fondamentaux sont aujourd’hui combattus avec la plus extrême vigueur par la propagande néolibérale. C’est ainsi que prôner la souveraineté – populaire, nationale ou alimentaire - expose immédiatement à l’accusation de « souverainisme », notion au demeurant mal définie, mais dont on sent qu’elle n’est pas un compliment. De la même manière, invoquer le peuple serait une preuve de « populisme », alors qu’évoquer la nation serait un témoignage de « nationalisme ».
On nous dit et on nous répète que les « décideurs économiques » joueraient sur un terrain mondial, alors que les « décideurs politiques » joueraient sur un terrain national. Dès lors, la compétition serait inégale, les seconds ne pouvant que laisser la place aux premiers. C’est pourquoi, selon les néolibéraux, la souveraineté nationale serait une notion non seulement inadaptée, mais dangereuse, car elle ne pourrait, sur le plan politique, qu’isoler la France, et la mettre en difficulté sur le plan économique. D’autant qu’en raison de la mondialisation, la question ne se poserait même plus…
Quant à la souveraineté populaire, la complexité du monde actuel la rendrait contreproductive et elle ne pourrait relever que de la démagogie. La meilleure preuve de ce raisonnement peut être trouvée dans la victoire du NON au référendum sur le Traité constitutionnel européen en 2005, et le refus, par le gouvernement français, de soumettre le Traité modificatif européen à un nouveau référendum. En 1958, de Gaulle avait utilisé le référendum pour contourner le Parlement ; en 2007, Sarkozy utilise le Parlement pour contourner le référendum, c’est-à-dire le peuple ! Quant aux autres pays européens, leurs gouvernements n’ont évidemment pas non plus organisé de référendum, justifiant cette attitude, quand c’était le cas, par l’existence de constitutions – réactionnaires – qui ne le permettaient pas. Hélas, dans ces pays, la soumission est telle que le peuple lui-même a perdu la force de s’ériger en souverain.
Pour se déployer avec toute l’ampleur souhaitable, les politiques néolibérales ont besoin de faire sauter les deux verrous que représentent la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. Ils y sont partiellement parvenus en faisant croire que la nation était un cadre désuet à l’heure de l’Europe et de la mondialisation, tandis que le peuple, face à la complexité croissante du monde, n’avait aucune aptitude à s’exprimer.
Selon le néolibéralisme, le marché, spontanément, avait réponse à tout, à la condition d’être totalement libre de ses mouvements. Or, précisément, la souveraineté nationale et la souveraineté populaire peuvent, à tout moment, entraver cette liberté. L’idéal, pour les néolibéraux, était donc de formater les esprits en les acclimatant peu à peu à l’idée que toute réforme de structure serait désormais interdite en raison de la « contrainte extérieure » que représenterait, pour chaque nation, la mondialisation.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette stratégie des néolibéraux a parfaitement bien fonctionné, comme en témoigne, pour ne prendre que cet exemple, la « construction européenne » qui n’a fait que construire le néolibéralisme à l’européenne.
C’est pourquoi le Pardem se fixe pour objectif de faire de la souveraineté des nations et des peuples LA question politique principale, car cette question « surplombe » toutes les autres. Cette analyse, bien évidemment, n’a rien à voir avec du souverainisme, du populisme ou du nationalisme. Il s’agit d’une perspective universaliste. C’est la liberté pour la France – comme pour chaque pays – de choisir son système économique et social. C’est, par exemple, ou ce devrait être, la liberté pour chaque pays de refuser d’importer des OGM, ou de s’opposer aux délocalisations d’entreprises, ou de réinstaller le contrôle des changes.
Lutter pour la souveraineté nationale, la souveraineté populaire et la coopération internationale entre les peuples, c’est nécessairement lutter contre la mondialisation. Et lutter contre la mondialisation, c’est aussi, nécessairement, lutter pour la souveraineté nationale, la souveraineté populaire et la coopération internationale entre les peuples puisque la mondialisation, précisément, pour atteindre son objectif de réorganisation du travail à l’échelle planétaire, vise à détruire toute souveraineté et toute coopération internationale.
Un immense effort de clarification idéologique, historique, politique est donc nécessaire sur ces questions, tant la propagande néolibérale a fait de ravages.
La souveraineté nationale
Pendant la Révolution de 1789, les sans-culottes et les soldats de l’An II avaient pour mot d’ordre : « Vive la Nation ! » Pourquoi ? Parce que la Grande Révolution, en tant que rupture dans la marche de l’histoire, a eu pour conséquence de transformer le royaume de France en nation française, dans le cadre d’une république.
Régnant sur son royaume au moyen du droit divin, le monarque était le représentant de Dieu sur terre. La Révolution se traduit par un transfert de souveraineté : le royaume devient la nation et les sujets deviennent un peuple de citoyens. La nation, se substituant au royaume, est le résultat d’un processus engagé lors des États généraux, qui n’était pas prévu à l’avance. L’Assemblée s’est proclamée « nationale », et de ce fait est devenue détentrice de la souveraineté populaire. L’apparition de la nation résulte ainsi d’une prise de conscience collective et progressive à partir d’une réalité vécue. C’est, au départ, une pratique politique et non un principe abstrait.
Cette conception de la nation n’a rien à voir avec du nationalisme, ni la souveraineté avec du souverainisme. Elle n’affirme aucune supériorité ethnique ou une quelconque agressivité envers les autres peuples. La souveraineté nationale, au sens révolutionnaire, est un principe universel.
Le mot d’ordre « Vive la Nation ! » a donc des justifications très puissantes, car c’est le peuple qui est investi de la souveraineté collective, celle-ci échappe au monarque. La Révolution ne sépare donc pas la formation de la conscience nationale de l’émancipation et de la liberté. Cette conception de la nation est porteuse d’un message émancipateur universel qui a stimulé la maturation, ou même la naissance du combat pour l’indépendance nationale de nombreux pays européens dès les XVIIIe et XIXe siècles. On ne peut ignorer, non plus, la portée immense du message de la nation républicaine dans les colonies lorsqu’elles se sont engagées dans la lutte pour leur indépendance nationale.
N’en déplaise aux « Indigènes de la République », ce n’est pas la République, comme régime politique issu de la Révolution de 1789 qui a organisé la colonisation, mais ce sont des dirigeants politiques inconséquents et criminels. S’en prendre au principe lui-même de la République n’est la preuve que d’une profonde ignorance ou confusion mentale.
Ainsi conçue, la souveraineté nationale est un principe politique fondamental, universel, progressiste, qui ne peut que balayer les misérables justifications de type économique qui prétendent le rendre obsolète.
La souveraineté populaire
Mais souveraineté nationale et souveraineté populaire ne peuvent être séparées. La souveraineté populaire, en 1789, c’est la transformation du sujet en citoyen, c’est l’érection de la masse des gueux en peuple. L’absence de souveraineté populaire – pendant l’Ancien Régime ou la période de Vichy - signifie immédiatement la captation du pouvoir, puisque par définition celui-ci se place en dehors du peuple. Par ailleurs, il ne peut y avoir de souveraineté populaire sans citoyenneté, la citoyenneté étant la mise en œuvre de la souveraineté populaire. La citoyenneté se manifeste par l’exercice de droits politiques comme expression de la liberté en société. C’est le peuple qui fait société, au sein de la nation, association volontaire définissant un contrat social par une constitution de laquelle vont découler des lois élaborées par le peuple ou ses représentants. La souveraineté du peuple implique nécessairement une démocratie représentative et délégataire qui permet l’exercice des droits.
Une vraie citoyenneté impose une participation active à la politique : conception, mise à jour et défense du contrat social incarné dans la Constitution ; élaboration de la loi comme expression de la volonté générale et garantie de l’État de droit ; implication dans la délibération publique ; participation au suffrage universel. Il s’agit d’autant d’éléments indissociables qui constituent les bases de la démocratie dans une visée universelle. La vraie citoyenneté est un engagement militant débordant les frontières de l’élite politisée pour s’investir dans les structures parallèles à l’appareil d’État que sont les syndicats, les partis, les associations, les collectifs militants les plus divers.
Si on se demande ce qui fait qu’un peuple est un peuple, et non simplement une ethnie, une communauté, des croyants, les habitants d’un territoire, des entrepreneurs, un ensemble de consommateurs : c’est la politique. Un peuple est politique ou n’est pas. C’est cela que les stratégies néolibérales de mondialisation veulent détruire. Évidemment.
La laïcité
Ces deux souverainetés combinées – souveraineté nationale et souveraineté populaire - marquent la fin de toute « théologie politique », la Révolution ayant « désacralisé » l’État et les institutions. Sous la monarchie, tout était organisé pour faire croire que la puissance du monarque venait de Dieu, le souverain étant même son représentant sur terre. Si, au contraire, on voit dans le peuple le souverain, la laïcité de l’État est le choix qui s’impose naturellement. La laïcité est une conquête collective à portée universelle à préserver et à promouvoir. La laïcité n’est pas française, elle a été conquise en France certes, mais la France fut également la première à considérer la souveraineté populaire en 1789 et ça n’en fait pas un particularisme accidentel franco-français qui n’aurait aucune valeur dans les autres pays. L’universalité d’un principe est indépendante du lieu où il a été reconnu pour la première fois La séparation de l’Eglise et de l’État est donc la condition pour que le peuple existe dans sa pleine souveraineté par un principe qui suppose une organisation politique, un corpus de textes juridiques et des institutions pérennes.
À la différence de la simple tolérance, qui pose la question de faire coexister les libertés telles qu’elles sont (celles des personnes et des communautés), la laïcité construit un espace a priori qui est la condition de possibilité de la liberté d’opinion de chacun pourvu qu’il reste dans le cadre du droit commun. C’est un modèle anti-communautaire par définition. L’autorité politique, ne peut être exercée que par les citoyens et leurs représentants élus.
C’est la supposition de la suspension du lien communautaire qui rend possible la formation du lien politique. La laïcité a pour base le vide de la croyance et de l’incroyance comme doctrines, comme contenus : la laïcité fait le vide sur ce que nous croyons ou pas, elle dit « la puissance publique n’a pas besoin pour être et pour être pensée d’un quelconque acte de foi dans le fondement de la loi ». C’est une incroyance formelle : il n’est pas besoin d’être croyant sur la question du lien pour former association politique, le lien politique, n’est pas appuyé sur un acte de foi puisqu’il suppose au contraire que chacun pourra être le plus indépendant possible de tout autre et de tout groupe. La laïcité est une association politique qui écarte toute religion civile, qui ne fait pas de la loi elle-même un acte de foi, mais un consentement mutuel garantissant des droits. Ce qui est opposé à la laïcité, ce ne sont pas les religions, c’est leur partie civile, leur prétention à faire la loi au nom d’une communauté préalable à l’association politique elle-même. Ce qui est absolument contraire à la laïcité, c’est donc aussi la religion civile, l’idée que la loi doit être acceptée comme une forme de croyance, qu’on doit y adhérer comme un acte de foi.
C’est aussi un garant culturel. Pour construire la cité, la pensée et les efforts humains ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Ne pas croire préalablement, c’est s’obliger à réfléchir au bien-fondé des lois et de tout ce qu’on fait et de tout ce qu’on avance. Il y a un devoir de penser qui devient virulent dans une organisation laïque, si ce devoir est négligé dans une république laïque, alors celle-ci est en danger.
La segmentation de l’humanité est une réelle question, il est nécessaire de distinguer les « communautés » qui peuvent très bien avoir pignon sur rue, et le « communautarisme » qui consiste à prendre appui sur des « communautés » réelles ou fantasmées pour conduire un projet politique, pour fractionner la collectivité des citoyens.
La souveraineté populaire puise donc sa source dans une conception rationnelle : celle des fins de l’association politique volontaire que représente le peuple. Aucun décret de l’au-delà n’a fait du peuple un peuple élu, et de la nation le résultat d’une providence divine. La nation comme le peuple, et donc la souveraineté nationale et la souveraineté populaire, sont le résultat de l’action publique et politique.
La laïcité, en outre, permet que l’action pour changer le monde ne soit pas sacrilège. Le risque pourrait sembler anachronique au début du XXIe siècle. Il existe pourtant des pays, aujourd’hui, où la critique du gouvernement est considérée comme un blasphème, car critiquer le gouvernement revient à critiquer le dieu sévissant dans le pays. Chacun comprendra le parti qu’un gouvernement peut tirer d’une telle conception…
Il faut donc aller au bout de la logique de séparation des Églises et de l’État et des conséquences de l’exigence laïque. Le capitalisme sans foi ni loi broie les hommes et s’est donné de tous temps un supplément d’âme inscrit dans un ordre moral religieux, et donne à celui-ci un prétendu rôle social. La laïcité rend incontournable la construction d’un État social, avec un secteur public fort, et des lois sociales qui défendent et protègent le citoyen. Devant un tel projet, le supplément d’âme étatique n’a plus lieu d’être.
La laïcité, un idéal en péril
Dans une communauté de droit comme la République, la loi politique, vecteur de l’intérêt général, permet de soustraire le rapport des hommes et des femmes à l’empire multiforme de la force. La laïcité réalise une telle exigence. Elle ne réalise que ce qui est d’intérêt commun. Elle promeut, avec l’autonomie morale et intellectuelle des personnes, la liberté de conscience, ainsi que la pleine égalité de leurs droits, sans discrimination liée au sexe, à l’origine ou à la conviction spirituelle. La séparation juridique de la puissance publique d’avec toute Église et tout groupe de pression, qu’il soit religieux, idéologique ou commercial est pour cela essentiel. L’école publique et l’ensemble des services publics doivent être protégés contre toute intrusion de tels groupes de pression.
L’amalgame entre religion et identité doit être évité, cette confusion conceptuelle aberrante conduit à traiter comme raciste toute mise en cause polémique d’une religion. Le racisme vise un peuple comme tel. Quel peuple vise la critique de l’islam, la population arabe ? Elle est démographiquement minoritaire parmi les musulmans… Le poison de l’amalgame entre culture et religion, ou entre religion et identité fausse constamment les débats.
S’il faut poursuivre en justice un écrivain qui tourne en dérision l’islam, alors il faudra également bannir des bibliothèques Voltaire qui écrivait « écrasons l’infâme » à propos du cléricalisme catholique et Spinoza, qui n’avait pas de mots assez durs pour les théologiens rétrogrades. Le colonialisme, le racisme, la discrimination de l’origine sont des abjections, mais l’oppression des femmes, le credo imposé, le marquage identitaire exclusif, la religion convertie en domination politique n’en sont-elles pas aussi ?
Certes, la laïcité ne peut pas tout. Elle fait valoir à la fois des droits et des devoirs, mais il existe des situations sociales qui rendent peu crédibles les droits, et partant, disposent mal ceux qui en sont victimes à assumer leurs devoirs à l’égard de la République laïque. Il serait injustifié d’en tirer la conclusion que les exigences de la laïcité sont illégitimes et de renoncer à les affirmer. D’autant que, dans nombre de cas, ce n’est pas l’injustice sociale qui est en cause, mais un projet politique d’opposition à la laïcité. Il n’en reste pas moins que le souci d’affirmer la laïcité ne peut se désintéresser des conditions sociales qui la rendent crédible.
La lutte politique contre la violence intégriste doit être comprise comme le souci de promouvoir une conscience lucide des vraies causes des problèmes, en lieu et place d’un diagnostic fallacieux qui incrimine la modernité, la République et l’émancipation laïque. Nous sommes devant une situation assez similaire à celle que décrivait Marx lorsqu’il s’en prenait non à toute conscience religieuse, mais à la religion utilisée comme « supplément d’âme ». En Grande-Bretagne le retrait de l’État des services publics hors des banlieues difficiles a eu pour effet de « déléguer » la question sociale aux intégrismes religieux, qui se paient le luxe de tenir un discours anticapitaliste. Exemple à retenir afin d’en tirer les conséquences pour notre pays.
Les intégrismes religieux sont en réalité complices de la dérégulation libérale outrancière qui fait aujourd’hui des ravages et qui évite de remettre en cause le capitalisme. Le maintien d’une conscience mystifiée qui fatalise la mondialisation capitaliste libérale en voulant y voir d’une façon malhonnête la seule manifestation de la modernité, produit du désespoir et invalide toute alternative sociale en ne proposant que la charité comme solution.
Il est temps de réactiver les authentiques leviers de l’émancipation humaine. La lutte sociale et politique contre toutes les dérégulations capitalistes et pour la promotion des services publics, qui produisent de la solidarité et non de la charité : la lutte pour une émancipation intellectuelle et morale de tous, afin qu’une conscience éclairée des vraies causes permette de résister aux fatalités idéologiques ; la lutte pour l’émancipation laïque du droit, gage de liberté de tous les êtres humains, liberté de choisir son mode de vie, sa sexualité, son type de relation à autrui dans le respect des lois communes, accéder sans entrave à la contraception ou à l’interruption volontaire de grossesse. En contradiction avec cette émancipation des mœurs et du droit, la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (Comece) veut faire reconnaître des droits particuliers pour le mariage ; et « un droit à la vie » comme obstacle juridique à l’IVG.
On objectera que les inégalités sociales et culturelles des familles hypothèquent l’égalité des chances à laquelle l’école publique et laïque contribue. Certes. Mais le diagnostic ne met pas en cause l’école, il renvoie aux injustices sociales et appelle à une action appropriée.
L’existence de discriminations, reflet d’un racisme ordinaire persistant, doit être évoqué comme toile de fond de la réflexion, comme tout ce qui fragilise la laïcité ; la discrimination à l’embauche, souvent subie sans recours, peut conduire ceux qui en sont victimes à désespérer du modèle républicain et des valeurs qui lui sont liées. Il ne faut pas s’étonner ensuite qu’une sorte de conscience victimaire conduise à valoriser l’origine ainsi stigmatisée par le fanatisme de la différence. Le risque de la dérive communautariste n’est pas loin.
Aujourd’hui, les expressions de « laïcité ouverte » ou de « pacte laïc » utilisées par certains penseurs protestants sont très dangereuses, elles font du droit laïc un compromis provisoire qui semble suggérer qu’on puisse indéfiniment le renégocier au gré des modifications du paysage religieux. C’est bien de cela dont s'est servi Nicolas Sarkozy avec la volonté de brouiller cultuel et culturel.
L’idéal laïc s’oppose ainsi à toute tentative de restauration cléricale. Réduire la laïcité à l’hostilité à la religion, c’est superposer le souvenir des luttes historiques qui ont été nécessaires pour la reconnaissance de la laïcité à l’idéal lui-même.
Ainsi comprise, la laïcité n’est pas définissable négativement, c’est-à-dire par l’opposition à quelque chose. Elle n’est pas antireligieuse. Ce qui pose problème et qui a conduit à la laïcité, ce n’est pas la démarche spirituelle de nature religieuse, mais la volonté de domination dans l’ordre temporel, au nom de cette démarche.
L’anticléricalisme fut une réponse historique à un certain refus de l’Église de reconnaître la stricte égalité des croyants, des agnostiques et des athées dans les institutions publiques, mais ce refus n’était pas la cause principale dans la définition de l’idéal laïque, qui visait d’abord ce qui unit tous les humains.
L’État
L’exercice par excellence de la souveraineté populaire, le lieu où elle peut s’exprimer, c’est l’État. La souveraineté populaire est la puissance du peuple, elle est sa puissance politique à s’établir comme peuple. C’est le peuple qui instaure l’État comme son instrument. Il se donne un État, son État, manifestation de son organisation collective et outil de son projet politique. L’État-providence, par exemple, né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est l’expression de cette puissance politique du peuple qui s’est manifestée à travers des luttes de classe intenses.
C’est pourquoi il faut repolitiser l’État, c’est-à-dire en refaire un objectif de conquête par le peuple. Repolitiser l’État – ce qui implique de rejeter dans les ténèbres la notion néolibérale de « réforme de l’État » - c’est s’opposer à l’administration des choses pour la remplacer par le gouvernement des hommes. C’est réinstaller des organes de décision politique là où ont été mises en place des structures techniques, des agences « indépendantes » ou de prétendues « hautes autorités ». C’est replacer l’État au centre de l’économie.
La désacralisation de l’État et des institutions pendant la Révolution – qui n’émanaient plus du souverain, représentant de Dieu sur terre - a permis de mettre la raison là ou avant il n’y avait que religion, celle-ci ayant auparavant remplacé la pensée magique. Or, la révolution conservatrice prétend organiser un grand bond en arrière en promouvant « le marché » comme nouvelle pensée magico-religieuse. Le marché, comme nouvelle croyance, surplomberait désormais les souverainetés nationales et populaires, puisqu’il ne permettrait pas d’autre choix.
Les politiques de mondialisation ne peuvent se déployer qu’en détruisant cette conception de la nation et du peuple issue de la Révolution. Le moyen principal pour y parvenir a été le cheval de Troie qu’est le système de Bruxelles. Son but : soustraire à la souveraineté des nations et des peuples l’essentiel des instruments de la politique économique, la monnaie en premier lieu. L’insistance mise sur les fondements théologiques de l’Europe est une stratégie au long cours visant à acclimater les esprits à la délaïcisation de l’Union européenne. À ce propos, l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne serait un joli pied de nez à la conception de l’Europe comme continuation de l’Empire chrétien.
Le Pardem considère qu’il ne faut pas opposer la souveraineté nationale et l’action nécessaire au niveau international pour favoriser la coopération entre les peuples. Cependant, sous l’effet de l’idéologie de la « contrainte extérieure », l’échelon national a été négligé, comme en témoignent vingt-cinq années de politiques gouvernementales d’inspiration néolibérale. Une nouvelle pensée magique s’est installée, la croyance selon laquelle l’interdépendance des économies n’offrirait plus de « marges de manœuvre » nationales. Elle a anesthésié les gouvernements et impressionné une partie de l’opinion publique.
C’est pourquoi le Pardem considère qu’un gouvernement « bien intentionné » devrait prendre des mesures unilatérales pour s’émanciper des politiques de mondialisation, en s’inspirant de l’Histoire socialiste de la Révolution française de Jean Jaurès : « quelles qu’aient été les imprudences volontaires ou forcées de la Révolution […] elle a animé, secoué, violenté les nations attardées. Elle les a obligés à sortir de l’ornière des siècles. Elle a rendu pour elles impossibles à jamais les somnolences et les lenteurs de l’Ancien Régime. Elle a précipité, pour toutes, le rythme de la vie. […] debout, peuples belges si lourdement endormis sous l’épais manteau catholique. Debout, penseurs et étudiants d’Allemagne qui suivez du regard au ciel profond de la Germanie le vol lent des nuées pâles. »
Si l’on considère que la souveraineté, sous ses deux facettes – souveraineté nationale et souveraineté populaire – est bien LA question politique, une série de conséquences doivent en être tirées : il faut réinstaller la souveraineté là où elle a été ôtée. C’est en effet le seul moyen de mener des politiques sociales, environnementales, économiques et démocratiques favorables au peuple français, dans une perspective universaliste.
Internationalisme et souverainetés
L’internationalisme est l’un des fondements du mouvement ouvrier et de la pensée de gauche depuis le XIXe siècle. Il est parfois résumé par la formule célèbre de Marx « Prolétaires (ou travailleurs) de tous les pays, unissez-vous ! » et symbolisé par un chant : « L’Internationale ». On se souvient que les empires et les bourgeoisies nationales de l’époque luttaient pour les conquêtes territoriales, notamment coloniales, en utilisant le peuple comme chair à canon. On peut alors comprendre que la solidarité était de beaucoup plus forte entre les ouvriers des différents pays, qu’entre les ouvriers et la bourgeoisie à l’intérieur d’un pays donné.
Utopie de rassemblement du mouvement ouvrier, l’internationalisme a été aussi, au cours du XXe siècle, un sujet de divergences majeures en son sein. Au point qu’au moins quatre Internationales, sans compter divers mouvements à prétention mondialiste, ont été constitués avant de disparaître, de se fractionner ou de s’éloigner considérablement de leurs origines.
La première internationale a été créée en 1864, sous le nom d’Association internationale des travailleurs. Après les dissensions entre « collectivistes » et « mutuellistes », puis entre Marxistes et Bakouniniens, elle se sépare définitivement en 1877 sans avoir jamais pu réunir des délégations de plus d’une dizaine de pays.
La deuxième internationale a été fondée à Paris en 1889 et acquiert dans certains pays une puissance, notamment électorale, indéniable. Elle se réclame notamment de la dictature du prolétariat et du pacifisme. Mais les courants réformistes s’y développeront rapidement, avant de triompher (définitivement ?) à l’époque de la guerre froide. Elle existe encore, sous le nom d’Internationale socialiste. Mais l’internationalisme dont elle se réclame à l’occasion n’est guère que l’acceptation de la mondialisation… Elle n’a plus grand-chose à voir avec l’Internationale ouvrière d’Engels et de Jaurès. Son ancrage chez les ouvriers et employés, parfois réelle, est très variable selon les pays mais la solidarité internationale n’a que peu de poids dans les programmes électoraux de ces partis. Seul « l’européisme » y figure de manière importante, mais il n’a que peu à voir avec l’internationalisme des origines !
Mais, plus que le réformisme, l’échec de la IIe Internationale, c’est surtout l’impuissance de la social-démocratie à empêcher la guerre de 1914. Le ralliement de la social-démocratie allemande puis de la SFIO à « l’Union sacrée », en août 1914, a concrétisé cette impuissance. Elle provoquera la création de la IIIe internationale (Komintern) et les scissions de 1919-1921 entre partis socialistes et partis communistes. Dès l’échec de l’armée rouge face à la Pologne (1921) et l’échec de la révolution allemande de 1923, cette Internationale devient en fait un réseau de partis dotés d’une direction clandestine, constitué autour de la « patrie du socialisme », l’URSS. Etendue aux « démocraties populaires » dans la sphère de domination de l’armée rouge après 1945, puis à quelques pays dont la Chine, l’internationale « communiste » se sépare après la rupture sino-soviétique et disparaît de fait en 1991 avec l’URSS, même si 29 partis l’ont formellement reconstituée en 1995 à Sofia.
La IVe Internationale a été fondée en France par Trotsky en 1938. Après plusieurs scissions et une réunification partielle, elle est divisée entre ceux qui veulent maintenir la IVe internationale, ceux qui désirent la « reconstruire » (en opposition avec ceux qui estiment qu’elle n’a jamais été construite !) et les partisans d’une Ve Internationale. En France, il y a de multiples fractions dont trois « grandes » tendances : la LCR, Lutte Ouvrière et le Parti des travailleurs. Ces deux derniers n’ayant pas ou très peu de correspondants dans d’autres pays.
Le mouvement ouvrier, c’est aussi les syndicats. Ceux-ci – ou plutôt quelques-uns d’entre eux, naissants – avaient participé à l’Association internationale des travailleurs. Mais ils n’avaient pu trouver place dans la IIe internationale, regroupement de partis politiques. Des tentatives de créer une fédération internationale, timides avant 1914, ont prospéré après 1918 mais n’ont jamais pu surmonter durablement les oppositions entre socialistes et communistes dans l’entre-deux guerres puis pendant la guerre froide. Après 1947, la Fédération syndicale mondiale (FSM), la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et la Confédération mondiale du travail (CMT) ont quand même rassemblé des courants internationaux significatifs. La Confédération syndicale internationale, créée en 2006, regroupe l’essentiel des organisations affiliées auparavant à la FSM, à la CISL et à la CMT. Elle revendique 168 millions de travailleurs au sein de 311 organisations affiliées nationales dans 155 pays. Mais son influence est – pour le moment ? – éloignée de sa puissance numérique. Elle est très faible, voire nulle, dans les pays « émergents » (Chine, Inde…)
Aujourd’hui, après plus d’un siècle de clivages, on observe une certaine confusion entre l’internationalisme, le mondialisme, ou encore l’altermondialisme, dont se réclament divers courants. Et cet ensemble hétéroclite apparaît en opposition, elle-même peu claire, avec le nationalisme, le souverainisme, ou le patriotisme. Cette opposition et cette confusion s’expliquent en partie par la profonde modification du rôle des nations dans le capitalisme au cours du XXe siècle et au début du XXIe.
Le Pardem, qui se réclame de l’internationalisme, se doit d’en préciser le contenu et de lever quelques ambiguïtés.
Tout d’abord : l’internationalisme est un humanisme.Il procède de l’idée fondamentale selon laquelle les êtres humains de tous les pays sont égaux. Ajoutons qu’ils sont profondément solidaires au-delà de leurs différences. Mais ajoutons aussi que les individus ne peuvent constituer spontanément une instance politique mondiale unique, ni s’abstraire immédiatement de toutes les solidarités qui les ont à la fois regroupés et divisés historiquement.
L’internationalisme (comme son nom l’indique !) associe des nations. Et on doit préciser : des nations souveraines, car un citoyen ne peut être libre dans un pays subordonné à d’autres.
L’internationalisme se distingue du mondialisme, où les nations devraient s’effacer devant un prétendu « gouvernement mondial », gouvernement qui serait dangereux s’il n’était illusoire. Où pourrait-on se réfugier si on était proscrit d’une telle « nation-monde », car potentiellement totalitaire ?
L’internationalisme requiert des lieux de dialogue, de coopération, d’arbitrage entre les intérêts parfois contradictoires des différentes nations ; mais on ne saurait, en son nom, accepter le « droit d’ingérence » militaire des plus forts chez les plus faibles au nom d’une très hypothétique « communauté internationale ».
Diverses nations ont donc vocation à exister, y compris dans un avenir très lointain. Mais, si on se réfère à « la nation », il faut en préciser le contenu. Mazzini, puis Renan, Jaurès et d’autres ont en effet développé une distinction entre deux conceptions diamétralement opposées de la Nation : celle, ethnique, de la « nation inconsciente » ; celle, politique, de la « nation consciente ».
La première, la nation inconsciente, obscurantiste, fataliste, pessimiste, enferme l’individu et les groupes sociaux dans les déterminants issus du passé, ceux de la race, du sang et du sol. Elle fonde le chauvinisme.
La seconde, la nation consciente, citoyenne, républicaine, optimiste, invite les citoyens à forger des projets d’avenir en commun ; les citoyens, à travers la nation « consciente » ont vocation à s’élever vers la « commune humanité ».
Mais précisons aussi que personne n’est a priori détenteur de la définition de « l’homme nouveau » ni de la « société idéale » : l’une et l’autre seront des constructions qui ne surgiront pas du néant mais pour lesquelles les citoyens s’appuieront aussi sur les « riches legs de souvenirs » (Renan) que leur apporte l’Histoire.
En ce sens, on ne peut retenir l’idée selon laquelle les travailleurs n’auraient pas de patrie. Formule que Karl Marx a d’ailleurs nuancée, et même contredite. L’Histoire a cruellement démenti cette assertion : gouvernements « d’union sacrée » en 1914 ; constitution d’une « patrie du socialisme » en URSS... Par ailleurs, les multiples luttes de résistance nationale contre des envahisseurs ont démontré que la nation pouvait mériter, notamment aux yeux des travailleurs, qu’on se mobilise pour elle.
Par ailleurs, ce que les socialistes et anarchistes, ou autres internationalistes du XIXe siècle n’avaient pas prévu, c’est que l’Etat ne serait plus au seul « service du capitalisme ». Les institutions, les lois, les impôts ont incorporé progressivement des acquis démocratiques et sociaux. Des services publics et des règlementations se sont développés dans de nombreux pays. La peur de voir le socialisme gagner du terrain, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, n’était pas pour rien dans ce compromis concédé aux travailleurs par les classes dirigeantes des pays industrialisés. Les États-Unis et les firmes transnationales dominaient déjà le monde capitaliste, mais les « États-nations » jouissaient d’une assez grande latitude pour définir leur politique économique et sociale.
Depuis les années 70, ce « compromis fordiste » et une politique économique « keynésienne » ont permis une forte croissance économique et une certaine réduction des inégalités au sein de chaque pays. Mais ce compromis a été progressivement, puis plus brutalement, remis en cause. Pour cette nouvelle politique de « mondialisation », les nations, les États, les services publics, les réglementations devenaient des obstacles à la « libre circulation » des capitaux et des marchandises. Ceci explique que les classes aujourd’hui dominantes, ou celles qui croient tirer profit de la mondialisation, considèrent les nations comme « ringardes » alors que les travailleurs et une grande partie des classes moyennes y sont attachés. Être patriote, aujourd’hui, c’est être sensible aux aspirations de ces « couches populaires ».
À l’opposé, le Parti de la démondialisation ne se réclame pas d’une « France éternelle », ni même immortelle. Est-il besoin de développer longuement ce point ? Il n’y avait pas de distinction avant l’an 843 entre la France et l’Allemagne, l’une et l’autre constituées progressivement en plus de dix siècles. Même de Gaulle a préconisé, vers 1941, la fusion de la France et du Royaume-Uni. Qui peut dire ce qui sera souhaitable, y compris d’un point de vue des intérêts nationaux, vers 2843 ?
Le Pardem ne se place pas non plus sous la bannière du « souverainisme ». Mais comme il en sera vraisemblablement accusé, il est utile de s’arrêter sur cette question quelques instants !
L’accusation de « souverainisme » remplace désormais celle de « nationalisme », notamment pour stigmatiser ceux qui, à gauche, ne pensent pas comme il faudrait. On pourrait se contenter de hausser les épaules. Mais cette accusation mérite d’être analysée et réfutée dans la mesure où elle témoigne, généralement, d’une profonde méconnaissance de « la question nationale » et de la manière dont cette question s’articule avec « la question sociale », et même aujourd’hui avec « la question environnementale ». Ce « malentendu » est un des talons d’Achille de la gauche ; ceci traduit en fait une divergence sérieuse sur « la question de la démocratie ».
Il est vrai que le « souverainisme » pose problème du point de vue de la question sociale. Ce concept, importé du Québec, vise à rendre compte de la « souveraineté populaire » et cherche à articuler celle-ci à la « souveraineté nationale » tout en se démarquant du nationalisme.
Les « souverainistes », qui se situent à droite en France mais s’en défendent généralement, partent de constats justes. Il est vrai, en effet, que la nation reste le lieu principal de la démocratie politique et de la gestion du social. Il est vrai aussi qu’elle s’appuie sur un sentiment de « vouloir-vivre en commun » qu’on ne saurait balayer d’un revers de main au nom d’une société mondiale idéale. La Résistance des années quarante et nombre de combats « anti-impérialistes » se sont réclamés et se réclament d’ailleurs légitimement de la Nation démocratique, pour la défendre, pour la rétablir ou pour la construire. Récemment, la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle, adoptée en 2005, montre d’ailleurs que le souci de la souveraineté nationale peut trouver des prolongements et rassembler un grand nombre de peuples. Certains républicains « de droite », dès lors qu’ils ne sont pas totalement fermés à la question sociale, se retrouvent ainsi parfois au coude-à-coude avec des militants de gauche. A l’inverse, l’étiquette de gauche ne garantit pas contre des erreurs tragiques. Faut-il rappeler comment certains, à gauche, se sont conduits pendant l’Occupation ?
On peut rappeler ici la distinction établie par Mao-Tsé-Toung dans son langage, entre « contradictions principales » (entre la bourgeoisie et le prolétariat) et « contradictions secondaires » (entre nations). Dans certaines circonstances, celles d’une lutte de libération nationale, les contradictions « secondaires » peuvent devenir provisoirement principales…
Fuyons donc le sectarisme à l’encontre des « souverainistes ». Mais n’oublions pas que le nécessaire constat de la légitimité démocratique et sociale de la Nation ne saurait suffire. On pourrait même se fourvoyer si ce constat conduisait à accepter les inégalités entre citoyens d’un même pays, à négliger les solidarités internationales, la recherche de compromis et d’arbitrages entre les intérêts nationaux ! C’est l’erreur que commettent souvent les « souverainistes » au nom de l’esprit de solidarité qui doit, aussi, animer les citoyens d’un même pays. Remarquons, en guise de conclusion sur ce point, que les groupes dirigeants s’exonèrent volontiers de la solidarité que requiert le « sentiment national » : exil fiscal, voire solidarité… avec l’ennemi, des émigrés de Coblence pendant la Révolution aux partisans de « Hitler plutôt que le Front populaire » en 1939 !
L’internationalisme, bien qu’il se fonde sur la souveraineté populaire, se distingue donc du souverainisme, si celui-ci subordonne et réduit les aspirations populaires à la souveraineté nationale.
L’internationalisme s’oppose évidemment au nationalisme, si on se réfère à la conception inconsciente de la nation. En revanche, si on considère la nation comme un « marchepied vers l’universel », le lieu principal où s’exerce la volonté politique des citoyens, il n’y a pas opposition mais complémentarité entre l’internationalisme et ce patriotisme-là. Jaurès l’avait vu et exprimé clairement, il y a un siècle :
« … Ce qui est certain, c’est que la volonté irréductible de l’Internationale est qu’aucune patrie n’ait à souffrir dans son autonomie. Arracher les patries aux maquignons de la patrie, aux castes du militarisme et aux bandes de la finance, permettre à toutes les nations le développement indéfini dans la démocratie et dans la paix, ce n’est pas seulement servir l’internationale et le prolétariat universel, par qui l’humanité à peine ébauchée se réalisera, c’est servir la patrie elle-même. Internationale et patrie sont désormais liées. C’est dans l’internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène. » (Jean Jaurès, L’Armée nouvelle, 1911)
D’une autre manière, Romain Gary a établi une distinction fort pertinente entre le nationalisme « haine des autres » et le patriotisme « amour des siens ». C’est avec ce patriotisme humaniste, internationaliste, qu’il s’agit de renouer après un siècle de tâtonnements et d’errements.
La question linguistique
Elle pose problème au regard de « la question nationale ».
Renan, dans Qu’est-ce qu’une nation ? en 1882, range les langues parmi les attributs de la « nation inconsciente ». Renan s’exprimait dans les conditions de l’époque - la légitimité du rattachement de l’Alsace et de la Moselle à la France ou à l’empire germanique - mais il a mal vieilli notamment sur ce point.
En effet, la défense et la promotion des langues nationales sont indissociables de la souveraineté nationale et populaire, au même titre que la souveraineté alimentaire. Et au moins autant que la défense d’autres « chefs d’œuvre en péril » ! C’est évident pour la langue française. Et pas seulement au Québec !
Ajoutons, au risque de surprendre, que la sauvegarde de la langue bretonne, par exemple, est aussi un combat que les républicains devraient mener.
Concernant les relations internationales, la bonne approche pourrait être la suivante :
- combattre bec et ongles l’impérialisme de l’anglo-américain ;
- apprendre à comprendre plusieurs langues (et non seulement l’anglais), ce qui est plus facile que d’apprendre à les parler.
A l’occasion des échanges culturels entre des ressortissants de deux ou trois pays, chacun parlerait sa propre langue en étant compris. Toutefois, pour les réunions internationales, ou pour des rencontres bilatérales où l’enjeu de négociations est fortement présent, des interprètes resteraient indispensables : « La langue de l’Europe, c’est la traduction » (Umberto Ecco).
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