Le 16-04-2016
par le Parti de la démondialiastion (Pardem)
Le référendum constitutionnel irlandais, tenu le 12 juin 2008, avait pour objet la ratification du Traité de Lisbonne. Celui-ci a été rejeté par 53,4% des voix, contre 46,6%. Immédiatement après, des voix se sont levées, en France, pour demander une constituante européenne. Une telle formule comportait deux possibilités : créer une assemblée constituante à l’échelle européenne (LCR) ; donner un mandat constituant au Parlement européen élu en 2009 (certains Verts et Jean-Luc Mélenchon du Parti socialiste) :
- Pour la Ligue communiste révolutionnaire d’Olivier Besancenot (13 juin 2008) : « Personne ne fera l’économie d’un grand débat à mener avec les populations sur quelle Europe construire. Ce débat doit mener à l’élection d’une assemblée constituante, élue sur la base d’une proportionnelle intégrale. » Le porte-parole de l’organisation trotskyste précisait (L’Humanité, 14 juin 2008) : « La seule voie pour permettre la construction d’une autre Europe est l’élection, sur la base du suffrage universel, d’une Assemblée constituante européenne qui aurait pour mandat de discuter de la constitution d’une nouvelle Europe ».
- Cécile Duflot (secrétaire nationale des Verts) s’interrogeait (L’Humanité, 14 juin 2008 : « Pourquoi ne pas donner un mandat constituant au Parlement européen qui sera élu en 2009 ? ».
- Jean-Luc Mélenchon du Parti socialiste (AFP, 13 juin 2008) proposait lui aussi de « donner un mandat constituant au Parlement européen, qui sera élu l’an prochain, de rédiger un nouveau traité d’organisation des pouvoirs » en Europe.
Une assemblée constituante européenne ?
La proposition de la LCR était démagogique et dangereuse pour les raisons suivantes :
- Aucune force n’existait en Europe pour porter un tel projet.
- On ne peut mettre en place une assemblée constituante dans un pays contre l’avis du gouvernement ou même du Parlement de ce pays.
- Le cadre politique et idéologique de l’Union européenne de l’époque, très conservateur, rendait peu probable cette éventualité.
- La complexité des problèmes à résoudre rendait difficilement envisageable, même à moyen et plus long terme, une telle perspective.
- Il aurait été quasi-impossible de se mettre d’accord sur le périmètre de cette nouvelle Europe.
Il n’existait pas de forces, dans chacun des 27 pays membres, susceptibles de porter victorieusement une telle perspective politique. La réalité politique et idéologique dans l’Europe des Vingt-Sept était celle d’une absence générale de débat sur les questions européennes, comme il a été possible de le vérifier lors des référendums de 2005 sur le traité constitutionnel (à part en France). Dès lors, créer une dynamique politique autour de la désignation de représentants à une hypothétique assemblée constituante européenne n’aurait eu aucune existante pratique. Il s’agissait plutôt d’un slogan que d’une perspective crédible ayant la moindre chance de déboucher.
On ne pouvait pas mettre en place une assemblée constituante dans un pays contre l’avis du gouvernement ou même du Parlement de ce pays. Or les gouvernements et les Parlements des Vingt-Sept voulaient conserver le traité de Lisbonne. On ne voit donc pas comment, et quand, il aurait été possible, dans chacun des 27 pays qui composaient l’UE, de mobiliser les citoyens pour faire revenir les gouvernements sur leur décision.
L’éventualité d’une telle dynamique était proche de zéro. Il aurait fallu attendre les prochaines élections pour que de nouvelles équipes soient élues avec le mandat d’aller vers une constituante européenne. En outre, une constitution européenne au contenu progressiste est rigoureusement impossible dans le cadre politique et idéologique de l’Union européenne. Les gouvernements étaient très néolibéraux, qu’ils soient de droite ou de gauche. En cela ils ne faisaient que refléter les opinions publiques en Europe. Dans ces conditions, une constitution européenne n’avait aucune chance d’être progressiste. Sauf si on croyait à la chimère selon laquelle il était possible d’élaborer des textes constitutionnels « neutres », faisant abstraction de tout contenu idéologique. Prenons l’exemple de la laïcité. Certains pays sont très catholiques, comme la Pologne. Il est donc hors de question d’inclure la laïcité comme principe constitutionnel. D’autres pays (dont encore la Pologne), sont contre l’avortement. Par conséquent, ce droit ne pourra pas être constitutionnel. Mais que resterait-il d’une telle constitution ? Et à quoi servirait-elle ?
Cette perspective, compte tenu de son extrême complexité, était également difficilement envisageable à moyen et plus long terme. Comment mobiliser les peuples ? C’est particulièrement le cas des pays dans lesquels la constitution interdit le référendum comme en Allemagne. Cela signifie que les représentants de ces pays à une éventuelle constituante ne pourront pas demander d’inclure des droits qui ne seraient pas reconnus dans leur propre constitution. Il faudrait préalablement que des mobilisations se développent dans les pays pour inclure dans leur constitution un droit à référendum. À moins – et ce serait logique dans la conception d’une constitution – que la constitution européenne ainsi conçue soit placée au sommet de la hiérarchie des normes juridiques dans chaque pays et qu’elle s’impose aux pays dépourvus de droit à référendum. Ainsi l’Allemagne dont la constitution ne prévoit pas de référendum, pourrait quand même en organiser grâce à la constitution européenne. Ce scénario manque totalement de crédibilité.
Une assemblée constituante européenne éprouverait les plus grandes difficultés à définir le périmètre de l’ « Europe ». Ce dernier se limitera-t-il au périmètre actuel des pays-membres ou ira-t-il au-delà ? S’il se limite aux pays-membres, qui prendra la décision ? Le Conseil ? Le Parlement européen ? Des référendums dans chacun des pays concernés ? Mais comment faire pour tenir des référendums dans des pays dont la constitution l’interdit ? Et que se passera-t-il si l’un des pays-membres refuse de participer au processus constituant ? Tout s’arrête ? Tout continue ? Qui décide de s’arrêter ou de continuer ? Bref : qui décidera du périmètre de cette Europe ? Tous les pays situés géographiquement dans cet espace pourraient-ils s’inscrire, ou y aurait-il une sélection ? Si une sélection existe, de qui sera composé le comité de sélection, et qui le nommera ? S’il n’y a pas de sélection, la Turquie et la Russie, pour ne prendre que ces deux exemples, feront donc partie des pays habilités à tenir des assemblées constituantes ?
L’idée d’une assemblée constituante européenne joue comme une diversion. Les débats sont pollués par des questions juridiques qui font passer au second plan les politiques néolibérales. La masse de la population aura beaucoup de difficultés à s’inscrire dans un tel processus, jugé éloigné de ses préoccupations, complexe et peu crédible.
Si, d’aventure, malgré tous ces obstacles, une constitution européenne advenait dans un délai assez bref, elle serait dominée par des idées très conservatrices. Car cette assemblée constituante européenne serait composée au prorata de la population de chaque pays, et pour les délégués de chaque pays par une représentation proportionnelle des courants politiques de ces pays. Avec une telle configuration, que se passerait-il ? Nous aurions une représentation politique proche de celle du Parlement européen actuel qui est élu à peu près dans les mêmes conditions. On connaît donc déjà, quasiment, les conclusions des débats d’un tel cénacle.
Donner un mandat constituant au futur Parlement européen ?
La deuxième proposition d’un processus constituant européen, celle de Monsieur Mélenchon du Parti socialiste, consistait à donner un mandat constituant au Parlement européen qui serait élu en juin 2009. Si cette proposition était moins démagogique que la précédente, elle manquait néanmoins de beaucoup de réalisme et présentait les mêmes risques de complexité, de diversion et de danger.
La notion même de « mandat » au Parlement européen n’était pas crédible ni recommandée. Elle n’était pas crédible car à un an des élections européennes, alors que le processus de ratification du traité de Lisbonne n’était pas encore terminé, on ne voit pas quelle aurait été l’autorité susceptible de « donner » un tel mandat au futur Parlement européen. Seul le Conseil, malgré l’absence de toute référence juridique, pouvait éventuellement prendre une telle initiative politique. Mais elle n’était pas à recommander, car elle serait revenue à dicter au Parlement ce qu’il devrait faire. Admettons qu’un processus constituant démarrant dans ces conditions aurait été mal parti ! En réalité, seul le Parlement européen lui-même aurait pu s’autosaisir et se déclarer assemblée constituante. Mais il aurait commis un coup d’État, puisque ni les traités européens en vigueur, ni le règlement du Parlement européen n’envisage cette hypothèse. De surcroit, ce coup d’État n’aurait reposé sur aucune légitimité populaire puisque les députés y auraient été élus sans ce mandat. On le voit, cette affaire était viciée dès le départ et n’avait que peu de chance de se concrétiser. La suite des évènements l’a confirmé.
Mais malgré le peu de vraisemblance qu’aurait eu la transformation du Parlement européen en assemblée constituante, admettons que ce soit le cas. la constitution qui en accoucherait n’aurait pu qu’être réactionnaire. Le Parlement européen élu en juin 2009, en effet, était composé d’une majorité favorable au système – droite, socio-démocrates et chrétiens-démocrates -, dont on se demande comment elle aurait pu produire une constitution progressiste. Il faut graver dans nos mémoires que le 13 février 2008, le Parlement européen rejetait à une écrasante majorité un amendement demandant que « s’engage à respecter le résultat du référendum irlandais » sur le traité de Lisbonne, et que le 20 février 2008 il approuvait le traité de Lisbonne. Qui peut croire qu’une assemblée constituante, composée exactement des mêmes courants politiques européens, aurait pu avoir une attitude différente et qu’elle aurait pu accoucher d’une constitution progressiste ?
Les complications juridiques auraient été innombrables, aggravant le fossé entre les peuples d’Europe et les élites européennes. Par exemple, que ce serait-il passé si le Parlement européen avait été majoritairement favorable à une constitution, et que les députés européens d’un pays donné soient majoritairement contre ? On impose quand même cette constitution au pays dont les députés européens se sont prononcés contre ? Et comment ratifier cette « constitution » ? Considère-t-on que le Parlement européen incarne la souveraineté populaire et qu’il est inutile d’organiser des référendums de ratification ? Et que ce serait-il passé en cas de rejet de cette constitution à la suite d’un référendum dans un pays ou de désaccord d’un Parlement national ?
Le Parlement européen manque de légitimité. Depuis 1979, date de la première élection européenne, il est de plus en plus mal élu sous l’effet de la désaffection des électeurs provoquée par les politiques « européennes ». En outre, les députés européens n’ont jamais été élus sur des programmes européens mais sur des préoccupations nationales, ôtant ainsi à ce Parlement toute possibilité d’incarner un intérêt général européen. Historiquement, le Parlement européen a toujours été plus réactionnaire que certains gouvernements, et les perspectives pour son élection de juin 2009 sont les mêmes : une hégémonie du condominium Parti socialiste européen/Parti populaire européen. Comment un Parlement qui se place au-dessus de la souveraineté populaire et qui viole les traités pourrait-il devenir une assemblée constituante ?
Au total, une constitution européenne, quelle que soit la formule – assemblée constituante ou mandat constituant donné au Parlement européen -, dans le contexte idéologique et politique actuel de l’Europe, contribuerait à désarmer un peu plus les forces de résistance à l’ordre néolibéral. Les forces sociales opposées aux politiques néolibérales, qu’il s’agisse de syndicats, d’associations, de partis, trouvent des points d’appui seulement dans les institutions et le droit national. Une constitution européenne les précipiterait dans le vide... S’engager dans cette voie serait dissoudre les peuples et les nations d’Europe. C’est le rêve des oligarchies qui se réaliserait enfin : détruire, par exemple, la constitution française dont le préambule de 1946 traduit encore, dans notre droit et nos usages, la présence du rapport des forces de l’après-guerre et du Conseil national de la Résistance. Quel beau cadeau serait fait à ces oligarques !
Toutes les hypothèses et propositions faites en 2008 que nous avons passé en revue sont inopérantes. Elles n’étaient que de la posture, aucune suite ne leur a été donnée. Leurs promoteurs n’y croyaient même pas. Nous sommes arrivés à la fin du mythe européen dont témoignent particulièrement les trois référendums où le NON l’a emporté
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