Comment le NON irlandais est passé à la trappe

par le Parti de la démondialisation (Pardem)

Le référendum constitutionnel irlandais, tenu le 12 juin 2008, avait pour objet la ratification du Traité de Lisbonne. Celui-ci a été rejeté par 53,4% des voix, contre 46,6%. Déjà, en 2001, le NON irlandais au traité de Nice n’avait pas empêché l’adoption du texte original. Tout comme le NON danois de 1992 n’avait pas arrêté la marche du traité de Maastricht, et que le NON français au TCE en 2005 n’avait pas été respecté le 4 février 2008 au Congrès, par une majorité de parlementaires français.

Le référendum irlandais a fait peur à l’Union européenne qui a, cette fois, anticipé un éventuel rejet du traité et organisé la trahison du peuple. Le 20 février 2008, en effet, le Parlement européen approuvait le traité de Lisbonne, confirmant ainsi son rôle de godillot du système de Bruxelles. Les grands médias n’ont évidemment pas omis de le faire abondamment savoir pour tenter de peser sur le scrutin.

Nicolas Sarkozy, président de la République française, a assuré la présidence de l’Union européenne à partir du 1er juillet 2008. Le 9 mai 2004, il s’exprimait ainsi à la Convention nationale de l’UMP : « À chaque grande étape de l’intégration européenne il faut donc solliciter l’avis du peuple. Sinon, nous nous couperons du peuple (...) Je le dis comme je le pense, simplement. Je ne vois pas comment il serait possible de dire aux Français que la Constitution européenne est un acte majeur et d’en tirer la conséquence qu’elle doit être adoptée entre parlementaires, sans que l’on prenne la peine de solliciter directement l’avis des Français (...) Je crains dans ce cas (vote parlementaire) une réaction d’incompréhension sévère de nos compatriotes. »

La présidence française de l’Union européenne, en effet, a eu à faire face à une « réaction sévère de ses compatriotes » Nicolas Sarkozy avait raison de le craindre car ni le Parlement européen, ni la Commission européenne ne respecteront le résultat du référendum irlandais...

Une fois de plus, l’Union européenne a démontré son caractère anti-démocratique, mis en lumière la complicité des gouvernements de la majorité des pays qui la composent et d’une grande partie des parlementaires, de gauche comme de droite. C’est une preuve supplémentaire, s’il en fallait, qui montre bien que le principe même de l’Union européenne bafoue la souveraineté populaire. Cette répétition de la trahison de la voix populaire conduit de plus en plus de citoyens à poser la question de la sortie de l’Union européenne.

 

1.- Quel sens politique donner au « NON » irlandais ?

Pour le Parti communiste français (déclaration du 13 juin 2008), le peuple irlandais « a su par son vote rejeter la mise en concurrence effrénée des salariés, la pression sur les dépenses publiques et les salaires, le sacrifice des services publics, la militarisation de l’Union européenne. […] Le non irlandais est porteur de la promesse d’un nouvel avenir pour l’Europe. Engageons-nous dans cette voie. »

De son côté, dans une déclaration (13 juin 2008), Olivier Besancenot de la Ligue communiste révolutionnaire estime que le résultat de ce référendum démontre que « Le breuvage libéral est imbuvable pour les peuples car il signifie destruction de tous les droits sociaux et alignement par le bas de la législation européenne. »

Pour le Pardem, le résultat du référendum irlandais ne traduit aucune perspective politique autour de laquelle se rassembler. La grande diversité des motivations du vote « NON » ne permet pas de porter un jugement global sur ce scrutin, hormis une forte et juste exigence de souveraineté nationale et populaire des Irlandais.

Cette diversité des motivations du vote en faveur du « NON », recouvrant parfois de fortes contradictions, doit être analysée objectivement. C’est pour n’avoir pas procédé à une telle analyse des contradictions du NON français en 2005, que la gauche de gauche en France et dans toute l’Union européenne, a connu le naufrage des années qui ont suivi. En 2005 comme aujourd’hui, il est, si on s’intéresse aux faits, inexact de dire ou de laisser entendre que le contenu de ces deux votes NON - et même trois avec le vote néerlandais - était seulement antilibéral.

La victoire du NON irlandais, comme les deux précédents, comporte des raisons contradictoires. Ces contradictions sont apparues dans l’éventail des forces qui ont fait campagne pour le NON, et, par conséquent, dans les motivations de ces dernières.

Les forces du NON en Irlande étaient composées d’une quinzaine d’organisations aux objectifs politiques et idéologiques radicalement différents : quelques petites organisations politiques de gauche et d’extrême gauche ; deux ou trois syndicats ; le Sinn Fein qui est un parti de gauche républicain et indépendantiste ; l’association Libertas qui regroupe des employeurs ; des conservateurs rassemblés dans le groupe Coir et des catholiques intégristes. Le seul sujet sur lequel ces organisations étaient d’accord a été le vote NON pour garantir la souveraineté nationale. Une fois celle-ci garantie, ces groupes avaient vocation à reprendre le combat qu’ils se mènent en matière de politique intérieure. Ce qu’ils ont fait.

Concernant les raisons du vote NON, la même diversité peut être observée :

  • Texte que le gouvernement n’a pas voulu diffuser dans son intégralité au motif qu’il était « trop compliqué », que les électeurs « ne vont pas comprendre ». Il est vrai qu’avec 267 pages, 296 modifications, 12 protocoles, 51 déclarations, 3 000 pages avec les annexes, au lieu d’avoir été « simplifié », ce traité a été complexifié…
  • Des maladresses : Brian Cowen, Premier ministre, a avoué n’avoir pas lu le traité dans sa totalité. Le commissaire européen irlandais Charlie McCreevy a annoncé qu’il fallait être « fou » pour lire le traité entièrement…
  • Refus de débattre du contenu du traité.
  • Déficit démocratique de l’Union européenne.
  • Perte d’un commissaire européen pour l’Irlande par rapport au traité constitutionnel.
  • Les employeurs membres de l’association Libertas ont trouvé le traité trop contraignant.
  • La gauche l’a trouvé trop libéral.
  • Les conservateurs du groupe Coir et les catholiques intégristes ont trouvé que le traité autoriserait l’avortement, favoriserait la prostitution, légaliserait le mariage homosexuel…
  • Les pacifistes ont craint pour la neutralité historique de l’Irlande. • Inquiétudes liées à la libre-concurrence.
  • Menaces pour les services publics et les droits des travailleurs.
  • Le Sinn Fein et Libertas ont mobilisé contre le risque d’un relèvement des impôts (cette association de chefs d’entreprise a eu peur d’un relèvement de l’impôt sur les sociétés qui était de 12,5%).

Le contenu antilibéral du vote NON est donc réel, mais il ne constitue qu’une partie des raisons de ce vote, sans que l’on sache pour l’instant dans quelle proportion. En tout cas il est parfaitement clair que ce n’est pas, dans son intégralité, un vote contre le néolibéralisme. Constater que ce fut « un vote de classe » car le NON a obtenu plus de 65% des voix dans les quartiers populaires ne change rien au problème. Dans ce vote « de classe », on peut parier que les études politiques qui seront menées ultérieurement montreront que parmi les ouvriers et employés qui ont voté NON, une proportion non négligeable ne l’a pas fait par antilibéralisme, mais sur des bases très conservatrices, notamment religieuses.

Il fallait donc faire une analyse sérieuse du vote NON irlandais. Faute de procéder à cet examen, beaucoup d’acteurs ne se sont pas rendus compte que les Irlandais n’avaient pas exprimé de perspective politique qui aurait pu s’incarner dans le désir d’une autre Europe, et autour de laquelle il serait possible de se rassembler. Et encore moins de la volonté de sortir de l’UE. Il existe néanmoins, pour le Pardem, une leçon à retenir : malgré la diversité de ses motivations, la raison commune au vote NON, son tronc commun, a été l’exigence du respect de la souveraineté populaire et nationale.

 

2.- Faut-il se fixer pour objectif d’aménager le cadre actuel de la construction européenne ?

Plusieurs déclarations de dirigeants politiques, en France, après le référendum irlandais, sont allés dans cette direction :

  • Henri Emmanuelli, dirigeant du Parti socialiste qui avait participé à la campagne du NON en 2005 : « moi, je ne me réjouis pas des difficultés de l’Europe, je constate simplement que ceux qui la gouvernent font fausse route ». Il réclame la démission du président de la Commission (Les Échos, 16 juin 2008).
  • Francis Wurtz, dirigeant communiste et président du groupe de la Gauche unie européenne (GUE) au Parlement européen : « Mettre le social au cœur du projet, associer effectivement les citoyens et les nations à l’élaboration, à l’évaluation et au contrôle des politiques » (L’Humanité, 14 juin 2008).
  • Laurent Fabius, dirigeant du Parti socialiste qui avait participé à la campagne du NON en 2005 : « Il va falloir désormais que tous les pays membres se réunissent pour trouver une issue. C’est la seule solution possible » (Le Parisien, 14 juin 2008).
  • Éditorial de Patrick Le Hyaric, directeur de ce journal, dans l’Humanité du 16 juin 2008 : « Il est temps qu’élites européennes, chefs d’États, rois, reines, milieux patronaux, financiers et complexes médiatiques s’inspirent de la célèbre formule de l’écrivain irlandais Oscar Wilde : ‘’On a conscience avant, on prend conscience après’.’ Qu’ils prennent conscience qu’on ne peut pas construire l’Union européenne à marche forcée sans les peuples et contre eux ».
  • Marie-George Buffet, dirigeante du PCF : il faut « convoquer l’ensemble des parlements nationaux » et « redonner la parole aux citoyens et aux citoyennes d’Europe » ; « Je propose très concrètement que le président de la République, qui va être président de l’Union européenne à partir du 1er juillet, fasse la proposition lors du sommet européen, qu’on fasse une pause, qu’on n’applique pas ce traité et qu’on convoque l’ensemble des Parlements nationaux pour qu’ils organisent le débat dans les Parlements et avec les populations » (L’Humanité, 17 juin 2008).
  • Jean-Pierre Chevènement : il faut « Faire une Europe avec les peuples selon le principe de la géométrie variable » (Le Figaro, 17 juin 2008).

 

Fallait-il réclamer la démission du président de la Commission, Jose-Manuel Barroso ?

Oui, pourquoi pas, c’était un ultralibéral qui avait déclaré : « Le traité n’est pas mort, il est vivant » (Le Monde, 15-16 juin 2008). Or Monsieur Barroso s’arrogeait un pouvoir qu’aucun traité n’avait confié à la Commission, puisque juridiquement le traité de Lisbonne était mort avec le NON irlandais : un traité n’a de valeur que s’il est adopté dans les mêmes termes par tous les pays.

Mais pour un Barroso de tombé, dix se lèveront ! La demande de démission de Barroso était légitime si elle ne constituait pas la seule et unique position des forces se réclamant du NON. Elle n’aurait été alors qu’un coup d’épée dans l’eau et même une diversion par rapport aux enjeux autrement plus importants que la seule démission de ce personnage.

 

Fallait-il mettre « plus de social et de démocratie » dans le « projet » européen ?

Bien sûr ! Tout le monde, d’ailleurs, était d’accord, de la gauche à la droite. Personne, d’ailleurs, ne pouvait dire le contraire, et une telle affirmation n’engageait pas vraiment à grand-chose. La vraie question n’était pas là, elle était de savoir à quelles conditions c’était possible. Or tant la situation politique et idéologique au sein de l’Union européenne que les réalités juridiques des traités européens rendaient et rendent toujours aujourd’hui cette aspiration légitime très peu probable.

Nous serons probablement tous d’accord pour reconnaître que les 27 gouvernements qui composaient l’Union européenne à l’époque ne voulaient pas renoncer au traité de Lisbonne. Ce traité, nous en conviendrons tous, non seulement n’était pas propice à l’épanouissement de politiques sociales et démocratiques, mais il visait au contraire à leur étouffement. Donc, avec le traité de Lisbonne, il n’y avait rien à attendre dans ces domaines.

Il aurait fallu par conséquent un autre traité pour prendre en compte ces préoccupations. Comme les 27 gouvernements de l’UE à l’époque ne voulaient pas de nouveau traité, il n’y avait que deux solutions : soit les peuples concernés renversaient leurs gouvernements, soit les gouvernements changeaient lors des prochaines élections. Des renversements de gouvernements sont toujours possibles, mais pour qu’ils aient un impact à l’échelle de l’Union européenne il en faudrait plusieurs à échéances rapprochées afin de créer une masse critique susceptible de peser sur l’orientation de l’Union européenne. Le Pardem ne croit pas à une telle stratégie qui ne repose que sur des chimères.

Reste la deuxième solution : les gouvernements dans les 27 pays de l’UE à l’époque changeaient lors des élections suivantes, et de nouvelles équipes favorables à une Europe sociale et démocratique se mettaient en place. C’est ce que nous pouvions espérer. Même dans cette hypothèse le chemin de croix n’aurait pas été terminé pour autant, car la signature d’un nouveau traité nécessite l’accord dans les mêmes termes de tous les pays signataires. Qui peut croire, à horizon humain, qu’une telle configuration politique puisse advenir ? Et encore ne restait-on ici que dans le cadre étriqué des Vingt-Sept, sans évoquer, entre autres, l’entrée de la Turquie et de la Russie dans une forme d’union européenne.

Ces deux hypothèses – renversement des gouvernements et élections de majorités favorables à une Europe sociale et démocratique dans les 27 pays – étaient donc toutes les deux parfaitement chimériques. Les années qui ont suivi l’ont largement démontré.

Elles sont, de surcroît, démobilisatrices. En effet, une telle stratégie revenait à dire à chaque peuple de l’Union : « renversez votre gouvernement, ou changez de majorité lors de la prochaine élection, et attendez que les 26 autres peuples en fassent autant chez eux ». Et si les autres peuples ne le font pas, que fait-on ?

Bref, il existe tellement de conditions nécessaires pour mettre davantage de démocratie et de social dans le cadre actuel de l’Union européenne, que c’est le cadre lui-même qu’il convient de changer.  

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