La mondialisation a été conçue pour détruire la démocratie

La présente analyse, proposée par le Parti de la démondialisation (le Pardem), porte sur la mondialisation néolibérale. Elle s’articule avec les autres textes du Pardem qui traitent spécifiquement de la démondialisation. Nous montrons, à la suite d’un certain nombre d’auteurs, que la mondialisation néolibérale est un processus d’essence politique. Il trouve ses fondements dans la nécessité pour les classes dominantes de trouver une parade efficace face aux conquêtes sociales du XXe siècle : New Deal aux États-Unis en 1933, Front populaire en France en 1936, régimes d’économie mixte en Europe de l’ouest de 1944 à 1948, conquis sociaux des années 1960 et 1970…

 

Le projet néolibéral, théorisé dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, va se déployer à partir de la fin des années 1960 et se généraliser au début des années 1980. Son but essentiel est la suppression discrète et progressive de la souveraineté des États-nations, c’est-à-dire la destruction de la démocratie et de la politique. Tel est en effet le moyen le plus efficace pour interdire toute possibilité de politiques qui pourraient contrevenir aux intérêts des classes dominantes. Ce projet repose sur trois piliers :

Premier pilier : le libre-échange. Il ne met pas simplement des produits en concurrence, mais des systèmes sociaux, rendant à terme intenables ceux qui ont concédé des acquis sociaux substantiels dans les décennies d’après-guerre.

Deuxième pilier : la libéralisation financière. C’est le libre-échange appliqué à l’argent, permettant aux flux financiers et monétaires de spéculer massivement et immédiatement à l’échelle du globe, sans restriction. La production mondiale est alors réorganisée en privilégiant les sociétés sans protection sociale et à bas salaires (délocalisation particulièrement). Les États sont menacés de voir leur dette publique et leur économie productive déstabilisées s’ils n’exécutent pas docilement les principes cardinaux du néolibéralisme.

Troisième pilier : les traités internationaux et les institutions multilatérales. Ils sont les gardiens de l’ordre néolibéral mondial, tenant ce dernier hors de portée de toute pression démocratique.

L’agencement de ces trois piliers vise à permettre l’activité la plus libre possible pour les firmes multinationales. Celles-ci, possédées par les classes dominantes, sont le vecteur fondamental de la captation du profit. Pour assurer la pérennité du système, une guerre idéologique permanente est menée grâce au contrôle, par les classes dominantes, des grands médias planétaires.

Aucun parti politique ne fait cette analyse et n’en tire les conséquences qui s’imposent. À part le Pardem.


La démondialisation consiste à retrouver la souveraineté nationale, c’est-à-dire la possibilité de la démocratie.


Elle permettra de mettre un terme au libre-échange, à la financiarisation des économies, aux traités internationaux néolibéraux et aux institutions supranationales mises en place pour les appliquer. La prise de contrôle des filiales nationales des firmes multinationales et des firmes multinationales elles-mêmes dans leurs États d’origine, ainsi que des grands médias, portera un coup fatal aux classes dominantes dans les pays qui sauront organiser cette mobilisation. C’est l’action que mène le Parti de la démondialisation (le Pardem) en France.

Pour en savoir davantage sur la démondialisation, cliquez ci-dessous :

http://www.pardem.org/analyses/demondialisation

 

I.- La mondialisation néolibérale : un projet essentiellement politique qui trouve ses raisons dans les conquêtes sociales et démocratiques du XXe siècle

Le concept de mondialisation fait partie de ces mots tellement utilisés dans toutes sortes de contextes, sans jamais en préciser le sens, qu’ils en perdent toute signification rigoureuse. Il ne s’agit pas ici de faire une nouvelle fois une distinction subtile et inutile entre « globalisation » et « mondialisation », ou autres débats creux que ce terme aura eu la particularité de générer. Disons-le une fois pour toutes : notre sujet est la mondialisation néolibérale, celle qui a commencé vers la fin des années 1960 pour finalement devenir manifestement la nouvelle forme du capitalisme dans les années 1980 et 1990. Il ne s’agit donc en aucun cas non plus, d’assimiler cette forme de capitalisme au mouvement multiséculaire qui a vu depuis les grandes découvertes du XVIe siècle le développement des échanges entre les différentes sociétés du globe à travers la colonisation, l’extension du capitalisme et de la forme étatique, puis l’explosion des moyens de communication modernes.


Le capitalisme a choisi la mondialisation pour échapper aux processus démocratiques.


Le phénomène qui nous mobilise est bien plus circonscrit, c’est celui que l’on peut qualifier de projet le plus politique des classes dominantes depuis les grandes révolutions de la fin du XVIIIe siècle. Il s’est en fait agi de transformer la forme institutionnelle du capitalisme pour qu’il puisse durablement échapper à toute pression politique et donc démocratique. Pour obtenir ce résultat stratégique, il s’agissait de sortir le capitalisme le plus possible du cadre contraignant de la souveraineté nationale. Celle-ci, induisant mécaniquement des processus démocratiques dans les pays occidentaux, commençait à menacer durablement et significativement les taux de profit. La pérennité du capitalisme lui-même pouvait vaciller si perdurait la pente caractéristique entamée dans la première moitié du XXe siècle après la Première Guerre mondiale.

En effet, la forme devenue politique des États occidentaux avait provoqué, au début du XXe siècle, une structuration nationale du mouvement ouvrier et des salariés en général. Après bien des difficultés et hésitations, ils s’étaient organisés en syndicats et partis politiques nationaux. Ils pouvaient enfin peser sur l’élaboration des lois, contrepoids inédit à la force des classes dominantes capitalistes, habituées pendant tout le XIXe siècle à la confortable situation qui faisait des institutions politiques, administratives et juridiques, leur chasse gardée.

Devant cette menace, la première réaction fut de démanteler les institutions politiques de l’État de droit puisqu’elles risquaient de faire parvenir au pouvoir des forces anticapitalistes. Même si, mis à part l’Union soviétique dans un premier temps, cela restait à l’état de menace (situation pour elles déjà intolérable). Des conquêtes sociales et politiques durables étaient cependant régulièrement obtenues dans le cadre des régimes représentatifs bousculés par l’invention radicalement subversive des partis politiques de masse. Nous les qualifions de « masse » parce qu’il ne s’agit plus de partis confidentiels rassemblant la bourgeoisie, même républicaine, mais de partis politiques organisant le mouvement ouvrier et démocratique. Ils complètent la forme syndicale en lui donnant enfin des débouchés politiques et institutionnels concrets substantiels. Le fascisme, dans les cas les plus critiques, ou les manœuvres antidémocratiques diverses, furent donc la première réponse des classes dominantes à cette menace nouvelle. Mais les gigantesques bouleversements de la Seconde Guerre mondiale firent comprendre que cette solution ne pouvait en aucun cas être durable, et se révélait même particulièrement contre-productive. En effet, les pays sortis de ce traumatisme prenaient le contre-pied de toutes les involutions antidémocratiques de l’entre-deux guerres, démocratisant comme jamais les États occidentaux. Et la menace interne et externe des mouvements communistes, organisés en puissant partis nationaux, perdurait et s’amplifiait, après leur rôle stratégique dans la lutte victorieuse contre le nazisme. Bref, il était plus qu’évident qu’il fallait trouver une parade autrement plus efficace que le fascisme.

C’était d’autant plus évident et pressant que la nouvelle forme des États, notamment en Europe, aboutissait à des formes que rétrospectivement l’on peut qualifier de mixtes, entre capitalisme et ébauche d’une démocratie étatique véritable. Bien sûr la route était encore longue avant de réellement faire vaciller le capitalisme sur ses bases. Mais on en prenait indéniablement le chemin. C’était l’extension inédite de la fonction publique, dont les fonctionnaires, devenus si nombreux, échappent à vie au marché du travail. C’était l’ampleur des nationalisations et la Sécurité sociale qui ponctionne sur la valeur ajoutée des sommes gigantesques en les socialisant directement. Elle rééquilibre ainsi significativement le rapport de force capital-travail jusqu’alors intégralement favorable au capital, en sortant la condition salariale d’un pur rapport contractuel. C’était l’ampleur sans cesse grandissante du droit du travail, l’absence de tout chômage de masse, la planification politique de l’économie, la place grandissante des syndicats dans l’entreprise. Tout cela dessinait un paysage institutionnel incomparable par rapport à la toute-puissance du capitalisme pendant tout le XIXe siècle, quelles qu’aient été alors la vigueur des insurrections populaires et des âpres luttes sociales de ce siècle mouvementé.

Bien sûr, rien ne justifie de nommer sérieusement ces décennies d’après-guerres de « Trente Glorieuses », car les conditions de travail et de vie de la majorité de la population restaient particulièrement dures. Mais au-delà de ce fait, il s’agit surtout de bien prendre conscience du changement radical et structurel de la configuration « économique » et institutionnelle de ces décennies en Europe de l’Ouest.


Il s’agit surtout de bien prendre conscience du changement radical et structurel de la configuration « économique » et institutionnelle de ces décennies en Europe de l’Ouest.


Le rapport de force avait totalement changé de nature. Les processus démocratiques (ceux qui renforçaient réellement les classes populaires) obtenaient régulièrement des victoires substantielles. Le capitalisme reculait objectivement, parfois sur des secteurs absolument stratégiques pour lui, comme par exemple le pouvoir dans l’entreprise. Ou encore le contrôle discrétionnaire de la valeur ajoutée, du fait de la ponction obligatoire des cotisations sociales sur tout le territoire national, garanties par la loi. Les classes que l’on appelle à juste titre dominantes dans les États contemporains ne le sont que parce qu’elles appuient leur puissance sociale et politique sur la puissance que leur confère le capitalisme lui-même, qui fait fonctionner ce mode de production si particulier exclusivement à leur profit. La nature du capitalisme se voit donc radicalement perturbée par des processus qui lui sont opposés. Ils commencent à changer le mode de production lui-même, comme dans les décennies d’après-guerre. C’est alors la base même de la domination des capitalistes qui se voit menacée à sa racine.

On comprend aisément que les classes dominantes aient pris la décision collective de réagir vigoureusement à cette menace à proprement parler existentielle.

Puisque la voie fasciste s’était révélée une impasse particulièrement contre-productive à moyen terme, il fallait obtenir les mêmes avantages (démanteler les processus démocratiques) d’une manière à la fois plus subtile, et surtout plus efficace et durable. C’est la mondialisation néolibérale du capital qui fournira la réponse idéale. Et de fait, on ne peut que constater la spectaculaire réussite de cette stratégie gagnante pour les classes dominantes.

Puisque la configuration institutionnelle qu’avaient fini par prendre les sociétés politiques étatiques occidentales au XXe siècle s’était révélée inséparable de processus démocratiques une fois surmontée l’épreuve fasciste, c’était précisément cette configuration qu’il fallait stériliser. Le cœur du mécanisme qui produisait ces pressions démocratiques au sein des États européens était la conjugaison des processus électoraux basés sur le suffrage universel, l’organisation politique des citoyens par le biais de puissantes structurations de partis politiques, et l’exposition des députés, créateurs des lois nationales dans des États souverains, à des pressions électorales extérieures au parlement.


Ces pressions électorales sont beaucoup plus structurées qu’auparavant grâce aux partis politiques nationaux, dont désormais les députés dépendaient pour leur réélection.


Cela permettait aux puissantes luttes sociales d’être plus efficaces par l’amélioration de la structuration nationale des syndicats, la nouvelle interaction avec les partis politiques naissants leur donnant accès à des enjeux directement législatifs. Ces luttes seront encouragées par les victoires politiques qu’elles remportaient parfois. Elles pouvaient, en effet, faire pression sur les appareils dirigeants des partis politiques pour qu’ils obtiennent au parlement qu’on entérine telle ou telle revendication. Il faut rappeler que tous ces phénomènes étaient relativement nouveaux, et n’existaient pas ou à peine à l’état embryonnaire au XIXe siècle. Et le XIXe siècle est le siècle du capitalisme triomphant.

Le XXe siècle, de ce point de vue, est celui où le capitalisme est contraint de transiger sur des questions essentielles, c’est celui des conquêtes sociales.

La courroie de transmission avait mis plusieurs décennies à s’établir entre les exigences démocratiques de la base et la superstructure institutionnelle, mais on avait finalement obtenu un fonctionnement à peu près opérationnel. Tout cela dépendait néanmoins de la capacité reconnue du parlement, censé représenter la volonté générale de la nation, de légiférer de manière générale sur l’intégralité des sujets qui concernaient la communauté nationale. Autant dire qu’aucun sujet économique et social ne lui échappait. Cela permettait aux pressions démocratiques de s’exercer sur l’intégralité de la mise en place institutionnelle et juridique du capitalisme, et d’obtenir des avancées sociales et politiques en fonction de l’état des rapports de force.

 

II.- La mise en place d’un projet singulier : la suppression discrète et progressive de la politique et de la démocratie par l’instauration de trois piliers institutionnels stratégiques

Les classes dominantes avaient fait l’expérience dans les décennies qui précèdent immédiatement la Première Guerre mondiale (ainsi que dans les années 20 à une moindre échelle) d’une grande extension du caractère supranational du capital. On observait une circulation internationale accrue des flux financiers et une période historique de mise en avant du libre-échange, bref la première mondialisation libérale du capitalisme. Les conséquences, du strict point de vue « économique » ne furent pas brillantes. Mais le point n’est pas là. Les années qui succèdent à la Première Guerre mondiale donnent également le signal de départ aux grandes institutions internationales et à d’ambitieux traités internationaux économiques. Toutes les futures caractéristiques de la mondialisation néolibérale actuelle furent testées avant la Seconde Guerre mondiale.


Les classes dominantes en retinrent les conséquences pour elles en tout point stratégiques.


Ces trois aspects essentiels, dérégulation commerciale, financière, et traités internationaux (et les institutions multilatérales qui vont souvent avec), avaient des propriétés convergentes et complémentaires. Ils déconnectaient les structures et les choix économiques des capacités d’interventions des parlements nationaux. Ils découplaient ainsi les politiques économiques des pressions démocratiques nationales, en coupant à la racine les propriétés politiques des États-nations. Ils libéraient le capital des initiatives législatives autonomes, plaçant ce dernier dans un environnement institutionnel qui débordait les capacités d’interventions légales nationales et le champ des rapports de forces nationaux.

Il était cependant hors de question, vu le rapport de force défavorable aux classes dominantes dans les années d’après-guerre, de lancer en grand ce projet néolibéral (discuté théoriquement dès la fin des années 1930). Mais parallèlement au développement temporaire de l’État social, antinomique avec les projets des classes dominantes, se mettent doucement en place les institutions et les bases de ce qui deviendra plus tard la mondialisation néolibérale.

Sous la pression américaine, et avec l’aide de néolibéraux européens de gauche et de droite, sont jetées les bases de la future « Union » européenne, avec la CECA puis le traité de Rome de 1957.

Dans les tuyaux des néolibéraux, qui peuplent de plus en plus les hautes administrations économiques, monétaires, bancaires et financières nationales, se met également en place une mutation de l’organisation des budgets publics et de la gestion monétaire, prévoyant à terme une place sans cesse accrue des marchés financiers et une dérégulation progressive de ces derniers.


Les traités internationaux se mettent à pulluler, concernant de plus en plus de domaines qui jusqu’alors étaient le domaine réservé des États souverains.


C’est en particulier le cas de la politique économique, notamment commerciale. Au début des années 1970, se met en place avec le GATT un cycle supranational, depuis lors jamais interrompu, de dérégulation commerciale, généralisant comme jamais le libre-échange. C’est également la fin du système monétaire des parités de change fixes conclu lors des accords de Bretton Woods en 1944. Les États-Unis, en 1971, unilatéralement, mettent un terme à la seule convertibilité du dollar en or et imposent le passage au régime des changes flottants.

Dès les années 1970, les premières conséquences des changements structurels de la forme institutionnelle du capitalisme ne se font pas attendre.

Le chômage structurel fait sa réapparition dans les pays occidentaux. C’était pain béni pour les rapports de force sur le « marché du travail » et pour discipliner le salariat qui, depuis les années d’après-guerre, n’avait jamais été aussi combatif. Les premiers signes de l’instabilité monétaire et financière – qui deviendra chronique – ne se font pas attendre. Mais l’essentiel allait suivre. Il aura lieu en Europe dans les années 1980. Le gouvernement de François Mitterrand, dans la France de 1983, amorce un virage à 180 degrés et lance une politique novatrice, intégralement néolibérale, privilégiant la contraction de l’économie, la désindustrialisation massive du pays, le monétarisme, la dérégulation financière sur une échelle et avec une rapidité inédites, la dérégulation commerciale, la première privatisation massive des entreprises publiques et, enfin, la création d’un vaste marché financier ouvert à tous les vents.

La première financiarisation intégrale d’une économie a lieu en France, sous un gouvernement de gauche, avec des ministres communistes à son début.


Dissolution de la souveraineté nationale


Mais ce n’est pas tout. Car avec le recul, on constate que l’essentiel n’est pas là, sans pour autant mésestimer l’extraordinaire impact négatif durable de ces réformes structurelles qui forment encore les nouvelles bases de notre économie nationale. Le gouvernement Mitterrand lance avec Jacques Delors un vaste projet très ambitieux d’accélération massive de la déconstruction à l’échelle européenne, des bases institutionnelles sur lesquelles reposait le caractère politique des sociétés européennes : la dissolution des souverainetés nationales. Le grand projet du marché unique européen, puis de la monnaie unique, et enfin le projet de constitutionnaliser les traités néolibéraux européens, doublent toutes nos institutions nationales. Il les laisse formellement en place mais les vide de tout contenu substantiel, au bénéfice des institutions radicalement antidémocratiques européennes, uniquement chargées d’appliquer les traités néolibéraux, sans aucune forme de responsabilité proprement politique. Cette configuration institutionnelle entérinait le projet politique le plus puissant du néolibéralisme : soustraire la nouvelle forme néolibérale du capitalisme (dérégulation commerciale et financière), de toute possibilité de retour en arrière par des rapports de force sociaux, politiques et électoraux, en dissolvant entièrement les souverainetés nationales, encadrées strictement par des traités et institutions non politiques et non démocratiques.

Tels sont donc les trois piliers de la mondialisation néolibérale, qui la définissent le plus concrètement et rigoureusement : libre-échange généralisé, financiarisation massive de l’économie, le tout à l’abri de traités internationaux et d’institutions supranationales court-circuitant tous les processus démocratiques.

La nouvelle forme du capitalisme a réalisé ce qu’avait été bien incapable de faire durablement la tentative fasciste : supprimer le caractère politique des sociétés étatiques sans que les populations de ces États s’aperçoivent de la suppression progressive mais radicale de tout ce qui rendait possible les processus démocratiques. Car le tout est réalisé palier par palier, en prenant grand soin de laisser formellement subsister les institutions de l’État de droit, élections, constitution, parlement, lois, droit, les principes étant donc apparemment saufs. Mais toutes ces institutions sont stérilisées, strictement incapables de contredire le contenu de traités et d’institutions qui leur sont extérieures, qui les surplombent sur tous les sujets les plus structurels. Ce dernier essai des classes dominantes est donc beaucoup plus subtil, efficace, durable, radical, que toutes les précédentes tentatives (élections censitaires, autocratie plébiscitaire, républiques chasses gardées des notables, fascisme, etc.).

Il faut maintenant comprendre en quoi libre-échange, financiarisation de l’économie et traités internationaux sont convergents et complémentaires pour ce si stratégique projet néolibéral.

Pourquoi le capitalisme a-t-il revêtu cette forme particulière, qui présente pourtant des inconvénients majeurs du point de vue « économique » toutefois très largement compensés par des avantages stratégiques inestimables ?

 

III.- Les vertus antidémocratiques du libre-échange (pour le capital)

Le « libre-échange », comme tous les termes soigneusement étudiés du libéralisme, sonne positivement. Sa signification réelle devrait pourtant choquer toute personne soucieuse de démocratie. Le libre-échange concerne bien évidemment la manière d’envisager le commerce extérieur. Or ce dernier a inévitablement un impact sur l’économie d’un pays, c’est-à-dire sur les façons particulières à chaque société de produire des biens et des services. Les différentes manières d’organiser le commerce extérieur auront donc des conséquences différentes sur les sociétés correspondantes. Quand on envisage de manière globale le commerce extérieur entre deux pays donnés, ce ne sont pas juste des produits qui se font face, entrant en concurrence en apparence simplement à travers des prix différents. Il s’agit en réalité de deux systèmes sociaux, historiques et politiques différenciés qui s’entrechoquent sans plus rien pour aménager institutionnellement ces différentes manières d’organiser la production à l’échelle d’un pays.


Quand on présente le libre-échange comme un facteur de paix et d’ouverture, on profère tout simplement une grossière contre-vérité, puisqu’il est au contraire un puissant facteur objectif de déstabilisation et de tension internationale.


Pour prendre un seul exemple récent, le « libre-échange » imposé par traités entre l’Allemagne et la Grèce ne semble pas avoir rapproché ces deux sociétés et ces deux peuples différents. Les institutions néolibérales de « l’Union » européenne sont d’ailleurs de manière plus générale un très puissant facteur de désunion des différents pays piégés dans cet avion sans autre pilote, automatique, que le marché, qui ne va jamais que dans la même et unique direction : celui des classes dominantes.

Si on se libère du fétichisme de la marchandise, à travers son prix qui masque le principal de ce qui fait la réalité d’un produit ou d’un service donné, on peut de nouveau se souvenir que ce fameux prix est le résultat d’une infinité de facteurs croisés. Ils n’ont au final que peu de rapport avec un « marché » : rapports de force sociaux et politiques aboutissant aux réglementations et lois régissant le droit du travail, salaires, conditions de sécurité de la production, lois environnementales, infrastructures publiques financées par l’impôt public, imposition et taxes sur les entreprises, cotisations sociales, organisation de la production à l’échelle régionale et nationale, transmission d’un savoir-faire collectif, système monétaire et bancaire, politiques économiques publiques, etc. La liste est à vrai dire infinie.

Ce sont ces systèmes sociaux et politiques qui se confrontent à travers le commerce extérieur, avec pour seule information, très pauvre et réductrice, un prix de vente.

Lorsque deux pays aux productivités très différentes, aux salaires moyens très différents, aux modes de production très différents, aux régimes politiques et sociaux contrastés, avec des modes d’imposition, des contraintes sécuritaires et environnementales variés, confrontent leur « économie » – ce terme lui-même est trompeur et réducteur – respective, les prix différents de produits similaires traduisent en réalité deux manières extrêmement variées d’organiser la société. Et ce n’est pas la confrontation automatique de deux prix différenciés qui pourra rendre justice de cet immense contraste, l’information du prix étant très pauvre et totalement inadaptée pour refléter des réalités aussi complexes.

Or la théorie du libre-échange nous affirme qu’il ne faut pas nous inquiéter de ces contrastes immenses, car la concurrence libre, uniquement guidée par la confrontation entre deux prix, se chargera d’organiser automatiquement l’ajustement entre ces deux sociétés. Et, de plus, elle le fera au mieux pour chacune d’entre elles.


Ce sont ces présupposés délirants qui fondent la théorie cent fois démentie par les faits et par l’histoire, celle des « avantages comparatifs » de Ricardo.


Lorsque règne le libre-échange, la seule « régulation » autorisée est donc uniquement celle, automatique, du marché international. Chaque « économie » (comprendre chaque société), du fait de cette violente concurrence internationale, non régulée, va alors devoir abandonner les secteurs économiques non « concurrentiels » à l’échelle internationale, et se spécialiser uniquement, mis à part les secteurs des biens et services non délocalisables, dans les secteurs productifs où cette société parvient à avoir les prix les plus bas à l’échelle internationale. À cette échelle mondiale, cette théorie (qui serait risible si elle n’avait eu des conséquences aussi sinistres) nous prédit sans sourciller que tout sera rééquilibré (tant au niveau de la demande globale que celui de la production). Le « marché », devenant mondial, sera plus efficient, puisque chaque secteur sera devenu plus « productif ».


La réalité nous montre bien évidemment un tout autre tableau.


Le libre-échange, c’est le refus de réguler les échanges extérieurs autrement que par le prix sur un marché.

Cette brutale confrontation entre des modes de production différents, des sociétés différentes, des régimes politiques et sociaux différents, est un extraordinaire facteur de déstabilisation des sociétés qui y sont confrontées. C’est un moteur très puissant d’aggravation spectaculaire des inégalités entre chaque pays et à l’intérieur de chaque pays. C’est tout à fait logique puisqu’il n’est plus du tout tenu compte des délicats équilibres (et déséquilibres) internes, et que la brutalité de la confrontation entre deux économies différentes fait s’écrouler inexorablement des pans entiers de production. Ce système coince les pays du tiers-monde dans des secteurs de production primaires, peu rentables, fragiles. En régime de libre-échange, la spéculation de gros acteurs financiers est brutale et incontrôlable, elle rend impossible le développement d’un secteur secondaire, pousse les économies émergentes dans des stratégies mercantiles, comme la Chine par exemple, comprimant leur marché intérieur, donc sacrifiant leur développement interne équilibré, afin de s’assurer la conquête des économies extérieures. Elle précipite les économies occidentales dans un chômage de masse structurel et menace tous les acquis sociaux. Splendide résultat !

Par ailleurs, les enseignements de l’histoire économique auraient dû suffire pour nous rappeler que la réalité ne saurait être plus éloignée des suppositions délirantes qui soutiennent les hypothèses justifiant le « libre-échange ».


Tous les développements des principales économies occidentales, leur expansion, se sont produits en régime protectionniste.


Les rares périodes historiques de libre-échange généralisé (comme les dernières décennies du XIXe siècle), se sont soldées par des crises et tensions internationales immenses. Cela se vérifie encore aujourd’hui. En outre, et contrairement au discours dominant, le libre-échange n’est pas automatiquement un multiplicateur des échanges commerciaux extérieurs. Comme tout phénomène de croissance, les échanges extérieurs dépendent d’une demande globale. Or le libre-échange, à moyen terme, est un facteur de compression de la demande globale, de déflation. Les échanges extérieurs, au bout d’un certain temps, ne peuvent donc que pâtir eux-mêmes de la pression déflationniste exercée mécaniquement par le libre-échange (faisant baisser les prix et les salaires). A contrario, certaines mesures protectionnistes, lorsqu’elles favorisent efficacement le développement des économies nationales, constituent un facteur de croissance, et donc de développement structurel des échanges.


Le vrai-faux concept de protectionnisme.


Il faut souligner ici que le mot « protectionnisme » recouvre un concept pauvre, forcément vague, pouvant contenir une infinité de réalités différentes. Le concept lui-même de libre-échange ne signifie que l’interdiction de toute intervention légale étatique sur le commerce extérieur destinée à réguler la confrontation entre deux économies et sociétés différenciées. Il s’ensuit que toutes les manières de réguler les échanges tombent sous le vrai-faux concept de « protectionnisme ». C’est-à-dire que les questions principales, d’ordre politique et non économique, déterminant les différentes manières de contrôler les échanges extérieurs, aussi contrastées qu’elles peuvent être, certaines éminemment souhaitables, d’autres détestables, sont ramenées au même terme, non descriptif : le « protectionnisme ».

Ce que refoule d’ailleurs le libre-échange, et c’est là en fait sa vraie fonction, ce n’est pas autre chose que la nécessité de la politique et de la démocratie.

Le « marché », par le biais de la miraculeuse concurrence, est censé fonctionner de manière efficiente et paisible. C’est le dernier principal aspect qu’il faut envisager lorsqu’on veut bien réfléchir de manière critique sur cette opposition absurde entre « libre-échange » et « protectionnisme ». Elle masque en réalité le véritable choix dont cette opposition dépend : le marché ou la démocratie.


Marché ou démocratie, il faut choisir.


Cela devrait être évident pour tout le monde. Quel sens peut-il bien y avoir à lutter pour obtenir une organisation du travail, de la production, des infrastructures publiques, le respect des équilibres environnementaux, des retraites décentes, l’éradication du chômage de masse, établir pour cela de durs rapports de force, si, en parallèle, des produits et des services, issus de conditions de travail et de sociétés radicalement différentes, compromettent la viabilité économique de ces compromis ? Autant abandonner tout de suite la notion d’État de droit et marchandiser totalement la société, comme nous le conseillent les idéologues forcenés du néolibéralisme.

Les processus démocratiques sont des rapports de force qui ne jouent pas dans l’espace intersidéral, mais sur un territoire étatique précis. C’est-à-dire là où les lois peuvent être changées. Là où des solidarités pérennes peuvent s’établir, où des mouvements sociaux ou politiques représentant les intérêts des salariés peuvent se structurer efficacement. Là où la population peut bénéficier d’un statut de citoyen et donc peser d’une manière ou d’une autre sur l’établissement des lois lorsque le néolibéralisme n’a pas court-circuité la souveraineté nationale. Là où des équilibres institutionnels peuvent entériner des victoires légales. Rien de tel n’est possible d’un pays à un autre. Le libre-échange, faisant fi de tels équilibres, est d’ailleurs encouragé précisément pour cette raison. Il rend caducs à terme les compromis démocratiques obtenus dans une société par la concurrence avec une autre société où les conditions de production n’ont pas bénéficié de semblables avancées.

Derrière la façade ridicule d’arguments cent fois démentis par les faits, « le libre-échange stimule une économie la poussant à être plus productive, plus concurrentielle, plus spécialisée, tout le monde y gagne, bla bla bla », auxquels plus personne ne croit, même ceux qui les profèrent encore, se cache cet objectif inavouable. Il est le suivant : « vous devrez progressivement abandonner toutes vos victoires sociales et démocratiques face à la concurrence des pays sans droits sociaux et démocratiques, auxquels nous avons ouvert tout grand les frontières, et qui force les entreprises à disparaître ou à s’adapter, à contraindre les gens à accepter de baisser sans cesse leurs droits chèrement acquis après des décennies de luttes démocratiques. »

Les bonnes âmes de gauche stigmatisent un tel discours en arguant que le problème est nos capitalistes nationaux et pas les économies émergentes qui ont tout misé sur une stratégie mercantiliste. Foutaises ! Elles sont ainsi les apôtres « progressistes » du néolibéralisme. Elles sont en fait ravies que les États ne disposent plus des manettes de l’économie. Car leur idéal, leur priorité, à ces bonnes âmes de gauche, depuis des décennies, n’est pas la démocratie ou le progrès social. Leur priorité est le démantèlement de l’État et de la souveraineté nationale, qu’ils détestent plus que tout, les assimilant aux guerres et au totalitarisme. Faisant mine de défendre ses victimes (et croyant le faire pour les plus naïfs), elles défendent autant qu’elles le peuvent les structures institutionnelles qui ont transformé nos États en sociétés dépourvues de pouvoir politique. Plus personne, alors, ne disposant de moyens collectifs pour peser sur les structures économiques et sociales.


Tout le monde peut comprendre que les luttes sociales ne peuvent obtenir que ce qu’un État est capable de faire.


Évidemment, on pourrait en douter puisque l’État, qui pourrait jeter aux oubliettes tous ces traités antidémocratiques et rétablir la démocratie, ne le fait pas ! Les dirigeants de la gauche comme de la droite ne le veulent surtout pas. Un État qui accepte de rester corseté dans la mondialisation néolibérale ne peut pas établir le plein-emploi, abriter des rapports de force démocratiques, permettre le progrès social et écologique. Et ce, quel que soit le niveau de mobilisation populaire, en tout cas tant que nous n’exigeons pas une sortie de cette prison de fer. L’exemple grec nous le prouve, s’il en était besoin. Ce n’est pas le « mouvement social » qui débloque à lui seul le verrou du néolibéralisme. C’est l’organisation collective, la structuration politique de la sortie, forcément unilatérale dans un premier temps, des institutions qui ont remplacé la démocratie par les traités et institutions du néolibéralisme, imposant dérégulation commerciale et financière.

 

IV.- La financiarisation des économies nationales et des budgets publics : une arme de destruction massive contre la démocratie

Le libre-échange généralisé est donc le premier pilier stratégique de la mondialisation néolibérale imposant la dissolution des processus démocratiques nationaux. Le deuxième, complétant à merveille le premier, est la financiarisation des économies nationales. Ce processus est encore bien plus complexe que le précédent. Il s’agit néanmoins d’en comprendre les effets stratégiques et politiques plus que les subtilités techniques.


Réorganisation de la production à l’échelle mondiale et dérégulation des marchés financiers.


D’abord, il est facile de comprendre que le libre-échange, afin de produire la pression qui est attendue, doit pouvoir se traduire par une grande réorganisation de la production à l’échelle mondiale. Si la production doit pouvoir se déplacer là où les facteurs de production sont les moins chers à productivité égale, il faut également que le capital puisse être au moins aussi mobile, afin que les capitalistes occidentaux qui ont parié sur ce moyen de pression ne perdent pas leurs moyens de spéculer dans ce processus.

Aucune entrave ne doit donc plus subsister aux mouvements des capitaux afin de pouvoir redistribuer la production mondiale là où il existe le moins de rapports de force défavorables au capital.

Mais l’intérêt de ce processus pour la stratégie néolibérale va bien plus loin que cette réorganisation de la production au niveau mondial. Par le biais des marchés financiers, à l’importance désormais bien plus que décuplée grâce à la dérégulation financière mondiale, le capital mondial possède une arme stratégique d’une importance et d’une efficacité qui le renforce comme jamais auparavant. Tous les États qui ne se protègent pas au niveau des mouvements financiers, sont désormais extrêmement vulnérables. Étant donné que ce processus est maintenant bien engagé depuis quelques décennies, le volume et la volatilité des capitaux au niveau mondial a atteint des proportions jamais vues jusqu’alors. L’électronique aidant, des sommes spéculatives de l’ordre d’un budget public national peuvent apparaître ou disparaître en une fraction de seconde. Là aussi, les dysfonctionnements économiques liés à ce processus sont proprement gigantesques. Les crises financières mondiales ont bien évidemment refait leur apparition, mettant à bas les économies réelles à chaque fois.


Comment les États pourraient-ils négocier avec une ligne informatique anonyme ?


Les avantages stratégiques, pour les classes dominantes, en valent la peine. Les possibilités de spéculation ont pris une dimension inédite. Mais surtout, les marchés financiers dérégulés, énormément agrandis, sont devenus la quintessence du fonctionnement profond du capitalisme, où l’argent semble faire magiquement de l’argent, où toutes les positions sont immédiatement réversibles, où seule fonctionne sans entrave une pure logique de marché. Ils représentent, face aux États, les exigences du capital mondial, sans que les États ne puissent rien négocier. Comment négocier avec une ligne informatique anonyme ? Cette place forte, totalement en dehors des interventions étatiques pour les pays qui ont accepté la dérégulation, représente le syndic du capitalisme mondial, exigeant des pays toutes les réformes de structure qui avantagent au maximum les possibilités de spéculation sauvage. Si elles ne sont pas exécutées assez profondément ou rapidement, alors les capitaux se retirent massivement, déstabilisant budgets publics et économie productive.

Le rapport de force, là aussi, radicalement dégagé de toute contrainte nationale, est incroyablement favorable au capital. De la même façon qu’un État pourrait se libérer du libre-échange, un État qui déciderait de supprimer la libre circulation des capitaux pourrait facilement se dégager de cette invraisemblable contrainte antidémocratique et viscéralement antinomique avec la politique au sens fort (impliquant que les sociétés choisissent leur cadre institutionnel et leurs contraintes propres). Mais, là non plus, ni la gauche, ni la droite, ni même le FN ne propose de mettre fin unilatéralement (comme la démocratie et le bon sens l’exigent) à cette incroyable libre circulation des capitaux, en conjonction avec le libre-échange généralisé, à cette mise sous tutelle des institutions par le capital mondialisé.


Ces deux piliers sont donc étroitement corrélés, l’un soutenant l’autre, et les deux allant dans le même sens.


Plus aucun rapport de force démocratique ne peut plus contraindre le capital à faire la moindre concession fondamentale. C’est la fin de la politique et partant de la possibilité même des processus démocratiques, ce qui était, rappelons-nous, l’objectif fondamental du néolibéralisme en tant que stratégie du capital face à la menace démocratique des années d’après-guerre. Ces deux piliers sont donc la source fondamentale des transformations institutionnelles qui ont fait passer le capitalisme d’une forme soumise à des pressions démocratiques, à une nouvelle forme presque totalement dégagée des contraintes politiques et nationales. C’est le secret de son pouvoir décuplé, ce pourquoi nous avons apparemment mystérieusement subi plus de trois décennies de reculs sociaux continus. Sans que plus un seul rapport de force ne puisse faire fléchir le capital. Sans ne plus pouvoir obtenir la moindre conquête sociale substantielle, subissant la déconstruction méthodique de tout ce que nous avions collectivement eu tant de mal à obtenir.

Tous les responsables syndicaux et politiques qui ne proposent pas une rupture radicale, immédiate, unilatérale, avec ces deux piliers fondamentaux du capitalisme néolibéral sont objectivement passés du côté du capital, contre le travail, et contre la démocratie. Ils doivent être combattus pied à pied et remplacés sans états d’âme.

 

V.- Les traités internationaux et les institutions supranationales, assurance-vie du capital pour éviter le retour des processus démocratiques nationaux, avec l’Union européenne comme chef-d’œuvre

Il reste le troisième pilier, celui qui constitue la garantie juridique et politique pour le capital que l’on ne puisse plus toucher aux deux premiers piliers vitaux pour lui, qui lui garantissent sa force non seulement retrouvée mais décuplée. Il s’agit des traités internationaux et des institutions ad hoc qui servent exclusivement à exécuter ces traités néolibéraux. Ils imposent, à tous les pays qui les signent et qui entrent dans ces institutions supranationales, les contraintes de fer de la dérégulation commerciale et financière, ainsi que tout le programme du néolibéralisme (nous nous sommes ici tenus à l’essentiel). La réalisation la plus radicale et la plus aboutie de ce projet est bien évidemment la fameuse « Union » européenne.


Quelle étrange « union » que celle qui impose à ses membres la seule et unique concurrence dérégulée comme moyen exclusif de collaboration économique.


C’est en fait bel et bien une union. Mais celle des classes dominantes européennes contre les peuples des pays européens. Avec la complicité de la très grande majorité des milieux politiques dirigeants et des élites médiatiques, universitaires et syndicales. Ce beau monde est unanime pour ne surtout pas proposer de démanteler l’accumulation de traités et d’institutions « indépendantes » (des pressions démocratiques) imposant à tous les membres de « l’Union » ces piliers de la dérégulation commerciale et financière, aux vertus si particulières que nous venons de grossièrement résumer. Ils se sont révélés à l’usage totalement incompatibles avec la démocratie, et c’est évidemment ce pourquoi ils ont été conçus et mis en œuvre. Mais les institutions européennes (à l’image de toutes les institutions supranationales néolibérales, comme l’OMC ou le FMI), rajoutent à ce projet déjà radical de suppression de la possibilité de la politique, toutes les tares antidémocratiques spécifiques des traités internationaux et des institutions supranationales, venant autant compléter que garantir les deux premiers piliers.

Rappelons que les traités internationaux ont pour caractéristiques d’échapper aux aléas de la vie démocratique liés aux alternances politiques et aux rapports de force démocratiques nationaux.

Ils ont été conçus pour cela, à l’origine pour des raisons rationnelles, seules solutions envisageables pour traiter de problèmes spécifiques comme le règlement des conflits internationaux ou le statut des territoires non étatiques (océans, zones polaires, espace). Il est bien évident que si le moindre changement politique interne remet en cause à chaque fois l’accord, souvent multilatéral, signé et ratifié selon une procédure longue et laborieuse, il ne servait à rien de signer un traité. C’est ce qui lui garantit une stabilité institutionnelle contraignante bien supérieure aux lois, comparable en cela aux constitutions. C’est pourquoi on les réservait auparavant à ces sujets bien spécifiques, toutes les autres questions ne relevant que de chaque État souverain et devant se régler selon des procédures politiques et démocratiques, donc nationales. C’est ce qu’ont bien compris les classes dominantes.

Si elles parvenaient à inclure dans cette procédure non démocratique et au moins aussi stable qu’une constitution, les principes et contraintes du néolibéralisme, alors les deux piliers cardinaux qui ont chassé la démocratie comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, seraient à l’abri de tout retour en arrière facile, de toute pression démocratique ou électorale classique. À moins bien sûr de dénoncer un traité, ce qui est toujours possible, mais coûteux en termes de relations internationales.


Le très sophistiqué labyrinthe institutionnel de l’Union européenne.


Mais la stratégie européenne est bien plus complexe qu’une simple accumulation de traités. Elle a bâti autour des traités néolibéraux un vaste assemblage institutionnel ad hoc, conçu tout exprès pour traduire les traités néolibéraux en contraintes légales. Sans que ces institutions aient bien sûr le moindre pouvoir de changer une virgule des traités. Puisque ces institutions supranationales n’émanent pas d’une nation souveraine ou d’une constitution (ce qui revient au même, seule une nation étant légitime pour détenir la souveraineté constituante), elles ne peuvent être réputées représenter et former la volonté générale d’une communauté de citoyens souverains collectivement. Elles ne sauraient donc produire directement des lois. Mais elles dirigent néanmoins (par la BCE) la politique monétaire pour les pays inclus dans l’euro pour leur malheur, avec pour seule directive de juguler l’inflation, sans aucune courroie de transmission avec le moindre processus démocratique. Elles surveillent (par la Cour de Justice européenne) de manière pointilleuse le régime général de libre-échange, créant du contentieux juridique avec les États qui osent y contrevenir, et toujours sans obéir à des lois en bonne et due forme, créant donc du droit plutôt que de l’appliquer.

Et elles concoctent dans une parodie de « parlement européen » (comment un parlement sans État, sans peuple souverain, sans initiative de la loi, pourrait avoir le moindre sens ?) les directives qui devront impérativement être traduites en autant de lois nationales. Elles tiennent donc les parlements nationaux en tutelle, ce qui est pourtant radicalement contradictoire avec les principes de base de l’État de droit, et avec toute logique démocratique.

Cette patiente construction vise donc à dissoudre les souverainetés nationales en les doublant par d’autres institutions posées comme supérieures en droit (la hiérarchie des normes pose les traités au-dessus des lois, et désormais nos propres constitutions incluent ces mêmes traités), inatteignables aux rapports de force démocratiques, libres de toute conséquence découlant des alternances électorales. Comme l’Union européenne s’est faite très progressivement et n’avait pas besoin de détruire formellement pour cela les institutions spécifiques de l’État de droit, les populations ont eu le temps de s’habituer à cet environnement institutionnel singulier que l’on ne présentait jamais comme antidémocratique, et ne se sont aperçues des changements radicaux que cela produisait que bien plus tard. Une fois qu’étaient déjà formellement ratifiée une série de ces fameux traités internationaux et qu’ils étaient insérés par tout cet assemblage d’institutions supranationales toujours présentées comme la garantie de la paix sur le continent (sans jamais pour autant apporter le moindre argument, et pour cause). Cet aspect discret, complexe, dissimulé et progressif de ce piège antidémocratique est toute la beauté de la chose pour les classes dominantes européennes, échaudées par les retours de manivelle traumatisants après leur soutien aux procédures antidémocratiques fascistes.


Voilà donc le tableau succinct des trois piliers stratégiques de la mondialisation néolibérale, le piège le plus efficace et subtil jamais concocté par les classes dominantes pour échapper aux rapports de force démocratiques.


Tout cela en bénéficiant toujours de la légitimation du droit et de l’action des États, qui restent donc indispensables pour cette raison, garantissant la paix sociale et l’ordre juridique. C’est la martingale rêvée pour les capitalistes, le beurre et l’argent du beurre. Avec le soutien indéfectible de la gauche et de la droite. Un meurtre parfait de la démocratie. Mais si on ne sait pas qu’elle est morte, comment punir le meurtrier ?

Pour restaurer la démocratie en démondialisant, il faut disposer d’un programme réaliste. Le Parti de la démondialisation l’a conçu et le propose aux citoyens. Il est le seul parti politique qui propose à ses concitoyens un démantèlement radical de toutes les institutions néolibérales qui ont supprimé les processus démocratiques à la racine. Puisque les classes dominantes ont été assez subtiles pour laisser subsister les processus électoraux et les institutions de l’État de droit, il faut s’en emparer pour restaurer les conditions institutionnelles qui seules permettent la démocratie.

Il faut le faire tant qu’il est encore temps et que nous avons encore le souvenir de l’époque où nous étions collectivement souverains, afin de déclencher ce sursaut commun, un vaste mouvement politique de restauration de la démocratie. Puisqu’il s’agit de partir à la reconquête de l’État, il faut disposer d’un programme précis et concret, opérationnel, qui prévoit tous les innombrables obstacles à lever qui se dresseraient immanquablement devant une telle opération. Cela est d’ailleurs tout à fait réalisable pour qui veut bien s’y pencher sérieusement. Nous l’avons fait. Nous disposons de ce programme détaillé.

Pour accéder au programme du Pardem, cliquez ci-dessous :

http://www.pardem.org/programme


Ce programme est indispensable pour trois raisons majeures.


La première est qu’une telle rupture avec l’état actuel de notre ordre juridique, politique et institutionnel, exige un soutien massif et clair de la nation. Pour cela il faut un débat explicite et détaillé en amont de la conquête du pouvoir, afin de bénéficier de toute la légitimité électorale qui sera nécessaire pour réaliser les changements constitutionnels et internationaux majeurs que cela suppose. Un référendum sera bien sûr proposé immédiatement après une éventuelle victoire électorale, pour notamment supprimer de notre constitution le titre XVI qui inclut en son sein le traité de Lisbonne, pourtant refusé dans sa forme précédente, celle du TCE, par la nation souveraine lors du référendum décisionnel de 2005. Mais un référendum ne remplace pas l’accord majoritaire de la nation lors des élections nationales soutenant un programme politique proposant une procédure précise de sortie des institutions européennes. Les deux permettent au parti politique chargé de réaliser cette rupture vitale de pouvoir s’appuyer sur une très claire et indispensable légitimité démocratique. Les deux garantissent aux électeurs qu’ils n’entrent pas dans un processus « à la Tsipras » ou « à la gauche de gauche » style Mélenchon : votez pour moi et après je négocierai, donc sans rien préciser de concret et sans s’engager politiquement autrement que sur des objectifs flous et contradictoires. Comme par exemple promettre à la fois de tout faire pour rester dans l’Union européenne, et obtenir « l’arrêt de l’austérité ». Les classes populaires ont pour leur part bien compris que ceux qui n’exigent pas, dès maintenant, la sortie des institutions néolibérales, ne le feront jamais une fois arrivés au pouvoir, et ne font pas ou plus confiance à ces illusionnistes professionnels.

La deuxième raison est une raison pragmatique mais essentielle. Seule l’élaboration d’un programme qui liste précisément la longue série de toutes les actions simultanées et successives qu’impliquent une sortie de l’ordre institutionnel européen permet d’assurer et de vérifier la cohérence et l’efficacité d’une telle entreprise politique.

Comme sa réussite suppose la coordination et la rapidité des premières mesures décisives (comme l’annulation de la dette, la suppression de la liberté de circulation des capitaux, la fabrication de la monnaie nationale, la dénonciation des traités, la nationalisation du secteur bancaire, etc.), elles ne sauraient être improvisées ou présentées à la population et aux pays voisins au dernier moment, en les sortant d’une pochette surprise. C’est-à-dire sans bénéficier pour cela de la légitimité provenant de l’onction électorale lorsque les débats électoraux et donc la victoire électorale ont porté directement sur cet enjeu. Et ici les procédures référendaires sont beaucoup trop longues pour ne pas subir les attaques monétaires et financières immédiates, prévisibles en de telles situations. À côté de l’arrivée au pouvoir d’un parti possédant le mandat populaire pour sortir de l’Union européenne, 1981 ressemblera à une partie de pique-nique. Il s’agit donc de ne pas reproduire les mêmes erreurs.

Il existe une troisième raison pour disposer d’un vaste programme de gouvernement détaillé pour le Pardem. Puisqu’il s’agit de prendre la tête de l’État pour restaurer les principes de l’État de droit et démondialiser, il serait tout à fait stupide de simplement retourner à l’époque précédente, l’État social des décennies d’après-guerre. Certes cela serait déjà un progrès gigantesque par rapport à la tragique situation actuelle. Mais ce serait perdre une occasion historique pour démocratiser l’État et affaiblir très significativement le capitalisme, ce qui d’ailleurs signifie pour bien des sujets la même chose.

Il ne s’agit pas naturellement de tenter une Union soviétique bis. Le contre modèle historique qu’incarne cette tentative de bâtir un capitalisme d’État, autoritairement centralisé, sans inclure la nécessité de le démocratiser, est l’antithèse de notre projet. Il s’agit encore moins de bâtir une Corée du Nord, isolée du reste du monde.


La démondialisation ne signifie absolument pas l’autarcie, projet qui serait aussi fou que ridicule.


La coopération avec tous les pays qui résistent au néolibéralisme, comme par exemple une partie de l’Amérique du Sud, est bien entendu un objectif qui tombe sous le sens.

Mais les échanges commerciaux et de tout ordre sont aussi à prévoir avec tous les pays voisins et autres. La France fait partie des dix premières puissances économiques, et tous les principaux pays occidentaux, tout aussi hostiles soient-ils à un tel projet, seront bien obligés de commercer avec nous. Et nous aussi. Seulement nous serons de nouveau capables d’imposer nos conditions pour les importations, comme tous les pays souverains et les puissances commerçantes qui ne se sont pas lié les mains dans le piège du « libre-échange ».

En outre, il est plus que probable que si un tel projet aboutit, il impulsera une dynamique similaire dans les pays enferrés dans le piège antidémocratique de « l’Union » européenne. Nous aurions donc à terme des partenaires réels, avec qui nous pourrions non seulement commercer, mais encore coopérer économiquement, ce qui est impossible depuis des décennies dans le cadre de « l’Union » européenne.

Ceux, à gauche, qui condamnent les projets de sortie de l’Union européenne parce qu’ils seraient des projets de « repli sur soi » marchent sur la tête. C’est l’UE et ses mécanismes automatiques de concurrence dérégulée comme unique moyen d’échange économique entre pays européens qui provoque les réactions de repli sur soi nationalistes, comme celles sur lesquelles surfe le FN, et que ce dernier entretient soigneusement. Ceux qui veulent à tout prix conserver les institutions européennes, et ce au prix de la démocratie, piétinent de surcroît l’internationalisme réel, celui qui laisse la possibilité aux pays souverains de coopérer pacifiquement, et aux nations qui ont mis à la tête de leurs États des formations politiques progressistes, le moyen de renforcer leur émancipation par une collaboration étroite entre elles, comme tentent de le faire les nations sud-américaines les plus avancées. Ceux qui, comme le Pardem, à l’opposé du FN, ne confondent pas le nationalisme avec le concept politique de nation, la souveraineté avec l’égoïsme national, et qui proposent de restaurer les processus démocratiques et le démantèlement du néolibéralisme, sont les seuls à proposer une solution réaliste pour permettre à nouveau la coopération internationale.