Mort du fret SNCF : la concurrence l'emporte sur l’environnement

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Fret SNCF

 

par Patrick Serre, membre du Bureau politique du Pardem, 

L'Union européenne est le miroir aux alouettes de celles et ceux qui croient encore aux bienfaits environnementaux de cette structure supranationale Afin d'éclairer ceux qui, en confiance, continuent à présenter l'UE comme « verte », le mieux est toujours de s'appuyer sur des faits concrets et à partir d'un exemple clair : le transport marchandises par le fret ferroviaire.  
Pour mieux comprendre, remontons le temps entre le rapport de la Cour des comptes, dont Pierre Moscovici vient de faire état ces jours-ci sur le fret ferroviaire, et l'historique de la SNCF, dont le fret.

La SNCF est créée le 1er janvier 1938 (convention du 31 août 1937). Société anonyme d'économie mixte dont l'État possédait 51% du capital, passée en 1983 sous le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial (Épic).
Cette entreprise d'État intégrée est propriétaire, gestionnaire et exploitante du réseau, donc du trafic voyageurs et de marchandises. Cette situation va perdurer jusque dans les années 1990.

L’ouverture à la concurrence du transport fret sous l’impulsion de l’UE

« Les transports sont un des principaux éléments constitutifs du marché unique européen. Ils permettent la libre-circulation des personnes et des marchandises et tendent à être libéralisés et organisés à l’échelle du continent ».
(https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/les-transports-dans-l-union-europeenne/)

En quelques mots : libre circulation des personnes et des marchandises, libéralisation, organisation supranationale et non plus nationale ; tout est dit, nous sommes entrés dans la mondialisation néolibérale.

Dès les années 1990, ce désossement annoncé du Fret puis de la SNCF entière avait bien été compris par les cheminots et leurs syndicats. Rappel : la CGT d'alors n'était pas encore membre de la Confédération européenne des Syndicats (CES). Ce ralliement à la cause libérale ne viendra qu'en 1999.

•    Dès 1991, la directive européenne 91/440 bien connue des cheminots à l'époque, définit une nouvelle politique des transports ferroviaires. Cette directive européenne demandait notamment aux États de réduire l’endettement des compagnies ferroviaires avant l’ouverture à la concurrence. La France a alors choisi de transférer une grande partie de la dette à Réseau ferré de France (RFF) devenu SNCF Réseau (1997).
•    En 1995, une nouvelle directive définit les conditions d'attribution de licences ferroviaires et d'attribution de sillons (créneaux horaires de circulation des trains). L'ouverture matérielle à la concurrence se met en place.
•    1996 : parution du premier livre blanc de l'UE.
•    1997 : la compagnie nationale est scindée en deux : Réseau ferré de France et la SNCF. RFF propriétaire du réseau (de l'infrastructure) puis SNCF Réseau (qui gère ce réseau) et SNCF Mobilités (qui exploite et commercialise les transports).
•    2001 : Premier paquet "infrastructures" de l'UE puis deuxième livre blanc
•    le 15 mars 2003, le transport de marchandises (fret) a été ouvert à la concurrence à l’international
•    2004 : le deuxième "paquet / ouverture à la concurrence pour le fret national
•    le 13 juin 2005 : circulation du 1er train privé de fret en France
•    2006 voit cette ouverture se généraliser.

Par peur de la réaction populaire, l'ouverture à la concurrence s'effectue toujours sous le même schéma et prend un peu de temps :
•    1. Un pseudo état des lieux arguant de difficultés réelles et toujours empreint de visées "environnementales" et "d'assainissement" financier qui constituent perpétuellement les deux faces de l'offensive néolibérale. Bien sûr les endettements de certaines entreprises nationales sont une aubaine, sans qu'à aucun moment il ne soit indiqué d'où provient cet endettement et comment y remédier en dehors du marché.  
•    2. Des livres blancs qui expliquent tout cela en détail et préconisent des orientations et mesures à prendre.
•    3. Des directives européennes qui fixent des diktats aux Etats pour mettre en œuvre les préconisations du livre blanc, délai (2 à 3 ans maxi) pour transcrire dans le droit national la directive. Seule une discussion au parlement peut exister, le référendum émanation de la position du peuple n'est pas envisageable !
•    4. Application effective de l'ouverture à la concurrence, avec notamment l'obligation de scinder la propriété du réseau d'avec sa gestion, son exploitation et sa commercialisation. Pour la SNCF = RFF et SNCF.   
•    Pour le ferroviaire l'ouverture se fait d'abord pour le trafic international (européen) puis pour le trafic intérieur (Fret).
Idem pour  les voyageurs, mais le sujet étant plus sensible pour les citoyens que le Fret , on passe  après l'international aux TGV et aux intercités, puis seulement après aux TER (régions) et enfin à l'Île-de-France.

Quelles raisons environnementales ont pu étayer ces choix de l'UE ?

Aucune. Cela n'a jamais été l'objectif !
Mais alors quels sont les buts poursuivis par l'UE avec ces attaques contre les "monopoles" d'Etat ? (SNCF/ EDF/ PTT... ) Tous désossés de la même manière.
•    Axe central de la mondialisation néolibérale : le libre-échange et donc la libre "concurrence". Bien évidemment l'UE grave ces préceptes dans son fonctionnement et surtout édicte des directives qui vont s'imposer aux États membres et faire sauter le verrou des entreprises nationalisées. C'est donc, en France, tout l'acquis du CNR qui est visé avec la remise en cause de l'appartenance des grands moyens de production à la nation. Il faut "casser" cette spécificité française du SERVICE PUBLIC.
•    Dans le même temps, cela permet de remettre dans la sphère privée, donc capitaliste, des masses considérables d'argent qui étaient jusqu'alors gérées par l'État et basées sur une certaine solidarité.
•    Autre intérêt de libéraliser ces entreprises nationales : remettre en cause de fait, à terme, tous les régimes spéciaux des agents y travaillant, fruits des conquêtes sociales, des luttes syndicales fortes dans ces entreprises. Casser les "bastions" syndicaux et en même temps niveler par le bas (régime général) le droit du travail.

C'est tout bénéfice pour le capital ! Pour l'environnement il faudra attendre

Pourtant, disent toujours les Verts européistes, rien d'incompatible avec une politique environnementale ! L'ouverture à la concurrence permettra de développer le fret au détriment de la route puisque les nouvelles entreprises privées vont transporter moins cher que Fret SNCF et ses lourdeurs !

Faux si l'on fait un état de la situation :
•    En 1970 : SNCF transportait 67,6 Milliards de tonnes kilomètres (MTK mesure du transport fret), soit environ 50% de la part du transport de marchandises. Aucun entrant privé alors.
•    En 2000 : SNCF 55,4 MTK
•    En 2010 : ce chiffre baissait à 22,8 MTK. Le ferroviaire représentait environ 25% du transport de marchandise avec quelques nouveaux entrants privés.
•    En 2019 : 16,7 MTK. Le ferroviaire représentait 9% de la part du transport de marchandises avec une dizaine de sociétés privées.

Premier constat sans appel : le volume de marchandises transportées par le rail sur le réseau français a chuté de plus de 50% en à peine vingt ans de libéralisation prônée par l'Union Européenne. Un exploit ! Le nombre d'agents du fret à la SNCF est passé de 25 000 en 1994 à moins de 5 000 en 2023.
Échec d'une orientation de l'UE pourraient rétorquer des écologistes, mais pas du tout au contraire ! Car dans le même temps, la part de marché des nouveaux entrants, concurrents de Fret SNCF, est passée de 11% en 2008 à près de 32% en 2011 et 40% en 2020.

Où est passé ce volume de marchandises quand on sait que les flux transportés sont en augmentation constante ? Il est passé au transport routier qui s’est développé à un rythme équivalent à la baisse du fret ferroviaire, selon le principe des vases communicants. À noter que la SNCF, à travers sa filiale Géodis, est l’acteur principal du transport routier.

La boucle est bouclée. Vive la concurrence libre et non faussée. L'environnement dans tout cela est une vue de l'esprit pour ceux qui pensent encore qu'il s'agit d'une préoccupation politique vertueuse de l'UE et des pays vassalisés à celle-ci comme le nôtre.
 
Il faut reconnaître qu'en matière de communication l'environnement n'est jamais oublié. Le dernier plan gouvernemental pour le ferroviaire (24 février 2023) est un modèle de trompe l’œil : « Enfin, nous n’oublions pas le transport de marchandises, qui représente une part importante des émissions du secteur.
Nous avancerons dans sa décarbonation par la modernisation du réseau ferré, bien sûr, mais aussi des investissements pour la régénération du réseau fluvial, pour la modernisation des grands ports et en facilitant les connections entre les différents réseaux »
. 6 lignes sur un discours de plus de 20 pages !
Objectifs affichés de l'État : un grand plan vert pour le ferroviaire, enfin nous allons y arriver !
Doubler d'ici 2030 la part du trafic ferroviaire de marchandises : à aucun moment il n'est écrit qu'il est réalisé par Fret SNCF. D'autant que doubler 9% ne fait jamais que 18% c'est-à-dire revenir à la part du fret en 2019 !
Doubler d'ici 2050, même raisonnement que ci-dessus, 25% ce serait revenir au niveau des années 2000 !  
Avec quels moyens ? 100 Milliards d'euros d'ici 2040 pour le réseau. Ceux qui sont perspicaces auront compris que cette somme n'ira pas uniquement au trafic fret mais aussi au trafic voyageurs. 5,9milliards par an quand dans le même temps ce gouvernement annonce 413 milliards sur 7 ans soit 59 milliards par an pour le budget militaire.

2023, l’UE continue son dépeçage

La meilleure arme de destruction massive est connue et utilisée : la Commission européenne qui s'intéresse au soutien dont a bénéficié Fret SNCF sur la période 2007-2019, et en particulier à l'annulation de sa dette de 5,3 milliards d'euros intégrée à la dette de la holding du groupe SNCF lorsque celui-ci a été refondé début 2020 en application de la dernière réforme ferroviaire.
La Commission va déclarer ces aides illégales car non conformes aux règles de l'UE en matière d'aides d'État, ce qui va provoquer automatiquement la faillite de Fret SNCF, incapable de rembourser.
Macron, jamais à court d'idées libérales avec son gouvernement, propose donc de céder à des concurrents les "trains dédiés". Ces trains de marchandises réguliers, affrétés par des clients uniques, représentant encore 30% du trafic et 20% du chiffre d'affaires de Fret SNCF (750 millions d'euros environ). Trains simples à produire, simples à gérer, sans trop de personnel : une aubaine pour le privé et ses opérateurs ferroviaires.

Bilan : d'ici peu Fret SNCF va disparaître et le volume de trafic ferroviaire par fer continuera de décroître dans notre pays, au bénéfice de sociétés privées qui ne cherchent qu’à maximiser leurs profits, et du transport routier en contradiction avec tous les discours sur la protection de l’environnement.

Revenir à un service public du transport qui prenne en compte la protection de l’environnement.

L’Union européenne et ses États membres continuent dans leur marche en avant, guidés par leurs mantras religieux de la concurrence et du marché unique. Il nous faut continuer inlassablement à dénoncer ceux qui se sont succédé depuis plus de 30 ans au pouvoir, de tous bord, baissant pavillon sous le diktat de l'UE via ses directives, qui trompent sans vergogne les citoyens qui s'émeuvent des problèmes environnementaux mais ne font pas le lien entre une véritable politique écologique, sociale et nationale qui remettrait en cause les dogmes néolibéraux dans lesquels ils sont englués.

La libéralisation forcenée qui a été engagée depuis plus de trente ans dans le cadre de l’Union européenne montre que la concurrence appliquée aux entreprises de réseau qui opèrent sur un monopole naturel (transport, énergie, télécommunications) est moins efficace que l’exploitation par un seul opérateur.

Il faut revenir à des opérateurs publics qui développeront leurs activités au service des populations, en prenant réellement en compte les impératifs environnementaux et sociaux.
Les citoyens doivent avoir leur mot à dire pour définir les besoins et contrôler la mise en œuvre de solutions efficaces. Car au-delà des échéances électorales, il s'agit bien de faire en sorte que le peuple lui-même prenne les choses en main et arrête de les déléguer à celles et ceux qu'il élit tous les cinq ans. Cela ne suffit plus, cela ne fonctionne plus, cela montre de plus en plus son inefficacité et sa dangerosité.

Le Pardem appelle à sortir de la mondialisation libérale, à conquérir la souveraineté populaire et nationale, pour plus de justice sociale et établir des coopérations internationales solidaires. Il appelle à redonner au peuple sa place dans la démocratie. Il appelle à la mise en place de comités locaux de lutte pour agir et réfléchir collectivement au programme politique de changement radical nécessaire et aux nouvelles structures publiques qui lui permettront d'être efficace et au service des besoins sociaux et environnementaux.