Le 06-07-2021
Les élections régionales et départementales de juin 2021 ont une signification politique majeure. Plus de 31 millions de Français, sur 48 millions inscrits, ne sont pas allés voter ! Sur ces 48 millions d'inscrits (chiffre qui passe sous silence les 3 à 4 millions de non ou mal inscrits), seuls 34,58 % se sont déplacés le 27 juin, et 33,27 % au premier tour le 20 juin dernier. Ce qui signifie que 65,42 % des électeurs inscrits au deuxième tour, et 66,73 % au premier tour, se sont abstenus avec une constance qui en dit long. Cela atteint même près de 70 % si l'on inclut les votes blancs et nuls. Un record absolu pour de telles élections qui, avec les municipales, sont censées être des élections de proximité. A noter que les jeunes de 18 à 24 ans se sont abstenus à 87 %, et que les jeunes adultes de 24 à 32 ans se sont abstenus à 83 % !
Bien entendu les macronistes, qui plafonnent à moins de 7 % des voix exprimées (et donc à 2,6 % des inscrits !) expliquent leur score minable parce qu'il s'agirait « d'élections locales sans signification nationale ».
Les raisons de cette abstention sont sans doute multiples, mais elles tiennent beaucoup au rejet des réformes de décentralisations adoptées à marche forcée depuis 40 ans, sous l’impulsion de l’Union européenne, et à l’absence de perspectives des partis tous ralliés à l’eurolibéralisme.
Les citoyens seraient-ils prêts à s’organiser pour regagner leur souveraineté ?
La classe dominante, par les médias et par son système politique, tente de créer un rideau de fumée pour cacher le problème politique de fond : la crise de légitimité de son pouvoir et de son régime politique qu’exprime l’abstention qui ne cesse d’augmenter depuis ces dernières années.
Elle avance des raisons techniques : débats électoraux pas assez présents dans les médias, campagnes électorales “minimales” à cause du Covid, scandale, bien réel, de la non distribution par une société privée des professions de foi, qu’elle a elle-même choisie, peur du Covid, etc.
Pour les dominants, cette explication a l’avantage de dépolitiser l’abstention, d’exonérer sa classe politique de toute responsabilité et de focaliser l’attention sur la recherche de solutions “techniques”. Ainsi a-t-on entendu, dès le dimanche soir, les enfumeurs proposer le vote par internet, l’abaissement de l’âge de la majorité à 16 ans, le vote obligatoire avec menace d’amendes pour les abstentionnistes…
Très vite, les commentateurs ont versé dans le mépris du peuple. Ainsi les électeurs auraient été incapables de saisir l’enjeu de ces élections et auraient perdu leur capacité à être des citoyens. Alain Duhamel, qui ose encore l’ouvrir, ne déclarait-il pas sur LCI « L’abstention signifie l’inadaptation des Français à la vie politique ». Cette rengaine du sous-développement des électeurs avait déjà été serinée en 2005 pour mépriser le vote “NON” à 54,6% au Traité sur la constitution européenne et faire adopter le Traité de Lisbonne par les parlementaires ! Bref, le peuple n’est pas éduqué : soit il vote mal, soit il ne vote pas ! Il faudrait donc faire preuve de grande pédagogie envers ces citoyens de seconde zone qui s’habillent de jaune, fument et roulent au diesel… On retrouve là le discours suffisant qui justifiait jadis le suffrage censitaire, avant les grandes luttes populaires pour le suffrage universel. Déjà pour les dominants de l’époque, seuls les riches avaient la capacité de choisir rationnellement les élus… Il faut aussi se souvenir des arguments contre le droit de vote des femmes : elles auraient été insuffisamment intelligentes et éduquées pour peser sur la destinée du pays…
L’enfumage est donc clair ! Il s’agit de masquer les causes politiques, économiques et sociales pour promouvoir de pseudo raisons culturelles et techniques afin de perpétuer le système.
Si l’on comprend que tous les partis du système participent à cette opération, car ils en sont tous complices, personne ne peut croire que 31 millions de Français, auxquels il faut ajouter celles et ceux qui ont voté nul ou blanc et celles et ceux qui sont mal ou non-inscrits, sont des pêcheurs à la ligne du dimanche qui se désintéressent de la politique ! Ils sont en réalité des pécheurs non respectueux du système !
Régions, métropoles ; le peuple n’en veut pas !
L’abstention massive aux élections régionales et départementales intervient alors que les réformes successives, sous le vocable de décentralisation sensées rapprocher les citoyens des centres de décisions, ont remodelé le paysage institutionnel. Ces réformes tendent dans les faits à valoriser le pouvoir des régions et des métropoles face à l’État et à la nation affaiblis, conformément aux attentes et incitations de Bruxelles. Les citoyens ont compris que les décisions sont prises sans leur accord. La réforme des régions n’a pour eux aucun sens. Elle a, d’une part, généré des surcoûts pour ménager les potentats locaux et les susceptibilités des capitales régionales et, d’autre part, éloigné les citoyens des centres de décision. Il en est de même des métropoles, des communautés d’agglomérations et des intercommunalités forcées. Alors, en toute logique, à quoi leur sert-il d’élire un maire si les décisions sont prises au niveau de l’agglo ? Qui décide de quoi et quelles sont les compétences des échelons territoriaux qui ont été rebattues ? Pourquoi voter pour des représentants au sein de structures qui échappent au contrôle populaire ? Et d’ailleurs, « gérées » par la droite ou par la gauche, qu’est-ce que ça change, concrètement ?
Toujours au nom d’une pseudo rationalité et de la nécessité de réduire les dépenses, les gouvernements successifs ont regroupé les régions (de 22 à 13), des communes ont fusionné, des hôpitaux de proximité ont été sacrifiés au bénéfice d’usines sanitaires. Et un ovni a fait irruption : la collectivité européenne d’Alsace, qui fera modèle pour d’autres. Dans la pratique les citoyens se rendent bien compte que cela signifie moins de services publics, moins de poids des citoyens sur les décisions et les choix politiques.
Et la casse n’est pas terminée ! La prochaine loi 4D (relative à la Différenciation, la Décentralisation, la Déconcentration, la Décomplexification) que Macron et ses parlementaires imposeront rapidement est un pas supplémentaire vers la destruction de l’unité de la nation. Sous le prétexte fallacieux de donner des marges de manœuvre aux élus locaux, elle prévoit davantage de différenciations, des transferts de compétences "à la carte", des expérimentations qui pourront perdurer, tout en prétendant simplifier l'action publique locale. Ce qui se traduira que d’une région à l’autre, d’une commune à une autre, les droits et les services ne seront plus les mêmes, que l’égalité des citoyens français n’existera plus au niveau national.
La claque pour LRem et le RN
Quels enseignements supplémentaires peut-on retirer de ces élections ? LREM recueille à peine 7 % des exprimés, ce qui devrait poser problème à Macron pour la prochaine présidentielle et les législatives. Le RN, lui, recule, car non seulement il ne conquiert aucune région ni département mais il perd des cantons et des conseillers régionaux. Jordan Bardella ne réalise que 10,79 % au deuxième tour en Ile-de-France, alors que le FN en obtenait 18, et 14 % lors du deuxième tour de 2015. Il recule dans à peu près tous les départements. Malgré la propagande éhontée sur les médias, le RN devient un parti comme les autres : européiste, pro-euro et de plus en plus adoubé par le MEDEF. Il ne se présente plus comme un parti « anti-système ». Mais malgré tous ses efforts pour se dédiaboliser », le RN dérape lors d’un débat sur France 2, dimanche 27 juin. Jordan Bardella y déclara « On peut parler quand même, on n’est plus en 1945 » ! Chacun peut méditer pour comprendre le sens de ces propos qui n’ont pourtant été relevés par personne, y compris par Fabien Roussel, secrétaire national du PCF.
La droite classique (LR) reprend espoir pour la présidentielle et on a vu dès dimanche soir dernier les trois présidents de région Pécresse-Wauquier-Bertrand jouer du coude !
La "gauche" miraculée conserve des collectivités au prix d’alliances à géométrie variable dans de nombreux départements et certaines régions (alliances PS-PC mais sans LFI ni EELV, alliances PS-EELV mais sans le PC ni LFI...) Cette situation confuse, ces alliances sans principe, ne peuvent pas masquer les querelles d'egos et les divergences non résolues entre l'axe PS-EELV, LFI, PC, la "gauche radicale", pourtant tous européistes et pro-euro ! Et chacun partira pour la présidentielle… D’autant que, quels que soient ses qualificatifs, la gauche n’a aucune chance de gagner !
Cette abstention massive est d’une importance capitale pour la suite
Le peuple français ne fait plus confiance aux partis politiques du système ni à ses institutions pour changer sa condition. Il refuse de les cautionner en s’abstenant massivement. Il dit non ! Et cela a une importance capitale pour l'échéance de la présidentielle de 2022 ainsi que pour les législatives qui suivront. Les Français sont épuisés et écœurés par un système politicien qui a pour seul but de conserver l’existant, les intérêts des nantis, et qui ne répond à aucun de leurs problèmes vitaux : emploi, salaires, logement, éducation, chômage, Sécurité sociale, transport, etc. Droite, gauche de gouvernement, ou extrême-centre de Macron, rien ne change et la France s'enfonce tous les jours sous les coups de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne de Francfort ! L’abstention exprime l’envie de changement, et l’absence de confiance dans les actuels partis politiques, dans le système de la Ve République, ce régime qui a tant plu à Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande et que Macron n'a pas l'intention de changer ! Cette abstention est en réalité un vote pour un changement radical de régime.
Après la décomposition il faudra construire du neuf
La décomposition politique est donc bien avancée mais pas terminée et la crise économique et sociale qui frappe annonce de nouveaux jours de malheurs pour les classes dominées. Mais un peuple qui refuse de voter à 70 %, qui refuse de s'inscrire dans l'offre politique des partis politiques existants, qui refuse de considérer le RN comme une solution pour l'avenir, est un peuple qui cherche une issue. Au bout du tunnel la lumière encore lointaine est la reconquête de la souveraineté que les gouvernements successifs ont bradée. A partir de la conscience des causes qui engendrent la paupérisation et l’éclatement de la Nation, il n’est pas utopique d’espérer une nouvelle étape : la mise en mouvement des citoyens, la construction d’un rapport de forces favorable à la rupture avec la mondialisation néolibérale et son bras armé qu’est l’Union européenne.
Sans sous-estimer les obstacles, ni passer outre les difficultés, le Frexit devient désirable, possible et réaliste.
A partir d’aujourd’hui, toutes les luttes contre les futures réformes antisociales qui s’annoncent s’inscrivent de fait dans un combat pour la reconquête de la souveraineté du peuple et le rejet des puissances supranationales tout autant que de Macron qui n’est que le serviteur de l’eurolibéralisme.
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