Le 09-02-2025

par Joël Perichaud, secrétaire national du Pardem aux relations internationales
La guerre entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda est passée sous silence par les médias occidentaux. Depuis des années, la population de la région du Kivu subit les attaques et les destructions menées par les rebelles congolais du Mouvement du 23 mars (M 23), soutenu par l’armée Rwandaise, et par l'Alliance fleuve Congo (AFC), coalition politico-militaire de 9 groupes (dirigée par Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante et fondateur du parti «Action pour la dignité du Congo et de son peuple» (ADCP), dont le programme est la transformation de la RDC en un "pays d'affaires". L’objectif annoncé est le renversement du gouvernement de Félix Tshisekedi.
Comme en Palestine, un lent et long génocide se déroule en RDC. Plus de 6 millions de morts depuis 1998 (Amnesty International). Et, depuis quelques semaines, la situation s’aggrave. En effet, les rebelles du M23 et l’armée rwandaise occupent, depuis le 27 janvier 2025, la ville de Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu, en violation du cessez-le-feu qu’ils ont signé avec la RDC. En témoigne le rapport du Groupe d'experts des Nations Unies sur la République démocratique du Congo, daté du 27 décembre 2024, qui résume comme suit les raisons de la violation du cessez-le-feu : « Au Nord-Kivu, un cessez-le-feu conclu entre la République démocratique du Congo et le Rwanda n’a pas empêché la coalition AFC-M23, disposant de l’appui constant de la Force de défense rwandaise (RDF), de s’étendre considérablement, notamment dans le territoire de Walikale, riche en minéraux. La RDF utilise une technologie militaire de pointe qui a assuré la suprématie militaire de la coalition AFC-M23 dans le Petit Nord. L’Angola et le Conseil de sécurité́ ont condamné ces actes, disant qu’elles étaient une violation du cessez-le-feu.
La coalition AFC-M23 a pris Rubaya, qui possède la plus grande mine de coltan (1) de la région des Grands Lacs. Elle a mis en place une administration parallèle, qui contrôle les activités minières, le commerce, le transport et l’imposition des minéraux produits. Au moins 150 tonnes de coltan ont été frauduleusement exportées par mois vers le Rwanda et mélangées à la production rwandaise, donnant lieu à la plus grande contamination jamais enregistrée à ce jour des chaînes d’approvisionnement en minéraux dans la région des Grands Lacs. » (2)
Comme indiqué dans le passage cité ci-dessus, ces massacres ont une raison et un objectif : le contrôle des ressources minières stratégiques que sont le cobalt (batteries lithium-ion), le lithium (batteries rechargeables pour véhicules électriques et les produits électroniques) ou le coltan, surtout utilisé dans la fabrication de condensateurs pour les équipements électroniques et les réacteurs (aéronautique).
D’ailleurs, la Ministre des affaires étrangères de la RDC, Madame Thérèse Kayikwamba Wagner déclarait, le 26 janvier 2025, à une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l’ONU : « De nouvelles troupes rwandaises ont franchi la frontière et ont pénétré en République démocratique du Congo …Nous sommes en présence d’une violation ouverte et délibérée de notre souveraineté nationale. C'est une agression frontale, une déclaration de guerre qui ne se cache plus derrière des artifices diplomatiques.». Et à la BBC, le 31 janvier dernier : « Le Rwanda occupe illégalement la République démocratique du Congo et tente d'orchestrer un changement de régime…Le monde a laissé au Président rwandais Paul Kagame des décennies d'impunité et ne l'a pas tenu pour responsable des violations du droit international…».
Le bilan humain est catastrophique : Le Haut Commissariat pour les réfugiés de l'ONU estime à plus de 400 000 les civils contraints de quitter leur foyer depuis le début de l’année 2025…Qui s’ajoutent aux 4,6 millions de réfugiés dénombrés pour les seules provinces du Sud et du Nord-Kivu ou aux 6,9 millions pour l'ensemble du territoire national.
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés décrit une situation apocalyptique : « Les hôpitaux sont saturés de civils blessés. Les femmes, les enfants et les personnes âgées vulnérables vivent dans des conditions surpeuplées et précaires avec un accès limité à la nourriture, à l'eau et aux services essentiels. Des tirs d’obus aveugles ont forcé la suspension temporaire des activités de sauvetage dans plusieurs zones du Nord Kivu.» .
Responsabilité occidentale
C’est une constante du monde occidental néolibéral : s’indigner et surtout ne rien faire.
Les grandes puissances et organisations ont condamné la nouvelle agression rwandaise. Ainsi, Linda Thomas-Greenfield, l’ambassadrice des États-Unis auprès du Conseil de sécurité a déclaré : « Nous condamnons dans les termes les plus forts les hostilités du Rwanda et du M23 à Goma et les attaques contre Sake » et le Conseil de sécurité a annoncé dans sa déclaration finale : « Nous condamnons le mépris éhonté, en cours, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la République démocratique du Congo y compris la présence non autorisée, dans l'est du pays, de forces extérieures comme rapporté par le groupe d'experts et exigeons le retrait immédiat de ces forces » .
Quant au nain politique en matière internationale et diplomatique, Emmanuel Macron, il appelait à « La fin immédiate de l'offensive du M23 et des forces rwandaises ainsi qu’au retrait de ces dernières du territoire congolais». Un minimum qui ne cache pas la responsabilité des occidentaux. En effet, Le Rwanda et les forces qu’il finance et soutien (M23 et groupes «rebelles» à sa solde), sont dotés d’armes sophistiquées fournies depuis de nombreuses années par les puissances qui se déclarent (en tribune) horrifiés. La preuve ? Le rapport du groupe d’experts des Nations Unies : « Le groupe d’experts a continué de rassembler des preuves sur l’utilisation par le M23 et la RDF de technologies et de matériel militaires sophistiques. La découverte de ces systèmes militaires, clé de la supériorité militaire du M23 et de la RDF (Rwanda Defence Force - Forces rwandaises de défense), sont une autre preuve du soutien extérieur donné au M23 en violation de l’embargo sur les armes.».
Précisons : ce groupe d’experts mentionne, entre autres, l’utilisation de roquettes de 122 mm, de missiles guidés Spike (autonome à guidage thermique) à portée étendue, de systèmes de « spoofing » et de brouillage des signaux GPS (permettant d'entraver la navigation des avions et des drones) de dernière génération…
Pendant la guerre, les affaires continuent
Comme indiqué plus haut le coltan congolais, pillé par le Rwanda et ses affidés est rebaptisé coltan rwandais et commercialisé par ce pays. D’ailleurs, le groupe d’experts des Nations Unies précise que : « la coalition AFC-M23 a exercé le monopole de l'exportation du coltan de Rubaya au Rwanda donnant la priorité au commerce de gros volume et prélevant des taxes importantes. L’extraction frauduleuse, le commerce et l’exportation vers le Rwanda des minéraux de Rubaya ont donc bénéficié à la fois à la coalition et à l'économie rwandaise ». Tiens donc…Et c’est tout ? Non ! Car le coltan «rwandais» est prioritairement acheté par les États-Unis, les puissances occidentales et leurs multinationales. Car le Rwanda est un allié économique et politique indéfectible des États-Unis et de l’Ukraine de Zelensky. Il est vrai que Kagame, en mars 2022, a approuvé la résolution condamnant l'invasion Russe en Ukraine et qu’il est considéré par Zelensky comme un «allié stratégique» en Afrique, «un point d'appui pour la consolidation du soutien à l'Ukraine parmi les pays africains».
Pour gagner en respectabilité, le Rwanda est le troisième fournisseur de Casques Bleus pour les mission de l'ONU (6 000 soldats déployés essentiellement au Soudan et en Centre Afrique). Rappelons-nous que l'ancien ambassadeur du Rwanda auprès de l’ONU Eugène-Richard Gasana, aujourd'hui opposant à Paul Kagame, dévoilait (28 mai 2024) les raisons de cette forte implication militaire au sein de l’ONU : « Le programme de maintien de la paix du Rwanda est très, très vital pour le régime. Il lui donne de la crédibilité et le rend indispensable » (3) et que Phil Clark, chercheur à l’École des études orientales et africaines (SOAS) de Londres expliquait :« Les Rwandais ont compris que le système international était vraiment fragmenté. Ils peuvent amoindrir les critiques du groupe d’experts de l’ONU sur la RDC parce qu’ils savent que l’estime [qui leur est accordée] tient à leur contribution au maintien de la paix. C’est ça que l’ONU veut vraiment. Les experts espèrent une série de sanctions, mais cela n’arrive jamais. Le Rwanda utilise le maintien de la paix comme moyen de pression. ». Mais il n’y a pas que l’ONU pour se rendre utile voire, indispensable auprès des occidentaux, éviter des sanctions et défendre leurs «valeurs». C’était l’objectif du projet «Safety of Rwanda» voté dans par le Parlement britannique en avril 2024. De quoi s’agissait-il ? En bref, d'expulser vers le Rwanda (décrété comme «pays sûr») les migrants de tous les pays arrivés illégalement au Royaume-Uni avec, comme contrepartie, une subvention importante d'un demi-milliard de dollars. Si ce funeste projet a dû être abandonné sous la pression de l'opinion publique, il revient aujourd’hui dans les cartons de Donald Trump. En effet, ce projet est de nouveau à l'étude dans le cadre du vaste plan de déportation massive qu'il compte rapidement mettre en place.
Mais rassurez-vous, l’Union européenne (UE) n’est pas en reste. L’inénarrable Ursula von der Leyen avait prévu des investissements massifs, un accord de partenariat stratégique, des financements militaires avec le Rwanda…avant que ses troupes et supplétifs ne se lancent dans une vaste offensive contre l'armée congolaise dans le Kivu. Gageons que pour l’UE, le génocide perpétré par l’armée rwandaise n’est qu’un fâcheux contre-temps et que le plan prévu pourra se réaliser…avec en prime, l’envoi des migrants illégaux chez Kagame ?
1. Le coltan est un minerai de couleur noire ou brun-rouge dont on extrait le niobium et le tantale. Il est formé par l'association de deux minéraux, la colombite et la tantalite en proportion variable.
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