Le Conseil constitutionnel au garde-à-vous !

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Le Conseil constitutionnel se couche, Macron parle dans le vent,  les Français restent vent debout contre les 64 ans. Plus encore, c’est le régime qu’ils ont désormais dans le collimateur : la Ve République, sa constitution et son chariot d’articles privant de débats et de votes la « représentation nationale ». Mais pas seulement. Les Français ont fait la douloureuse expérience d’être trahis par cette même « représentation nationale » il y a 15 ans. Le désamour et la méfiance s'expriment donc depuis  longtemps. Depuis l’adoption du Traité de Lisbonne en 2008 par le Congrès (sénateurs et députés), les 55% de Français qui avaient voté non au TCE en 2005 l’ont eu mauvaise, très mauvaise. Ce n’est donc pas un hasard si, depuis lors, l’abstention ne cesse de grossir. Puisque que voter ne sert à rien, les « électeurs » se sont mis en grève. Et ils sont de plus en plus nombreux à s’exprimer ainsi à toutes les élections. Peu importe que tout le monde s’en foute, sauf à la marge, ils ne décolèrent pas. Avec la loi Macron (issue rappelons-le des « recommandations de l’Union européenne au service du capital (https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/e021ca56-da8c-11ec-a95f-01aa75ed71a1/language-fr/format-PDF), c’est le pompon. Le sac à dos était déjà bien chargé par les hausses de prix des produits du quotidien, de l’énergie (gaz, électricité, carburant), les salaires gelés, les fermetures d’entreprises et le chômage moins bien indemnisé, mais là c’est l’injustice de plus qui a déclenché la rébellion. Pour le moment et jusqu’au 1er mai, l’intersyndicale tient le coup. On verra pour la suite. Mais ce qui est sûr c’est que le « retour à la normale » n’est pas pour demain. Sous quelles formes ? Bien malin qui pourrait le dire aujourd’hui. Macron, président de lui-même, est seul dans la tempête. Les autres de son camp subiront les dégâts « collatéraux ». C’est certain, cette clique paiera son mépris, son attitude aristocratique, sa suffisance et sa violence.

Nous vous proposons de lire l’article de Jean-Michel Toulouse ci-dessous qui décrypte les arguments fallacieux du Conseil constitutionnel pour valider la loi sur les 64 ans. Utile de se plonger dans les arcanes de la Constitution si, demain et le plus tôt possible, il plaisait aux Français de virer la Ve République et de reprendre la main sur leur souveraineté.

Michèle Dessenne, présidente du Pardem

 

Qui pouvait se faire des illusions sur la décision du 14 avril de ce « conseil » dont on connaît les modalités de désignation (3 membres par le président de la république et les six autres par les présidents du Sénat et de l'Assemblée Nationale) ? Qui pouvait espérer que l'article 10 de la constitution prévoyant une deuxième lecture serait appliqué par Macron ? Qui peut croire, alors que le même Macron s'est empressé - par provocation ou par peur - de promulguer cette loi scélérate dans la nuit du 14 au 15 avril, ne sera pas appliquée ? Qui peut croire encore que ces « sages » grassement payés plus de 15 000 euros par mois sont à un autre service qu'à celui de la classe dominante ? Qui ne voit pas que cette décision est directement dictée par les centres de pouvoir non élus de l 'Union Européenne par l'intermédiaire des fameuses GOPE (Grandes Orientations de Politique Économique) de la Commission européenne ? Qui fait semblant de croire encore que cette loi scélérate sera stoppée sans le blocage total du pays ? Qui encore peut avoir quelque confiance que ce soit en Macron et en cette constitution anti-républicaine et anti-démocratique ? Qui peut enfin penser que la France est en démocratie quand un seul homme, fût-il président de la République, mal élu au demeurant, peut piétiner 80% de la population qui s'oppose à cette loi injuste qui pénalise d’abord les plus exposés à des conditions de travail pénibles et les femmes  ?

Une autre décision était pourtant juridiquement possible

Si les membres du Conseil constitutionnel avaient été d'authentiques juristes respectueux de la constitution et non des politicards recyclés, voici les arguments qu'ils auraient dû mettre en avant :

1- Les détournements de procédure sont avérés car le véhicule législatif utilisé pour réformer le régime des retraites  est inapproprié. En effet, une loi spécifique s'imposait et non le biais d'une loi de financement  rectificative. Ainsi sont modifiées des règles essentielles de notre système de retraite par répartition en camouflant la volonté de le détruire à petit feu via un support législatif qui, comme un Bernard-l'hermite, se dissimule dans les coquilles d'autres crustacés voleurs de coquilles !
Le pouvoir ne se doutait pas que la réplique populaire prendrait l’ampleur que les Français lui ont donnée.

2 - Le conseil constitutionnel fait une interprétation fausse de l'article LO 111-3-12 du Code de la Sécurité Sociale (CSS) car le recul de l’âge de la retraite n'est pas prévu dans cet article. Il y a donc, contrairement à ce que soutient le Conseil constitutionnel, insincérité et absence de clarté dans les objectifs visés par le pouvoir.

3 - Le Conseil constitutionnel fait une application illégitime de l'article 47.1 de la constitution. La procédure accélérée ne se justifie pas. C'est l'article 47 qui aurait dû être utilisé car il n'y a pas d'urgence pour cette « réforme » du fait que le « déficit » est bénin, voire artificiel selon les indications du COR (Conseil d'Orientation des Retraites).

4 - Le Conseil constitutionnel récidive et fait une application erronée de l'article LO 111-3 car le maintien de l’âge de la retraite ne met pas en danger l'équilibre financier de la Sécurité Sociale. De plus, seules les lois de financement de l’année ont le caractère de lois de financement de la Sécurité sociale. Les mesures prises n'auront en réalité d'effets financiers qu'à terme .

5 - La violation de l'article 47 de la constitution existe car il n'y avait aucunement urgence à faire délibérer le Parlement sur cette question.

6 - Le Conseil constitutionnel a fait une interprétation erronée de l'article LO 111.7.1 car les recettes de la Sécurité sociale doivent être discutées avant les dépenses et la Commission mixte paritaire (CMP) ne peut en aucun cas ne pas respecter une loi organique (LO).

7 - Le gouvernement a recouru illégitimement à  la procédure du vote bloqué au Sénat (Article 44.3 de la constitution). Car cela a introduit un manque de clarté et une insincérité du vote du Sénat.

8 - Il y a eu une application inopportune de l'article 38 du Règlement du Sénat (sur les demandes réitérées de clôture des débats par le président, par le président de la Commission sociale du Sénat et par les présidents des groupes). Cette précipitation provoquée constitue un vice d'absence de clarté et un vice d'insincérité des votes. Ainsi les débats ont été bâclés et tronqués par 6 demandes de clôtures  au Sénat.

9 - La procédure d'examen au Sénat a aussi été viciée par une application inappropriée de l'article 44 du Règlement du Sénat concernant les demandes de priorité ou de réserve sur l'ordre d'examen des articles du texte. Ici aussi il y a eu manque de clarté et de sincérité des débats. Le grief est évident contrairement à ce que prétend le Conseil constitutionnel.

10 - Le Conseil constitutionnel rejette indument tous les griefs résultant de la méconnaissance du droit d'amendement des parlementaires, que ce soit au Sénat ou à l'Assemblée nationale ! La mise en œuvre de l'article 44 bis du règlement du Sénat a permis de ne pas discuter de nombreux sous-amendements.

11 - Le gouvernement a foulé aux pieds l'article LO 111.4.3 du Code de la Sécurité sociale. Tous les documents obligatoires n'ont pas été fournis et lorsqu'ils l'ont été, beaucoup étaient faux ou erronés (comme, par exemple, les montants des pensions et le nombre de bénéficiaires).

12 - Le gouvernement s'est rendu coupable de multiples manœuvres d'obstruction et d'empêchement des débats par une application cumulée de tous les articles de « parlementarisme rationalisé », c'est-à-dire de violation de la liberté des débats : articles 44.2,44.3, 47.1, 49.3 ainsi que plusieurs articles des règlements des assemblées. Tout cela a rendu, quoiqu'en dise le Conseil constitutionnel, la procédure législative tronquée, insincère et donc inconstitutionnelle.

13 - Il y a incertitude de l'avis du Haut conseil des finances publiques sur le taux d'inflation et le taux d'évolution de la masse salariale, ce qui rend hasardeuses les projections et évaluations du gouvernement et fausse les « équilibres économiques » présentés par le pouvoir sur les quatre prochaines années.

14 - Pour faire bonne mesure et sauver sa réputation, le Conseil constitutionnel a quand même censuré les « cavaliers sociaux » des articles 2 et 3 de la loi référée, mais ceci aggrave la scélératesse de cette loi et piétine le travail laborieux de LR qui se vantait d'avoir « fait progresser » le texte ! Ainsi il n'y aura pas de mesures de maintien en emploi des salariés de plus de 60 ans ni d'amélioration de l'emploi des séniors, dont on sait que plus de la moitié sont déjà au chômage.

15 - L'article 10 de la loi est manifestement inconstitutionnel, contrairement à ce que nous dit le Conseil constitutionnel. Il foule aux pieds le principe d'égalité résultant de l'article 1 de la constitution et de l'alinéa 11 du Préambule de 1946. En effet, le report de l’âge de la retraite à 64 ans et l'accélération du calendrier de la durée de cotisation requise pour l'obtention d'une retraite à taux plein pour certains salariés constituent bien des ruptures d'égalité des citoyens devant la loi et une violation de l'obligation de l’État en matière de politique de solidarité nationale.

16 - Le Conseil constitutionnel valide tous les mensonges macroniens sur le lien entre allongement de la durée de l'espérance de vie et  recul de l’âge de la retraite, sur le lien entre le maintien de l'équilibre financier de la Sécurité sociale et le report de la retraite à 64 ans. Les rapports successifs du COR le démontrent. De surcroît il accrédite pareillement le mensonge de la préservation de la pérennité de notre système de retraites par répartition, qui n'est pas menacé par l’âge de départ à la retraite mais par l'accumulation des exonérations de cotisations sociales accordées au MEDEF sans aucune contrepartie !
Il s'agit de propagande idéologique et non de droit. Le Conseil constitutionnel viole ainsi tous ses devoirs de garant juridique pour se faire simple bouclier politique du pouvoir macroniste.

17 - Le Conseil constitutionnel valide la destruction de notre système de retraites par répartition en espérant dissimuler ses basses œuvres par quelques concessions, genre pâté d'alouette. Mais cela est loin de compenser les atteintes systématiques faites au droit à la retraite  ni la violation flagrante des alinéas 3 et 11 du Préambule de la constitution de 1946.
Ainsi, la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023, bien que non votée par l 'Assemblée Nationale pour cause d'application du 49.3, malgré 3 saisines du Conseil constitutionnel par l'opposition, a été déclarée constitutionnelle par décision du Conseil constitutionnel No 2023-849 DC du 14 avril 2023.

Enfin, le Conseil constitutionnel dans sa décision du même jour (No 2023-4 RIP du 14 avril 2023), censure le projet de loi demandant un référendum d'initiative partagée sous prétexte que le projet de loi « ne porte pas sur la politique sociale ». L'article 11 de la constitution stipule que le RIP peut être mis en œuvre pour « tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation ».  Force est de constater que nous ne sommes plus dans le droit mais dans une interprétation arbitraire.
Que l’âge légal de départ à la retraite passe de 62 à 64 ans n'est pas pour lui « un changement de l'état du droit ». Que des salariés qui devaient partir à la retraite en septembre 2023 soient contraints d'attendre de longs mois de plus, ce n'est pas une politique sociale de violence à la fin d'une carrière de travail !... Et donc la proposition de loi déposée par le cinquième des députés de l'Assemblée Nationale « ne satisfait pas aux conditions fixées par l'article 11 de la constitution »…  Il n'y aura donc pas de RIP, même si un nouveau texte légèrement modifié sur la forme a été déposé par des parlementaires de gauche sur lequel le Conseil constitutionnel devra donner une réponse le 3 mai. Alors même que la loi est déjà promulguée, ne nous faisons pas d’illusion. La messe est dite !

Que faire maintenant ?

Le pouvoir a utilisé toutes les possibilités que lui offre la constitution de 1958. On constate que ce ne sont plus les défilés « saute-moutons » de République à Bastille ou Nation qui le font plier. On voit bien que tous les appareils répressifs sont à son service : police, justice, médias et bientôt armée !

Maintenant qu'il pense en avoir fini avec cette loi scélérate, Macron et sa clique vont se sentir « autorisés » à poursuivre la basse besogne. Macron va liquider pendant les quatre ans à venir la fonction publique, le reste du Code du travail, les hôpitaux publics, l'Éducation nationale, ce qui reste des indemnités de chômage et de tous les autres conquis datant de 1936 et 1945. Ce serait un retour réactionnaire au début du XXe siècle et c’est précisément ce que veut le  MEDEF. Souvenons-nous des propos de Kessler alors vice-président du MEDEF, en 2007 : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. […] Il est grand temps de le réformer. […] La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le Programme du Conseil national de la Résistance ! » Objectif presque atteint hélas !
Allons-nous capituler en rase-campagne ? NON !
Certes le peuple français peut faire du 1er mai un temps exceptionnel de mobilisation en descendant par millions dans les rues, partout en France. Mais jusqu’à quand tiendra l’unité syndicale ? Le plus longtemps possible nous devons l’espérer tout en craignant que tout ce qui pourrait faire diversion sera utilisé. Concrètement que se passera-t-il donc après le 1er mai pour l’intersyndicale ?
Il subsiste théoriquement un moyen : le blocage du pays et la grève dans toutes les entreprises et services.  Et, en même temps et dans la foulée, les manifestants et les grévistes pourraient aussi décider d’en finir avec cette constitution de 1958 qui ne sert que l'oligarchie et les intérêts des possédants.
Pour organiser ce débat populaire pour une nouvelle constitution et un État social au service du peuple, la création de Comités constituants locaux fédérés au niveau national permettrait à des millions de Français de poursuivre leur lutte sur le fond et de faire peuple politique.

Le peuple français se mettra-t-il en marche pour reconquérir sa souveraineté ? Tout est ouvert désormais.

Jean-Michel Toulouse