Le 16-10-2020
Par Joël Perichaud, Secrétaire national du Parti de la démondialisation chargé des relations internationales.
Le 16 octobre 2020
Les idées et mots du vocabulaire politique dominant ne sont ni fortuits ni vides de sens (1). Ils expriment les rapports de force et les enjeux des luttes sociales en y participant. C’est le cas des mots : séparatisme et ensauvagement. Ces termes ont pour but d’alerter sur des « dangers » contre lesquels il faudrait lutter sous peine de voir disparaître la vie sociale, les « valeurs de la République », la sécurité des citoyens, etc. Selon le procédé, décrit par Orwell dans « 1984 », ils expriment une aggravation de la situation de danger en rendant obsolète l’ancien vocabulaire. Ce (pseudo) danger rendrait nécessaire une politique ferme de défense et de riposte. Dans une situation difficile pour la macronie (crise de légitimité, luttes sociales, lutte des Gilets jaunes, mouvement contre la réforme des retraites, discrédit lié à la gestion de la pandémie de la Covid-19, mouvement massif contre les violences policières, etc.), ces mots annoncent et préparent un durcissement des politiques répressives en désignant de nouvelles cibles pour détourner les colères sociales.
Première partie
Séparatisme
Ce terme n’est pas nouveau. Dans un passé proche, il fut utilisé contre des citoyens français militants indépendantistes des colonies françaises et contre les communistes par le général De Gaulle, lors de son discours de Rennes, le 27 juillet 1947. Lorsque les USA inventent la « guerre froide », les communistes sont désignés comme traitres à la nation, cinquième colonne d’une puissance étrangère, refusant de s’intégrer à la communauté nationale, menaçant l’unité nationale. Le général De Gaulle déclare : «…Mais, si l’unité nationale put être maintenue malgré ceux qui avaient accepté la loi de Hitler, tout le monde sent qu’elle est aujourd’hui et de nouveau en péril. Je dis qu’elle est en péril par le fait d’un groupement d’hommes, dont ceux qui les mènent placent au-dessus de tout le service d’un État étranger. Je le dis avec d’autant plus de force que j’ai moi-même, comme c’était mon devoir, essayé, jusqu’aux limites du licite et du possible, de les attirer vers le service de la France. Oui ! À la Libération, j’avais, avec la Résistance tout entière, jugé qu’il fallait offrir à ces « séparatistes » l’occasion de s’intégrer dans la communauté nationale ».
De Gaulle distingue alors les « vrais Français » des « faux Français » : « En le disant, je m'adresse à tous les vrais Français » poursuit-t-il dans le même discours. Le terme avait disparu…puis brièvement réapparu en 1968 dans la bouche du ministre de l’Intérieur qui dénonçait l’origine allemande de Daniel Cohn-Bendit, avant d’être recyclé par Macron en octobre 2019.
En février 2020, Macron annonce vouloir un plan de lutte contre le « séparatisme islamiste ». A peine nommé, le premier ministre Jean Castex annonce la présentation dès la rentrée d’un projet de loi « contre les séparatismes ». Lors de son allocution à Mulhouse, Emmanuel Macron avait décrit la menace à laquelle le plan et la loi contre « les séparatismes » sont censés répondre : « Dans la République, on ne peut pas accepter qu’on refuse de serrer la main à une femme parce qu’elle est femme ; dans la République, on ne peut pas accepter que quelqu’un refuse d’être soigné ou éduqué par quelqu’un ; dans la République, on ne peut pas accepter la déscolarisation ; dans la République, on ne peut pas exiger des certificats de virginité pour se marier ; dans la République, on ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République, c’est aussi simple que ça ».
Certes il est bien sûr indispensable de défendre la laïcité. Mais l’instrumentaliser pour mieux la trahir ensuite est gravissime pour un président de la République sensé représenter la Nation. Dans le contexte et les débats récurrents sur le foulard à l’école, sur le burkini, la radicalisation, etc., ce qui est aujourd’hui appelé « séparatisme » correspond à ce qui était appelé « communautarisme » jusqu’alors. Le changement de vocabulaire dramatise et montre le passage à un stade supérieur. Car, si le communautarisme concerne surtout des individus, le séparatisme est la cristallisation politique d’une volonté collective, d’une communauté structurée et unie qui veut imposer des revendications politiques contre le corps national et qui est en concurrence directe avec l’État comme producteur de normes.
Mais, comme en témoigne l’association permanente du « séparatisme » aux quartiers populaires dans les discours de la macronie, le terme « séparatisme » a une dimension territoriale. C’est la lignée des discours sur les « territoires perdus de la République » nécessitant une reconquête militaire. La question sociale passe alors par perte et profit !
Dans un contexte où la pandémie de Covid-19 a mis en évidence l’ampleur de la paupérisation qui touche ces « territoires » (nouvelle notion de la novlangue encore) et les colères sociales qu’elle suscite, le discours sur le séparatisme prépare l’opinion à une répression brutale des révoltes sociales possibles dans ces quartiers populaires. La réponse néolibérale n’est pas d’augmenter les salaires ni d’étendre les services publics. C’est un « État fort ». Entendez ici l’État régalien (Police, Justice, Armée). Le roi du « en même temps » détruit systématiquement les services publics et plus largement toutes les politiques de redistribution en renforçant les politiques sécuritaires. Moins d’État social exige alors plus d’État autoritaire.
Affirmer l’existence d’un danger séparatiste, c’est présenter la situation actuelle comme porteuse d’un danger de guerre civile voire même de guerre de religion. « La France est un pays où aucune religion n'est supérieure à une autre. La première des choses que l'on peut faire, c'est d'éviter la guerre civile. Et la pire de toutes : celle née des religions » explique Gérald Darmanin (La voix du Nord -18 juillet 2020) qui insiste sur l’imminence d’un tel danger : « Je pense qu'il y a des faits importants qui démontrent que nous sommes dans un moment de confrontation entre communautés extrêmement violent ». Face au danger d’implosion sociale, toutes les mesures d’exceptions concernant les quartiers et les populations séparatistes apparaissent alors comme légitimes. On pourrait même y percevoir une dilution de la notion de classes sociales au profit du séparatisme…
Le discours sur le danger séparatiste apparaît logiquement « en même temps » qu’une véritable police du vocabulaire tentant d’interdire certaines expressions comme « violences policières ». Le chemin est tracé : le sécuritaire à tout crin, à tout va, sans nuances.
Le néolibéralisme autoritaire est en marche !
Novlangue, suite à venir : Ensauvagement
Note
1. Marx et Engels écrivent : «Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l'un dans l'autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante ». in « L’Idéologie allemande. »
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