Ubérisation des producteurs agricoles

Image
Agriculteurs en colère


La FNSEA a gagné, mais pas tous les agriculteurs, pas les paysans, pas l’environnement, pas les consommateurs !

Après plus d’une semaine de blocages en France, dans la foulée de la mobilisation débutée à l’automne dernier, la FNSEA et le gouvernement sifflent ensemble la fin de la partie. Ils ont négocié un accord qui conforte le modèle agricole dominant, celui qui montre chaque jour un peu plus sa nocivité et son échec pour nourrir correctement la population. Rien n’est réglé et la « juste colère » de nombreux agriculteurs et paysans perdure. Rien n’est fait pour améliorer durablement leurs revenus, pour les protéger d’une concurrence induite par le « marché unique européen » et les traités de libre-échange.  Pouvait-il en être autrement puisque c’est l’Union européenne qui a la haute main sur l’agriculture ?

Le gouvernement a-t-il cédé dans l’urgence aux « syndicats majoritaires » de la profession agricole ou avait-il négocié à l’avance avec la FNSEA ? Toujours est-il que les demandes réelles des agriculteurs et les problèmes structurels restent entiers.
Le maintien du dégrèvement de taxe sur le GNR, les 150 millions d’aide aux éleveurs, les mesures pour relever les seuils d’exonération pour les transmissions, apporteront une petite réponse de court terme non négligeable pour les agriculteurs. La lutte contre la concurrence déloyale, le renforcement des lois Egalim – qui ont prouvé leur inefficacité -, le contrôle sur l’origine des produits, l’inscription dans la loi de la souveraineté alimentaire – sans qu’on sache bien de quoi il retourne - relèvent du vœu pieux sans une remise en cause réelle du système dans lequel les agriculteurs sont englués. Quant à l’assouplissement des règles imposant aux agriculteurs de maintenir des surfaces en prairies et la mise en pause du plan Ecophyto - qui tente sans succès depuis 2008 de diminuer l’emploi des produits chimiques phytosanitaires – et bien sûr la sacro-sainte simplification sont, elles, un mauvais signal. La volonté du gouvernement d’assurer une alimentation saine à la population en engageant une transition vers une agriculture qui respecte les sols et la biodiversité est une illusion. On pouvait s’en douter, on en a désormais la preuve.
Gouvernement et FNSEA sont d’accord (1)  pour ne pas remettre en cause les bases du modèle agricole dominant. Pour la porte-parole de la Confédération paysanne, « L’objectif principal de la FNSEA, c’est de maintenir les volumes de production, pas de maintenir les agriculteurs dans les fermes. Autrement dit : la baisse du nombre d’agriculteurs dans les fermes devient un facteur de compétitivité. » (2) 

Pris à la gorge, ils s’asphyxient

Les agriculteurs, comme les pêcheurs, sont devenus, à l’instar des salariés,  des variables d’ajustement de la mondialisation néolibérale,.
Pris entre le marteau des fournisseurs d’intrants – dont leurs coopératives -, des fabricants de machines agricoles, du Crédit agricole, et l’enclume de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution, les agriculteurs sont ubérisés ; autrefois synonyme de liberté, d’autonomie, le métier d’agriculteur est devenu un métier de tâcheron, d’exécutant au service des multinationales de l’agro-business. Sous prétexte de modernisation, on leur impose des équipements de plus en plus sophistiqués, connectés ; il entre de plein pied dans la « société du numérique » et le monde merveilleux de l’intelligence artificielle. Mais ces équipements coûtent cher, ils imposent de produire plus, moins bien et participent à la paupérisation et à la dégradation des conditions de vies des agriculteurs.

Hypocrisies à tous les étages

Hypocrisie du gouvernement qui dit approuver la colère des agriculteurs alors que les macronistes sont au pouvoir depuis 7 ans et que pendant ces 7 ans rien n’a été fait pour éviter la dégradation de leurs revenus et de leurs conditions de travail. Hypocrisie du ministre de l’Intérieur qui donne des consignes de modération alors qu’il fait matraquer les ouvriers et les Gilets jaunes quand ils expriment leur colère aussi légitime que celle des agriculteurs. Démagogie de « l’exception agriculturale française » ; il faut que le modèle agricole qui nourrit sainement les populations en respectant les sols soit la norme dans tous les pays.
Hypocrisie de M. Macron qui devant les micros fait jouer les muscles de sa mâchoire en prétendant faire plier l’Union européenne et la Commission sur l’accord avec le Mercosur. Lui qui ose dire « qu’il n’aime pas les accords de libre-échange quand c’est la loi de la jungle », comme si la loi de la jungle n’était pas inhérente au libre-échange et au libéralisme, fruit des dérégulations, de la remise en cause de la démocratie et des souverainetés nationales.
Hypocrisie d’Ursula von der Leyen qui annonce des mesures pour « réduire le fardeau administratif des agriculteurs », mais qui ne remet pas en cause les fondamentaux de l’Union européenne. En effet, celle-ci organise la concurrence entre les agriculteurs des pays membres ; concurrence qui va s’accroître avec l’entrée de l’Ukraine dont l’agriculture est aux mains de groupes financiers étrangers au pays. On en a un aperçu avec les poulets et le blé qui entrent déjà dans l’Union européenne sans droits de douane (127% d’augmentation en un an !) au prétexte de la solidarité avec l’Ukraine dans la guerre qui l’oppose à la Russie. Union européenne qui a fait évoluer la PAC, qui à l’origine assurait une protection de l’agriculture grâce à des droits de douane, une régulation des prix et des subventions compensatoires, vers le système actuel où la majorité des aides est attribuée à l’hectare, favorisant les plus grosses exploitations, souvent au mains de financiers. Union européenne qui a la main sur la négociation des accords de libre-échange qu’elle multiplie à l’envi et dans lesquels c’est la filière agricole qui est sacrifiée au profit des entreprises d’automobiles et de service. 
L’Union européenne ne peut être changée de l’intérieur, le libéralisme et la concurrence sont dans son ADN tout comme les traités internationaux. Il faut en sortir !
Hypocrisie de la FNSEA qui prétend défendre tous les agriculteurs quand elle est aux mains des plus gros d’entre-eux, des coopératives qui sont des groupes internationaux dominant les filières amont et aval et imposant leurs règles à leurs adhérents. Comment Arnaud Rousseau, financier plus qu’agriculteur, PDG du groupe Avril, europhile béat, peut-il prétendre représenter les intérêts des petits agriculteurs ? Il n’est pas étonnant que la FNSEA appelle à cesser les blocages quand le gouvernement accède à ses demandes qui confortent le modèle dominant de l’agriculture industrielle.
Pas étonnant que la Confédération paysanne continue la lutte, elle qui estime que l’on a pas répondu à ses revendications.

Sortir du modèle libéral dominant

Pour que l’agriculture joue à plein son rôle, il faut qu’elle redevienne vivrière, assure une véritable souveraineté alimentaire pour les citoyens et ne soit pas obsédée par l’exportation. Il faut mettre en œuvre les techniques culturales de l’agroécologie. Il faut fixer des prix planchers et mettre en œuvre un protectionnisme qui protège nos agriculteurs et leurs productions, leur permette de vivre de leur travail par une fixation des prix en dehors du marché.
Oui Il faut la sortir du marché unique européen qui organise la concurrence entre les paysans des pays de l’Union européenne. Il faut sortir de l’Union européenne, rétablir notre souveraineté nationale et alimentaire qui, quoi qu’en disent M. Attal et M. Macron, est incompatible avec l’Union européenne. 

Notes

1 - « Les protestations des agriculteurs ne relèvent pas du désordre, mais du rituel » Fabien Jobard dans Le Monde.fr       
      
2 - « Si ça va mal dans les fermes, c’est à cause du manque de revenus, pas des normes » Entretien avec Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne dans Alternatives économiques.fr