Syrie : « LA GUERRE C’EST LA PAIX »


 

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Syrie

 

Par Joël Perichaud, Secrétaire national du Pardem aux relations internationales

L’histoire est simple et à la fois terrorisante si l’on fait l’effort de décrypter la novlangue (1) qui brouille la raison et masque les causes profondes des guerres au Moyen-Orient. Examinons les faits et pas les commentaires ou les discours des bellicistes. La chute de Bachar el-Assad et de toute la Syrie est le point culminant de la campagne de l’Occident global (USA-UE-OTAN et de tous leurs affidés, Israël en tête) contre ce pays.

En fait, depuis 1996 et l’arrivée au pouvoir de Netanyahou comme Premier ministre d’Israël (de 1996 à 1999 puis de 2009 à 2021 et de nouveau à partir de 2022), la guerre de l’Occident global contre la Syrie s’est intensifiée. En 2011 et 2012, Barack Obama a chargé la CIA de renverser le gouvernement syrien dans le cadre de l’opération Timber Sycamore (2)… sans succès jusqu’à ces derniers jours et après plus de 300 000 morts depuis 2011.
La chute de la Syrie est survenue rapidement en raison de plus d’une décennie de sanctions économiques, du fardeau de la guerre, de la saisie du pétrole syrien par les États-Unis, des priorités de la Russie concernant le conflit en Ukraine et, plus récemment, des attaques d’Israël contre le Hezbollah, principal soutien militaire du gouvernement syrien. Bachar el-Assad a aussi dû faire face à un profond mécontentement intérieur. Quoique l’on pense du régime de Bachar el-Assad, il a été pendant des décennies la cible les États-Unis et d’Israël et de tous leurs affidés.
Rappelons qu’avant la campagne américano-israélienne visant à renverser Bachar el-Assad ne commence en 2011, la Syrie était un pays à revenu intermédiaire en pleine croissance. En janvier 2009, le Conseil d’administration du FMI déclarait : « Les administrateurs ont salué les bons résultats macroéconomiques obtenus par la Syrie ces dernières années, qui se sont traduits par une croissance rapide du PIB hors pétrole, un niveau confortable des réserves de change et une dette publique faible et en baisse. Ces résultats reflètent à la fois une demande régionale vigoureuse et les efforts de réforme des autorités pour évoluer vers une économie davantage axée sur le marché ».
Mais depuis 2011, la guerre d’Israël et des États-Unis contre la Syrie, à coup de bombardements, de financements et de soutiens aux djihadistes islamistes, de sanctions économiques, de saisie des champs pétroliers syriens par les USA, a plongé le peuple syrien dans la misère.
Dans les deux jours qui ont suivi la chute du gouvernement syrien, Israël a mené environ 480 frappes en Syrie et a complètement détruit la flotte syrienne à Lattaquié. Poursuivant son programme expansionniste, le Premier ministre Netanyahou a illégalement revendiqué le contrôle de la zone tampon démilitarisée du plateau du Golan et a déclaré que celui-ci ferait partie de l’État d’Israël « pour l’éternité ».

Le Premier ministre israélien s’est vanté d’une « victoire absolue »

La politique expansionniste guerrière d’Israël et du fascisant Netanyahou, qui remonte à près de trois décennies, a atteint un nouveau stade. Lors d’une conférence de presse, le 9 décembre 2024, le Premier ministre israélien s’est vanté d’une « victoire absolue », justifiant le génocide en cours à Gaza et l’escalade de la violence dans toute la région : « Je vous le demande, pensez-y un instant : si nous avions cédé à ceux qui nous ont dit à maintes reprises que la guerre devait être arrêtée, nous ne serions pas entrés à Rafah, nous n’aurions pas pris le contrôle du corridor de Philadelphie, nous n’aurions pas éliminé Sinwar, nous n’aurions pas surpris nos ennemis au Liban et dans le monde entier dans une opération-stratégie audacieuse, nous n’aurions pas éliminé Nasrallah, nous n’aurions pas détruit le réseau clandestin du Hezbollah et nous n’aurions pas exposé la faiblesse de l’Iran. Les opérations que nous avons menées depuis le début de la guerre démantèlent l’axe brique par brique ».

La longue campagne israélienne visant à renverser le gouvernement syrien a commencé avec l’appui des néoconservateurs américains en 1996. Main dans la main, ils ont élaboré une stratégie de « rupture nette » pour le Moyen-Orient lors de l’arrivée au pouvoir de Netanyahou. Le cœur de cette stratégie était le rejet par Israël et les États-Unis de l’idée « terre contre la paix » selon laquelle Israël devrait se retirer des terres palestiniennes occupées en échange de la paix. Et c’est donc le contraire qui s’est produit avec la colonisation et l’occupation brutale des terres palestiniennes, un gouvernement par apartheid, le nettoyage ethnique étape par étape et le renversement des gouvernements des pays voisins résistant à l’expansionnisme territoriale d’Israël.

Conception et mise en œuvre de la stratégie de « rupture nette » d’Israël et des États-Unis

Ces exactions sont en ligne directe de la stratégie de « Rupture nette » qui  affirme : « notre revendication sur la terre, à laquelle nous nous accrochons depuis 2000 ans, est légitime et noble … La Syrie défie Israël sur le sol libanais. Une approche efficace, et à laquelle les Américains peuvent sympathiser, serait qu’Israël prenne l’initiative stratégique le long de ses frontières nord en engageant le Hezbollah, la Syrie et l’Iran, principaux agents d’agression au Liban… ». C’est cette nouvelle stratégie que Netanyahou a exposée dans son livre publié en 1996 « Fighting Terrorism »  (Lutte contre le terrorisme). Israël ne combattrait pas les terroristes, mais les États qui les soutiennent et demanderait aux États-Unis de se battre pour Israël. C’est ce qu’il a fait en 2001 : « La première chose, et la plus cruciale, à comprendre est la suivante : il n’y a pas de terrorisme international sans le soutien des États souverains. […] Supprimez tout ce soutien étatique et l’échafaudage entier du terrorisme international s’effondrera en poussière ».
La stratégie des États-Unis et d’Israël est devenue une constante de la politique étrangère américaine et la défaite de la Syrie en a toujours été un élément clé. Ceci a été confirmé au général Wesley Clark, lors d’une visite au Pentagone après le 11 septembre 2001 : « Nous allons attaquer et détruire les gouvernements de sept pays en cinq ans. Nous allons commencer par l’Irak, puis nous irons en Syrie, au Liban, en Libye, en Somalie, au Soudan et en Iran ». L’insurrection contre les troupes américaines en Irak a retardé le calendrier de cinq ans, mais n’a pas modifié la stratégie de base.
Les États-Unis ont, en effet, déjà mené ou fomenté des guerres contre l’Irak (invasion en 2003), le Liban (financement et armement d’Israël par les États-Unis), la Libye (bombardements de l’OTAN en 2011), la Syrie (opération de la CIA dans les années 2010), le Soudan (soutien aux rebelles pour la division du Soudan en 2011) et la Somalie (soutien à l’invasion de l’Éthiopie en 2006). Une guerre américaine et «occidentale» contre l’Iran, ardemment voulue par Israël, est toujours d’actualité… Sans oublier les guerres économiques (dans un premier temps) contre la Russie et la Chine.
Le monde entier sait que la CIA a soutenu à plusieurs reprises les djihadistes islamistes dans les guerres de l’Occident.  Fin des années 1970, la CIA a contribué à la création d’Al-Qaïda en entraînant, armant et finançant les moudjahidines en Afghanistan… Et leur créature, Oussama ben Laden, s’est ensuite retournée contre ses maîtres états-uniens. Ironiquement, comme le confirme le journaliste américain Seymour Hersh, ce sont les services de renseignements de Bachar el-Assad qui « ont prévenu les États-Unis d’un attentat imminent d’Al-Qaïda contre le quartier général de la cinquième flotte de la marine américaine ».
L’Occident global ne veut rien entendre… Les djihadistes islamistes,  aidés par des forces  ukrainiennes (https://tinyurl.com/5y7btwbw) et « l’Armée syrienne libre » viennent de renverser le régime syrien pour mettre en place… un État islamiste dirigé par Abou Mohammed al-Joulani, chef de Hayat Tahrir al-Sham (HTS - Organisation pour la libération du Levant), ancien chef du Front al-Nosra (branche syrienne d’Al-Qaïda) et classée "terroriste" par Washington. Que ceux qui ont pris le pouvoir dans la Syrie « libérée » soient ceux de l’Etat islamique et d’Al-Qaïda qui ont fait carrière comme « décapiteurs », ceux qui ont posé les bombes au Bataclan et ailleurs, ne les inquiète pas. Que la tête du nouvel homme fort de la Syrie ait été mise à prix par le FBI ne les interroge pas. Non. Au contraire. Ils se réjouissent de la chute du « dictateur » Bachar el-Assad, trépignent pour qu’il soit « jugé » et se mettent sur les rangs pour dépecer la Syrie.
Ils sont enfin parvenus à leur objectif, et peu importe le prix pour le peuple syrien. Rappelons que peu après le lancement de Timber Sycamore, en mars 2013, lors d’une conférence conjointe d’Obama et de Netanyahou à la Maison Blanche, Obama a déclaré : « En ce qui concerne la Syrie, les États-Unis continuent de travailler avec leurs alliés et amis et l’opposition syrienne pour hâter la fin du règne d’Assad ».

L’assassinat comme réponse à ceux qui veulent négocier la paix

Pour l’Occident global, l’appel d’un adversaire à la négociation est un signe de faiblesse dont il faut profiter. Ainsi il finit généralement assassiné par Israël ou par des agents américains. Le ministre libanais des Affaires étrangères a confirmé que Hassan Nasrallah, ancien secrétaire général du Hezbollah, avait accepté un cessez-le-feu avec Israël quelques jours avant son assassinat. La volonté du Hezbollah d’accepter un accord de paix basé sur une solution à deux était ancienne. De même, au lieu de négocier pour mettre fin à la guerre à Gaza, Israël a assassiné le chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, à Téhéran.
Même  stratégie en Syrie : plutôt que de permettre l’émergence d’une solution politique, les États-Unis se sont opposés à plusieurs reprises au processus de paix. En 2012, l’ONU avait négocié un accord de paix en Syrie, qui avait été bloqué par les Américains, qui exigeaient le départ d’Assad dès le premier jour des négociations. Car les États-Unis voulaient un changement de régime, pas la paix. En septembre 2024, Netanyahou s’est adressé à l’Assemblée générale des Nations Unies montrant une carte du Moyen-Orient divisée entre « bénédiction » et « malédiction ». Le Liban, la Syrie, l’Irak et l’Iran faisaient partie de la malédiction. Pourtant, pour les peuples, la véritable malédiction est la voie suivie par Israël, celle de la guerre qui martyrise le Liban et la Syrie, avec la volonté d’une guerre contre l’Iran.

Les États-Unis, Israël,  l’Union européenne, et généralement l’Occident global, se félicitent d’avoir détruit un  défenseur de la cause palestinienne, Netanyahou s’attribuant le mérite d’avoir « lancé ce processus historique ». Il est fort probable que la Syrie succombe désormais à une guerre civile entre les nombreux protagonistes armés, comme cela s’est produit lors des précédentes opérations de « changement de régime » menées par les Etats-Unis et leurs soutiens.

Quant à la Turquie d’Erdogan, membre de l’OTAN, elle finance et contrôle deux formations rivales : les islamistes salafistes de Hayat Tahrir al Sham (HTS) et les mercenaires de l’Armée nationale syrienne (ANS) entièrement à sa botte…Erdogan a profité de la diminution des aides Russes à Bachar el-Assad pour faire d’une pierre deux coups : lancer ses djihadistes du HTS contre Damas et ses supplétifs de l’ANS contre les Forces démocratiques syriennes (FDS). Celle-ci alliant Kurdes, chrétiens et Arabes non islamistes, les véritables vainqueurs de la guerre contre Daech en 2019, sont aujourd’hui abandonnés par les puissances occidentales qui les laissent à la merci d’Ergodan. Ce dernier a pour objectif la vassalisation de la Syrie sous forme d’une sorte de nouveau califat anti-occidental et l’élimination des Kurdes qui sont, en effet, une menace politique. Ils refusent de se soumettre à sa dictature et constituent par leur organisation et leurs objectifs politiques un exemple et un modèle de démocratie à anéantir car il risquerait de contaminer les pays voisins.

« Dans les temps de tromperie universelle, dire la vérité devient un acte révolutionnaire. » Georges Orwell

Bref, l’ingérence planétaire américaine (via, entre autres, l’OTAN, la CIA et les mouvements islamistes) avec le soutien d’Israël et des « Occidentaux», détruit le Moyen-Orient, en faisant au passage plus d’un million de morts, entretient des guerres en Libye, au Soudan, en Somalie, au Liban, en Syrie, en Palestine et fomente de nouveaux conflits, possiblement nucléaires avec l’Iran, la Russie et la Chine…

Aucun de ces conflits ne sont une fatalité ni une malédiction venue d’on ne sait où. Ces guerres sont la volonté des occidentaux qui pensent ainsi maintenir leur domination sur des États privés de leur souveraineté pour s’approprier leurs ressources naturelles et transformer leurs populations en consommateurs de leurs multinationales. L’argent n’a pas d’odeur… mais celle de la poudre est particulièrement lucrative. En effet, guerre et capital forment un couple infernal (Guerre et capital : un couple infernal (https://pardem.org/guerre-et-capital-un-couple-infernal).

Pour les peuples, seule une véritable alternative politique à la guerre est possible, celle des peuples souverains totalement affranchis de l’Axe USA-UE-OTAN. En somme, celle de pays non alignés à laquelle doivent œuvrer toutes les forces populaires, patriotiques et pacifiques des nations, sous peine que disparaisse la Paix.

Notes

1. « LA GUERRE C’EST LA PAIX »    Le langage comme contrôle de la pensée :  « [Dans le livre 1984]  Pour Orwell, la situation politique reflète le langage et si l’un est corrompu, il s’ensuit que l’autre doit l’être aussi. S’appuyant sur les constructions de la langue anglaise, il démontre comment le langage est utilisé dans la politique pour créer une fausse impression de sécurité, pour rassurer le peuple à obéir sans réfléchir. L’Océania est continuellement en guerre. Cette guerre a deux buts. Premièrement de garder le peuple dans un État de frayeur et deuxièmement de faire de sorte que le peuple soit satisfait et même fier de cette guerre. De ce fait, au lieu de mettre l’emphase sur tous les manques, l’État utilise un langage hautement positif. L’emphase est mise sur les victoires, sur la capture des ennemis, sur des augmentations imaginaires et aucune mention n’est faite des bombardements continuels, sur la qualité de vie misérable ou sur la diminution permanente des ressources. » https://la-philosophie.com/le-controle-des-mots-dans-1984-dorwell

2 - Opération Timber Sycamore : programme secret de la CIA lancé par Obama pour renverser Bachar al-Assad. La CIA finançait, formait et fournissait des renseignements à des groupes islamistes radicaux et extrémistes. L’opération comprenait également une « ligne de rats » pour acheminer des armes depuis la Libye (attaquée par l’OTAN en 2011) vers les djihadistes en Syrie.
En 2014, Seymour Hersh, journaliste américain spécialisé dans les affaires militaires et les services secrets, décrivait l’opération dans son article « The Red Line and the Rat Line » : « Une annexe hautement confidentielle du rapport, non rendue publique, décrit un accord secret conclu début 2012 entre les administrations Obama et Erdoğan. Il porte sur la ligne de transport de marchandises. Selon les termes de l’accord, le financement provenait de Turquie, ainsi que de l’Arabie saoudite et du Qatar ; la CIA, avec le soutien du MI6, était responsable de l’acheminement des armes des arsenaux de Kadhafi vers la Syrie. ».
Seymour Hersh écrit notamment pour The New Yorker et le New York Times. Ses travaux sur les activités illégales de la CIA sur le sol américain entraînent la création du Church Committee par le Congrès. Ses révélations sur le massacre de Mỹ Lai au Viêt Nam lui valent un prix Pulitzer. Il est l'auteur de différents livres, notamment sur Henry Kissinger ou l'arsenal nucléaire israélien, qui ont remporté plusieurs prix. Seymour Hersh est le premier journaliste américain à révéler les actes de torture à Abou Ghraib en 2004.