Quand la Cour des Comptes propose la destruction de la Sécu

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CARTE VITALE BRISEE


 

Nous diffusons, avec son accord, le texte de Denis Collin, publié sur le site de La Sociale le 16 avril 2025.

"Lors de son dernier rapport l’ONDAM (une émanation de la Cour des Comptes) propose des mesures pour limiter le déficit de la Sécurité Sociale. On sait que ce déficit est la simple conséquence des cadeaux que le gouvernement fait aux entreprises, mais qu’importe. Les destructeurs d’acquis sociaux ne s’arrêtent pas à si peu.

A la fin d’une série de mesures, toutes plus inacceptables les unes que les autres, nos experts technocrates proposent ni plus ni moins que la fin de Sécurité sociale. Voici ce qu’ils écrivent :

Au-delà des mesures de déremboursement ponctuelles appliquées, il serait possible de repenser le champ des soins remboursés par l’assurance maladie obligatoire en fonction du niveau de revenus des assurés, comme cela est appliqué en Allemagne."

Le « bouclier sanitaire », un remboursement sous condition. En Allemagne, le « bouclier sanitaire » est un dispositif de plafonnement des restes à charge proportionnel au revenu après intervention de l’assurance maladie obligatoire. Chacun contribue ainsi à ses frais de santé, à proportion de ses revenus, dans la limite d’un plafond au-delà duquel les frais sont pris en charge à 100 % par l’assurance maladie. Les personnes dont les revenus sont les plus bas peuvent être prises en charge au premier euro, de même que les soins pour les affections longue durée. Cet outil est de nature à limiter les importantes disparités de reste à charge entre les assurés. Il permettrait aussi un pilotage plus fin des dépenses de santé, la hausse du plafond se traduisant par une diminution des dépenses publiques.

Le principe de base de la Sécu est un principe « communiste » - de chacun selon ses capacités et à chacun selon ses besoins. Les plus riches contribuent plus que les plus pauvres, mais au moment des remboursements on ne tient compte que des coûts des soins de santé que votre état a nécessités. Ce beau principe a déjà été sérieusement écorné par l’augmentation continuel du ticket modérateur, les déremboursements et la part croissante des mutuelles dans la prise en charge des soins de santé. Mais la proposition de l’ONDAM revient à sortir les plus riches de la Sécurité sociale. S’ils ne sont plus remboursés ou insuffisamment remboursés, ils demanderont, à juste titre, à ne plus cotiser pour s’assurer ailleurs – ce qui est parfaitement possible dans le cadre européen. Sous couvert de « sauver la Sécu », la proposition de l’ONDAM revient à la tuer sans coup férir. C’est bien l’objectif.

Tout cela n’est pas nouveau. Déjà Hollande avait proposé de mettre les prestations familiales sous condition de ressources. Voici ce que j’écrivais en 2001 à propos de cette soi-disant équité promue par les réformateurs de droite et de gauche.

On objectera qu’il est difficile de ne pas admettre l’existence de droits différenciés dans le domaine social. Par exemple, tout le monde trouve juste que les bourses soient réservées aux élèves pauvres et non aux élèves issus de familles plus favorisées. Suivant la même logique, il a semblé naturel de mettre toutes les prestations familiales sous condition de ressources, par exemple, réserver les allocations familiales aux familles les moins favorisées, tout comme les allocations pour le logement sont réservées à ceux qui, sans cela, ne pourraient se loger décemment. Ajoutons que les distributions en apparence égalitaires ne le sont guère. Ainsi l’enseignement supérieur est quasi gratuit pour tous Mais comme les enfants des classes défavorisées accèdent moins souvent à l’enseignement supérieur que ceux des cadres, enseignants et professions libérales. Par conséquent l’enseignement gratuit est un cadeau fait aux plus riches. Tous ces arguments ont été abondamment développés par tous les critiques de la « machine égalitaire.

Or, ces évidences sont des plus trompeuses. Nos principes de justice de distributive sont loin d’avoir la clarté de ceux d’Aristote. Si les honneurs, les récompenses et les emplois publics obéissent au principe aristotélicienne de proportionnalité au mérité – sachant, comme cela a été dit plus haut, que généralement on ne s’entend guère sur ce qu’est le mérite – certaines prestations sont distribuées selon le principe d’égalité arithmétique (c’est le cas des allocations familiales en France ou de l’accès à l’enseignement public) et d’autres le sont sur le principe « à chacun selon ses besoins » (dans le domaine de la santé par exemple ou encore le régime des bourses). L’équité recommanderait sans doute qu’on uniformise ces principes et que les aides aillent seulement à ceux qui en ont réellement besoin. Or, contrairement à ce qu’on pourrait croire, un tel principe détruirait plus radicalement encore toute idée égalitaire. Si l’accès à l’école était soumis à condition de ressources, suivant le principe, proposé par Alain Madelin et repris à droite et à gauche, du « chèque éducation » permettant de faire payer à chacun selon ses moyens, on s’engagerait inéluctablement dans la voie de la privatisation de tout le système d’enseignement, privatisation qui ne pourrait qu’exacerber les inégalités face à l’enseignement. En outre, les plus favorisés, ne participant plus en rien à la redistribution étatique de la richesse sociale, se sentiraient alors fondés à refuser toute idée d’un bien commun. La « révolte des élites » est le complément inévitable de ces politiques différentialistes en matière de justice sociale. (Morale et justice sociale, Seuil, 2001).

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