Le 19-06-2019
Par Joël Perichaud, secrétaire national du Parti de la démondialisation, chargé des relations internationales
Le 19 juin 2019
Maintenant que le spectacle des élections européennes est terminé, que les bonimenteurs des « renouveler l’Europe », « changer l’Europe », « redéfinir l’Europe», « réformer l’Europe », « transformer l’Europe » ont rangé au fond de l’armoire leur panoplie électorale, le champ est libre. Le 5 juin, l’Union européenne a publié ses recommandations, pays par pays, afin qu’ils mènent toutes les réformes nécessaires pour se mettre en conformité avec ses directives et ses stratégies. Au programme : réforme des retraites, réduction de la dépense publique, privatiser des biens publics, supprimer des postes de fonctionnaires, poursuivre la réduction du nombre de communes…
Chaque année, autour du 20 mai, le Conseil européen transmet au gouvernement Français ses « recommandations concernant le programme national de réforme de la France portant avis sur le programme de stabilité́ de la France pour l’année suivante ». Chaque pays de l’Union reçoit les Grandes orientations des politiques économiques (GOPÉ), véritable lettre de mission personnalisée, pour adopter les réformes conformes aux attentes de l’UE.
Ainsi pour 2019-2020, les GOPÉ sont arrivées le 5 juin 2019. Un « léger décalage » dû aux élections européennes. En effet, il aurait été très maladroit, pour le système supranational européen, de publier les orientations dictées à la France avant le 26 mai. Car des esprits « chagrins » s’en seraient certainement saisis pour mettre en lumière la tutelle de l’UE sur le gouvernement et alerter sur les prochaines « réformes » imposées par la Commission et son thuriféraire Macron.
A quelle sauce allons-nous être mangés ?
Le document officiel (ICI) est explicite pour qui veut bien le lire. Hors le verbiage administratif et les circonvolutions de circonstance, l’essentiel tient en peu de mots mais est lourd de conséquences pour les classes dominées en France.
La Commission RECOMMANDE que la France s'attache, en 2019 et 2020 :
1. à veiller à ce que le taux de croissance nominale des dépenses primaires nettes ne dépasse pas 1,2 % en 2020, ce qui correspondrait à un ajustement structurel annuel de 0,6 % du PIB; à utiliser les recettes exceptionnelles pour accélérer la réduction du ratio de la dette publique; à réduire les dépenses et à réaliser des gains d’efficacité́ dans tous les sous-secteurs des administrations publiques, notamment en précisant pleinement les mesures concrètes nécessaires dans le contexte du programme Action publique 2022 et en surveillant étroitement la mise en œuvre de ces mesures; à réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite, en vue de renforcer l'équité́ et la soutenabilité́ de ces régimes;
2. à favoriser l’intégration de tous les demandeurs d’emploi sur le marché́ du travail, à garantir l’égalité́ des chances, en mettant particulièrement l’accent sur les groupes vulnérables, notamment les personnes issues de l’immigration, et à remédier aux pénuries et aux inadéquations de compétences;
3. à axer la politique économique en matière d'investissements sur la recherche et l’innovation (tout en améliorant l’efficacité́ des dispositifs d’aide publique, dont les systèmes de transfert de connaissances), sur les énergies renouvelables, l’efficacité́ énergétique et les interconnexions avec le reste de l’Union, ainsi que sur l’infrastructure numérique, en tenant compte des disparités territoriales;
4. à poursuivre la simplification du système d’imposition, notamment en limitant le recours aux dépenses fiscales, en continuant de supprimer les impôts inefficaces et en réduisant les impôts sur la production; à réduire les restrictions règlementaires, notamment dans le secteur des services, et à mettre pleinement en œuvre les mesures visant à stimuler la croissance des entreprises.
Traduisons la novlangue bruxelloise en français courant :
Paragraphe 1
« Utiliser les recettes exceptionnelles pour accélérer la réduction du ratio d’endettement public » signifie qu’il faut privatiser des biens publics pour réduire la dette publique. En effet, la croissance étant faible, « les recettes exceptionnelles » ne peuvent être que des cessions d’actifs publics (art. 106 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) – « Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence... Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de l'Union. »).
C’est la raison de l’annonce des privatisations des Aéroports de Paris, de la Française des jeux, de Engie ou des barrages hydroélectriques. Ces privatisations portant pudiquement le nom de « concession de service public ».
Quand le gouvernement Macron affirme que ces privatisations aideront au « désendettement » de l’État, il répète mot à mot les arguments de l’UE.
« Veiller à ce que le taux de croissance nominal des dépenses (publiques) primaires nettes ne dépasse pas 1,2 % en 2020 » signifie que la Commission européenne exige que le gouvernement français poursuive et renforce sa politique d’austérité. En effet, les GOPÉ de l’année dernière exigeaient de ne pas dépasser 1,4 % ...
« Réduire les dépenses et à réaliser des gains d’efficacité dans tous les sous-secteurs des administrations publiques » signifie que les 3 fonctions publiques vont souffrir : l’hospitalière avec une baisse des dépenses dont on voit déjà les conséquences dans les hôpitaux publics (Urgences, etc.), la fonction publique d’État avec la réduction du nombre des fonctionnaires et la territoriale, avec les « réformes » qui démantèlent l’organisation administrative et sapent la démocratie Par la même occasion, la Commission se félicite des fusions de Régions (exigées dans ses GOPÉ 2013-2014) et demande la réduction du nombre de communes, encore insuffisante à ses yeux, malgré les fusions forcées de communes.
« Réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite » signifie harmoniser vers le bas pour diminuer la dépense publique (le préambule des GOPÉ 2018, chiffrait « l’économie » à 5 milliards d’euros pour les dépenses publiques). C’est la raison de la toute prochaine réforme Macron sur les retraites : fusionner tous les régimes en un régime unique, en supprimant les régimes dits «spéciaux », relever l’âge de départ à la retraite, en créant un âge «d’équilibre » (64 ans, alors que l’âge légal est de 62 ans) et diminuer les pensions. Passer à la retraite par points qui induit la baisse des pensions et le recours aux assurances retraites privées en complément, pour ceux qui en ont les moyens bien sûr.
Paragraphe 2
« Favoriser l’intégration de tous les demandeurs d’emplois sur le marché du travail »… Voici un merveilleux exemple de novlangue bruxelloise néolibérale qui signifie la poursuite de la casse du Code du travail, déjà bien entamée par les lois El Khomri et Macron (ces attaques étaient une demande répétée des GOPÉ antérieures) et la poursuite du gel du SMIC. Notons que le SMIC est gelé depuis 2007 à cause des GOPÉ antérieures et que son augmentation ne comble pas la perte due à l’inflation.
Paragraphe 3
« Axer la politique économique en matière d'investissements sur la recherche et l’innovation (...), sur les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et les interconnexions avec le reste de l’Union... » signifie que l’Etat va financer, par des dispositifs fiscaux, les entreprises « innovantes » sur le marché de l’énergie. Les transferts de technologies consistent à donner accès aux nouvelles technologies, financées par la recherche publique, aux entreprises privées… Quant aux « interconnections avec le reste de l’Union », il s’agit simplement d’achever ce qui était demandé par les GOPÉ antérieures : la libéralisation (et la privatisation) de l’énergie.
Paragraphe 4
« Supprimer les impôts inefficaces et en réduisant les impôts sur la production »
… Magnifique novlangue qui signifie faire payer davantage les pauvres pour enrichir les très riches. L’ISF a été présenté par Macron-Philippe comme un impôt inefficace car il « rapporte peu » et « fait fuir les riches », ce qui vise à expliquer sa suppression. Les GOPÉ incitent, encore et encore, à supprimer les impôts de cette nature, suppressions dont seuls les riches bénéficient. Il s’agit maintenant de baisser l’impôt sur les sociétés, les cotisations sociales et autres taxes dues par les entreprises (taxe foncière, contribution économique territoriale, taxe sur les salaires, etc.). On voit bien l’arnaque : si de telles baisses peuvent paraître bénéfiques pour les TPE, elles enrichiront considérablement les grandes entreprises. Ces baisses pourraient alors être compensées par une augmentation de la TVA et de la CSG, impôts injustes que tout le monde paie, et qui n’ont pas le même impact suivant qu’on gagne le SMIC ou 10 fois plus.
« Réduire les restrictions réglementaires notamment dans le domaine des services »… Encore une belle formule qui signifie la libéralisation (mise en concurrence) totale des professions règlementées et notamment des experts-comptables, commissaires aux comptes, notaires, avocats, huissiers, pharmaciens, auto-écoles, syndics de copropriété, etc. Macron a déjà libéralisé et précarisé un grand nombre de professions (ex : taxis). Mais ce n’est pas suffisant pour l’UE dont le dogme est la concurrence. Les multinationales, comme Uber, Deliveroo et autres, doivent pouvoir s’emparer de tous les marchés en réduisant leurs « prestataires » (auto entrepreneurs par exemple) à un quasi esclavage ... Le tout sans « charges » !
Les GOPÉ : à pas feutré en marche depuis 1992 et peaufinés avec le Traité de Lisbonne
Il faut préciser que c’est le Traité de Maastricht (F. Mitterrand) qui a introduit la coordination progressive des politiques économiques des États membres. Lors du Conseil européen des 15 et 16 juin 2001, les GOPÉ sont définies par les États membres comme servant de « cadre pour la définition des grands objectifs politiques ». C’est le Conseil de l'Union européenne qui « surveille l’évolution économique dans chacun des États membres et dans l'Union », sur la base de rapports fournis par la Commission européenne.
En 2005, le « traité constitutionnel » européen est rejeté par 55% des Français mais devient le Traité de Lisbonne qui sera signé par Sarkozy le 13 décembre 2007 et ratifié, lors d’un coup d’État parlementaire, le 8 février 2008. Il entre en vigueur le 1er décembre 2009.
Le traité de Lisbonne, reprend la quasi-totalité du traité Constitutionnel, en conservant les traités existants, et en les modifiant en profondeur : le traité instituant la Communauté européenne (Rome, 1957) est rebaptisé « traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » (TFUE) ; le traité sur l'Union européenne (Maastricht, 1992) dit TUE.
À la surveillance de l’évolution économique succède un rôle de prévention, d’abord prévu dans le TFUE puis complété par l’adoption du six-pack* en 2011.
Le règlement (UE) n° 1175/2011 du 16 novembre 2011, dit que les États membres doivent « dûment » tenir compte des GOPÉ « avant toute prise de décision majeure concernant leurs budgets nationaux pour les années à venir ». Ainsi, dans le cadre de la procédure concernant les déséquilibres excessifs d’un État membre de la zone euro, (règlement UE n° 1176/2011) et à son premier attendu, qui considère que « la coordination des politiques économiques des États membres au sein de l’Union devrait être développée dans le contexte des grandes orientations des politiques économiques. », le rôle des GOPÉ est renforcé. Le règlement confère au GOPÉ dans le cadre de cette procédure un caractère obligatoire, l’article 8 en son paragraphe 1 disposant que le plan de mesures correctives de l’État membre en vue de remédier aux déséquilibres macroéconomiques « est conforme aux grandes orientations des politiques économiques ». Au terme de la procédure, si l’État membre n’a pas pris les mesures correctives recommandées, il pourra subir une amende selon certaines règles déterminées par le règlement (UE) n° 1174/2011, notamment en son article 3.
La France, pour justifier qu’elle a été un « bon élève » fournit un document à la commission appelé : « Projet de plan budgétaire 2019 Rapport économique, social et financier » dont un exemplaire est disponible en suivant ce lien :
https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/economy-finance/2019_dbp_fr_fr.pdf
Il comporte (page 31) un tableau intitulé « impact macroéconomique des réformes - PLF 2019 », détaillant pour chaque « réforme », les principales mesures prises, le calendrier prévu et les mécanismes économiques mis en œuvre par le gouvernement.
En fait, il s’agit d’un véritable rapport du gouvernement français « à son supérieur hiérarchique », comportant les mesures qu’il compte prendre pour répondre aux exigences des GOPÉ, le degré d’avancement de ces mesures et les éventuelles mesures à venir. C’est le signe de l’obéissance et de la soumission absolue, la preuve irréfutable que notre gouvernement (comme tous les gouvernements des pays de l’UE) est totalement subordonné à la Commission européenne, et que nos ministres (et ceux des autres pays de l’UE) sont de simples exécutants, en charge d’appliquer les politiques néolibérales décidées par la Commission, sans qu’ils aient aucun mot à dire, ce qui tombe très bien puisqu’ils sont d’accord avec la Commission.
Il arrive parfois, que quelques-uns se « rebiffent » contre certaines directives, un peu excessives à leur goût, mais leur rébellion est soit de façade, soit de courte durée. L’exemple le plus emblématique est le gouvernement grec conduit par le « radical » Tsipras. Nous vous invitons à approfondir ce point en consultant nos analyses sur www.pardem.org
La conclusion s’impose d’elle-même : obéissance à l’UE ou émancipation.
Pour échapper à la véritable « dictature en douce » qu’est le système de l’Union européenne et recouvrer la pleine et entière souveraineté nationale et populaire, il n’y a qu’un moyen : la sortie, unilatérale et immédiate de l’UE.
......
* Six-pack : ensemble de cinq règlements et d'une directive entrés en vigueur le 13 décembre 2011 pour l'ensemble des États membres de l'UE. Il réforme le pacte de stabilité et de croissance (PSC) et approfondit la surveillance budgétaire l’intégrant au niveau communautaire par le semestre européen ; la coordination des politiques économiques et budgétaires des 28 ; en donnant à la Commission européenne le pouvoir de demander des corrections aux projets de budgets nationaux des États membres et d'infliger des sanctions.
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