UE : le bal des faux-culs

Le président Turc, Recep Tayyip Erdogan, veut faire approuver le 16 avril prochain un projet de modification constitutionnelle qui lui conférerait un pouvoir quasi-illimité. Les partisans du "Oui" disposent d’une écrasante supériorité médiatique et institutionnelle mais le scrutin s’annonce serré. Pour avoir la majorité, Erdogan a besoin du vote des Turcs (qui ont gardé leur nationalité) de l’étranger. Ses ministres ont donc été mobilisés pour tenir réunions et meetings dans différents pays, notamment en l’Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas et en France.

Ces manifestations ont été interdites en Allemagne, officiellement pour des raisons de sécurité. Un meeting s’est tenu en France à Metz le 12 mars dernier.

Aux Pays Bas, le chef de la diplomatie turque a été empêché d’atterrir et le ministre du Travail a été raccompagné de force à la frontière allemande… élections du 15 mars oblige...

C’est l’escalade verbale entre Ankara et certains pays de l’Union européenne.

 

La situation appelle deux remarques

 

La première est sur une question de principe. L’activité politique portant sur les enjeux internes d’un pays et menée sur le territoire d’un Etat tiers était, jusqu’à présent, considérée comme illégitime et à bannir.

Cette exclusion reposait sur deux fondements étroitement liés : le respect de la souveraineté de chaque pays et la sauvegarde de relations internationales pacifiques.

Car si des affrontements nationaux s’exportaient au-delà des frontières, ils interféreraient sur les enjeux politiques des pays tiers qui en deviendraient ainsi le réceptacle… A fortiori si des forces, dans ces derniers, les instrumentalisaient pour leurs propres objectifs…

Les relations internationales seraient rapidement gangrénées dès lors que les gouvernements influeraient en faveur de tel ou tel camp lors d’un scrutin d’un pays voisin ou lointain. Ce serait l’ingérence de tous chez tous, avec des conséquences déstabilisatrices évidentes.

 

La seconde concerne l’hypocrisie des uns et des autres.

- D’Erdogan d’abord, qui se pose en défenseur des « droits de l’Homme » et de la liberté d’expression, alors qu’il réprime ses opposants (encore plus brutalement) depuis le coup d’état avorté du14 juillet 2016. plus de 120 000 agents publics ont été révoqués,; près de 40 000 citoyens sont incarcérés en attente de jugement ; des dizaines d’organes de presse et de télévisions ont été fermés, près d’une centaine de journalistes embastillés ; les sympathisants du prédicateur intégriste Fethullah Gülen sont officiellement pourchassés. En réalité ce sont des dizaines de milliers de syndicalistes et de d’opposants qui sont dans le viseur.

Par ailleurs, on peut imaginer les représailles du président turc si un pays européen avait autorisé des responsables du parti pro-kurde HDP à faire campagne sur son sol en faveur du Non…

- De l’UE ensuite. Car dans un communiqué commun, la chef de la diplomatie européenne et le Commissaire à l’Elargissement ont souhaité « éviter l’escalade et trouver le chemin pour faire baisser les tensions », et appelé Ankara à « se garder de certains propos excessifs ».


Qu’aurait fait l’Union européenne (et l’OTAN) si Vladimir Poutine avait limogé plus de 100 000 fonctionnaires, emprisonné 40 000 opposants, fermé des dizaines de médias ? S’il préparait un référendum abolissant la fonction de Premier ministre, enlevant les prérogatives législatives aux parlementaires, et lui octroyant un pouvoir quasiment illimité ? S’il envoyait ses fidèles aux quatre coins de l’UE pour promouvoir ce projet auprès de ses expatriés et traité les éventuels gouvernements récalcitrants de « nazis » ?