Pourquoi j’adhère au Parti de la démondialisation

Par Serge Marquis.

Le 24 mai 2016.

Serge Marquis, ex-rédacteur de le revue Utopie Critique, a démissionné du Parti de gauche (PG) et de son Conseil national pour rejoindre le Parti de la démondialisation. Il en explique les raisons sur son blog de Médiapart et nous autorise à diffuser son texte.

Quoi qu’on pense des élections, le résultat de la Présidentielle de 2017 va cristalliser un rapport de force et préfigurer l’ordre à venir. Or, en l’état actuel des choses, ce qui se profile est la victoire d’une droite décomplexée, la disparition de la gauche au second tour et un FN perçu comme l’opposant principal du « système ». Soit une sortie de route du mouvement ouvrier français, pourtant l’un des plus combatifs des pays d’Europe occidentale. Comment éviter ou au moins atténuer le choc de cette catastrophe annoncée ? À l’examen, il existe des options…

Mais dressons, pour l'instant, un état des lieux.

 

Où en est la vraie gauche ?

Comme en 2012, J.-L. Mélenchon a pris les devants pour s’imposer comme le candidat naturel d’une vraie gauche. Son objectif est de passer en tête du PS, de pointer l’illégitimité du régime de la Ve République, et d’imposer une recomposition politique qui marginalise le social-libéralisme dans la gauche. Il a pour lui son résultat à deux chiffres de 2012 et une éloquence qui mobilise. Notons aussi – et ce n’est pas un détail – qu’il est « un bon client » pour la société du spectacle.

Problème : depuis qu’il a surgi dans les médias à la faveur de la création du Front de gauche, J.-L. Mélenchon a proclamé l’imminence d’une révolution citoyenne qui ne vient pas. Dit à chaque élection qu’il passerait devant le PS. Dénoncé plutôt que proposer. Il s’est répandu en sujets secondaires (de la dénonciation des journalistes à l’économie de la mer, du soutien à Cuba, au Venezuela et à la Chine…). Il s’est lancé dans des aventures aux déconvenues notables (élection à Hénin-Beaumont, marches citoyennes régionales, votation citoyenne, M6R…). Il a fini par se suffire à lui-même, sans grande considération pour ses partenaires. En un mot : qu’a-t-il fait de nos 11,1 % tandis que la politique de F. Hollande ne cesse de décevoir et nous offre a priori un boulevard pour un champs politique différent ?

Pourtant, dans l’état de déshérence actuelle, il reste une bouée à laquelle beaucoup de gens sincères vont s’accrocher. Une bouée à la mer.

Le vide politique autour est en effet sidéral.

Promue par la Deuxième gauche, l’antichambre du social-libéralisme, notamment à travers des médias comme Libération, Le Nouvel Obs ou Le Monde, leurs écrits et leurs conférences diverses et variées, EE-LV a fourvoyé une part de l’écologie politique dans la gestion technocratique et la métamorphose social-libérale du PS – la même voie empruntée avant lui par les Grünen allemands.  Son petit « appareil », fortement adossé au groupe parlementaire qu’il a obtenu du PS en échange de sa participation au gouvernement, ne suffit plus à écoper la perte de ses militants.

Si la simple thématique de l’écologie fonctionne encore comme un fonds de commerce pour des électeurs sans fond idéologique ou PS critiques, EE-LV traverse désormais une crise d’orientation terrible, qui peut même l’emporter. C’est le tribut à payer pour son absence (presque ontologique) d’un choix de classe.

Du côté des organisations trotskystes ou d’inspiration (LO, NPA), aucune n’a tiré un bilan de son passé et toutes se réconfortent dans la pure dénonciation. Les solutions aux urgences sociales (notamment de l’emploi et du logement), les sujets de l’UE, de l’euro, de la politique migratoire, de la politique de la ville, et même des grands conflits du monde ne semblent pas mériter plus que des grandes généralités… Ayant cru un instant son heure venue, le NPA dérive naturellement vers le gauchisme. Son idée principale étant tournée vers l’organisation de la « grève générale ». Tandis que le nombre de manifestants contre la loi Travail s’amenuise… POI et LO adorent leur entre-soi.

Le Front de gauche n’a pas tenu non plus son rang. Aucune des formations politiques en son sein n’a d’ailleurs tiré parti de son implosion. Ses options stratégiques différentes n’ont pas été discutées ailleurs que dans des petits cénacles de directions, dont les membres se sont auto-proclamés généraux en chef. Le PCF s’est accroché à l’idée d’une Union de la gauche dont les forces sont pourtant l’ombre d’elles-mêmes. Le Parti de gauche a échoué à incarner l’exemplarité et le renouvellement politique. « Ensemble » est un regroupement aux intentions iréniques, parfaitement décalées par rapport à la situation. Le port du voile est à ses yeux un détail, qui s’autorégulera dans le temps pour devenir aussi anodin que le couscous, le poulet tandoori ou le nem… En revanche, il reste hostile peu ou prou à la République parce qu’elle n’est pas assez sociale, la nation (malgré un D. Bensaïd qui y revenait…) parce qu’elle fut le refuge du nationalisme, l’État (qui se réduit à n’être qu’un instrument de classe), le protectionnisme, parce qu’il est un outil de la domination des pays riches sur les pays pauvres, itou. Sans parler de son positionnement malicieux au calcul fort tacticien sur les Primaires de gauche (les gagner contre F. Hollande, en dépit du principe discutable de cette consultation), et sa surestimation permanente du « mouvement », comme si celui-ci constituait en soi un progrès.

À l’exception du PCF, « étapiste » et dont ce n’est pas tout à fait la culture, toutes ces forces restent accrochés à l’imminence d’un 3e tour social. Quitte à hypertrophier la réalité des « résistances ». Préférant s’en remettre à leurs illusions d’optique, ces forces ne cessent pas de construire un château de cartes. J.-L. Mélenchon disposerait ainsi du programme de 2012 « L’Humain d’abord » actualisé… de 3 000 propositions ! Que n’a-t-il pu décliner durant cinq ans simplement un, deux ou trois sujets cardinaux ? Tels un plan d’urgence contre le chômage, une politique migratoire cohérente, une réorientation écologique qui fasse sens, la dé-financiarisation de l’économie pour régler (entre autres) la dette et les délocalisations, etc. En un mot : un plan de recouvrement de la souveraineté nationale et populaire, qui sache répondre, en positif, aux défis du libre-échange, de la Finance, des traités internationaux fallacieux dont ceux de l’UE ?

Enfin, on ne voit pas en quoi un candidat issu de Primaires à gauche changerait la donne, ni même la persistance des « Nuit debout ». Un nouveau candidat venu des Primaires ajoutera à la division et aux candidatures de témoignage. Quand bien même il prendrait de la hauteur et serait plus propositionnel. Car il dira grosso modo la même chose que ses concurrents.

Quant à « Nuit debout », ses limites ont été assez indiquées. On voit mal, par exemple, comment une pensée politique peut surgir d’interventions limitées à 3 minutes. Néanmoins, ce mouvement en appelle à la conscience, crée un terreau. Une ambiance propice à la fronde. C’est mieux que rien. Mais insuffisant pour offrir une perspective dynamique, qui nous sort des défaites. De cette mouvance spontanéiste, il restera toujours quelque chose, pensent certains, se référant aux « Indignados » espagnols… C’est oublier la chronologie des évènements : le mouvement des places espagnoles a fait tomber le gouvernement du PSOE mais a du coup remis en selle la droite de M. Rajoy, qui a obtenu une majorité absolue des sièges au parlement et au sénat. Ce n’est qu’à la suite de cinq ans de diète et de souffrance sociale supplémentaire infligée à la population espagnole que Podemos a émergé et pris un essor électoral. Malheureusement, tandis que Podemos en appelle actuellement à un mouvement européen d’ampleur, c’est probablement le PP de M. Rajoy qui va de nouveau gouverner l’Espagne ! Faut-il revenir sur les enseignements à tirer de la crise grecque et notre perception tronquée de Syriza ?

L’accumulation de ces erreurs d’optique et de perspective contribuent à la situation française d’aujourd’hui

 

Que faire ?

Pour éviter la reproduction du « disque rayé », les forces du socialisme historique doivent revenir à une relation plus prosaïque à la population. Reprendre pied physiquement sur le terrain. Le réseau social ne peut pas remplacer l’affiche sur les murs. L’affiche est une création humaine. Elle marque un territoire, elle est le signe d’une action de proximité, d’une présence physique collective, d’un effort mutualisé des structures (associations, partis, syndicats, ONG…) qui appellent à telle ou telle manifestation. Le réseau ne remplacera pas non plus la diffusion de tracts dans les boîtes aux lettres en dehors des échéances électorales, à la sortie des entreprises et dans les lieux publics, ni les salles de permanence sur la commune.

Le langage utilisé, les exemples concrets empruntés à la vie, les propositions précises sont les signes distinctifs de « l’Humain d’abord » hors du microcosme. Les réunions « tupperware » (à domicile), la distribution de la parole, la formation, l’éducation populaire — la vraie : qui implique la contradiction ; combien de sessions qui se facilite la tâche avec un propos jamais contredit ? –, la rotation des responsabilités, l’écoute s’inscrivent nécessairement dans le temps plus long que le spectacle médiatique.

Une politique de vérité suppose un chiffrage du nombre de manifestants exact… Et des orientations politiques au plus près des besoins, sans circonvolutions politiciennes. S’attaquer à la politique d’austérité de Hollande-Valls sans la corréler à la construction de l’UE (le TSCG de Merkel-Sarkozy, 2011), dénoncer le découpage du pays en grandes régions sans rappeler les normes exigées par Bruxelles, dénoncer la loi Travail sans faire référence aux recommandations de la Commission et du Conseil de l'Europe (1), c’est laisser deviner un dessin par un aveugle. Et traîner soi-même derrière les évènements comme un pion victime de la destinée. C’est dans ces domaines que le Verbe doit instruire !  

De ce point de vue, savoir reconnaître les priorités des questions secondaires, se concentrer sur la résolution des points centraux qui peuvent agir comme des leviers (pour ré-oxygéner le monde du travail et mettre à la portée de la société l’action citoyenne) est la tache politique du moment. Il y a une acuité de la question de l’emploi (et l’existence de l’euro) tout comme de la politique de l’UE, qui surplombe le reste.

Certes, populariser l’idée d’une Constituante et d’une nouvelle République durant la campagne électorale est judicieux. Mais croire qu’elle s’imposera du fait de minorités agissantes, qui se mettraient d’ores et déjà en branle dans un processus constituant, est une vue de l’esprit ; il y faudrait des structures adéquates et surtout des évènements déclencheurs. Pour l’heure, les grèves nationales n’ont pas cette dynamique. Enfin, le « souverainisme social » du FN en limiterait la portée. L’espoir est aussi de son côté ! Pour peu que ce FN rappelle la nécessité d’un Parlement qui représente bien le corps social, à la proportionnelle, et qui proscrive le 49.3, beaucoup des arguments favorables à la VIe République tomberont. Le sujet principal apparaîtra comme ailleurs. Il sera celui de la souveraineté nationale face à la mondialisation et sa version européenne l’UE.

 

L’orientation à assumer sera celle de la dé-mondialisation

Voilà pourquoi candidater comme l’a fait J.-L. Mélenchon, alors qu’il disposait des moyens pour proposer à un large arc de forces l’élaboration, en commun, d’un programme de transition – qui part de la situation véritable et met en route les décisions réalistes et cohérentes afin d’engager le pays sur une autre voie civilisationnelle –, est proprement une perte de substance de ce qu’il fallait faire. Le programme et la stratégie, avant l’homme qui les portera ! Et en particulier, le contenu par lequel la population peut défaire et le nœud coulant du libéralisme à la mode UMP-PS et celui de l’UE.

Un tel programme de gouvernement, qui articule mesures et calendrier de recouvrement de la souveraineté, solutions aux urgences sociales et transition écologique, entre autres, nécessitait de faire appel à de nombreuses compétences. Des groupes de travail préparatoires pouvaient se mettre en place, associant aussi bien des économistes et des spécialistes de différentes disciplines que des militant-e-s de terrain dont les compétences sont ceux de la vie. Il aurait s’agit pour eux d’aider à la formulation pluridisciplinaire des mesures à prendre dans le cadre d’une rupture avec l’agencement fédéral européen actuel. Ils auraient pris en compte, dans leurs scénarii, les conséquences de la bifurcation écologique du mode de production et de consommation que nous voulons tout comme la politique de plein emploi que nous prônons… 

D’autres sujets à traiter seraient probablement apparus dans ce processus. Il se serait agi de formuler les mesures transitoires nécessaires pour engager notre pays vers un nouveau modèle de civilisation dès notre accès au pouvoir. De ne pas se satisfaire de la ligne d’horizon mais de penser les chemins possibles pour nous y mener tout en en évaluant bien les effets négatifs, toujours possibles, de certaines mesures à prendre… (C’est aussi cela la responsabilité.) Les travaux en question auraient ensuite pu être rapportés lors d’un Forum national d’élaboration d’un programme de gouvernement populaire.

Au lieu de quoi… le PG a abouti à un mini plan B sur le sujet exclusif de la rupture avec l’euro et J.-L. Mélenchon s’est porté candidat pour 2017 !  Le naturel est revenu au galop.

Plutôt que se laisser abuser une nouvelle fois, il faut comprendre que nous aurons, en plus des candidatures de l’extrême-gauche classique, 3 types de candidatures à gauche :

1.- Un premier type, vraisemblablement issu des Primaires de gauche ou d’une personnalité dans cette mouvance du type de A. Montebourg. Un mélange entre 1re gauche et 2e gauche, dont le fond se caractérisera par une énième tentative de refaire « l’Europe » (à partir d’un noyau dur de pays et sur la base d’une tentative d’uniformisation des critères sociaux). Elle répondra socialement aux préoccupations des couches moyennes et peut capter une partie de l’électorat socialiste-vert. Elle n’aura par la suite aucune incidence dans la vie politique, sinon de jouer la mouche du coche de l’Europe réellement existante. Elle durera le temps de la campagne et prendra ensuite la forme de députés tiédasses.

2.- Le deuxième sera celui du Verbe, de la Geste révolutionnaire, farouchement orienté vers le spontanéisme, porté par « l’insoumis » Ménilmuche. Une agitation en lieu et place d’un programme et d’une stratégie. Il accaparera des forces pour ne rien en faire, comme la démonstration en a été faite avec le Parti de gauche et le Front de gauche, dont les militants auront été utilisés (au mieux) comme des petites mains. Par ailleurs, son fédéralisme européen honteux (parce que non revendiqué mais prenant la forme d'un Traité de Constituante européenne, un autre TCE) entravera sa candidature pour parler clair sur les sujets de fond.

Toute l’histoire sociale et politique, enfin, démontre qu’il ne suffit pas d’un élan électoral (ni même social) pour résoudre un absent : la définition d’une stratégie politique. Quelle priorité (une revendication précise, un mot d'ordre, des solutions à un problème considéré comme majeur par la population) peut faire levier et embrasser l'ensemble de la problématique de la rupture ? Ensuite, comment constituer les forces pour devenir majoritaire autour de cette idée-force ? La VIe république n’est pas cette priorité, aussi juste soit-elle.

C'est ainsi que F. Mitterrand devînt le candidat naturel de la gauche en 1974, cinq ans après Mai-68, alors que ses 11 millions de grévistes et ses centaines de milliers de manifestants se revendiquaient d'une radicalité bien plus mordante… Le « mouvement » n'avait pas suffi pour répondre au défi du pouvoir à prendre.

La gauche de la gauche est fondamentalement devant le même obstacle. Sinon, on ne comprend pas pourquoi notre position n'obtient pas un raz-de-marée devant la déconfiture de la politique de Valls-Hollande.

3.- Le troisième type de candidature, enfin, a ma préférence. Il sera porté par un rassemblement pour la démondialisation. Pas pour entretenir les illusions sur une autre Europe. Ni pour séduire démagogiquement les jeunes générations qui font leur premier pas en politique. Mais pour prendre à bras-le-corps la construction d’un rapport de forces contre la mondialisation. En entamant, pour cela, la bataille pour le recouvrement de la souveraineté nationale et populaire.

J’ai donc décidé de rejoindre le nouveau Parti de la démondialisation, dit PARDEM. Qui s’est fixé l’objectif de ce rassemblement. Les orientations de ce nouveau parti ? Souveraineté nationale, justice sociale, coopération internationale.

Son programme complet est consultable sur :

http://fr.calameo.com/read/00433344339481bef1b26

La partie sur l'emploi :

http://fr.calameo.com/read/00433344394be3320c6be

C’est un nouveau chemin qui s’ouvre.

C’est le moment pour un nouveau regroupement.


1.- Extrait de la recommandation du Conseil de l’Union européenne à la France, mai 2015 : « Réviser le cadre juridique régissant les contrats de travail pourrait aider à réduire la segmentation. Les réformes menées récemment n’ont donné aux employeurs que peu de possibilités pour déroger aux accords de branche. Cela limite la capacité des entreprises à moduler leurs effectifs en fonction de leurs besoins. Il conviendrait d’accorder aux branches et aux entreprises la possibilité de déterminer de façon flexible, au cas par cas et après négociations avec les partenaires sociaux, s’il y a lieu de déroger à la durée légale du travail de 35 heures par semaine. La loi portant création des accords de maintien de l’emploi n’a pas produit les résultats escomptés. Très peu d’entreprises ont fait usage des nouveaux dispositifs permettant un assouplissement des conditions de travail dans le cadre d’accords d’entreprise. Ce dispositif devrait être revu afin de donner plus de latitude aux entreprises pour adapter les salaires et le temps de travail à leur situation économique. »

Recommandations à propos des indemnités chômage : « La dégradation persistante de la situation sur le marché du travail a affecté le système d’assurance chômage, au point de remettre en cause la viabilité du modèle. La nouvelle convention d’assurance chômage, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2014, est insuffisante pour réduire le déficit. Les différentes mesures mises en place ont permis d’économiser 0,3 milliard d’EUR en 2014. D’après les estimations, elles réduiront le déficit de 0,8 milliard d’EUR supplémentaire en 2015, le faisant passer de 5,2 milliards d’EUR à 4,4 milliards d’EUR, et la dette du système augmenterait encore pour s’élever à 25,9 milliards d’EUR. Des mesures structurelles sont nécessaires pour garantir la viabilité du système. Les conditions d’éligibilité, la dégressivité des allocations et les taux de remplacement pour les salaires les plus élevés devraient être réexaminés. »

http://ec.europa.eu/europe2020/pdf/csr2015/csr2015_france_fr.pdf

0 Filet 2