La diversion du plan B de Yanis Varoufakis

Après la reddition d’Alexis Tsipras devant le système de Bruxelles, le Premier ministre grec qu’elle avait soutenu avec enthousiasme, la « gauche de la gauche » européenne s’agite en tous sens pour retrouver un peu de crédibilité. Mais comme elle reste farouchement opposée aux seules mesures qui permettraient de débloquer la situation – la lutte pour la sortie de l’euro et de l’Union européenne, c’est-à-dire la lutte contre l’ordre néolibéral mondial – elle en est réduite à des manœuvres de diversion. Il s’agit de faire semblant de s’opposer. Tout est alors question de rhétorique. Monsieur Laurent, du PCF, ne s’y essaye même plus, il a carrément rallié le PS sur ces questions et arbore à sa boutonnière une épinglette du drapeau européen ! Messieurs Mélenchon, Lafontaine, Varoufakis quant à eux rivalisent dans une surenchère verbeuse contre l’Union européenne. Mais ce n’est que du vent. L’essentiel – sortir de l’euro et de l’Union européenne – reste désespérément absent de leurs diatribes. Tel est leur nouvelle vocation : constituer le dernier rempart – avec l’extrême droite – de protection de l’Union européenne en entraînant les citoyens excédés par ce système dans des impasses.


C’est pourquoi nous publions avec son autorisation l’éditorial de Pierre Levy, rédacteur en chef de Ruptures, paru dans l’édition du 25 février 2016. Notre parti est en effet en accord complet avec son point de vue.


Triste tropisme

Il faut démocratiser l’Europe. Face au danger de retour en arrière chauvin vers le cocon illusoire des États-nations, convoquons une convention qui donnerait à celle-ci une véritable constitution d’ici 2025 ». Qui vient d’énoncer ces conseils aussi originaux que lumineux ? Jean-Claude Juncker ? Mario Draghi ? Angela Merkel ? Ou bien Valéry Giscard d’Estaing, dans un fulgurant retour sur la scène européenne ?

C’est en réalité Yanis Varoufakis qui propose ces perspectives d’avenir. L’ancien ministre grec des Finances, qui fut un temps présenté comme « à la gauche » d’Alexis Tsipras, a mis en scène sa réapparition, à Berlin, le 9 février. Avec un objectif : créer un mouvement transeuropéen porteur d’un « Plan B » (encore un – à ce stade, il s’agit au bas mot d’un plan T !) pour une « autre Europe ». De nombreux « intellectuels de gauche » issus de différents pays étaient venus participer au show de celui qui fut docker au port du Pirée, pardon, professeur d’économie à l’université de Sydney, puis conseiller (2004-2006) du chef du Pasok, George Papandréou.

Pour ce qu’on en sait, cette étrange initiative a laissé de marbre les agriculteurs grecs acculés (comme leurs collègues français), tout comme les sidérurgistes britanniques ou les chômeurs espagnols. Elle retient cependant l’attention pour deux raisons : le moment choisi, et l’état d’esprit d’une certaine « gauche de la gauche » qu’elle traduit.

Le moment ? Il est marqué par une conjonction de crises majeures qui plonge la plupart des dirigeants européens dans un désarroi profond. On a déjà cité ici le président de la Commission évoquant « le bord de l’abîme » ou Michel Barnier s’effrayant d’une possible « dislocation ». Tentent-ils d’imaginer « le pire » pour espérer mieux le conjurer ?

Toujours est-il que Le Monde (09/02/16) vient de consacrer une pleine page à ce début de panique. Sa correspondante à Bruxelles rapporte ainsi la « supplique » désespérée du président de l’euro-parlement en direction des médias : « il faut que vous nous aidiez à remobiliser le camp des Oui à l’Europe, on ne l’entend plus ». Et notre consœur de décrire les dirigeants européens comme « tétanisés par l’impopularité de ‘leur’ Union » : « quoi qu’ils disent, les opinions publiques ne suivent plus. Les référendums sur l’Europe se succèdent et se ressemblent : après les Non grec et danois en 2015, ce sont les Non néerlandais (en avril) et surtout britannique qu’ils redoutent. L’Europe libérale, démocratique, ouverte, plus personne ne semble vouloir l’ « acheter » ».
Elle poursuit en citant l’euro-fanatique Alain Lamassoure (LR) : « avouons qu’on est dans le pot au noir, l’heure est très grave ». Et se fait l’écho de différents diplomates dont l’un confie : « on a l’impression qu’il n’y a plus rien hormis les égoïsmes nationaux ». Pour un autre, « avant, à chaque crise, on se disait qu’on allait rebondir ; aujourd’hui, on est submergés ». Du reste, une réunion (sans précédent) des six « membres fondateurs » de l’ex-CEE a été fébrilement convoquée, qui a solennellement appelé à « renforcer la cohésion de l’UE »...

Crise des migrants, crise de l’euro, et maintenant perspective de Brexit : jamais les élites européennes n’auront été aussi chahutées. Bref, conclut la rédactrice du Monde : « les rêves fédéralistes ? Envolés ».

Envolés ? Pas pour tout le monde, apparemment, puisque quelques responsables politiques résistent encore et toujours... au rejet populaire de l’intégration communautaire. Pathétique : quand les familles fondatrices de « l’aventure européenne » (chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates) se désespèrent de leur propre impuissance, quand les peuples et les citoyens sont de plus en plus nombreux à comprendre la nocivité de l’Europe, c’est ladite (par antiphrase) « gauche de la gauche », ou du moins une partie d’entre elle, qui accourt et se présente en sauveuse de l’idée européenne – celle-là même qui a été inventée et mise en œuvre, six décennies durant, par les représentants des grands capitaux et autres multinationales...

Comme si un étrange et triste tropisme poussait certaines figures de la « gauche radicale » à se porter volontaire pour faire le sale boulot – le syndrome Tsipras, en quelque sorte, prêt à tous les renoncements pour peu que cela puisse préserver l’Europe.

Dans les salons bruxellois très privés, on sourit sans doute de cet attendrissant zèle des néophytes. Riez bien, messieurs. Car la suite pourrait vous être moins drôle.

Pierre Lévy


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