Le 30-03-2016
Par Michèle Dessenne, vice-présidente du Parti de la démondialisation (Pardem)
Le 18 septembre 2013
Michèle Dessenne était invitée à La Fête de l’Humanité le dimanche 15 septembre 2013, à un débat intitulé Quel projet pour la nation ? Pour l’Europe ? Quel projet commun ? Elle a débattu avec Olivier Dartiguolles (porte-parole du PCF) et Liem Hoang Ngoc (député européen PS).
Intervention de Michèle Dessenne : Quel projet pour la nation ? Pour l’Europe ? Quel projet commun ? sont trois questions qui nécessitent des réponses de fond et auxquelles nous pourrions ajouter avec qui et pour quoi faire ? Des questions qui exigent de définir le cadre dans lequel elles se posent et qui impliquent des choix politiques.
Quel projet pour la nation ?
D’abord définir les termes (Larousse) :
Nation : « Entité abstraite, collective et indivisible, distincte des individus qui la composent et titulaire de la souveraineté. »
Etat-nation : « Etat dont les citoyens forment un peuple ou un ensemble de populations se reconnaissant comme ressortissant essentiellement d’un pouvoir souverain émanant d’eux et les exprimant. »
Souveraineté : « Pouvoir suprême reconnu à l’Etat qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national et son indépendance absolue dans l’ordre international où il n’est limité que par ses propres engagements. » L’article 3 de la Constitution de 1958 dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
Allons plus loin
Il existe deux conceptions opposées de la nation : celle, ethnique, de la nation inconsciente, et celle, politique, de la nation consciente. La première enferme les individus et les groupes sociaux dans des déterminants issus du passé, ceux de la « race », du sang et du sol. Elle fonde le chauvinisme. La nation consciente, citoyenne, républicaine, invite, elle, les citoyens à forger des projets d’avenir en commun ; les citoyens ont alors vocation à se tourner vers la « commune humanité ». C’est à cette définition à laquelle nous nous référons ici.
Jean Jaurès, et c’est bien le lieu pour le citer, écrivait en 1911 : « Arracher les patries aux maquignons de la patrie, aux castes du militarisme et aux bandes de la finance, permettre à toutes les nations le développement indéfini dans la démocratie et dans la paix, ce n’est pas seulement servir l’internationale et le prolétariat universel, par qui l’humanité à peine ébauchée se réalisera, c’est servir la patrie elle-même. Internationale et patrie sont désormais liées. C’est dans l’internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. »
Nous nous inscrivons pleinement dans cette vision du monde : indépendance nationale et internationalisme.
L’internationalisme, comme son nom l’indique, associe des nations souveraines car un citoyen ne peut être libre dans un pays subordonné à d’autres.
Or, force est de constater que nation et souveraineté sont depuis des décennies dans la ligne de mire des classes dirigeantes. Elles ont organisé la création d’institutions internationales (OMC, Banque Mondiale, FMI, Otan, Union européenne, BCE) pour régenter le monde, imposer le libre-échange et vider les poches de résistance créées par des luttes sociales et politiques.
Pour réduire l’Etat à peau de chagrin, standardiser, pulvériser les frontières pour faire circuler capitaux et marchandises, défaire les acquis sociaux, le capitalisme a promu le concept de mondialisation, ringardisé la nation et la souveraineté nationale et populaire qui ne peut cependant s’exercer que dans le cadre de la nation, par les luttes et par les urnes. Il a piétiné la démocratie, lui substituant le marché comme dogme, la concurrence comme valeur, l’accumulation de richesses au profit d’une poignée comme but.
L’Union européenne ne fait pas exception. Elle est un rouage essentiel du projet capitaliste. Elle inféode les peuples avec la pleine complicité des gouvernements. Qu’on se souvienne du Traité constitutionnel européen (TCE) et du "non" français au TCE. Qu’on se souvienne de la forfaiture commise par le congrès qui a imposé le Traité de Lisbonne. Qu’on se souvienne du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Plus actuelle encore est la recommandation du Conseil de l’UE, en date du 29 mai 2013, concernant le programme national de « réformes » de la France pour 2013. Dix pages qui indiquent la marche à suivre au gouvernement Hollande pour réduire le déficit public d’ici 2015, mener des « réformes » structurelles, notamment des retraites, réduire les dépenses publiques, maintenir le cap des crédits d’impôts pour les entreprises, réduire le coût du travail, renforcer la concurrence dans le secteur des services, mettre en œuvre vite l’Accord national interprofessionnel (ANI), etc.
Dans ce cadre imposé, qu’en est-il donc de notre souveraineté, de notre pouvoir de mettre en œuvre un programme favorable aux catégories populaires, à l’emploi, au pouvoir d’achat, à la réindustrialisation, à la santé et à la protection sociale, à l’arrêt du pillage des ressources et de la dégradation de la biodiversité ?
Quel projet donc pour l’Europe ?
Sans doute nous évitons tous, ici, de confondre l’Europe – continent de 49 pays – et l’Union européenne, système politique de 28 pays ficelés par des traités et dont les populations subissent les diktats. L’Union européenne constitue l’un des piliers du néolibéralisme : elle a été rêvée, pensée, voulue par la finance et les multinationales.
Car nous ne pouvons pas nous tromper : l’Union européenne est un mariage forcé ; elle n’est pas une union libre décidée par et pour les peuples. Elle leur impose ses volontés. Sans consultation. Elle enferme chacun des pays dans une aliénation continue. Tous les domaines de notre vie sont sous la coupe des directives, des règlements. La politique économique, sociale, budgétaire et monétaire nous échappe. Nous sommes pieds et poings liés par des milliers de textes qui s’appliquent et dont nous ignorons parfois même l’existence. Et quand certains parviennent à alerter – la directive Bolkestein on s’en souvient – et que le peuple se rebelle, alors la directive services prend le relai, s’applique sans notre consentement, y compris dans les collectivités locales. Et en avant toute vers la privatisation des services publics, la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et maintenant la Modernisation de l’action publique (MAP) mise en place par le gouvernement Hollande.
Il n’y a donc pas de projet que nous pourrions porter pour et dans l’Union européenne parce qu’elle est un instrument de combat contre les peuples, contre les syndicats, contre le salariat, contre le progrès social. Les négociations en cours entre l’UE et les Etats-Unis sur le projet d’accord transatlantique, si elles aboutissent, nous livreront entièrement aux Etats-Unis et à leur politique impérialiste. Nous ne devons pas nous leurrer : l’UE sera demain encore davantage le vassal consentant des Etats-Unis.
Alors, bien naïfs serions-nous de croire que nous pouvons changer la machine à broyer de l’intérieur, la transformer pour la mettre au service du progrès social. Elle a été conçue pour nous tenir en laisse. Ce mariage forcé ne peut pas se transformer en un mariage d’amour librement consenti. Croire qu’il serait possible de faire de l’UE un outil de progrès, c’est comme si nous pensions que nous pouvons changer le Medef de l’intérieur ! Idée vaine et stupide qui ne nous a jamais traversé l’esprit, n’est-ce pas ? D’autant que nous n’avons pas oublié ce que classe et rapports de classes signifie. Le Medef a clairement annoncé la couleur : il a besoin d’airE pour se développer encore : d’espace et d’abolition des règles nationales protectrices du citoyen.
Alors, bien sûr, l’Europe c’est autre chose. La paix c’est autre chose. La solidarité et l’internationalisme aussi. C’est à cela que nous voulons nous attacher.
Le projet commun que nous avons à dessiner se situe entre peuples libres et souverains, en Europe et au-delà, aptes à décider de la société qu’ils veulent construire. Notre combat est celui de l’égalité, de la fraternité, de la coopération. Pas de la domination ni de la concurrence. Notre but est de renverser le capitalisme. Pas de l’attendrir, ce qui est une chimère.
Quels peuvent être nos outils pour y parvenir ?
D’abord nous libérer de l’Union européenne, de sa monnaie unique entièrement définie par et pour les monopoles et les classes dirigeantes, sortir de l’OTAN, de l’OMC, du FMI.
Approprions-nous la charte de La Havane dont le principe est l’équilibre de la balance des paiements. Coopérons d’égal à égal. Ayons pour objectif de remplacer l’OMC par l’OIC, l’Organisation internationale du commerce, fondée sur les principes de la charte de La Havane.
Pour atteindre la perspective universaliste de la charte de La Havane, il est nécessaire de :
- Construire une majorité politique mettant la charte de La Havane dans son programme.
- Proposer des accords bilatéraux reprenant les principes de la charte de La Havane.
- Prendre des mesures protectionnistes à l’égard des pays qui refuseraient la coopération en préférant la guerre commerciale.
Telle est la ligne stratégique universaliste que propose le M’PEP (devenu ensuite Pardem, NDLR).
Et à ceux qui doutent qu’un changement aussi radical soit possible, disons-leur qu’ils tournent leurs regards vers l’Amérique du Sud, vers l’Alba, fondée sur des accords de coopération entre des pays souverains qui partagent une volonté farouche de ne pas se soumettre : ni au libre-échange ni à l’impérialisme étatsunien.
Enfin, je voudrais citer Salvador Allende. Deux ans après son élection, en 1972, il prononçait un discours à l’ONU : « Nous sommes face à un véritable conflit entre les multinationales et les Etats. Ceux-ci ne sont plus maîtres de leurs décisions fondamentales, politiques, économiques et militaires à cause de multinationales qui ne dépendent d’aucun Etat. Elles opèrent sans assumer leurs responsabilités et ne sont contrôlées par aucun parlement ni par aucune instance représentative de l’intérêt général. En un mot, c’est la structure politique du monde qui est ébranlée. Les grandes entreprises multinationales nuisent aux intérêts des pays en voie de développement. Leurs activités asservissantes et incontrôlées nuisent aussi aux pays industrialisés où elles s’installent ».
Cette lucidité et l’audace des mesures qu’Allende mettait en œuvre, avec et pour le peuple chilien, nous devons les garder en mémoire, vivante. Ils sont des milliers à l’avoir payé de leur vie. Des millions à avoir subi la dictature de Pinochet. Parce qu’ils avaient raison et que les classes dirigeantes, celles des Etats-Unis en tête, avaient compris le danger que le Chili, libre, souverain et véritablement socialiste représentait pour le projet libéral.
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