Le 30-03-2016
par Jacques Nikonoff, président du Parti de la démondialisation (Pardem)
Ce qui est appelé la « construction » européenne repose en réalité sur la marchandisation de tous les aspects de la vie sociale et économique : les marchés, le travail, la culture, l’éducation, le social, la finance… Il faudrait plutôt parler de la construction du néolibéralisme à l’européenne !
C’est non seulement l’effacement de toute volonté devant le marché total, mais c’est le projet terrifiant de faire du marché le mode principal de régulation de la société.
L’Union européenne – il ne faut jamais cesser de le rappeler - est née de la seule volonté des États-Unis d’Amérique de se constituer une digue face à la menace du socialisme : le camp soviétique d’un côté, les partis communistes européens de l’autre, quoi que l’on pense d’ailleurs de ces partis. Cette stratégie a un nom, c’est la doctrine du containment (l’endiguement).
Aucune véritable volonté européenne, issue des Européens eux-mêmes, n’existe et n’a jamais existé pour faire une Europe indépendante, démocratique et prospère.
L’impulsion initiale vient des États-Unis, dès 1942-1943, avec une accélération à partir de 1945.
Le but : reconstruire le capitalisme après la Seconde Guerre mondiale, sous leadership américain pour faire face à l’URSS.
Dans ce cadre, pour les dirigeants américains, des formes d’union européenne sont indispensables pour acheter la production de masse américaine, faire produire par l’Europe ses propres armements contre l’URSS, contrecarrer le communisme intérieur, particulièrement en France et en Italie.
Voilà ce que dit le pape du néolibéralisme, Friedrich von Hayek, dès 1939 :
« La fédération [européenne] devra posséder le pouvoir négatif d’empêcher les États individuels d’interférer avec l’activité économique ».
Il ajoute : « Une fédération signifie qu’aucun des deux niveaux de gouvernement [fédéral et national] ne pourra disposer des moyens d’une planification socialiste de la vie économique ».
C’est très clair, il faut briser les souverainetés nationales pour empêcher tout risque de socialisme.
Les partisans du système politique appelé aujourd’hui à tort l’Union européenne se plaisent à fixer la date du début de cette opération au 9 mai 1950 avec la Déclaration Schuman qui annonçait la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).
C’est totalement inexact.
C’est le 21 octobre 1949 que tout a commencé comme nous le révèlent les archives américaines. Ce jour-là, le secrétaire d’État américain, Dean Acheson, qui vient de remplacer le général Marshall, convoque les ambassadeurs américains en Europe. Voilà ce qu’il leur dit :
« Par progrès vers l’intégration européenne, j’ai en tête, en tant qu’objectifs et engagements entre Européens, qu’ils décident le plus vite possible du calendrier pour créer des institutions supranationales opérant sur une base qui ne soit pas celle de l’unanimité pour s’occuper de problèmes spécifiques, économiques, sociaux et peut-être autres ».
Du coup il s’adressait personnellement à Robert Schuman le 30 novembre 1949 (soit six mois avant la fameuse Déclaration), toujours selon les archives américaines, en lui disant ceci :
« Je crois que notre politique en Allemagne, et la mise en place d’un gouvernement allemand capable de prendre sa place dans l’Europe de l’Ouest, repose sur l’hypothèse d’un leadership de votre pays sur ces questions ».
C’est donc le gouvernement américain qui a donné à Robert Schuman le feu vert pour lancer la CECA, et non les prétendus « pères fondateurs » de l’Europe, vulgaires agents américains comme Jean Monnet, ou collaborateurs du régime de Vichy comme Robert Schuman lui-même.
L’Union européenne s’est forgée à coups de traités qui ont, pas à pas, détruit les souverainetés nationales et orienté la construction européenne dans une seule direction : celle de la liberté de circulation des marchandises, des capitaux, des services, de la main-d’œuvre (les « quatre libertés ») et de la mise en concurrence des systèmes économiques.
En France, ils ont principalement été défendus par des socialistes (avec un rôle déterminant de François Mitterrand et Jacques Delors) qui n’ont jamais hésité à adapter la Constitution française chaque fois que cela s’avérait nécessaire.
Après le traité de Rome de 1957, l’Acte unique signé en 1986 par 12 pays est le traité qui a vraiment accéléré la construction d’un marché unique et mis en place la liberté de circulation des capitaux (1990).
Le traité de Maastricht de 1992 lance l’union monétaire.
L’adhésion à la monnaie unique a un coût : ce sont les fameux critères de convergence : une inflation qui n’excède pas 2%, un déficit public ne dépassant pas 3% du PIB et une dette publique inférieure à 60% du PIB.
Après l’échec du traité constitutionnel européen en 2005, est arrivé son frère jumeau : le traité de Lisbonne, entré en application en 2009. C’est avant tout un traité symbolique ; il ne marque pas de progression importante de l’intégration européenne mais permet de graver dans le marbre les règles du marché européen mises en place progressivement et de remanier le traité de Maastricht.
Plus dangereux, le pacte budgétaire est basé sur l’équilibre des finances publiques (la fameuse règle d’or du déficit « zéro », en réalité 0,5% du PIB) et donne un droit de regard aux institutions européennes sur les budgets nationaux.
Voté par le parlement sous le gouvernement Sarkozy, le pacte budgétaire, rebaptisé pour sauver les apparences « pacte de croissance », a été ratifié dans les premiers mois du quinquennat de François Hollande. Il donne un sérieux coup de pouce aux plans d’austérité qui s’appliquent dans tous les pays de l’UE pour détruire les systèmes de solidarité.
Désormais, la Commission européenne donne la marche à suivre au gouvernement français dans une note qu’elle publie chaque semestre.
Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) est le petit frère du FMI : il prête aux pays endettés désormais lourdement sanctionnés.
Dans le même temps, s’est organisé l’élargissement aux pays méditerranéens puis aux pays d’Europe Centrale et Orientale pour agrandir la taille des marchés (et notamment du marché du travail) et diluer les pouvoirs de décision.
L’Union européenne est le système le plus sophistiqué au monde reposant sur la tentative de construire une civilisation par le marché.
Toute l’idéologie européenne s’appuie sur la croyance insensée que l’on peut résoudre les problèmes du monde en établissant un ordre quasi-intégralement marchand. L’Union européenne est un monstrueux système de domination et d’aliénation des peuples dont il faut s’émanciper. L’ouverture totale des marchés de capitaux, qui est probablement le symbole majeur de l’Union européenne et de sa crise, ne pouvait aboutir à un résultat différent de celui que nous avons aujourd’hui sous les yeux. L’euro a été le vecteur et l’amplificateur de cette circulation effrénée des capitaux.
Le Conseil européen extraordinaire tenu à Lisbonne en mars 2000 avait rappelé la doctrine européenne en la matière :
« Des marchés financiers efficaces et transparents favorisent la croissance et l’emploi en permettant une meilleure allocation des capitaux à un moindre coût. »
Avec le recul, on se rend mieux compte soit de l’incompétence absolue des dirigeants européens, soit de leur méprisable duplicité. Ils sont même parvenus à inclure ces conceptions délirantes dans l’article 120 du traité de Lisbonne qui stipule que « Les États membres et l’Union agissent dans le respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, favorisant une allocation efficace des ressources ».
C’est la reprise presque mot pour mot de l’inénarrable théorie de « l’efficience des marchés financiers » qui explique avec le plus grand sérieux qu’il faut libéraliser totalement les marchés financiers car cela permettra la meilleure allocation des capitaux aux projets rentables, ce que ne pourrait pas faire l’État.
La création et le développement des marchés financiers résultent entièrement d’un choix politique et non d’une fatalité économique. L’Union européenne et l’euro ne sont pas victimes de la mondialisation et de la globalisation financière – et encore moins un « bouclier » pour s’en protéger -, ils en sont les co-auteurs. Tout ce qui est appelé la « construction » européenne – et que l’on devrait appeler en réalité la déconstruction européenne - a été subordonné à ce but. Il fallait attirer vers les marchés financiers européens les capitaux recherchant à l’échelle planétaire une rentabilité maximale à très court terme.
C’est pourquoi les taux d’intérêt sur les obligations d’État sont régulièrement plus élevés en Europe qu’aux des États-Unis.
Tout cela rend structurellement l’euro fort, c’est-à-dire cher, trop cher. Les entreprises européennes sont alors poussées à baisser sans cesse leurs coûts salariaux d’un côté, tandis que d’un autre côté l’euro pousse à la baisse de la fiscalité sur le capital, affaiblissant les finances publiques.
Certes, les capitaux ont afflué dans la zone euro, mais comme leur rentabilité était supérieure à la rentabilité des investissements productifs, ils sont allés à la spéculation.
Le taux d’investissement des entreprises a baissé, encourageant les délocalisations et le chômage.
La crise de 2007-2008-2009 a clairement montré l’absurdité de cette théorie de l’efficience des marchés financiers. Heureusement que les États étaient là, avec l’argent public des citoyens, pour sauver les banques de la faillite !
Pourtant les oligarques européens n’en ont tiré aucune leçon.
Un tel système ne peut pas changer d’essence. Il ne peut pas s’améliorer de l’intérieur. Il faut en sortir.
L’Union européenne, en effet, est un des piliers de l’ordre néolibéral mondial sous contrôle étatsuniens, avec le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, l’OTAN, l’OCDE.
La lutte contre cet ordre néolibéral passe nécessairement par la sortie des piliers qui le soutiennent, et c’est bien ce que propose notre Parti, le Pardem.
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