La gauche transformatrice et la guerre en ukraine

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Manifestation en Espagne le 19 novembre 2022

 

Les partis et mouvements politiques sont divisés quant à la position à adopter sur la "guerre en Ukraine » . Mais cette division ne correspond pas à la division traditionnelle gauche / droite. Des positions différentes, voire opposées, s’expriment au sein de toutes les organisations. Ainsi en est-il de la mouvance trotskiste. Cette division des divers courants du trotskisme n’est pas seulement franco-française. Elle touche tous les mouvements du trotskisme dans de nombreux pays. Le Pardem trouve donc intéressant de publier la position d’anciens membres éminents de la 4e internationale. En France, par exemple, le NPA appelle à la «  Solidarité avec la résistance du peuple ukrainien » et considère, avec des nuances en son sein, que la guerre en Ukraine est une guerre des impérialismes (inter-impérialiste). Lutte ouvrière, dans une longue analyse, tout en soutenant le peuple ukrainien réfute cette analyse. Le POI, s’il remet en cause l’impérialisme américain pense que Poutine défend les intérêts des oligarques russes…Quant au POID, il se contente d’être « contre la guerre ». Le débat continue et ne concerne pas que les trotskistes…  

 Texte de Pedro Montes et Diosdado Toledano

La guerre en Ukraine a produit, et il ne pouvait en être autrement, une nouvelle division dans la gauche transformatrice, c’est à dire la gauche qui n'accepte pas l'ordre néolibéral existant (capitalisme et hégémonie des États-Unis), et qui tente de le changer dans une direction progressiste, en prenant le socialisme comme point de référence. Tout cela est très générique, mais nous aide à comprendre et, par conséquent, à éliminer la social-démocratie traditionnelle, qui défend cet ordre depuis longtemps.

Au risque de simplifier, compte tenu de sa dimension historique, des acteurs impliqués, de ses répercussions et conséquences, de ses implications géopolitiques et des aspects idéologiques en jeu, la diversité des analyses fait apparaître deux positions que l'on peut résumer comme suit :
1- l’Ukraine a été envahie par la Russie, qui viole les principes fondamentaux de la coexistence internationale. La conclusion est qu'il est nécessaire de soutenir l'Ukraine pour qu'elle se défende par tous les moyens possibles, en l'aidant militairement même si elle doit être détruite et jusqu’au dernier ukrainien.
2- En s’appuyant sur des faits et des données convaincants et connus (1), certains secteurs de la gauche soutiennent que l'origine de l'invasion est le produit d'une stratégie délibérée des États-Unis et de leurs alliés, essentiellement l'OTAN, pour affaiblir la Russie, voire la détruire si possible, et s'emparer de ses innombrables ressources, en utilisant l'Ukraine comme fer de lance pour l'attaquer et la forcer à se défendre.

La guerre est donc devenue une confrontation entre l'OTAN et la Russie, menée de façon conjoncturelle sur le sol ukrainien, et comme étape intermédiaire à d'autres objectifs géopolitiques qui incluent la Chine. Cette stratégie est menée au risque de provoquer d'autres dommages, par exemple contre les pays de UE, et l'Allemagne en premier lieu en raison de sa force concurrentielle (2).

Naturellement, il y a tellement d'aspects et de niveaux à considérer dans cette situation que les deux positions de gauche présentent d'innombrables nuances, On pourrait dire que chaque organisation ou collectif a son point de vue, mais qu'ils peuvent être regroupés dans l'un ou l'autre des camps mentionnés ci-dessus.

Les analyses et les arguments sont assez affinés et chacune des visions les utilise de la manière qui convient le mieux à ses conclusions politiques. Ceux qui se retrouvent dans l'Ukraine outragée (par Ukraine, nous entendons le régime Zelensky aux origines obscures et à son alliance avec des groupes néonazis) en viennent à penser qu'un conflit inter-impérialiste se déroule sur le sol de ce pays. Et que les États-Unis et leurs alliés forment un bloc impérialiste, que la Russie, se souvenant de son passé tsariste, cherche à retrouver l'ancien statut de l'URSS et à devenir un autre bloc pour contester l'hégémonie actuelle des États-Unis. Tout comme l'impérialisme dans le système capitaliste a été analysé et décrit dans les classiques du marxisme, le nouvel impérialisme qui a émergé dans la Russie de Poutine nécessiterait des explications supplémentaires et discutables d’un pays aux ambitions impériales.

Les deux camps utilisent leurs raisons comme armes de guerre, mais il semble que la force militaire ne soit pas comparable dans les deux cas, ne serait-ce qu'en raison des 800 bases militaires que les Américains ont installées dans le monde, du déploiement de la puissance militaire des États-Unis au cours des dernières décennies et de l'énorme différence de puissance et de capacité économique entre les États-Unis et la Russie (3).  

Le trait le plus caractéristique des déchirements dont souffre la gauche sur la question ukrainienne est, pourrait-on dire, transversal. Et ce, dans le sens où les positions de chaque organisation ne correspondent pas tant à des profils idéologiques traditionnels, réformismes plus ou moins intenses ou révolutionnaires plus ou moins radicaux, mais à un amalgame étrange et déroutant de positions idéologiques coexistant dans chacun des groupes.  

Il existe tellement d'analyses historiques, de documents, de déclarations et de débats, que l'on peut dire que la position sur la guerre en Ukraine de chaque organisation, collectif, et même individu, n'est pas seulement due à l'ignorance ou au manque d’information. Même si un contexte sans précédent de guerre de propagande médiatique manipule les émotions humaines et le cours du conflit lui-même, la position idéologique sur le développement de l'histoire et le projet politique et social voulus par les groupes sont un facteur essentiel de leur prise de position.

Bien sûr, cela ne signifie pas que nous considérons que toutes les positions sont correctes ou justifiées. Politiquement, nous nous sommes toujours identifiés à l'œuvre et à la pensée de Léon Trotsky et nous avons été liés à la Quatrième Internationale. En raison des divergences et des fractures qui sont apparues dans toute la gauche - une période très complexe à tous les niveaux et pleine d'événements inédits et inhabituels - nous appartenons désormais à l'association Socialisme 21, qui a clairement exprimé sa position sur le conflit ukrainien et que l'on peut retrouver dans le document suivant :
Pour un dialogue et une sortie négociée qui restaure la paix entre l'Ukraine, les républiques indépendantes de Donetsk et de Louhansk, et la Russie (socialismo21.net), même si l'évolution de la situation a parfois nécessité une mise à jour des textes, une révision des analyses et un réaménagement des arguments, comme le sabotage des oléoducs et du pont de Crimée, l'attaque de Sébastopol ou les risques d'une escalade avec des armes nucléaires en cas d'aggravation du conflit.  

Nous avons parlé plus tôt de positions étranges. Parmi elles, nous sommes surpris, pour le dire de manière neutre, par celles du Secrétariat de la Quatrième Internationale et celles de la gauche anticapitaliste d’Espagne car la version d’une guerre inter-impérialiste domine leurs analyses et leurs publications.

Ces derniers jours et par hasard, Pedro Montes a reçu un courriel d'Esteban Volkov, petit-fils de Léon Trotsky qui, garçon de 13 ans vivant avec lui à Coyoacan, en rentrant de l’école le 20 août 1940 a trouvé son grand-père en sang, le crâne fracassé par un coup de piolet porté par un agent de Staline. Aujourd’hui âgé de 96 ans, il a consacré toute sa vie à défendre le grand révolutionnaire et à laver son nom de toutes falsifications, calomnies et déformations.  Sa contribution à la cause du socialisme est inestimable et il est juste de le reconnaître comme l'exécuteur politique de son grand-père.
Voici ce qu’écrit Esteban Volkov le 24 octobre :
 "Dans la situation difficile que traverse le monde, la présence de la pensée de grand-père est plus valable que jamais. .... Qu'en pensent les camarades ?"
Puis le 26 octobre :
"Je suppose que vous suivez les difficultés et la complexité du moment transcendantal que vit l'humanité, dont l'un des aspects les plus sinistres est l'égarement et la faiblesse idéologique de la gauche, au sens large. Tout est si dramatique que même dans nos rangs, il existe des opinions et des positions qui, à mon humble avis, rompent avec la tradition que nous représentons. Il y aura un avant et un après dans l'histoire du conflit ukrainien, tout va changer, même s'il est trop tôt pour en mesurer les suites et les conséquences. Je ne suis pas d'accord, ou pour le dire plus crûment, je rejette l'interprétation selon laquelle il y a en Ukraine une confrontation impérialiste entre les États-Unis et la Russie. C'est une simplification inadmissible et une tentative d'imitation grossière des écrits de Trotsky sur la Première Guerre mondiale. Pour ma part, avec les camarades qui tiennent une organisation modeste mais active - Socialisme 21 - entourée et pressée par une campagne sans précédent dans les médias et les organisations politiques du monde occidental, nous parlons dans nos écrits de la lutte pour la paix, mais nous ne manquons pas de reconnaître que la Russie est victime du harcèlement et des provocations de l'OTAN, selon un projet conçu par les États-Unis depuis longtemps."

Le 28 octobre, Esteban Volkov écrit :
"Merci pour votre réponse, nous avons effectivement vécu des moments qui marqueront l'histoire et je reconnais comme vous que la Russie est une victime des USA et des pays alliés".

Pedro Montes écrit le jour suivant :
"En raison de la transcendance du conflit USA-Russie, qui durera longtemps et de la nécessité que Diosdado Toledano et moi-même ressentons, en tant que militants anciens et actifs de la IVe Internationale de clarifier la position d'une partie du trotskisme dans ce conflit, je voudrais savoir si je peux utiliser votre réponse dans la tâche que nous nous sommes fixée de combattre la fausse interprétation selon laquelle il s'agit d'une confrontation inter-impérialiste, dans laquelle l'une des parties a une histoire terrifiante et quelques 800 bases militaires dans le monde. Je vous remercie d'avance pour votre réponse, quelle qu'elle soit, que vous jugerez appropriée. Salutations fraternelles.”

La dernière phrase du courriel de Pedro Montes était une manière de reconnaître qu’Esteban Volkov, en raison du rôle historique qu'il a joué dans et hors des courants trotskystes, a des responsabilités et des relations politiques et des équilibres à maintenir qu'il était essentiel de respecter, car lui seul était en mesure de les évaluer. Il n'était pas question de profiter de courriels privés pour l'impliquer ou le compromettre.

Sa réponse, le 30 octobre, est claire et laconique :

"Allez-y".

Voilà où nous en sommes, c'est l'objectif ultime de ce document.

Notes
1- L’expansion de l'OTAN visant à encercler la Russie constitue une violation des engagements pris par les dirigeants américains après la dissolution de l'Union soviétique.
Le coup d'État orchestré par les États-Unis et les groupes néo-nazis en 2013 (EuroMaidan) a provoqué une guerre civile avec une terrible répression à Odessa avec l'incendie de locaux syndicaux, à Mariupol, etc. et a provoqué la rébellion de la population des régions de Louhansk et de Donetsk. Au cours des huit dernières années, le régime ukrainien a tué plus de 14 000 personnes, dont des centaines de mineurs. À cela s'ajoute le non-respect par le gouvernement ukrainien des accords de MINSK I et II, ainsi que l'interdiction de la langue russe, qui est la langue majoritaire au sein de la population ukrainienne. Sur tout cela, les médias contrôlés par les États-Unis et l'OTAN gardent un silence scandaleux.
2- Voir le document " OTAN 2030, unis pour une nouvelle ère, Analyse et recommandations du groupe de réflexion nommé par le secrétaire général de l'OTAN ", section sur la Chine. Ce document a été utilisé pour préparer le sommet de l'OTAN à Madrid les 29 et 30 juin 2022. https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2020/12/pdf/201201-R….
3- Dans la liste Forbes des 2 000 premières entreprises du monde, basée sur le total des ventes, des bénéfices, des actifs et de la valeur du marché, les États-Unis arrivent en tête avec 560

Traduction Joël Perichaud