La Charte de La Havane contre les traités de libre-échange

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ONU

Par le Parti de la démondialisation

Le 4 mai 2020

La Charte de La Havane est probablement le premier texte international à évoquer le développement
La question des liens entre commerce et développement a été évoquée pour la première fois à la Conférence de La Havane par les pays d’Amérique latine. Plus tard, l’accession à l’indépendance des pays en développement d’Afrique et d’Asie, à la suite de la Conférence de Bandung de 1955, a relancé une dynamique mondiale visant à créer un système commercial international qui favorise le développement économique et social. C’est pour réaliser cet objectif que la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) a été créée en 1964. La Charte de La Havane propose une approche qui se situe aux antipodes des conceptions actuelles du commerce international. Pour elle ce commerce ne peut avoir qu’un seul objet : le développement de chaque pays considéré individuellement, dans un cadre de relations internationales fondées sur la coopération et non sur la concurrence.

La Charte de La Havane ne sépare pas le commerce international et emploi
La Conférence de La Havane a tenté de traiter une question essentielle : l’articulation entre le commerce et l’emploi. C’est pourquoi elle s’intitulait « Conférence internationale sur le commerce et l’emploi ». A l’époque, tout le monde croyait au plein emploi. Aujourd’hui, cet objectif a non seulement été abandonné, mais le chômage est devenu la « variable d’ajustement » de l’économie.

On ne trouvera jamais, d’ailleurs, dans la littérature de l’OMC, l’objectif du plein emploi comme raison du commerce international. L’article 1 de la Charte de La Havane, qui en fixe l’objet, est particulièrement clair : « Atteindre les objectifs fixés par la Charte des Nations Unies, particulièrement le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et les conditions de progrès et de développement. ».

On croit rêver !

L’article 2 précise que « les États membres reconnaissent qu’il n’est pas uniquement de leur intérêt national de prévenir le chômage et le sous-emploi [...] mais que la prévention du chômage et du sous-emploi est également une condition nécessaire pour [...] le développement des échanges internationaux, et, par conséquent, pour assurer le bien-être de tous les autres pays. ».

Ainsi « les États membres reconnaissent que, si la prévention du chômage et du sous-emploi dépend, au premier chef, de mesures intérieures, prises individuellement par chaque pays, ces mesures devraient être complétées par une action concertée, entreprise sous les auspices du Conseil économique et social des Nations Unies et avec la collaboration des organisations intergouvernementales qualifiées... ».

A quand une réunion sur le plein emploi organisée par l’OMC ?

Un principe fondamental : celui de l’équilibre de la balance des paiements

Ce principe est le plus important de la Charte de La Havane et lui donne sa charpente. Il signifie qu’aucun pays ne doit être en situation structurelle d’excédent ou de déficit de sa balance des paiements. Autrement dit, pour simplifier, dans les échanges commerciaux bilatéraux entre pays, c’est la règle « je t’achète autant que tu m’achètes » qui doit prévaloir.
La balance des paiements retrace l’ensemble des relations entre les agents économiques résidents et les non-résidents (activités sur le territoire national d’une durée inférieure à un an ou agents économiques à l’étranger). Elle mesure l’ensemble des échanges économiques : flux de marchandises, de services et de capitaux.

Pour chaque flux, il y a une opération « réelle » et une opération monétaire. Si j’achète des voitures anglaises, ces voitures (flux réels) entrent en France et des capitaux (flux monétaires) en sortent pour effectuer le paiement. L’importation est inscrite au débit (sortie) de la balance commerciale alors qu’une exportation est inscrite au crédit (entrée). Quand on importe, il y a une baisse des avoirs de réserve (sorties de devises) ; quand on exporte, il y a une augmentation des avoirs de réserve (entrées de devises).

On confond souvent balance des paiements et balance commerciale. La balance commerciale correspond seulement aux flux de biens (la balance des services retraçant les flux de services).
Ce qu’il y a de radicalement nouveau dans la Charte de La Havane par rapport à la situation actuelle, c’est la recherche de l’équilibre de la balance des paiements comme principe général.
Ainsi l’article 3 énonce-t-il que « les États membres chercheront à éviter les mesures qui auraient pour effet de mettre en difficulté la balance des paiements d’autres pays. » Autrement dit, la « priorité aux exportations », qui est le mot d’ordre général de tous les pays, et particulièrement de la France depuis l’alignement de 1982-1983 sur les politiques néolibérales, ne saurait être une politique acceptable pour l’OIC. En effet, cette « priorité aux exportations » affiche clairement son ambition : créer chez soi un excédent structurel de la balance des paiements. Comme on n’exporte pas sur la lune et qu’il faut bien que d’autres pays achètent ce qui est exporté, il est créé chez eux un déficit structurel. Une telle situation, par définition, ne peut que déséquilibrer le commerce international et en faire un lieu d’affrontement au lieu d’en faire un outil de coopération.

C’est pourquoi l’article 4 de la Charte de La Havane parle du « rétablissement de l’équilibre interne de la balance des paiements » comme d’un objectif fondamental de l’OIC.
L’article 6 envisage ainsi des « mesures de protection en faveur des États membres exposés à une pression inflationniste ou déflationniste extérieure. » Même chose pour l’article 21 qui détaille les « restrictions destinées à protéger la balance des paiements ». Par « restrictions » il faut entendre la méthode des contingents, les licences ou les permis d’importation sans fixation de contingents. Tout État membre de l’OIC pourra, par exemple, en vue de sauvegarder sa position financière extérieure et sa balance des paiements, « restreindre le volume ou la valeur des marchandises dont il autorise l’importation ». C’est parfaitement logique : pour rééquilibrer une balance des paiements déficitaire, l’un des moyens principaux est la limitation des importations. Bien entendu ces mesures protectionnistes sont encadrées par la Charte de La Havane et ne sont autorisées que dans les cas suivants :
- pour s’opposer à la menace imminente d’une « baisse importante de ses réserves monétaires ou pour mettre fin à cette baisse » ;
- pour augmenter ses réserves monétaires « suivant un taux d’accroissement raisonnable, dans le cas où elles seraient très basses ».

Ces mesures, en outre, doivent faire l’objet d’une gestion collective et solidaire au sein de l’OIC. L’État membre qui applique des restrictions « les atténuera progressivement jusqu’à suppression complète, au fur et à mesure que sa position financière extérieure s’améliorera ». Cette disposition n’est d’ailleurs pas interprétée dans la Charte de La Havane comme obligeant un État membre concerné à atténuer ou à supprimer ces restrictions si cela devait créer une situation qui justifierait de nouvelles restrictions.

De la même manière la Charte de La Havane indique que ses États membres doivent reconnaître mutuellement les politiques nationales qu’ils mènent à propos « de la réalisation et du maintien du plein emploi productif », du « développement des ressources industrielles et des autres ressources économiques », de l’ « élévation des niveaux de productivité ». Chaque État doit donc « considérer que la demande de devises étrangères au titre des importations et des autres paiements courants » peut consommer une part importante des ressources d’un autre État pour se procurer des devises étrangères « au point d’exercer sur ses réserves monétaires une pression justifiant l’établissement ou le maintien de restrictions ». Dès lors chaque État est invité à accepter des mesures protectionnistes venant des pays concernés. Celles-ci seront le résultat d’une négociation et non d’une décision unilatérale. Dès lors, tout État membre qui envisage d’appliquer des restrictions à ses importations devra, avant de les établir (ou si les circonstances ne permettent pas une consultation préalable, immédiatement après les avoir établies), « entrer en consultation avec l’OIC sur la nature des difficultés qu’il éprouve dans sa balance des paiements, sur les autres correctifs qui peuvent s’offrir à lui ainsi que sur la répercussion possible de ces mesures sur l’économie des autres États membres. ».
Inversement, tout État membre qui considère qu’un autre État membre applique des restrictions d’une manière incompatible avec ses propres intérêts, « pourra soumettre la question à l’OIC pour discussion. L’État membre qui applique ces restrictions participera à la discussion. Si, au vu des faits avancés par l’État membre qui a recours à cette procédure, il apparaît à l’OIC que le commerce de cet État membre subit un préjudice, elle présentera ses observations aux parties en vue de parvenir à un règlement de l’affaire satisfaisant pour les parties et pour l’Organisation. Si la question ne peut être réglée et si l’Organisation décide que les restrictions sont appliquées d’une manière incompatible, l’Organisation recommandera la suppression ou la modification de ces restrictions. Si les restrictions ne sont pas supprimées ou modifiées dans les soixante jours, conformément à la recommandation de l’Organisation, celle-ci pourra autoriser un ou plusieurs autres État membres à suspendre à l’égard de l’État membre qui applique les restrictions, tels engagements ou concessions résultant de la présente Charte ou de son application qu’elle spécifiera. ».

Contrairement à une idée reçue, des mesures protectionnistes ne sont pas synonymes de relations conflictuelles entre États. Ni créatrices d’une dynamique de repli du commerce international, aboutissant peu à peu à des formes d’autarcie. Le contenu de la Charte de La Havane montre que le protectionnisme ne peut fonctionner qu’à condition d’être universaliste.

Des normes de travail équitables

L’article 7 de la Charte prévoit que « les États membres reconnaissent que les mesures relatives à l’emploi doivent pleinement tenir compte des droits qui sont reconnus aux travailleurs par des déclarations, des conventions et des accords intergouvernementaux. Ils reconnaissent que tous les pays ont un intérêt commun à la réalisation et au maintien de normes équitables de travail en rapport avec la productivité de la main-d’œuvre et, de ce fait, aux conditions de rémunération et de travail meilleures que cette productivité rend possibles. Les États membres reconnaissent que l’existence de conditions de travail non équitables, particulièrement dans les secteurs de la production travaillant pour l’exportation, crée des difficultés aux échanges internationaux. En conséquence, chaque État membre prendra toutes les mesures appropriées et pratiquement réalisables en vue de faire disparaître ces conditions sur son territoire. ».

Cet article prévoit aussi que « les États membres qui font également partie de l’Organisation internationale du travail collaboreront avec cette Organisation, afin de mettre cet engagement à exécution » et que l’Organisation internationale du commerce « consultera l’Organisation internationale du travail et collaborera avec elle. ».

Nous sommes à des années-lumière des conceptions et pratiques de l’OMC ! Avec cet article, les « maquilladoras » et autres « zones économiques spéciales » dans lesquelles les travailleurs et le plus souvent les travailleuses sont surexploités ne pourraient exister. Le dumping social serait interdit. Au lieu de l’hypocrite « clause sociale » que certains gouvernements — et même des syndicalistes ! — arborent pour masquer leurs renoncements, la Charte de La Havane permettrait de combattre efficacement le dumping social.

La coopération économique remplace la concurrence

Dans son article 10, la Charte de La Havane traite de la coopération en vue du développement économique et de la reconstruction nécessaires de l’après-guerre : « les États membres coopéreront entre eux, avec le Conseil économique et social des Nations Unies, avec l’OIT, ainsi qu’avec les autres organisations intergouvernementales compétentes, en vue de faciliter et de favoriser le développement industriel et le développement économique général ainsi que la reconstruction des pays dont l’économie a été dévastée par la guerre. ».

Cet article conserve une parfaite actualité et serait valable, plus que jamais, dans la période actuelle. La mondialisation néolibérale, en effet, a ravagé certains pays comme aurait pu le faire une guerre... Il n’est donc pas extravaguant de parler de « reconstruction », même si pour la plupart des pays pauvres il convient de parler de « construction ».

Le contrôle des mouvements de capitaux

L’article 12 a un côté irréel quand on le compare à la réalité actuelle de la globalisation financière. Selon cet article, en effet, un État membre de l’OIC a le droit :

- de prendre toutes mesures appropriées de sauvegarde nécessaires pour assurer que les investissements étrangers « ne serviront pas de base à une ingérence dans ses affaires intérieures ou sa politique nationale » ;

- de déterminer s’il « autorisera, à l’avenir, les investissements étrangers, et dans quelle mesure et à quelles conditions il les autorisera » ;

- de prescrire et d’appliquer « des conditions équitables en ce qui concerne la propriété des investissements existants et à venir ».

Avec la Charte de La Havane, chaque État peut donc contrôler, en toute légalité, certains des mouvements de capitaux ! Qu’il s’agisse d’investissements de portefeuille ou d’investissements directs étrangers, la Charte de La Havane donne les outils juridiques pour s’opposer aux offres publiques d’achats (OPA), fusions et acquisitions transfrontalières ou à la pénétration du capital des entreprises cotées par les fonds de placement américains.

Les aides de l’État sont autorisées

Selon la théorie du libre-échange, tous les obstacles au développement du commerce doivent être supprimés. Parmi ces derniers se trouve évidemment l’État, notamment par les subventions qu’il peut accorder à l’économie.

Prenant le contre-pied exact de cette théorie, l’article 13 de la Charte précise que « les États membres reconnaissent que, pour faciliter l’établissement, le développement ou la reconstruction de certaines branches d’activité industrielle ou agricole, il peut être nécessaire de faire appel à une aide spéciale de l’État et que, dans certaines circonstances, l’octroi de cette aide sous la forme de mesures de protection est justifié. ».

Là encore nous croyons rêver tellement le formatage des esprits, après plus de vingt ans de néolibéralisme, a fait douter de cette évidence. L’article 14 explique que « tout État membre pourra maintenir une mesure de protection non discriminatoire affectant les importations qu’il aura prise en vue de la création, du développement ou de la reconstruction de telle ou telle branche d’activité industrielle ou agricole ».

Prenons un exemple pour illustrer la portée considérable de cet article. Aujourd’hui, les pays africains les plus pauvres ne disposent pas d’une industrie pharmaceutique. Avec le libre-échange, n’ayant aucun avantage compétitif en ce domaine, ils sont voués éternellement à l’importation de médicaments et de matériel médical. Ajoutons que parallèlement le libre-échange de la main d’œuvre se traduit par des départs massifs de médecins africains vers les pays occidentaux ! Avec la Charte de La Havane, ces pays pourraient réduire leurs importations de médicaments, progressivement, au fur et à mesure qu’ils constituent leur propre industrie pharmaceutique...

Des accords préférentiels sont possibles

La plupart du temps, le bilatéralisme tel qu’il se développe aujourd’hui en marge du système de l’OMC va bien plus loin, en matière de libre-échangisme, que les accords de l’OMC. Le bilatéralisme, en tant que principe, n’est cependant pas en cause. Tout dépend de son contenu. La Charte de La Havane prévoyait ce cas de figure, dans un cadre coopératif.

Son article 15 énonce en effet que « les États membres reconnaissent que des circonstances spéciales, notamment le besoin de développement économique ou de reconstruction, peuvent justifier la conclusion de nouveaux accords préférentiels entre deux ou plusieurs pays, en considération des programmes de développement économique ou de reconstruction d’un ou de plusieurs d’entre eux. »

Autorisation de subventions

L’affaire des subventions américaines et européennes à leurs exportations agricoles, rendant leurs prix souvent inférieurs aux productions locales des pays pauvres, a suscité une réprobation mondiale justifiée. C’est la raison pour laquelle nombreux sont ceux, particulièrement au sein de la mouvance altermondialiste, qui demandent la suppression de ces subventions. Il ne faudrait toutefois pas considérer que toute subvention à un secteur économique est mauvaise en soi. Dans certaines circonstances de telles subventions sont indispensables. C’est ce qu’explique l’article 18 de la Charte : « les dispositions du présent article n’interdiront pas l’attribution aux seuls producteurs nationaux de subventions, y compris les subventions provenant du produit des taxes ou impositions intérieures [...] et les subventions dans la forme d’achat de produits nationaux par les pouvoirs publics ou pour leur compte. Les États membres reconnaissent que le contrôle des prix intérieurs par fixation de maxima [...] peut avoir des effets préjudiciables pour les intérêts des États membres qui fournissent des produits importés. En conséquence, les États membres qui appliquent de telles mesures prendront en considération les intérêts des États membres exportateurs en vue d’éviter ces effets préjudiciables, dans toute la mesure où il sera possible de le faire. ».

L’article 25 apporte des précisions : si un État membre accorde ou maintient une subvention quelconque, y compris toute forme de protection des revenus ou de soutien des prix, qui a directement ou indirectement pour effet soit de maintenir ou d’accroître ses exportations d’un produit, soit de réduire les importations d’un produit sur son territoire ou d’empêcher une augmentation des importations d’un produit, « cet État membre fera connaître par écrit à l’OIC la portée et la nature de cette subvention, les effets qu’il en attend sur le volume du ou des produits affectés qu’il importe ou exporte ainsi que les circonstances qui rendent la subvention nécessaire ». Parallèlement, dans tous le cas où un État membre estimerait qu’une telle subvention porte ou menace de porter un préjudice sérieux à ses intérêts, des négociations s’ouvriront entre les États concernés « pour étudier la possibilité de limiter la subvention. ».

En clair, chaque État est fondé - et autorisé - à subventionner des secteurs économiques en vue de stabiliser les prix et les revenus des producteurs.

Interdiction du dumping

Le dumping, fiscal ou social, a pour but de « conquérir » des parts de marché en proposant, dans un pays et pour un même produit, des prix plus bas que ceux en vigueur.

L’article 26 de la Charte interdit formellement ce genre de pratique : « aucun État membre n’accordera directement ou indirectement de subvention à l’exportation d’un produit quelconque, n’établira ni ne maintiendra d’autre système, lorsque cette subvention ou ce système aurait pour résultat la vente de ce produit à l’exportation à un prix inférieur au prix comparable demandé pour le produit similaire aux acheteurs du marché intérieur ».

Au moins c’est clair ! Si de telles mesures avaient été appliquées nous n’aurions pas assisté à la disparition presque complète de secteurs économiques comme le textile, la chaussure, l’ameublement...

Des mesures spéciales pour la production cinématographique

L’article 19 traite des « réglementations quantitatives intérieures » sur les films cinématographiques. Afin de permettre une production nationale, il organise un système de « contingents à l’écran » où un temps de projection est réservé aux productions nationales. En voici un extrait : « toute réglementation de cette sorte prendra la forme de contingents à l’écran qui seront gérés conformément aux conditions et prescriptions suivantes : les contingents à l’écran pourront comporter l’obligation de projeter, pour une période déterminée d’au moins un an, des films d’origine nationale pendant une fraction minimum du temps total de projection effectivement utilisé pour la présentation commerciale des films de toute origine ; ces contingents seront fixés d’après le temps annuel de projection de chaque salle ou d’après son équivalent. ».

Possibilités de « restrictions quantitatives »

La Charte prévoit déjà la possibilité de « restrictions quantitatives » dans le but d’équilibrer la balance des paiements d’un pays qui en aurait besoin. L’article 20 reprend cette idée, mais pour d’autres raisons que la recherche de l’équilibre de la balance des paiements. Après avoir indiqué qu’il fallait les éliminer, il les définit ainsi : « prohibitions ou restrictions à l’importation d’un produit du territoire d’un autre État membre, à l’exportation ou à la vente pour l’exportation d’un produit destiné au territoire d’un autre État membre, autres que des droits de douane, des taxes ou autres redevances, que l’application en soit faite au moyen de contingents, de licences d’importation ou d’exportation ou de tout autre procédé ».

Un pays peut avoir recours à des restrictions quantitatives dans les circonstances suivantes :

- pendant la durée nécessaire pour prévenir une « pénurie grave de produits alimentaires ou d’autres produits essentiels pour l’État membre exportateur ou pour remédier à cette pénurie » ;

- concernant les produits de l’agriculture ou des pêcheries, « quand elles sont nécessaires à l’application de mesures gouvernementales ayant effectivement pour résultat : de restreindre la quantité du produit national similaire qui peut être mise en vente ou produite ou, s’il n’y a pas de production nationale substantielle du produit similaire, celle d’un produit national de l’agriculture ou des pêcheries auquel le produit importé peut être directement substitué » ;

- de résorber un excédent temporaire du produit national similaire ou, s’il n’y a pas de production nationale substantielle du produit similaire, d’un produit national de l’agriculture ou des pêcheries auquel le produit importé peut être directement substitué, « en mettant cet excédent à la disposition de certains groupes de consommateurs du pays, à titre gratuit, ou à des prix inférieurs au cours du marché » ;

- de restreindre la quantité qui peut être produite de tout produit d’origine animale dont la production dépend directement, en totalité ou pour la majeure partie, du produit importé, « lorsque la production nationale de ce dernier est relativement négligeable ».

En ce qui concerne les restrictions à l’importation, elles sont autorisées si elles frappent « l’importation de produits qui ne peuvent être fournis par la production nationale que pendant une partie de l’année ».

Au total, « tout État membre qui se propose d’établir des restrictions à l’importation d’un produit devra, afin d’éviter de porter préjudice sans nécessité aux intérêts des pays exportateurs, en aviser par écrit, aussi longtemps que possible à l’avance, l’OIC et les États membres intéressés de façon substantielle à la fourniture de ce produit, avant l’entrée en vigueur des restrictions ».

Autrement dit, les réalités sociales et économiques concrètes peuvent impliquer des séquences de politiques protectionnistes négociées collectivement.

Les produits de base ne sont pas considérés comme des marchandises banales

Les « produits de base » (blé, riz, mil...) ne peuvent être considérés comme des marchandises ordinaires, négociables sur des marchés ordinaires. C’est pourquoi l’article 27 de la Charte de La Havane fait des « produits de base » une catégorie particulière. Il considère qu’un « système destiné à stabiliser soit le prix intérieur d’un produit de base soit la recette brute des producteurs nationaux d’un produit de ce genre, indépendamment des mouvements des prix à l’exportation, qui a parfois pour résultat la vente de ce produit à l’exportation à un prix inférieur au prix comparable demandé pour un produit similaire aux acheteurs du marché intérieur, ne sera pas considéré comme une forme de subvention à l’exportation ».

Il faut également mentionner l’article 28 qui stipule que « tout État membre qui accorde, sous une forme quelconque, une subvention ayant directement ou indirectement pour effet de maintenir ou d’accroître ses exportations d’un produit de base, n’administrera pas cette subvention de façon à conserver ou à se procurer une part du commerce mondial de ce produit supérieure à la part équitable qui lui revient. »

Incroyable ! La « conquête » de parts de marché est réprouvée par la Charte de La Havane !

Enfin, conformément aux dispositions de l’article 25, « l’État membre qui accorde cette subvention en fera connaître sans retard à l’OIC la portée et la nature, ainsi que les effets qu’il en attend sur le volume de ses exportations du produit et les circonstances qui rendent la subvention nécessaire. L’État membre entrera sans retard en consultation avec tout autre État membre qui estimera que la subvention porte ou menace de porter un préjudice sérieux à ses intérêts. Si ces consultations n’aboutissent pas à un accord dans un délai raisonnable, l’OIC établira ce qui constitue une part équitable du commerce mondial de ce produit ; l’État membre qui accorde la subvention se conformera à cette décision. ».

En prenant cette décision « l’OIC tiendra compte de tout facteur qui a pu ou qui peut influer sur le commerce mondial de ce produit ; elle prendra particulièrement en considération les points suivants :

- la part de l’État membre dans le commerce mondial du produit en question « pendant une période représentative antérieure » ;

- le fait que la part de l’État membre dans le commerce mondial de ce produit est si faible que la subvention n’exercera vraisemblablement qu’une « influence négligeable » sur ce commerce ;

- l’importance que présente le commerce extérieur de ce produit pour l’économie de l’État membre qui accorde la subvention et pour celle des États membres affectés de façon substantielle par cette subvention ;

- l’intérêt qu’il y a à faciliter l’accroissement progressif de la production destinée à l’exportation dans les régions qui peuvent approvisionner le marché mondial en ce produit de la façon la plus efficace et la plus économique et par conséquent à limiter les subventions et les autres mesures qui rendent cet accroissement difficile.

Finalement, l’actualité de la Charte de La Havane reste intacte. Sortie de l’oubli, son contenu peut alimenter les débats - ou plutôt les lancer - sur ce qui reste probablement le plus étrange tabou qui frappe les économistes comme les responsables politiques. Dans ce débat, la prochaine étape devra porter sur les initiatives devant être prises par les États, individuellement et en petits groupes.

Lisez vite la Charte de La Havane !