Le 20-01-2014
Cette déclaration date de 1974 ! Hélas elle n'a connu ni gloire ni mise en œuvre. Elle est pour le Pardem un texte de référence en matière de préservation de l'environnement et de biodiversité.
La Déclaration de Cocoyoc du 23 octobre 1974 est un texte publié à l'issue d'un colloque des Nations unies organisé du 8 au 12 octobre 1974 dans la ville de Cocoyoc (Mexique)1.
*******************************************************************
Trente ans ont passé depuis la signature de la Charte des Nations-Unies visant à établir un nouvel ordre international. Aujourd’hui, cet ordre a atteint un moment critique. L’espoir de créer une vie meilleure pour l’humanité toute entière a été largement démenti. Il s’est révélé impossible d’atteindre les « limites intérieures » de la satisfaction des besoins humains fondamentaux. Au contraire, les affamés, les sans abri et les illettrés sont plus nombreux aujourd’hui que lorsque les Nations Unies ont été créées.
Dans le même temps, de nouvelles préoccupations ont commencé à assombrir les perspectives internationales. La dégradation de l’environnement et la pression croissante sur les ressources nous amènent à nous demander si un risque ne pèse pas sur les « limites extérieures » de l’intégrité physique de la planète.
A ces préoccupations, nous devons ajouter que, dans les trente prochaines années, la population mondiale va doubler. Un autre monde va s’ajouter à l’actuel, équivalent en nombre d’habitants, en demande et en espoir.
Mais cette pression cruciale ne signifie pas que nous devons désespérer de l’entreprise humaine, à partir du moment où nous entreprenons les changements nécessaires. Le premier point à souligner est que l’échec de la société mondiale à procurer « une vie sûre et heureuse » pour tous n’est pas dû à un manque de ressources physiques. Le problème aujourd’hui n’est pas en premier lieu celui d’une pénurie physique absolue, mais d’une inéquité économique et sociale et d’un mauvais usage ; la situation difficile dans laquelle se trouve l’humanité a pour origines les structures économiques et sociales et les comportements à l’intérieur des pays et entre les pays.
La plus grande partie du monde n’a pas encore émergé des conséquences historiques de près de cinq siècles de contrôle colonial qui a massivement concentré le pouvoir économique entre les mains d’un petit groupe de nations. A ce jour, au moins les trois quarts des richesses, des investissements, des services et presque toute la recherche mondiale sont dans les mains d’un quart de la population.
Les solutions à ces problèmes ne peuvent pas provenir de l’auto-régulation par les mécanismes de marché. Les marchés classiques donnent un accès aux ressources à ceux qui peuvent payer plutôt qu’à ceux qui en ont besoin, ils stimulent une demande artificielle et génèrent des déchets dans le processus de production, et certaines ressources sont même sous-utilisées. Dans le système international, les nations puissantes ont sécurisé leurs approvisionnement à bas prix en matières premières en provenance des pays pauvres – par exemple, le prix du pétrole a nettement chuté entre 1950 et 1970 – ont accaparé toute la valeur ajoutée de la production et de la revente de biens manufacturés, souvent à des prix monopolistiques.
Dans le même temps, le prix très bas des matières a encouragé l’industrialisation des nations et l’utilisation extravagante et sans précaution de matériaux importés. Encore une fois, l’énergie est le meilleur exemple. Le pétrole à peine au dessus d’un dollar le baril a stimulé la croissance de la consommation d’énergie entre 6 et 11% par an. En Europe, l’augmentation annuelle des immatriculations de voitures a atteint 20%.
En fait, la mainmise des riches sur une part disproportionnée des ressources clé entre en contradiction avec les intérêts à long terme des pauvres en réduisant l’accès aux ressources nécessaires à leur développement et en augmentant leur coût. Autant de raisons pour créer un nouveau système d’évaluation des ressources qui prenne en compte les bénéfices et les pertes pour les pays en développement.
Le principal effet de relations économiques aussi biaisées s’observe dans les inégalités en matière de consommation. Un enfant d’Amérique du Nord ou d’Europe consomme outrageusement plus que son homologue Indien ou un Africain – un fait qui rend douteuse l’attribution de la pression sur les ressources à la seule augmentation de la population du Tiers monde. L’augmentation de la population est bien sûr une des raisons de l’augmentation de la pression sur les ressources mondiales. La planète est finie et une multiplication infinie du nombre d’habitants et de la demande ne peut être indéfiniment soutenable. De plus, des pénuries peuvent apparaître localement bien avant qu’on ne détecte un dégradation générale de certaines ressources.
Une politique de conservation des ressources et, d’une certaine façon, de gestion des ressources rares menacées dans le cadre du nouvel ordre économique doit rapidement remplacer la rapacité actuelle et l’absence de précaution. Mais le fait est que, dans le monde actuel, l’énorme contraste entre la consommation par personne de la minorité riche et de la majorité pauvre a bien plus d’impact que le nombre d’humains sur l’utilisation de ressources et leur dégradation. Ce n’est pas tout.
Depuis la conférence de Bucarest sur la population, il est clairement établi que le manque de ressources pour le développement humain est l’une des causes de l’explosion démographique, l’absence de moyens pour le développement exacerbant les problèmes démographiques.
Ces relations économiques inégales contribuent directement à augmenter les pressions sur l’environnement. La baisse des prix des matières premières a été un facteur de l’augmentation des pollutions, a encouragé la production de déchets et une économie du jetable chez les riches. La pauvreté qui perdure dans de nombreux pays en développement a souvent conduit les gens à cultiver des terres nouvelles, provoquant d’énormes risques d’érosion des sols, ou à migrer dans des villes surpeuplées et physiquement dégradées.
On ne compte pas les problèmes qui découlent d’une dépendance excessive au système de marché, restreint aux relations internationales.
L’expérience des trente dernières années montre que la recherche exclusive de croissance économique, voulue par le marché et poursuivie par les élites puissantes, a le même effet désastreux à l’intérieur des pays en développement. Les 5% les plus riches accaparent tous les profits tandis que les 20% les plus pauvres ne peuvent que s’appauvrir encore. Au niveau local comme au niveau international, les maux de la pauvreté matérielle proviennent d’un manque de participation des gens et de dignité humaine, et d’une absence totale de pouvoir pour déterminer leur propre sort.
Rien ne peut illustrer plus clairement le besoin de réformer l’actuel ordre économique et la possibilité de le faire que la crise qui a touché les marchés mondiaux ces deux dernières années. Le triplement des prix des fertilisants agricoles et de produits manufacturés dans un contexte d’inflation mondiale a frappé plus durement les populations les plus pauvres. De fait, le risque d’une rupture complète d’approvisionnement menace la vie de millions de personnes du Tiers monde. Mais on ne peut pas appeler ce phénomène une pénurie. Les récoltes existent, mais sont consommées ailleurs, par des personnes très bien nourries. La consommation par personne de céréales en Amérique du Nord a cru de 350 livres depuis 1965, principalement pour la production animale, et atteint 1 900 livres aujourd’hui. Ce supplément de 350 livres est quasiment égal à la consommation annuelle d’un Indien. Les Américains du Nord étaient réellement affamés en 1965... Cette augmentation a contribué à une surconsommation qui va jusqu’à menacer leur santé. Ainsi, d’un point de vue strictement physique, il n’y aura pas de pénurie cet hiver. Il suffirait d’une petite partie des « surplus » des riches pour combler la pénurie de toute l’Asie. Il existe un exemple encore plus frappant de ce qu’on peut appeler la surconsommation dans les nations riches et de la sous-consommation qu’elle provoque dans les pays pauvres. La multiplication par quatre du prix du pétrole grâce à l’action conjointe des pays producteurs affecte nettement le rapport de forces sur les marchés mondiaux et redistribue massivement les ressources en faveur de certains pays du Tiers monde. Elle a permis de renverser l’avantage dans le commerce du pétrole et de mettre près de 100 milliards par an à la disposition de certaines nations du Tiers monde. Qui plus est, dans un domaine critique pour les économies des Etats industrialisés, ce profond renversement des pouvoirs les expose à ce que connaissent bien les pays du Tiers monde : l’absence de contrôle sur des décisions économiques vitales.
Rien ne peut illustrer plus clairement la façon dont le marché mondial, qui a continuellement opéré pour augmenter le pouvoir et la fortune des riches et maintenu le relatif dénuement des pauvres, trouve ses racines non pas dans des circonstances physiques impossibles à changer mais dans des relations politiques qui peuvent, dans leur nature profonde, subir de profonds changements. Dans un sens, le combat pour un nouvel ordre économique est déjà engagé. La crise du vieux système peut aussi être une opportunité pour en bâtir un nouveau.
Il est vrai que, pour l’instant, les perspectives se limitent à la confrontation, l’incompréhension, les menaces et les conflits. Mais encore une fois, il n’y a pas de raison de désespérer. Les crises peuvent aussi être des moments de vérité dans lesquels les nations apprennent à admettre la faillite du vieux système et à rechercher un cadre pour un nouvel ordre économique.
Gouverner, c’est essayer de guider les nations, avec leurs intérêts divergents, leurs pouvoirs et leurs richesses, vers un nouveau système qui soit capable de mieux articuler les « limites intérieures » des besoins humains essentiels et de le faire sans violer les « limites extérieures » des ressources planétaires et de l’environnement. C’est parce que nous croyons que cette tâche est à la fois vitale et possible que nous demandons plusieurs changements dans la conduite des politiques économiques, dans la direction prise en matière de développement et dans la conservation de la planète, qui nous apparaissent comme des composantes essentielles du nouveau système.
Le but du développement
Notre première préoccupation est de redéfinir l’ensemble des buts du développement. Celui-ci ne doit pas avoir pour but de développer les choses, mais les hommes. Les êtres humains ont des besoins fondamentaux : la nourriture, la sécurité, l’habillement, la santé, l’éducation. Tout processus de croissance qui ne permet par de les satisfaire – ou, encore pire, qui les perturbe – est un travestissement de l’idée de développement. Nous sommes toujours dans une période où le plus important en matière de développement est la satisfaction des besoins fondamentaux pour les populations les plus pauvres de chaque société. Le but premier de la croissance économique doit être d’améliorer les conditions de vie de ces groupes. Une croissance qui bénéficie seulement à la minorité la plus riche et maintien ou accroît les disparités entre et au sein des pays n’est pas du développement. C’est de l’exploitation. Le temps est venu de lancer une véritable croissance économique qui conduise à une meilleure répartition et à une satisfaction des besoins fondamentaux. Nous croyons que 30 ans d’expérience, avec l’espoir qu’une croissance économique rapide bénéficiant à quelques uns va irriguer la plus grande partie de la population, ont montré qu’il s’agissait d’une illusion. Par conséquent, nous rejetons l’idée de la croissance d’abord et d’une juste répartition des bénéfices ensuite.
Le développement ne doit pas être limité à la satisfaction des besoins fondamentaux. Il y a d’autres besoins, d’autres buts et d’autres valeurs. Le développement inclut la liberté d’expression et de publication, le droit de donner et de recevoir des idées et des impulsions. Il y a un profond besoin social de participation pour poser les bases de sa propre existence et pour contribuer à créer le monde futur. Par dessus tout, le développement englobe le droit de travailler, ce qui ne signifie pas seulement le droit d’avoir un travail, mais celui d’y trouver un accomplissement personnel, le droit de ne pas être aliéné à travers des procédés de production qui utilisent les hommes comme des outils.
La diversité du développement
Au delà des besoins matériels, des buts et des valeurs, la plupart de ces choses dépend de la satisfaction des besoins fondamentaux, qui est notre première préoccupation. Aujourd’hui, il n’y a pas de consensus quant à la stratégie à suivre pour satisfaire ces besoins fondamentaux. Mais nous avons de bons exemples, même dans les pays pauvres. Ils montrent que le point de départ du développement varie considérablement d’un pays à l’autre, pour des raisons historiques, culturelles et pour d’autres raisons. En conséquences, nous soulignons la nécessité de suivre différentes routes vers le développement. Nous rejetons la pensée unique qui voit le développement essentiellement et inévitablement comme l’effort fait pour imiter le modèle historique de pays qui, pour différentes raisons, sont actuellement riches. C’est pourquoi nous rejetons le concept « d’écarts » dans le développement. Le but n’est pas de « se mettre à niveau », mais d’assurer une qualité de vie pour tous avec une base productive compatible avec les besoins des générations futures.
Nous avons parlé de la satisfaction à minima des besoins fondamentaux. Mais il y a aussi un niveau maximum : il y a des planchers mais aussi des plafonds. Les hommes doivent manger pour vivre. Mais il peuvent aussi trop manger. Cela ne sert à rien de produire et de consommer de plus en plus s’il en résulte une augmentation des antidépresseurs consommés et des hôpitaux psychiatriques. De la même manière que les hommes ont des capacités limitées pour absorber la consommation matérielle, nous savons que la biosphère a une capacité limitée. Certains pays prélèvent d’une manière qui est hors de proportion avec leur poids dans la population mondiale. Ainsi, ils créent des problèmes environnementaux aux autres comme à eux-mêmes.
En conséquences, le monde ne doit pas seulement faire face à l’anomalie du sous-développement. Nous devons aussi parler de types de développement surconsommateurs qui violent les limites intérieures de l’homme et les limites extérieures de la nature. Vu de cette manière, nous avons tous besoin de redéfinir nos buts, d’adopter de nouveaux modes de vie, avec des comportements de consommation plus modestes chez les riches. Même si la priorité est de sécuriser le minimum vital, nous devrions étudier ces stratégies de développement qui pourraient aussi aider les pays prospères, pour leur propre intérêt, à trouver des modes de vie plus humains, exploitant moins la nature, les autres, et eux-mêmes.
L’autonomie
Nous croyons qu’une stratégie de base pour le développement passe par l’amélioration de l’autonomie nationale. Ceci ne signifie pas l’autarcie. Cette autonomie implique des bénéfices mutuels issus du commerce et de la coopération et une plus juste redistribution des ressources pour satisfaire les besoins fondamentaux. Cela signifie avoir confiance en soi, dépendre de ses propres ressources humaines et naturelles et avoir la capacité de fixer ses propres objectifs et de décider par soi-même. Cela exclut toute dépendance vis à vis d’une influence et d’un pouvoir extérieur qui pourrait se transformer en pression politique. Cela exclut des modèles commerciaux d’exploitation privant les pays de leurs ressources naturelles pour leur propre développement. C’est évidemment une ouverture pour le transfert de technologies, mais en se concentrant sur l’adaptation et la diffusion des technologies locales. Cela implique de décentraliser l’économie mondiale, et parfois aussi l’économie nationale pour favoriser la participation personnelle. Mais cela implique également une coopération internationale en faveur de l’autonomie. Plus que tout, cela signifie avoir confiance dans les peuples et les nations, dépendre de la capacité des peuples à inventer eux-mêmes et à générer de nouvelles ressources et de nouvelles techniques pour améliorer leur capacité à les assimiler, de les mettre au bénéfice de la société, de prendre en main les levier économiques et de créer leur propre mode de vie.
Dans ce processus, une éducation qui permette une véritable conscience sociale et la participation joueront un rôle fondamental et il faudra s’interroger pour savoir si cela est compatible avec le modèle scolaire actuel.
Pour atteindre cette autonomie, des changements économiques, sociaux et politiques fondamentaux des structures de la société seront souvent nécessaires. De même, le développement d’un système international compatible et capable de supporter les évolutions vers plus d’autonomie est tout aussi nécessaire.
L’autonomie au niveau national implique aussi un détachement temporaire du système économique actuel. Il est impossible de développer l’autonomie au travers de la participation pleine et entière à un système qui perpétue la dépendance économique. Les plus grandes parties du monde d’aujourd’hui sont composées d’un centre exploitant une vaste périphérie, ainsi que notre héritage commun, la biosphère. L’idéal dont nous avons besoin est un mode de coopération harmonieuse dans lequel chacun fait partie du centre, ne vivant aux dépends de personne, en partenariat avec la nature et en étant solidaire des générations futures.
Il existe une structuration international du pouvoir qui résistera à de tels changements. Ses méthodes sont bien connues : la volonté de maintenir les mécanismes biaisés de marché existants au niveau international, d’autres formes de manipulation économique, la rétention de capitaux, les embargos, les sanctions économiques, l’utilisation subversive de services de renseignement, la répression et la torture, des opérations de contre-insurrection, et même des interventions à plus grande échelle. A ceux qui envisagent de telles méthodes, nous disons : « bas les pattes. Laissez les pays trouver leur propre chemin vers une vie plus épanouissante pour leurs citoyens ». A ceux qui sont, parfois sans le vouloir, les outils de tels projets – universitaires, hommes d’affaires, policiers, soldat, et beaucoup d’autres – nous disons : « Refusez d’être utilisés pour nier le droit des autres nations à se développer ». Pour les scientifiques travaillant dans le domaine de l’écologie ou des sciences sociales, qui aident à concevoir les instruments de cette oppression, nous disons : « le monde a besoin de vos talents pour des projets constructifs, pour développer de nouvelles technologies au bénéfice des hommes et qui n’endommagent pas l’environnement ».
Propositions pour l’action
Nous appelons les leaders politiques, les gouvernements, les organisations internationales et la communauté scientifique à utiliser leur imagination et leurs moyens pour élaborer et commencer à mettre en œuvre, aussi vite que possible, des programmes visant à satisfaire les besoins fondamentaux des plus pauvres partout dans le monde, ce qui implique, partout où cela s’impose, des distributions d’aide en nature. Ces programmes doivent être conçus de façon à ce que la conservation des ressources et la protection de l’environnement soient assurés.
Nous considérons que cette tâche prioritaire serait facilitée en instituant un nouvel ordre économique international plus coopératif et équitable.
Nous sommes conscients que le système mondial et les politiques nationales ne peuvent pas être changées du jour au lendemain. A ce tournant de l’histoire, les changements majeurs qui sont nécessaires pour répondre aux défis de l’humanité ont besoin d’acquérir une maturité. Mais ils doivent être enclenchés immédiatement, pour que l’impulsion aille croissante. La session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le nouvel ordre économique a lancé le processus et nous le soutenons totalement. Mais ceci n’est que l’étape préliminaire qui doit se développer dans une déferlante d’activités internationales.
La Charte des Droits économiques et des devoirs des Etats, proposée par le président du Mexique, M. Luis Echevarria, et mis en discussion aux Nations Unies devrait constituer un pas important dans la bonne direction. Nous demandons à ce qu’elle soit adoptée aussi vite que possible.
Dans un cadre qui assurerait la souveraineté nationale sur les ressources naturelles, les gouvernements et les institutions internationales devraient placer la gestion des ressources et de l’environnement à un niveau global. L’objectif premier serait de faire bénéficier ceux qui ont le plus besoin de ces ressources et de le faire en respectant le principe de solidarité avec les générations futures.
Nous soutenons la mise en place de régimes internationaux forts pour l’exploitation des biens communs qui ne tombent pas sous le coup d’une juridiction nationale. Nous insistons sur l’importance des fonds et des sous-sols marins, et éventuellement de l’eau qui les surplombe. Un régime maritime doit être établi, chaque pays du monde étant représenté de manière à n’en favoriser ni n’en léser aucun, et ce régime doit s’appliquer à un maximum de surface océanique. Un tel régime devrait développer graduellement des mesures de conservation des ressources et des technologies environnementales pour explorer, développer, traiter et répartir les ressources des océans au bénéfice de ceux qui en ont le plus besoin.
L’accès aux biens communs devrait être taxé au bénéfice des couches les plus pauvres des pays les plus pauvres. Ce serait une première étape vers la mise en oeuvre d’un système de taxation international qui génèrerait des transferts automatiques de ressources vers l’aide au développement. Avec la création d’un fonds pour le désarmement, la taxation internationale pourrait éventuellement remplacer des programmes d’aide traditionnels. En attendant la mise en oeuvre de ces nouveaux mécanismes, nous recommandons vivement que le flux de ressources internationales vers les pays du Tiers monde soit largement augmenté et strictement dédié aux besoins fondamentaux des couches les plus pauvres de la société.
La science et la technologie doivent répondre aux buts que nous cherchons à atteindre. La recherche actuelle et les modèles de développement n’y contribuent pas. Nous appelons les universités, les autres institutions d’enseignement supérieur, les organisations de recherche et les associations scientifiques de par le monde à reconsidérer leurs priorités. Conscients des bénéfices découlant d’une recherche libre et fondamentale, nous soulignons le fait qu’il existe un réservoir d’énergie créative sous-utilisée dans l’ensemble de la communauté scientifique mondiale, et qu’elle devrait être mieux centrée sur la recherche de la satisfaction des besoins fondamentaux. Cette recherche devrait autant que possible être menée dans les pays pauvres, de manière à endiguer la fuite de cerveaux.
Un système des Nations unies rajeuni devrait permettre de renforcer les capacités locales en matière de recherche et de contrôle de la technologie dans les pays en développement, pour promouvoir la coopération entre eux dans ces domaines et pour soutenir la recherche pour une meilleure utilisation, plus innovante, de ressources potentiellement abondantes pour satisfaire les besoins fondamentaux de l’humanité.
En même temps, de nouvelles approches des styles de développement doivent être introduites au niveau national. Elles demandent des recherches originales sur des modèles de consommation alternatifs, sur les types de technologies, les stratégies d’utilisation des terres, autant que sur les exigences en matière d’éducation pour les soutenir. La surconsommation qui absorbe des ressources et crée des déchets doit être réduite tandis que la production de biens essentiels pour les plus pauvres doit être augmentée. Des technologies générant peu de déchets et consommant peu d’eau devraient remplacer celles qui dégradent l’environnement. Des circuits plus harmonieux de prise de décisions doivent être mis en oeuvre pour éviter la congestion des métropoles et la marginalisation des zones rurales.
Dans beaucoup de pays en développement, de nouveaux styles de développement impliqueraient une utilisation bien plus rationnelle de la force de travail disponible pour mettre en oeuvre des programmes centrés sur la conservation des ressources naturelles, l’amélioration de l’environnement, la création des infrastructures nécessaires et des services pour augmenter la production alimentaire et pour renforcer les capacités domestiques de production industrielle pour produire des marchandises destinées à la satisfaction des besoins fondamentaux.
Avec un ordre économique international plus équitable, une partie des problèmes d’accès aux ressources et d’utilisation de l’espace pourront être pris en compte grâce à un changement de la géographie industrielle mondiale. L’énergie, les ressources et les considérations environnementales donnent une force nouvelle à l’aspiration légitime des pays pauvres qui souhaitent voir considérablement augmenter leur part dans la production industrielle.
Des expériences concrètes sur le terrain sont également nécessaires. Nous considérons que l’effort actuel du Programme des Nations unies pour l’environnement qui définit des stratégies et soutient des projets en faveur d’un développement socio-économique et écologique (l’éco-développement) au niveau local ou régional constitue une contribution importante. Les conditions devraient être créées pour que les peuples apprennent par eux-mêmes au travers de leurs pratiques comment utiliser au mieux les ressources spécifiques des écosystèmes dans lesquels ils vivent, comment concevoir des technologies appropriées, comment s’organiser et s’éduquer dans ce but.
Nous appelons les leaders d’opinion, les enseignants, toutes les parties concernées à contribuer à augmenter la prise de conscience publique sur les origines et la sévérité de la situation à laquelle l’humanité doit aujourd’hui faire face. Chaque personne a le droit de comprendre pleinement la nature du système dont elle fait partie comme producteur, consommateur, et surtout comme l’un des milliards d’habitants de la planète. Elle a le droit de connaître qui tire les bénéfices de son travail, qui tire les bénéfices de ce qu’elle achète et vend, et la façon dont cela enrichit ou dégrade l’héritage planétaire.
Nous appelons les gouvernements à se préparer à agir lors de la Session extraordinaire de l’assemblée générale des Nations Unies pour que les dimensions et les concepts du développement soient étendus, pour qu’une juste place soit donnée aux buts du développement dans le système des Nations Unies et que les changements nécessaires soient initiés. Nous croyons fermement que, puisque les sujets du développement, de l’environnement et de l’utilisation des ressources sont des problèmes globaux essentiels et qui concernent le bien-être de toute l’humanité, les gouvernements devraient utiliser pleinement les mécanismes des Nations unies pour les résoudre et que le système des Nations unies devrait être rénové et renforcé pour faire face à ses nouvelles responsabilités.
Epilogue
Nous reconnaissons à la fois la menace des « limites intérieures » des besoins humains fondamentaux et celle des « limites extérieures » de ressources planétaires. Mais nous croyons également qu’un nouveau sens du respect pour les droits humains fondamentaux et pour la préservation de notre planète progresse derrière les conflits et les confrontations de la période actuelle. Nous avons foi dans le futur de l’humanité de cette planète. Nous croyons que ces modes de vie et les systèmes sociaux peuvent évoluer pour devenir plus justes, moins arrogants dans leurs exigences matérielles, plus respectueux de l’environnement planétaire dans son ensemble. La voie à suivre ne passe pas par le désespoir, par la fin du monde, ou par un optimisme béat devant les solutions technologiques successives. Elle passe au contraire par une appréciation méticuleuse, sans passion, des « limites extérieures », par une recherche collective des moyens d’atteindre les « limites intérieures » des droits fondamentaux, par l’édification de structures sociales exprimant ces droits et par tout le travail patient qui consiste à élaborer des techniques et des styles de développement qui améliorent et préservent notre patrimoine planétaire. »
Traduction réalisée par Aurélien Bernier, Bérénice Bernier et Cécile Guillerme.
- Se connecter ou s'inscrire pour poster un commentaire