Le 09-11-2022
par Joël Perichaud, Secrétaire national du Parti de la démondialisation aux relations extérieures
Le résultat est connu : Luiz Inacio Lula da Silva, à la tête du Brésil entre 2003 et 2010 et une incarcération de 580 jours (avril 2018 à novembre 2019) est élu au second tour de l’élection présidentielle du 30 octobre 2022, avec 50,8% des suffrages contre 49,2% pour Jair Bolsonaro. L’écart n’est que d’un peu plus de deux millions, sur un total de 124 millions de votes. Il s’agit de l’écart le plus serré entre deux finalistes de la présidentielle depuis la chute de la dictature militaire (1964-1985). La marge est bien plus étroite que ce que prédisaient les sondages, qui avaient déjà sous-estimé le score de Jair Bolsonaro avant le premier tour. La campagne entre ces deux hommes s’est déroulée dans un climat brutal où les insultes ont fusé pendant que les réseaux sociaux, unique source d’information de la majorité des 170 millions d’utilisateurs brésiliens, charriaient des torrents de désinformation.
Rappelons qu’au premier tour du 2 octobre, Lula, le chef de file du Parti des travailleurs (PT) qui avait attaqué son opposant ultraconservateur Jair Bolsonaro sur sa gestion de la crise sanitaire, le crash économique du pays et la déforestation de l’Amazonie, était certes arrivé en tête, avec 48,3% des voix, mais il n’était pas parvenu à l’emporter, contrairement à ce qu’annonçaient certains sondages. Le président sortant, Jair Bolsonaro, affilié au Parti libéral (PL), avait déjoué tous les pronostics en recueillant 43,2% des voix, soit six à dix points de plus que les prévisions sondagières. A l’issue du premier tour, cinq points séparaient les deux hommes, soit six millions de voix seulement sur un total de 123 millions et Lula avait besoin de moins de deux millions de voix supplémentaires pour l’emporter, contre huit millions pour Bolsonaro. Simone Tebet, candidate pour le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centriste), arrivée troisième au premier tour avec un score de 4,2% (soit presque cinq millions de voix), avait assuré Lula de son soutien dès le 5 octobre. Mais d’autres membres du PMDB, comme l’ex-président Michel Temer (2016-2018), avaient annoncé soutenir Jair Bolsonaro et le PMDB n’avait pas donné de consigne de vote à ses partisans. A l’inverse, Bolsonaro avait reçu un soutien de poids, celui de Romeu Zema, gouverneur du Minas Gerais, un État décisif du Sud-Est brésilien, deuxième collège électoral du pays.
Pour gagner au second tour, Lula est allé chercher les voix du centre et de la droite en leur donnant des gages, notamment, des mesures garantissant la stabilité fiscale. Mais ce n’est pas tout…Lula devait aussi capter une partie du vote des évangélistes, qui représentent un tiers de l’électorat du pays et sont en grande majorité acquis à l’extrême droite. Pour ce faire, un tract intitulé « Lula est chrétien », a été diffusé, affirmant que le chef du PT « n’a jamais parlé au diable ni noué de pacte avec lui ». « Je suis contre l’’avortement », a même déclaré le candidat de gauche, le 7 octobre. De plus, des archives embarrassantes pour Bolsonaro ont été diffusées sur Internet par les influenceurs de gauche. Notamment un entretien filmé, accordé au New York Times en 2016, dans lequel Bolsonaro évoquait sa visite dans un village d’Amazonie et affirmait qu’il aurait accepté de s’adonner au cannibalisme si besoin. Lula s’est servi de l’image du « président cannibale » dans ses spots de campagne, avant que ce ne soit interdit par la justice.
De son côté, Bolsonaro devait capter une partie des votes des classes populaires, qui avaient largement voté Lula lors du premier tour. Il a donc multiplié les annonces en ce sens : augmentation des minima sociaux, baisses d’impôts, revalorisation des chèques énergie…
Rien d’inquiétant pour les affaires…
Bien sûr, avec 50,8% des voix contre 49,2% pour son adversaire d’extrême droite, Lula est
« mathématiquement élu ». Mais il devra faire face à une opposition très forte et composer avec un Congrès très conservateur. Car, le 2 octobre, en plus du premier tour de l’élection présidentielle, les Brésiliens ont renouvelé la totalité des membres de la Chambre des députés et un tiers des sièges de sénateurs. A la Chambre des députés, le Parti libéral de Jair Bolsonaro a remporté la victoire, conservant la première place avec 99 sièges. Au Sénat, il a obtenu quatorze sièges, contre huit pour le Parti des travailleurs de Lula. Enfin, les électeurs ont aussi voté, le 2 octobre, pour le renouvellement de l’ensemble des gouverneurs et des assemblées des vingt-sept États de la fédération. Là encore, l’extrême droite a progressé.
Lula se retrouve donc à la tête d’un Brésil plus divisé que jamais, où le rejet de Bolsonaro par une partie du pays (les antibolsonaristes) a beaucoup fait pour son élection. La situation semble inversée par rapport à l’élection de Bolsonaro fin 2018 où les antipétistes (anti Parti des Travailleurs) avaient attisé la haine et le rejet de la gauche socialiste de Lula et de Dilma Rousseff. pour accéder au pouvoir grâce à une posture antisystème.
Si les néolibéraux occidentaux ont présenté Bolsonaro comme le Trump brésilien, fustigé sa gestion du Covid-19 et sa politique de destruction de la forêt amazonienne, ils n’ont aucunement regretté ou lutté contre ses options économiques et sociales. Bolsonaro était simplement devenu “imprésentable” sur la scène internationale et ternissait l’image de leurs entreprises d’autant plus que le vague programme de Lula n’est pas en mesure de les inquiéter. En effet, celui-ci s’est simplement dit favorable à la création d’emplois, à la lutte contre la faim, à l’augmentation des salaires et à la préservation de la forêt amazonienne, sans autres précisions. De plus, les néolibéraux ont déjà l’expérience de la gestion sociale-démocrate de Lula de 2003 et 2010 et savent que leurs intérêts seront préservés. Enfin, si l’avenir politique de Bolsonaro est incertain, il est peu probable que le bolsonarisme disparaisse et les néolibéraux pourront toujours y avoir recours si nécessaire…
Le plus dur reste à faire
En 2002, lors de sa première élection, Lula avait choisi la bourgeoisie plutôt que les travailleurs. En effet, sa politique était un « partenariat entre syndicats ouvriers, mouvements paysans et patrons ». C’est-à-dire un pacte social entre le capital et le travail teinté de « transparence et de démocratie participative ». Cette volonté de compromis entre capital et travail s’est traduite par l’affaiblissement du pouvoir de la gauche et en particulier de son parti, le Parti des Travailleurs (PT). Les luttes sociales et les politiques de Lula contre la pauvreté ont été, pour les patrons, un frein à leur profit. Ils ont donc, comme ils l’ont toujours fait, corrompu certains dirigeants du PT. Les paysans du Mouvement des sans terre (MST) et la base des syndicats ouvriers se sont alors éloignés puis ont combattu les politiques de compromissions avec le patronat. C’est ainsi que Lula, puis Dilma Roussef et le PT ont perdu la base sociale qui les avaient portés au pouvoir.
Pourtant, après l’échec de l’élection présidentielle de 1989, Lula avait déjà reconnu que son projet politique ne mobilisait pas les plus démunis : « la vérité la plus dure est que ceux qui nous ont vaincus étaient les secteurs les moins favorisés de la société »…mais il n’a pas tiré les leçons de cette expérience…
Tirer les bonnes leçons ou retomber à nouveau
Sa stratégie, purement sociale-démocrate, est de réduire la pauvreté sans affronter le capital. Il pense pouvoir traiter comme non antagonique les intérêts de classes antagoniques. L’histoire a maintes fois démontré que c’était une illusion, un conte pour enfant. Il n’y a pas de conciliation possible. Si Lula veut améliorer, voire changer, la condition du peuple, il faut rompre avec le néolibéralisme en dotant l’État de leviers stratégiques au plan économique qui lui permettent de satisfaire les revendications populaires. Mais il devra aussi composer avec la partie du patronat qui défend un capitalisme national, face à l'autre partie du patronat, compradore, lié à l’impérialisme économique des États-Unis.
Le faible écart (2 millions de voix), montre l’exigence pour Lula, de développer une stratégie franchement anti-libérale et anti-impérialiste contraire à celle qui fut suivie précédemment. C’est la condition pour que le peuple du Brésil soutienne son action politique et ne le renvoie pas au purgatoire, déjà bien rempli, des sociaux-démocrates. Cependant ses marges de manœuvre sont étroites.
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