Du NON au TCE en 2005 au NON à la réforme des retraites

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Macron mépris
Emmanuel Macron : du piétinement du peuple au mépris de l’Assemblée nationale

 

Quel est le rapport entre le 29 mai 2005 date du référendum sur le TCE rejeté à 55% par les Français et l’actualité sociale et politique aujourd’hui ? En surface pas grand chose. Au fond tout est relié.
Explications.

18 ans après le non au référendum des Français qui a résonné comme un coup de semonce à la face de l’Union européenne et de tous ses prometteurs, qu’en reste-t-il ?
D’abord une trace indélébile dans les mémoires de ceux qui ont défendu le oui en pilonnant leurs slogans et leurs arguments mièvres et mensongers du type "l'Europe c’est la paix... la solidarité entre les peuples... un pas en avant vers une démocratie européenne..." On allait voir et se réjouir que le soleil ne se lèverait plus à l’est, que les droits humains seraient renforcés, que l’union faisant la force nous avions tout à y gagner. Sûrs de leurs éléments de langage, les pro-oui - l’écrasante majorité des partis politiques, de droite et de gauche, et des syndicats, ONG, et des médias, etc. - caracolaient dans la grande plaine de la vérité, le regard tourné vers l’horizon bleu européen. Sourds aux opposants, aveuglés par la lumière d’un avenir radieux. Aucun doute, ils allaient obtenir l’assentiment du peuple ou au moins son abstention lors du scrutin, le 29 mai. Bref, ils n’avaient pas envisagé de perdre. L’affaire était dans le sac.

Pendant ce temps, progressivement, les partisans du non ont tracé leur chemin. Peu nombreux, contre tous les médias et les représentants des élites et des dirigeants de tous poils,  ils ont lancé une vaste campagne partout en France, décrypté le texte imbitable du TCE et organisé des réunions publiques, des meetings, des rencontres un peu partout : petites et grandes villes, banlieues, villages. Et même en famille et au boulot les débats allaient bon train ! Des centaines de milliers de personnes y ont participé. Fiel mon zébu ! Le peuple s’intéressait de près à la question. Et ça discutait, et ça surlignait le texte, et ça participait à des meetings géants, texte en main ! La bataille des affiches faisait rage. Plus le temps passait, plus grandissait le refus populaire du projet clairement néolibéral et antidémocratique du Traité.

Pourtant les pro-oui sont longtemps. restés confiants  Presque jusqu’au bout. Impossible pour eux de concevoir que les manants, les gens de peu, pouvaient lire, comprendre le sens du texte, en discuter et étaient capables de faire obstacle à une telle avancée… européenne.
Mais pan sur le bec ! ils ont perdu : 54,6% de non. Une participation très importante. Les pro-oui étaient défaits. Les médias étaient affligés. A l’opposé, la liesse du peuple fut à l’image de la campagne enthousiaste. Un cri de joie, un sentiment puissant d’avoir gagné une bataille cruciale pour la suite. D’avoir posé une limite à l’emprise de l’Union européenne et d’avoir reconquis un espace politique. Fiers d’avoir infligé un échec cuisant aux gouvernants, aux élites, à la Commission européenne, aux médias et au grand patronat. Fiers d’avoir participé à un temps de mobilisation exceptionnelle, inconnu depuis longtemps ! De s’être retrouvés. D’avoir « fait peuple ».

Cependant les classes dirigeantes et l’Union européenne ne mettent pas le genou à terre aussi facilement. Puisque le peuple n’est pas d’accord, passons-nous du peuple et décidons entre nous ! Elles peuvent, en effet, et en toutes circonstances, faire appel à des contournements de la volonté des citoyens. Le NON des Français empêchait la mise en œuvre du TCE ? Il leur fallait trouver une voie de recours. En fait deux. D’une part, un nouveau titre pour un texte quasi identique. Ce sera le Traité de Lisbonne. D’autre part, une méthode pour garantir son adoption. Ce sera la convocation du Congrès (députés et sénateurs) par Nicolas Sarkozy, sous les ors de Versailles. Et, en prime, la modification de la Constitution française pour y intégrer tous les traités européens ! C’est-à-dire la mise sous tutelle de la France et de son peuple.
Car évidemment, les pro-oui réunis dans l’entre-soi furent majoritaires. En 2008, le Traité de Lisbonne fut imposé aux Français. Par un véritable coup d’Etat parlementaire. Les voix dénonçant la forfaiture furent couvertes par le vent versaillais. La messe était dite ! Est née alors une défiance à l’encontre des partis politiques, des élus et du régime, qui ne s’est pas éteinte au fil des ans. L'abstention aux différentes élections n’a cessé de croître. Pas seulement à la présidentielle et aux législatives mais aussi aux municipales, départementales, régionales. Aux les législatives de 2022, il n’était pas rare lors de distributions de tracts d’entendre encore des citoyens affirmer qu’ils ne votaient plus depuis que leur NON au TCE avait été trahi.

La défiance s’est donc installée et a grandi jusqu’à aujourd'hui

Alors quel rapport avec aujourd’hui, et en particulier avec la mobilisation contre la réforme des retraites conduite par Macron répondant aux attentes pressantes des classes dirigeantes nationales, européennes et internationales ? En 18 ans, le système néolibéral, alpha et omega de l’Union européenne et des gouvernements, a considérablement augmenté son emprise. Les conquis sociaux ont été grignotés. Les droits du travail amputés. Les services publics sont à l’os. Les directives européennes se sont multipliées. Toujours dans le même objectif : la mise en œuvre de réformes conduisant à l’affaiblissement du commun pour servir le privé. Comme le déclarait le MEDEF en 2007 : on liste les mesures du programme du Conseil de la Résistance et on liquide ! Les frontières du capital ayant disparu, la voie est devenue totalement libre grâce au Traité de Lisbonne intégré dans la Constitution française. Chacun en perçoit désormais les effets les plus rudes.

Prenons la réforme des retraites de 2023 (qui fait suite aux précédentes sous les gouvernements Sarkozy, Hollande, Macron). Elle s’inscrit parmi les recommandations de l’UE depuis des années et concerne tous les pays membres qui disposent d’une véritable protection sociale échappant au marché. (La Belgique est actuellement menacée par l’UE parce qu’elle dispose d’un système trop avantageux pour les salariés). Une fois encore, pour faire passer une réforme profondément anti sociale, injuste et rejetée par une grande majorité de la population, tous les moyens sont bons. S’il faut contourner le parlement, allons-y ! La Constitution de la Ve République contient tous les outils, dont le plus connu et le plus décrié désormais est le 49.3 (utilisé 11 fois en moins d’un an par le gouvernement Macron). L’Assemblée nationale n’ira pas jusqu’au vote ? Basta !

En 2005, le vote du peuple a été bafoué. Les parlementaires ont joué les béni oui-oui. Ceints de leur écharpe tricolore, ils ont accepté, tous, de trahir le non au TCE en participant au Congrès en 2008. En 2023, ils ne sont plus reconnus comme la « représentation nationale » par une grande partie de la population, alors Macron et son gouvernement n’hésitent pas à les traiter à l’aune de ce qu’ils sont devenus : des pions destinés à siéger dans une chambre d’enregistrement du « programme » présidentiel, sous-traitant de l'UE. Et si une velléité de rébellion venait à poindre, peu importe. Macron ne craint rien ni personne. Il vise un objectif net : servir les objectifs du MEDEF et de l’Union européenne. Peu lui chaut que 14 manifestations aient eu lieu, organisées par une intersyndicale inédite depuis des lustres. Sa boîte à outils institutionnels est remplie de bons tuyaux. Et plus on plonge dedans plus on y trouve des trésors…

Peut-on penser que désormais on a touché le fond en matière de stratagèmes antidémocratiques ? Pas sûr. On peut craindre sérieusement que le dépôt d’un texte sur l’abrogation de la réforme des retraites, prévu à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le 8 juin, n’ira pas jusqu’au vote et pourrait même être retoqué en quelques minutes…

Du piétinement du peuple au mépris de l’Assemblée nationale que peut-on attendre désormais ?

Les opposants à la réforme des retraites, grévistes, manifestants, porteurs de casseroles (interdites et remplacées par des couvercles…) et de spatules, se sont renforcés au fil des semaines depuis janvier 2023. Au-delà même de la réforme des retraites ils dénoncent les pièges de la Ve République et sa constitution, les instituons croupions tel le conseil constitutionnel. La colère s’est démultipliée et vise, au-delà de Macron, le régime lui-même. En cela cette conscience populaire réactivée rejoint celle de 2005-2008.

Alors, on va plus loin maintenant ?

On s’organise pour penser les institutions démocratiques dont le peuple a besoin pour être souverain, vraiment ? Y’a du boulot, c’est vrai. Mais quand on a passé des centaines d’heures à décrypter le texte du TCE, qu’on a œuvré d’arrache-pied pour que le NON l’emporte, se lancer dans la réflexion et le débat pour définir une nouvelle constitution n’est pas plus compliqué ! Certes, il n’est pas gagné que les directions syndicales se lanceront dans cette aventure de libération. Quoique… Si l’union des citoyens, syndiqués, organisés ou pas, se construit, on peut envisager la possibilité que des directions syndicales prendront de la distance avec le « dialogue social » et la Confédération européenne des syndicats ! On y va ?

Nous vous invitons à signer l’appel que vous trouverez ici

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