Le 05-01-2025
Après la sentence d’une motion de censure bien méritée, le gouvernement Éphémère 1 a volé en éclat. L’année 2024 s’est terminée par la nomination d’un nouveau gouvernement de produits usagés récupérés dans la poubelle de tri sélectif 100% néolibéral. Des pièces recyclées ont remplacé les précédentes qui pourraient, on ne sait jamais avec Macron, être remises sur le marché pour Éphémère 3. 100% néolibéral donc, tendance sécuritaire marquée, alliage centriste d’origine, conçu pour donner un coup de main en espérant briller dans la lumière… Le « nouveau dernier » Premier ministre a donc commencé d’agir rapidos en préférant Pau à Mayotte mais quand même en jet privé. Il faut dire que l'homme a toujours été proche des « territoires » faute d’être au service des besoins du peuple, de la République et à la hauteur de la fonction et de la situation. Comme il est opposé au non cumul des mandats et qu’il est désormais adoubé princelet, pourquoi donc se gêner. Faut dire qu’avec Macron depuis des années il a beaucoup appris : « L’État c’est moi » lui va comme un gant ainsi que « je dis et je fais ce que je veux, na ! ». C’est là qu’on voit que la génération ne fait pas le larron ! Le jeune et le vieux sont faits du même bois : ils défendent les mêmes objectifs et les mêmes intérêts : ceux du capital.
Bref, vous savez déjà tout cela et vous vous en inquiétez sans doute. Pourtant on nous rabâche que des millions de Français, selon les analyses poussées du Président et de sa bande, seraient traumatisés par le manque de stabilité politique du pays et l’incurie des députés incapables de dialoguer en famille pour se mettre d’accord. Sur quoi au fait ? En réalité, on n’en sait rien sauf si on croit aux vertus du communautarisme de la classe politique ! Un petit jeu d’embrouille destiné à détourner le regard du véritable rôle d’un parti politique, élu normalement sur un programme aux antipodes de ses adversaires de classe...
Mais quittons la tournée du spectacle des morts-vivants qui nous est infligée par tous les dépités observateurs, les atterrés conseillers en communication collés à de pseudos journalistes ressassant les dépêches puisées aux sources des « éléments de langage » gouvernementaux.
Tournons-nous donc vers l’avenir : 2025
La fée Avenir-Radieux n’a pas revêtu sa robe scintillante pour célébrer le rite de passage du jour de l’an. Elle est plutôt mal attifée, de toc et de secondes mains fournies par Ebay. Elle n’inspire pas l’espoir de ripailles françaises, de recettes de terroirs, de vins de grand cru, de viande et de légumes issus de nos terres fertiles, de fromages bien goûtus ni de pâtisseries maison. Le banquet a un goût de réchauffé au micro-ondes et une odeur pourrie de fin de règne difficile. Les danseurs ont le pied lourd, les chanteurs la voix cassée. Malgré les efforts télévisuels pailletés de divertissements surannés, la joie peine à poindre son nez. Il faut dire qu’il existe des raisons à foison.
En fond de décor, la guerre gronde. Certes sa face hideuse n’est pas encore à nos portes de palier, bien que l’argent du contribuable coule à flot depuis des mois pour l’alimenter. Le « théâtre des opérations » n'est pourtant pas si loin de notre ciel et de nos eaux maritimes. Ne dormez surtout pas tranquilles bonnes gens, l’Union européenne veille à ce que le grain ne cesse et que la paix ne fasse pas irruption. Elle n’est pas invitée aux réjouissances. Un peu trop « boomer » la paix peut-être ? Pas si sûr.
Mars 1895. « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » : Jean Jaurès prononce un discours à la Chambre des députés. Il intervient sur trois thèmes : la démocratisation de l’armée ; l’inanité d’une guerre de revanche contre l’Allemagne ; les liens entre capitalisme et guerre et entre socialisme et paix. Pour Jaurès, le capitalisme porte en lui la guerre à deux niveaux : non seulement parce qu’il organise une hiérarchie entre les classes sociales et pousse les opprimés à la révolte mais aussi parce qu’il organise une compétition entre les puissances économiques à l’international, entre les détenteurs de capitaux, ce qui vient briser la solidarité ouvrière (l’Internationale socialiste promue par Jaurès). Dès lors, face à ce refus de la violence et de la compétition économique et mû par un idéal de concorde égalitaire, Jaurès propose un socialisme républicain. (1)
Mars 2021. Niel Andersson (2) dans Les chroniques de Recherches internationales, analysait ainsi la situation : « Les profondes transformations survenues dans le rapport de force entre puissances historiques ou émergentes, le déplacement du centre de gravité des tensions internationales de la zone euro-atlantique vers l’Asie-Pacifique, les menaces d’affrontements entre des puissances régionales puissamment armées et l’élargissement du champ de bataille entre les grandes puissances jusqu’à l’espace extra-atmosphérique, inscrivent aujourd’hui les conflits potentiels non plus dans un cadre de guerres asymétriques, mais dans un retour à des guerres inter-étatiques de haute intensité. Une réalité dont il faut prendre pleinement conscience dans un monde hégémoniquement capitaliste, hautement concurrentiel, traversé par des crises sociales et économiques, éthiques et religieuses, sanitaires et politiques et dans lequel, cause de tensions, la domination occidentale se voit contestée. « Le capitalisme c’est la guerre » est à entendre au présent et il n’est d’autres forces pour s’y opposer que celles des peuples. »
Décembre 2024. Le Monde Diplomatique publie un article de Nancy Fraser (3), titré L’impossible démocratie de marché, surtitré "Quand le discours sur les crises élude les malfaçons du système ». Un courant d’air frais !
Extraits :
« La démocratie va mal. Ce serait la faute des institutions, des réseaux sociaux, de l’individualisme. De la « radicalité des extrêmes », voire de l’impuissance devant la violence économique, qu’il faudrait adoucir. Or le capitalisme se fonde sur la division entre l’économique et le politique, ce qui le rend fondamentalement antidémocratique. »
Cette crise de la démocratie à laquelle nous sommes confrontés ne tire pas ses origines de la seule sphère politique. On ne pourra la surmonter en refondant le sens civique, en cultivant le bipartisme, en renforçant l’« ethos démocratique », en ranimant le « pouvoir constituant », en libérant la force de l’« agonisme » (du grec ancien agônia qui signifie lutte).… Ni autonomes ni simplement sectoriels, les maux démocratiques actuels constituent l’aspect spécifiquement politique de la crise généralisée qui engloutit l’ensemble de notre ordre social. Ils ont leur origine dans les fondements mêmes de cet ordre — dans ses structures institutionnelles et ses dynamiques constitutives. Ils ne peuvent être appréhendés que dans une vision critique de la totalité sociale, que nombre d’observateurs identifient au néolibéralisme, non sans raison. Mais il importe de situer le néolibéralisme comme une déclinaison du capitalisme : et toute forme de capitalisme est sujette aux crises politiques et hostile à la démocratie, car recelant une contradiction qui l’y prédispose. » […]
« Les banques centrales et les institutions financières mondiales ont remplacé les États dans leur rôle d’arbitres d’une économie de plus en plus mondialisée. Ce sont elles qui édictent désormais la plupart des principales règles régissant les relations entre travail et capital, citoyens et États, centre et périphérie, et — point crucial — entre débiteurs et créanciers. Le régime précédent avait permis aux États de subordonner les intérêts à court terme des entreprises privées à l’objectif à long terme d’une accumulation soutenue. À l’inverse, le régime actuel permet au capital financier de contraindre les États et les citoyens dans l’intérêt immédiat des investisseurs privés. Coup double : d’un côté, les institutions étatiques qui étaient (un peu) à l’écoute des citoyens sont de moins en moins à même de répondre à leurs besoins ; de l’autre, les banques centrales et les institutions financières mondiales sont « politiquement indépendantes » — libres d’agir au profit des investisseurs et des créanciers. Le capitalisme financiarisé est l’ère de la « gouvernance sans gouvernement » — l’ère de la domination sans la feuille de vigne du consentement. Cela a eu pour principal effet de vider le pouvoir de l’État de sa substance à tous les niveaux. Des questions autrefois considérées comme relevant de l’action politique démocratique sont désormais des « domaines réservés » confiés aux « marchés ». Les auxiliaires du capital n’hésitent pas à s’en prendre au pouvoir des États ou aux forces politiques qui pourraient le contester, en annulant par exemple des élections, ou des référendums qui rejettent l’austérité, comme en Grèce en 2015. Le fameux « déficit démocratique » fait en réalité partie intégrante de la crise généralisée du capitalisme financiarisé. Et comme toute crise généralisée, elle comporte une dimension hégémonique. » […]
N’oublions pas qu'en France le verdict populaire du référendum en 2005 sur le Traité constitutionnel (TCE) s’est soldé par un NON qui fut éliminé par les « représentants du peuple » réunis en congrès en 2008 par Nicolas Sarkozy pour modifier la constitution française afin d’y intégrer le traité de Lisbonne , copié-collé du TCE (Titre XV : De l'Union européenne, Articles 88-1 à 88-7).
La situation actuelle aurait donc une cause principale ? Ne serait-elle pas une destinée, une fatalité immuable qu’il faudrait accepter, résignés et défaits ?
Nancy Fraser ouvre les portes d’une autre voie quand elle précise : « iI n’y a pas de société capitaliste « en soi » ; le capitalisme n’a existé que dans des modes ou des régimes d’accumulation historiquement situés. Et, loin d’être donnée une fois pour toutes, la division constitutive entre l’« économique » et le « politique » peut toujours être contestée et modifiée. C’est surtout en temps de crise que la frontière cristallise les luttes entre les acteurs sociaux — qui parviennent parfois à en changer le tracé. »
L’article nous invite donc à agir sur les causes car : « Reste que des crises comme celle-ci représentent des moments décisifs où la possibilité d’agir sur la forme même de la vie sociale est à portée de main. Une question se pose alors : qui guidera le processus de transformation sociale, dans l’intérêt de qui et à quelles fins ? Ce processus a été engagé plusieurs fois par le passé — et a principalement profité au capital. Cela va-t-il se reproduire ? Si l’on s’en tient aux leçons de morale, en enjambant joyeusement les préoccupations des « déplorables », comme les appelait Mme Hillary Clinton en 2016, faute de reconnaître leurs griefs légitimes (si fourvoyés soient-ils), on passe à côté de la lutte pour la construction d’une contre-hégémonie. Qui nous met au défi d’identifier le véritable coupable, et de démanteler l’ordre dysfonctionnel et antidémocratique qu’est le capitalisme. »
Nos vœux pour 2025 sont simples et ambitieux : avec lucidité et détermination s’engager résolument pour « démanteler l’ordre dysfonctionnel et antidémocratique qu’est le capitalisme », dont la forme actuelle se nomme néolibéralisme.
« C’est simple comme conjuguer un verbe du premier groupe au présent de l’indicatif : plus un pays maîtrise sa langue et l’entretient avec la passion du jardinier amoureux de ses plantes, mieux il respire la force, nourrit ses neurones, aiguise son regard et son intelligence, son imaginaire et son flair, et au bout fortifie sa personnalité et la télépathie nationale qui interconnecte les individus. Le reste, la santé, l’amour, l’argent que la météo astrologique promet à l’encan, leur sera donné de surcroît. »
Le français, parlons-en ! Boualem Santal, Édition Le Cerf.
Notes
1 - Le 31 juillet 1914, à la veille de la Première mondiale, Jean Jaurès est tué par balle alors qu’il dîne au Café du Croissant à Paris - non loin de l’Humanité, journal qu’il a fondé en 1904.
https://pardem.org/guerre-et-capital-un-couple-infernal publié en octobre 2023
2 - Nils Andersson, ancien éditeur, essayiste. Les chroniques de Recherches internationales, mars 2021. Auteur de Le capitalisme c’est la guerre, Éditions Terrasses, 2021.
3 - Nancy Frazer, philosophe, marxiste et féministe, dont le prochain livre paraîtra le 15 janvier 2025 : Le capitalisme est un cannibalisme, Éditions Agone. Article téléchargeable sur https://www.monde-diplomatique.fr/2024/12/FRASER/67848
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