Le 22-09-2023
Nous relayons un communiqué du Syndicat de la médecine générale (SMG) qui s'insurge contre l'attitude du gouvernement et de la CNAM qui s'enfoncent dans une logique comptable de la santé et ne se posent pas les bonnes questions face à la recrudescence des arrêts de travail, notamment en raison de l’accroissement de l’âge des travailleur·euses et de la dégradation des conditions de travail.
COMMUNIQUÉ DU SMG :
L'arrêt de travail : outil thérapeutique et véritable droit social à revendiquer
Récemment, six mille médecins généralistes ont été ciblé·es par la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM) comme étant des prescripteur·rices excessif·ves d’arrêts de travail. Ce n’est pas nouveau, cela arrive périodiquement. Alors que la Sécurité sociale a été créée au départ pour permettre aux salarié·es de s’arrêter de travailler en cas de maladie grâce à des indemnités journalières, la CNAM souhaite faire diminuer le nombre de ces journées pour faire des économies. Pour cela, elle calcule le nombre de journées d’arrêt de travail prescrites par chaque médecin rapporté au nombre de consultations et établit une moyenne par médecin et par département, qu’il ne faut pas dépasser. Puis elle convoque les médecins qui dépassent la moyenne pour leur imposer des objectifs de réduction. Déjà en 2005, elle se targuait d’avoir fait des millions d’euros d’économie sur l'indemnisation des arrêts maladie1.
Depuis 10 ans, le nombre d’arrêts de travail augmente 2 (sauf en 2021, lors du deuxième confinement de l’épidémie de Covid), notamment en raison de l’accroissement de l’âge des travailleur·euses et de la dégradation des conditions de travail. Les médecins généralistes sont en première ligne pour délivrer les arrêts de travail qui font partie de leur arsenal thérapeutique. Les spécialistes et les médecins hospitalier·ères prescrivent très peu d’arrêts de travail et sont aussi l’objet de pressions de la part de la CNAM pour en prescrire encore moins.
Il semble que la CNAM espère diminuer les dépenses du système de santé par la pression exercée sur les médecins prescripteur·trices et la culpabilisation des patient·es, sans même interroger les causes de ces arrêts de travail. Rappelons que les conditions de prescription des arrêts maladie ont déjà été lourdement modifiées avec
- l’institution des jours de carence,
- l’obligation d’inscrire la pathologie motivant l’arrêt de travail,
- la proposition codifiée du nombre de jours à prescrire selon ces motifs,
- l’obligation pour une prolongation de la faire faire par le/la même médecin ou son/sa médecin traitant
… sans compter l’évolution des modes de contrôle, avec la visite à la demande de l’employeur·euse validée par l’Assurance maladie. L’ensemble de ces mesures restreignant l’arrêt de travail a toujours eu comme leitmotiv le même discours, suspectant les médecins de laxisme et les patient·es de fraude 3. Tout semble bon pour chercher à faire des économies en les intimidant, sans penser à agir sur les réelles causes de souffrance au travail ni respecter les problèmes de santé des travailleur·euses qui les obligent à cesser temporairement leur travail pour la préserver.
Cette stratégie mène à des aberrations sur le plan de la santé publique.
En ne tenant pas compte de leurs conditions physiques ou mentales, certain·es patient·es entrent dans un phénomène bien moins décrié médiatiquement que l'absentéisme : celui du (sur)présentéisme 4,5. C'est le fait de se rendre à son travail malgré un état de santé justifiant une interruption d'activité. De multiples raisons (financières, peur de représailles, impossibilité d'être remplacé·e, motifs qui leurs sont propres,...) amènent les travailleur·euses à refuser les arrêts qui leur sont proposés ou bien les fractionner en arrêts de courte durée, réduisant ainsi parfois leur efficacité (par exemple dans le cadre d'une maladie chronique ou d'un trouble musculosquelettique).
Il semble nécessaire de redire que, comme toute prescription (médicamenteuse ou non), l'arrêt maladie est un outil thérapeutique proposé par un·e professionnel·le de santé après évaluation de l'état physique et mental du ou de la patient·e et considération de la balance bénéfice-risque. Ils sont toujours motivés par l'évolution naturelle des maladies et la période de récupération d'une maladie ou d'un traumatisme. Cette période dépend de nombreux facteurs qui sont individuels, environnementaux, familiaux, sociaux, psychologiques.
Aujourd'hui, l'objectif de productivité est devenu prioritaire sur celui de « prendre soin ».
Les travailleur·euses du public et du privé sont touché·es de la même manière par ce changement de paradigme, notamment au sein du milieu hospitalier. Les études montrent un lien entre le recours aux arrêts maladies et les conditions de travail ainsi que l'appréciation des travailleur.euses de l'évolution de leur profession.6 On peut considérer la prescription médicale d'arrêt de travail comme un révélateur des choix politiques sociaux et économiques dans un pays. Tout comme la déclaration de maladie professionnelle pour les personnes victimes d'un système visant l'exploitation maximale des forces de travail, les indemnités journalières reflètent le coût réel du travail tel qu'il est encadré aujourd'hui. Pourquoi alors ne pas s'interroger sur cette augmentation des indemnités journalières et son lien avec les conditions de travail actuelles ? On ne peut que constater que ce sont encore et toujours les mêmes qui paient pour le maintien d'un système (sur)productif.
Enfin, l'arrêt de travail est, avant toute chose, un droit des travailleur·euses acquis grâce à leurs luttes passées et maintenu par leur mobilisation continue. Il ne s'agit pas d'une faveur accordée par un·e médecin complaisant·e, mais bien d'une application du droit à la protection sociale en cas de problème de santé, rendue possible par les cotisations des travailleur·euses. Le fait de ramener ce droit à l'échelle individuelle d'un·e professionnel·le de santé prescrivant trop d'arrêts de travail est une manœuvre idéologique fallacieuse visant à dégrader toujours plus l'application du code du travail et des droits des assuré·es sociaux·ales.
Concrètement, aujourd'hui, les Caisses primaires d'Assurance maladie (CPAM) contactent les médecins ciblé·es pour, soit les « mettre sous objectifs » d'emblée (pour les 1000 plus gros·ses prescripteur·ices), soit réaliser un entretien « confraternel » avec un·e médecin conseil qui proposera ensuite la mise sous objectifs ou non, avec ses éventuelles modalités, à la direction de la CPAM. Une mise sous objectifs (MSO) signifie que le/la médecin s’engage à atteindre un objectif de réduction des prescriptions d’arrêt de travail dans un certain délai. En cas de non-respect de ces objectifs, des sanctions, notamment financières, sont décidées par la CPAM à l'encontre de le/la médecin. L'alternative, présentée par les CPAM comme plus défavorable aux médecins, est la mise sous accord préalable (MSAP). Cela signifie que la CPAM peut subordonner, pour une durée maximum de 6 mois, à l’accord préalable du service du contrôle médical les prescriptions du/de la médecin concerné·e. Un courrier est adressé à tout·e assuré·e présentant une prescription d’arrêt de travail d’un·e médecin mis·e sous accord préalable, pour le/la prévenir des conditions particulières de prise en charge de sa prescription, notamment d'un possible délai de versement des indemnités journalières (IJ), voire d'un refus de la prescription par la CPAM.
Nous conseillons, comme d'autres syndicats médicaux, de refuser la mise sous objectif qui revient à reconnaître le fait que des arrêts de travail sont prescrits de façon excessive ou inappropriée. De plus, cela dispense le service médical de la CPAM de se prononcer sur le bien- fondé ou non de l'arrêt de travail, ce qui est pourtant sa mission. Or, les moyens humains manquant là aussi, les caisses souhaitent éviter cette charge de travail supplémentaire qu'elles renvoient donc à la responsabilité des seul·es médecins généralistes.
Nous conseillons de préférer une mise sous accord préalable qui implique pour la caisse une procédure plus longue et renvoie la responsabilité au service médical de la CPAM. Pour le/la médecin, cela signifie envoyer quotidiennement une note écrite de justification des arrêts prescrits dans la journée, sachant que la quasi-totalité des arrêts sont validés par les services médicaux des CPAM ensuite.
Cela veut dire qu'il faut attendre le courrier recommandé avec accusé de réception annonçant la MSAP ou la MSO, et en cas de MSO, la refuser par recommandé avec accusé de réception avant la fin du délai de 2 semaines.
En cas d'entretien proposé par la CPAM, nous conseillons :
- d'accepter cet entretien, mais de choisir une date permettant de le préparer avec d'autres collègues/allié·es ;
- d'y être accompagné·e, soit de collègues, soit de patient·es, ou d'autres allié·es potentiel·les ;
- de demander en amont les arrêts considérés comme litigieux afin de pouvoir reprendre les situations et préparer les arguments ;
- de resituer les prescriptions dans un contexte, une activité, une patientèle, un bassin de vie et d'emploi, etc. ;
- de rappeler le manque de médecins du travail et la difficulté à obtenir des visites de pré-reprise pour les salarié·es qui en auraient besoin ;
- de renvoyer à la CPAM sa responsabilité de contrôle et ses possibilités de limitations propres de la durée de travail (notamment avec l'accompagnement social de prévention de la désinsertion professionnelle, avec la mise en invalidité, etc.)
Plus globalement, nous pensons que des échanges plus réguliers avec les médecins conseils, dans le but d'améliorer de façon pluridisciplinaire l'accompagnement des salarié·es en arrêt de travail (et non pas de contrôler les médecins « abusant ») seraient très utiles. Le/la patient·e concerné·e pourrait y participer, ainsi que le/la médecin du travail après accord de la personne concernée pour garantir le respect du secret médical. Ensuite, nous rappelons que l'obligation de préciser le motif de l'arrêt de travail est relativement récente et qu'il est toujours possible de mettre des motifs vagues.
Par ailleurs, cette attaque qui semble cibler les médecins généralistes est avant tout une attaque contre les droits des travailleur·euses (comme expliqué ci-avant). Nous invitons donc les patient·es :
- à oser demander les arrêts de travail dont iels ont besoin pour garantir leur santé ;
- à demander à leur médecin de mettre une cause vague à l’arrêt maladie, qui ne regarde que la personne malade et le/la prescriptrice ;
- à défendre le droit aux arrêts maladie, et à la reconnaissance de la parole concernant les conditions de travail et les moyens de protéger sa santé, notamment en rejoignant des syndicats qui luttent pour cela.7
Enfin, nous appelons chacun·e, soignant·e ou non, malades ou non, à s'allier pour défendre ensemble ce droit fondamental à être protégé·e lorsque nous sommes fragilisé·es. Pour une Sécurité sociale, juste et digne, au service des travailleur·euses !
Notes :
1. https://syndicat-smg.fr/NOUVELLES-PARTIELLES-DE-LA-REFORME (12/04/2006 Pierrre Volovitch) https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-10/RALFSS-2019-03-indemnites-journalieres.pdf
2. Rapport sur l’évolution des charges et des produits de l’Assurance Maladie au titre de 2024 publié en juillet 2023 https://assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/2023-rapport-propositions-pour-2024-charges-produits
3. https://syndicat-smg.fr/projet-de-loi-de-financement-de-la-securite-sociale-pour-2023-encore-une
4. https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/160823/travailler-en-etant-malade-un-phenomene-plus-preoccupant-que-les-pretendus-arrets-maladie-de-c
5. https://www.lexpress.fr/economie/emploi/surpresenteisme-beaucoup-de-travailleurs-refusent-de- s-absenter-quand-ils-sont-malades_1280267.html
6. « Arrêts maladie chez les hospitaliers : impact fort des conditions de travail », Revue Prescrire, 2020; 40 (444) : 786-787
7. https://syndicat-smg.fr/defendre-les-arrets-de-travail-les-arrets-maladie-sont-un-droit-des-personnes
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