Afghanistan : les USA ont donné les clés aux Talibans

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Accord de Dojha

Signature de l'accord de Doha entre les États-Unis et les Talibans

par Joël Perichaud, secrétaire national du Parti de la démondialisation aux relations internationales
 

Les Talibans sont revenus au pouvoir. Les portes leur ont été ouvertes par les États-Unis et leurs alliés tout comme les armes modernes leur ont été offertes sur un plateau pour leur permettre de s’acharner sur les Afghans hostiles à la dictature des religieux. Comme en 1996, ils ont rétabli leur régime obscurantiste et réactionnaire, en annihilant les droits humains, en particulier ceux des femmes. Les Afghans progressistes seront pourchassés et exterminés. Pourtant le retour des Talibans n’était pas une fatalité. Il est le résultat de plus de 20 ans d’occupation américaine et d’une série de guerres internes, celles des “chefs de guerre” dans tout le pays. Les thuriféraires de la théorie de la “guerre des civilisations” (Samuel Hunting-don) diront que c’est “l’essence” de ce “pays barbare” qui ne pourra jamais rejoindre les pays “civilisés”. Ce mépris colonialiste vise à justifier les guerres impérialistes menées par les États-Unis, son bras armé l’OTAN, et leurs alliés-subalternes dont les gouvernements français successifs. Pour eux, combattre sans relâche les Afghans, les Irakiens, les Russes et les Chinois serait un devoir pour sauver la “civilisation occidentale”. Les médias qualifient l’Afghanistan de “cimetière des empires” sans dire que les Afghans sont avant tout attachés à leur souveraineté nationale. Pour mieux comprendre, un retour sur l’histoire est indispensable.

Une longue histoire…

Véritable plaque tournante en Asie centrale, l'Afghanistan a toujours été très convoité. En effet, ce pays constituait à l'époque de l'Antiquité, un point de passage important sur la route de la soie et pour les conquérants qui souhaitaient prendre le contrôle de l'Inde : Cyrus le Grand, Alexandre le Grand, Gengis Khan, etc. Cette région est aussi le noyau de vastes empires (Bactrien, Kouchan Ghaznévide). L'islam s’y étend dès la fin du VIIe siècle. L’Afghanistan devient une entité souveraine en 1747, après l'effondrement du royaume perse Afcharide.
Suite au Traité anglo-russe de 1907, qui donne l'autonomie à l’Afghanistan, le pays devient un État- tampon entre les possessions de l’Angleterre et de la Russie, indépendant sur le plan de sa politique intérieure. En 1919, le 8 août, à la suite de la victoire sur les Britanniques, le pays récupère le con-trôle de sa politique étrangère par le Traité de Rawalpindi (lieu de la défaite des armées britanniques). Il rejoint la Société des Nations en 1921, puis l’ONU en 1946. Depuis la fin des années 1970, l'Afghanistan connaît des guerres ininterrompues qui ont causé la mort de plusieurs centaines de milliers de personnes.

Le royaume d’Afghanistan

L'émirat d’Afghanistan s’éteint après l’assassinat de l’émir Habibullah Khan. Son fils, Amanullah Khan prend le pouvoir en février 1919 et déclenche la troisième guerre anglo-afghane, conflit bref qui lui permet de rendre à l'Afghanistan sa complète indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni (traité de Rawalpindi). Le nouvel émir donne au pays sa première constitution en 1923. Il adopte le titre de Shah (Roi) en 1926. Il engage un programme de réformes (amélioration de la condition des femmes, lutte contre la corruption, création de passeports et de cartes d'identité, encouragement à l'investissement privé) qui suscite un grand mécontentement. Des révoltes secouent le pays et le roi s'enfuit en janvier 1929. L’un des meneurs, Kalakani, se proclame émir, annule toutes les réformes de son prédécesseur et met en place un régime religieux autocratique.
Nadir Khan (cousin d’Amanullah) mobilise les Pachtounes contre l'usurpateur tadjik qu’il vainc en octobre 1929 et monte sur le trône sous le nom de Nadir Shah. Une nouvelle constitution est pro-mulguée, mais la majeure partie des réformes d'Amanullah ne sont pas rétablies. Nadir Shah est assassiné en 1933 par Abdul Khaliq Hazara, un partisan de l'ancien roi déchu. Le fils du roi, Mo-hammad Zaher Shah, lui succède. Resté neutre durant la Seconde Guerre mondiale, l’Afghanistan est secoué par une série de révoltes tribales entre 1944 et 1947. La même année, l'indépendance du Pakistan ravive la question de la division des Pachtounes de part et d'autre de la ligne Durand, nom donné à la frontière de 2 430 kilomètres entre l'Afghanistan et le Raj britannique (régime colonial britannique). Elle avait été établie le 12 novembre 1893 par accord entre l'émir Abdur Rahman Khan et Sir Mortimer Durand représentant l'Empire britannique. Mohammad Zaher Shah prend les rênes du pouvoir et réussit à maintenir de bonnes relations avec l'Union soviétique aussi bien qu'avec les États-Unis, jouant sur les deux puissances pour moderniser le pays grâce à leur aide économique. Mohammad Daoud Khan mène un coup d'État pacifique le 17 juillet 1973. Il abolit la monarchie et annonce la création de la république d'Afghanistan, dont il devient le premier chef d'État et de gouvernement.

L’intervention soviétique (1978-1992)

L'intervention soviétique en Afghanistan s’inscrit dans le contexte de la guerre froide. En effet, les États-Unis soutiennent le Pakistan face à l’Inde, fer de lance des pays non alignés. L’URSS soutient l’Afghanistan qui avait, depuis 1919, des revendications territoriales sur les régions à majorité Pachtounes du Pakistan, ce qui aurait permis à l’Afghanistan de se désenclaver en possédant un accès vers la mer d’Arabie.
Le 27 avril 1978, le coup d’État du Parti démocratique populaire d’Afghanistan (PDPA) (1) renverse le gouvernement de Daoud. Ce coup d’État n'a été ni organisé ni soutenu par l'Union soviétique. En effet, Léonid Brejnev, furieux, finira par soutenir le président Nour Mohammad Taraki (1) en signant avec lui, en décembre 1978, un traité économique et militaire. Taraki devient président de la nouvelle République démocratique d’Afghanistan et met en place une série de réformes (école obliga-toire pour les filles, droits des femmes, abolition des dettes paysannes, réformes agraires, etc.) qui contrarient les coutumes ancestrales afghanes.
Malheureusement, les réformes du PDPA souffrent de la vieille division de la société afghane entre villes et campagnes. Les jeunes citadins éduqués ne comprennent pas le monde rural et souhaitent le remodeler, tandis que les habitants de villages ne montrent aucune sympathie pour la bureaucratie urbaine. Que les dimensions sociales et culturelles des réformes aient été mal accueillies car elles menaçaient les privilèges des mollahs, des maliks (chefs de village) et des grands propriétaires n’a rien de surprenant mais les aspects économiques progressistes du programme ont également été rejetés par la paysannerie dévote.

Le 15 mars 1979, la 17e division de l'armée afghane se révolte dans la ville d'Hérat. Elle est dirigée par le capitaine Ismaïl qui deviendra célèbre comme chef de la résistance contre l'Union soviétique sous le nom d'Ismaïl Khan. Les soldats abandonnent leur division, partent dans les montagnes avec des armes et, avec l’aide de la CIA, entrent en résistance contre le gouvernement.

Le 18 mars 1979, Le président Taraki téléphone au Premier ministre soviétique Alexis Kossyguine (conversation consignée dans les archives du Kremlin) et demande l'intervention de l'Armée rouge. Dans un premier temps, il essuie un refus, puis obtient gain de cause en conseillant de ne mobiliser que des soldats provenant des républiques soviétiques frontalières. L'Union soviétique fomente un coup d’État le 28 décembre 1979 afin que Barba Karmal, leader d'une tendance plus modérée à l'intérieur du Parti communiste, devienne président. L’Union soviétique intervient massivement à partir de janvier 1980 pour reprendre le contrôle des zones rebelles (Sud-Est du pays principale-ment). Cette intervention soulève une grande émotion dans l’ensemble des pays musulmans. De nombreux islamistes, issus de divers pays (Algériens, Bosniaques, Philippins, Saoudiens, Palestiniens, Égyptiens…), se joignent aux moudjahidines affublés par Washington et consort du nom de “combattants de la liberté”. Ceux-ci mènent une véritable guérilla financée et soutenue militairement par les États-Unis, le Pakistan, l’Arabie saoudite et diverses associations musulmanes à travers le monde.
Le gouvernement Karmal réforme ou abolit certaines pratiques traditionnelles féodales : la dot et les mariages forcés sont interdits, l'âge minimum légal pour le mariage est rehaussé (interdiction du mariage des enfants) et l'école est rendue obligatoire pour les filles. Les femmes obtiennent le droit de ne pas porter le voile, de circuler librement et de conduire. Un projet de légalisation du divorce est rédigé, mais n'est toutefois pas instauré pour ne pas encourager les insurrections des religieux conservateurs. Les communistes espéraient éliminer l’analphabétisme en cinq ans… En 1988, les femmes représentaient 40% des médecins et 60% des enseignants à l'université de Kaboul.
Le 30 novembre 1986, Mohammad Najibullah devient le cinquième (et dernier) président de la Ré-publique démocratique d’Afghanistan. Les troupes gouvernementales reçoivent moins d’aide de l’URSS (pour cause de Perestroïka) et font face à une intensification des combats des islamistes soutenus par le Pakistan, les États-Unis et les gouvernements à leur botte. Les USA livrent des missiles Stinger permettant d’abattre les hélicoptères et ruinent la stratégie soviétique de contre-guérilla jusqu’alors plutôt efficace. L’aide américaine aux islamistes s’élève alors à plusieurs milliards de dollars de subsides et d’armements. Car, pour le conseiller spécial du président Jimmy Carter, Zbi-gniew Brzeziński, il faut faire de l’Afghanistan « le Vietnam des Soviétiques » et pour une grande partie de la population rurale, la révolte est une “guerre de libération” contre une invasion soviétique vue comme un projet contre l’islam.

L’Union soviétique décide alors, unilatéralement, de quitter l'Afghanistan en février 1989. Les parti-sans de Najibullah résistent, mais les moudjahidines font leur entrée à Kaboul, le 16 avril 1992. Ils capturent le président Najibullah en l’extirpant d’une base de l’ONU, l’émasculent, puis le pendent sur la place publique. Les partisans du PDPA sont pourchassés, emprisonnés, torturés, exécutés ou forcés à l’exil. La République démocratique d’Afghanistan tombe le 29 avril.

Guerre civile (1992-1996)

De 1992 à 1995, un gouvernement islamiste issu de la “résistance” afghane prend le pouvoir, mais il y existe des dissidences internes.
Le 28 juin, Burhanuddin Rabbani, du parti Jamiat-e-Islami (2), est nommé président intérimaire, puis élu chef du gouvernement en décembre. Ahmed Chah Massoud (commandant Massoud ou le “Lion du Panchir“), futur chef de l’alliance du Nord, est son ministre de la Défense. Massoud démissionne du gouvernement afin de permettre à Gulbuddin Hekmatyar, fondamentaliste appartenant à l’ethnie Pachtoune, de devenir Premier ministre. Mais les affrontements continuent dans Kaboul entre Talibans (étudiants en théologie), forces du gouvernement (Massoud) et moudjahidines (Hekmatyar). La charia est progressivement mise en place entre mai et juillet 1992 (port du hijab obligatoire pour les femmes, interdiction de la musique à la radio, application de la loi islamique, prière obligatoire pour les fonctionnaires, etc.).
À partir de 1994, les Talibans, appuyés par des groupes islamistes armés étrangers, conquièrent les différentes provinces du pays. De 1994 à 1996, soutenus par l’armée pakistanaise et l’ISI (services secrets pakistanais), ils contrôlent l’essentiel du pays sauf le réduit tadjik au nord-est qui est sous le contrôle d’une nébuleuse de groupes armés qui forment l’Alliance du Nord. Des membres du Hezb-e-islami (parti de Hekmatyar) entrent au gouvernement du président Rabbani tandis que Hekmatyar devient Premier ministre.

Régime Taliban (1996-2001)

Le 27 septembre 1996, les Talibans, appuyés par le Pakistan, prennent Kaboul et s’emparent du pouvoir. Mohammad Omar, plus connu sous le nom de mollah Omar, proclamé le 4 avril 1996 par ses partisans “commandeur des croyants”, dirige le pays sans aucun titre politique ou constitutionnel. Madeleine Albright, la secrétaire d’État américaine dans le gouvernement de Bill Clinton, déclare alors que « c’est un pas positif »…
Les Talibans instaurent une paix relative par le biais de l'application d’une loi islamique très stricte ayant pour but d’instaurer « le plus pur État islamique du monde », fondé sur une application rigoureuse de la charia. Les femmes n'ont plus droit à l'éducation et les exécutions sommaires s’enchaînent. En 1998, la prise de la ville de Mazar-e-Charif entraîne le massacre par les Talibans de quatre à six mille Hazaras (chiites).
L’Union soviétique ayant été mise à mort, les États-Unis estiment qu’ils peuvent élargir leur influence dans la région en facilitant l’accès au pouvoir de factions islamistes influencées par leurs alliés sunnites. Déjà, les Talibans essaient d’établir des liens avec les États-Unis, par le biais de négociations sur la construction de pipelines conduites par Hamid Karzai (futur président mis en place par les États-Unis en 2001).
En 2001, les Talibans détruisent les statues pré-islamiques des Bouddha de Bâmiyân (VIe – IVe siècles av. JC), inscrites au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. Le 9 septembre, Massoud est assassiné lors d’un attentat suicide déguisé en interview par de faux journalistes. Les Talibans, « nouveaux islamistes » sont plus radicaux, plus organisés que les moudjahidines et bien implantés parmi les Pachtounes du sud. Au nord, les moudjahidines se battent sans menacer le ré-gime Taliban. Leurs protecteurs (États-Unis, Arabie saoudite, Pakistan) misent sur un « accommodement » avec eux alors que leur priorité est d’annuler les réformes, d’imposer le confinement des femmes et le retrait des filles des écoles.
Les Talibans poursuivent leurs exactions dans l’indifférence générale y compris des États-Unis et de leurs alliés subalternes (appelée « communauté internationale » par les médias mainstream).
En 1990, les États-Unis attaquent l’Irak (première guerre du Golfe) avec l’appui des pétromonarchies pour mettre en place d’importants dispositifs militaires. Plusieurs factions d’anciens moudjahidines, qui avaient combattu l’URSS avec l’appui américain, n’acceptent pas ce coup de force dont Oussama ben Laden, que les USA avaient généreusement financé. C’est ainsi que se met en place un réseau régional d’Al-Qaida (la base) dont le but est de combattre la mainmise américaine et d’imposer un « État islamique » dans toute la région. Entre Talibans et Al-Qaida, une d’alliance d’opportunité se crée.

Puis se produisent les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis…

Intervention de l’OTAN, et projet américain (2001-2021)

Si l’invasion de l’Afghanistan est présentée comme une nécessité pour faire oublier l’affront du 11 septembre, la stratégie pour l’Afghanistan (et pour toute la région) de George W. Bush et des néoconservateurs est contestée par une partie de l’establishment politique, des intellectuels et des militaires.
Le gouvernement Bush, avec l’aide des forces terrestres de l’Alliance du Nord et le soutien aérien des forces de l’OTAN, renverse en quelques mois le régime Taliban et nomme le dévoué Hamid Karzai nouveau président de l’Afghanistan. Car pour les néoconservateurs et G. W. Bush, il faut procéder à une « ré-ingénierie » de toute la région. Il faut refaire des nations (nation-building) et reconstruire des États (state-building) par une gestion fractionnée utilisant des exécutants locaux. L’invasion de l’Afghanistan est vue alors comme une opération collatérale, un tremplin pour bondir sur l’Irak et éventuellement, sur la Syrie et sur l’Iran. Les USA mettent en place, à Kaboul, un pseudo appareil d’État totalement inféodé aux « experts » et « conseillers » américains, européens, et canadiens, qui contrôlent au jour le jour la moindre opération. Tout est organisé pour satisfaire des « contractuels » dont on tolère les détournements de fonds et pour mener la guerre contre les Talibans et leurs alliés. Sur ce plan militaire, les États-Unis échouent car leur allié principal, le Pakistan, joue double jeu et continue à appuyer les Talibans. Puis, avec l’invasion de l’Irak, le « front » afghan devient secondaire.
À partir de 2005, les Talibans, appuyés par des islamistes étrangers, s’infiltrent dans certaines régions. Sur les dix premiers mois de 2006, la guérilla et les combats font plus de 3 000 morts.
En 2015, la Force internationale d'assistance et de sécurité (FIAS) mise en place par l'OTAN est remplacée par la mission “Resolute Support” destinée à prodiguer « conseils et formations » à l'armée et aux institutions mises en place par la pseudo communauté internationale. Après un engagement coûteux et sans issue (1 000 milliards de dollars, 2 400 morts et 20 400 blessés parmi les soldats américains), Donald Trump annonce en décembre 2018 son intention, unilatérale, de se retirer du pays. Les Talibans, presque essentiellement composés de Pachtounes, prennent l'avantage dans un énième cycle de négociations de paix entamées à Doha en novembre 2018.  Un accord s’y conclut en février 2020. Il est surtout destiné à sécuriser le retrait des troupes américaines, à éviter les attentats sur le sol américain et promet des négociations ultérieures… Les Talibans continuent leur offensive…

Le bilan désastreux de l’Occupation des USA et de l’OTAN

La clique instituée par Washington pour gérer le pays s’est rapidement recyclée dans le narcotrafic   florissant : en 2004, trois ans après l’intervention internationale, l’Afghanistan était redevenue le premier pays producteur mondial de pavot, utilisé pour produire l’opium et l’héroïne. La corruption et l’occupation de l’Afghanistan par des troupes étrangères dont les d’échecs militaires se sont répétés, ont redonné l’avantage opérationnel et politique aux Talibans.  
Les négociations de Doha entre les États-Unis et les Talibans, avec l’appui explicite et implicite des pétromonarchies et d’autres puissances dites émergentes (Turquie, Égypte), ont, de facto, reconnu le rôle de pivot des Talibans dans une éventuelle « reconstruction » post-américaine qui ressemblera à une dictature. Mais le deal de Doha inclut sûrement le positionnement de l’Afghanistan “re-talibanisée “contre l’Iran, grand ennemi actuel des États-Unis et d’Israël.
Le 30 août 2021, le dernier avion de l'armée américaine quitte Kaboul.
Colonnes de fumée s’élevant de l'ambassade américaine (causées par l'incendie précipité de docu-ments), vols d’hélicoptères à l'aéroport de Kaboul pour évacuer les fonctionnaires US, cris des enfants perdus sur les pistes, évacuation chaotique rappelant Saïgon, cadavres sur la route de l’aéroport et forces militaires américaines tirant sur la foule qui tentait de fuir les Talibans dans les derniers avions sont la honte des États-Unis et de l’OTAN qui fuient un pays qu’ils ont dévasté.

Une débâcle militaire et idéologique

Les USA et l’OTAN, après 20 ans de présence massive, ont échoué à construire, ou même à ébaucher, un État, des institutions, une armée afghane, et à homogénéiser une société civile autour de valeurs et pratiques occidentales incompatibles avec la structure tribale et clanique d’un pays géographiquement cloisonné.
L’Amérique se retire sans scrupule ni gêne à l’égard du peuple afghan dont la « libération » n’aura été, comme ailleurs, qu’un prétexte à une ingérence aux objectifs plus concrets.

Le retrait chaotique dont nous avons parlé est un écran de fumée qui cache le caractère illégitime de l’ingérence impérialiste occidentale et ses véritables motivations :

•    Étendre la zone d’intervention de l’OTAN en Asie centrale avec un vrai mandat. En effet, pour la première fois, les membres de l’Alliance avaient invoqué l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord après les attentats du 11 septembre ;
•    Gêner la Russie en favorisant l’éparpillement djihadiste en Asie centrale ;
•    Gêner l’expansion de l’influence iranienne (qui a déjà plus de 3 millions d’Afghans sur son sol) et projeter une nouvelle masse de réfugiés vers l’Iran pour aggraver la crise économique ;
•    S’appuyer sur le Pakistan contre l’Inde soutenue par la Russie ;
•  Contrôler la production du Lithium indispensable à la croissance chinoise (fabrication des smartphones).

Le retrait américain mal préparé et précipité est la démonstration du cynisme total de la politique étrangère américaine. En effet, celui-ci a été négocié en contrepartie de l’abandon aux Talibans d’une quantité impressionnante d’armements, restes des 85 milliards de dollars d’équipements dé-versés dans le cadre des programmes US “train, advise and assist” de l’armée et de l’administration afghanes durant 20 ans. Un ancien responsable américain du « Procurement program » mentionnait 75 000 véhicules légers et lourds (60 chars légers, 12 lourds), 50 canons ou mortiers lourds, 7 drones militaires, 200 avions et 24 hélicoptères (dont nombre de Black Hawk) et 600 000 armes légères abandonnés aux Talibans. De plus, ceux-ci se sont vus concéder les technologies (lunettes de vision nocturne, scanners des yeux et d’empreintes digitales) et les bases de données biométriques et biographiques américaines dernier cri, leur permettant de cibler et réprimer tous les Afghans (des centaines de milliers) qui ont de près ou de loin collaboré avec les Américains depuis 20 ans. Les USA donnent ainsi aux Talibans la maîtrise de la surveillance de la population et la liste de tous ceux qu’il faut éliminer…

En fait, les USA ont combattu la Russie et l’Iran depuis 40 ans en se servant de l’extrémisme sunnite partout dans le monde. En effet, les USA sont les concepteurs et les auxiliaires (avec l’argent saoudien et la CIA) du djihadisme mondial depuis les “moudjahidines” afghans, pseudo “combattants de la liberté” des années 80. Cette déroute humiliante n’est qu’un changement de braquet. Les USA lâchent leurs alliés comme ils l’ont fait partout ailleurs. Car la manœuvre US de retrait en désordre n’est autre que la décision de laisser s’égailler les islamistes en Asie centrale pour gêner Moscou et Téhéran.

Que fait la France dans cette galère ?

Que fait et qu’a fait la France dans cette galère ? Rien, comme tous les autres. Le Nation building illégal, illégitime et impossible face à un peuple qui défend sa souveraineté nationale, ne fait que nourrir la dynamique de résistance ou la dynamique terroriste islamiste. Les gouvernements français qui se sont succédés depuis la Deuxième guerre mondiale ont choisi le suivisme et la collaboration avec l’empire américain et son bras armé l’OTAN. Ils ont choisi d’abandonner les intérêts français stratégiques et sécuritaires. La politique étrangère des gouvernements “socialistes” et néolibéraux est un désastre pour la crédibilité et l’influence de la France. On le sait, l’ingérence militaire ne produit plus d’influence, au contraire. L’OTAN va se redéployer en fonction du nouvel agenda de sécurité des USA orienté vers la Chine et la Russie. La France n’a rien à faire ni à gagner dans ces aventures impérialistes. Rien. Seulement une marginalisation accrue sur la scène internationale et une incapacité programmée à gérer l’enjeu sécuritaire d’un afflux de réfugiés sur le territoire national. Comme on le sait, il existe des djihadistes en puissance, des « crypto-talibans », parmi les réfugiés, habilement mêlés à ceux qui voulaient fuir le pays (employés locaux de notre ambassade, d’ONG, interprètes…). Car ce sont les Talibans qui, en vertu d’un accord avec les USA, faisaient le tri à l’entrée de l’aéroport. Il est probable que nous soyons à la veille d’une campagne d’attentats en Europe et même aux USA. La campagne présidentielle en France constitue, à cet égard, une sanglante fenêtre d’opportunité. L’Afghanistan va redevenir un vivier du terrorisme islamiste et de la renaissance de l’État-islamique version locale. L’ONU estime, en effet, que déjà 15 des 34 provinces afghanes sont infestées par Al Qaida ou Daesh.

Ce n’est pas la fin de l’histoire

Dans cette guerre, les USA et l’OTAN ont fait des centaines de milliers de morts et généré des millions de réfugiés. L’impérialisme américain a montré au monde sa barbarie. Des milliards de dollars ont servi à nourrir la corruption, le crime, la drogue, les sociétés privées de mercenaires, les forces militaires américaines, les divers intermédiaires, les chefs de guerre afghans, l’industrie et les multinationales américaines. Toutes ces années d'occupation militaire, au service de l’ambition obsessionnelle de maintenir l’hégémonie américaine sur le monde, se sont soldées par une nouvelle défaite militaire et idéologique que les États-Unis ne peuvent cacher. Malgré un mensonge éhonté quant à une évacuation contrôlée pour tenter d’éviter honte et discrédit aux yeux des peuples, les faits sont accablants. Restent les massacres de vingt ans de guerre et d'occupation américaine, les bombardements des populations civiles, les meurtres perpétrés par les drones contrôlés depuis le Nebraska, le cynisme et les mensonges répétés de la Maison Blanche, du Pentagone, du Départe-ment d'État américain et de l’OTAN.

Les Talibans sont les fils des moudjahidin que rencontrait Reagan. Ils sont les descendants directs des mercenaires auxquels les États-Unis ont fourni des fonds et des armes modernes pour détruire la meilleure république que l'Afghanistan ait jamais eue ; celle qui a gouverné pendant le temps d'amitié avec l’URSS, qui a œuvré au développement du pays et défendu le droits des femmes. Les Talibans sont les héritiers des meurtriers que Washington et consorts ont appelé « guerriers de la liberté », qui ont promu le djihadisme, qui ont ramené le pays dans l'arriération, le fanatisme et la haine distillée par les mollahs.
Les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN sont responsables. Les gouvernements français qui ont secondé l’invasion nord-américaine en envoyant des troupes, ont collaboré volontairement avec   l’impérialisme des USA et sont complices de la tragédie du peuple afghan. George W. Bush et tous les présidents américains qui lui ont succédé méritent d’être traduits en justice pour répondre des crimes commis.

Les interventions militaires impérialistes doivent être condamnées. Toute politique étrangère doit respecter les Droits de l'homme et la souveraineté des États.

La solidarité avec le peuple afghan, avec tous ceux qui ont lutté pour combattre la machine de guerre des États-Unis et de leurs alliés, qui ont combattu le terrifiant règne des moudjahidines et aujourd’hui le sinistre obscurantisme des talibans doit être affirmée.

Notes
1.- Le Parti démocratique populaire d’Afghanistan (PDPA), créé en 1965, est pro-communiste et pro-soviétique. Il comporte deux tendances. L’une Khalq (le Peuple) domine dans les régions du sud peuplées surtout de Pachtounes. Son chef est Nour Mohammad Taraki. L’autre, Parcham (le Drapeau), est davantage implanté à Kaboul parmi les couches moyennes, éduquées et multiculturelles.
2.- Jamiat-e-Islami (« Société islamique ») est un parti politique islamiste, le plus ancien du pays encore en activité. La majorité des membres du parti sont des Tadjiks venus du nord et de l'ouest de l'Afghanistan. Il a été l'un des acteurs majeurs de la résistance contre les troupes soviétiques lors de la première guerre d'Afghanistan, puis de la lutte anticommuniste lors de la guerre civile ayant suivi le retrait de l'Armée rouge. Burhanuddin Rabbani était le chef du parti de 1972, année de sa fondation, à 2011 et a également été président de l'État islamique d'Afghanistan de 1992 à 2001 (de facto, les Talibans ayant pris le contrôle du pays en 1996, sans être reconnus par la “communauté internationale”…).