Sortir le travail du marché

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Marché du travail

 

En pleine mobilisation contre la « réforme des retraites », une question essentielle émerge : celle du travail. Des conditions de travail, de sa rémunération mais aussi du sens du travail. Mais entre emploi et travail il existe des différences. L’emploi s’inscrit depuis des décennies dans un « marché » où on est sommé de se vendre auprès d’employeurs qui achètent au meilleur prix, c’est-à-dire au salaire le plus bas, des « compétences » les plus hautes.

Mais lorsqu’on parle du salaire il ne s’agit pas seulement du net perçu mensuellement mais aussi du salaire différé (ou socialisé) incluant les pensions de retraite à venir et, d’une manière générale, toute la protection sociale. Tandis que tous les salariés versent des cotisations sociales, les employeurs, eux, en sont de plus en plus exonérés. Ces mesures gouvernementales, notamment le CICE, assèchent depuis des années les comptes de la Sécurité sociale. Elles concernent tous les salaires jusqu’au SMIC, soit plus de 2,5 millions de personnes dans le secteur privé.

Le chômage, disons plus exactement la privation d’emploi, concourt aussi à la réduction des recettes de la protection sociale. Il existe, en effet, deux niveaux au salaire. Le plus visible est celui perçu en net par chacun, son « pouvoir d’achat » immédiat, versé sur son compte bancaire. L’autre niveau, le salaire différé ou socialisé (Assurance maladie, retraite, chômage, prestations familiales et logement), est invisibilisé mais crucial. Il résulte de la même action : celle de la force de travail du salarié qui produit biens ou services. C’est tout à la fois à la protection sociale et au salaire direct que les néolibéraux s’attaquent depuis plusieurs années. D’autant que plus les privés d’emplois sont nombreux moins les salaires augmentent selon le principe de l’offre et la demande imposé par le marché. D’ailleurs la dernière réforme des indemnités chômage fait varier les indemnités en fonction de ce marché de l’emploi. Le gain est donc double pour le patronat : moins les employeurs payent de cotisations sociales, plus la Sécurité sociale est appauvrie, plus les salariés sont pris à la gorge, plus les profits s’accroissent pour les gros actionnaires.

Mais gare ! Le rejet massif de la population de l’allongement de la durée du travail (jusqu’à 64 ans avec 43 années de cotisation pour le salarié) ouvre désormais sur le refus de « mourir au travail », de « perdre sa vie pour la gagner ». Et pose des questions de fond. A quoi sert le travail ? A qui ? Pourquoi ?

Pour qui veut mettre en mouvement une vague émancipatrice, il est indispensable de résoudre à la fois l’accès à l’emploi pour tous et le sens du travail pour chacun. Ce qui exige de penser la société sur de nouvelles bases.

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La dynamique du système capitaliste le pousse en permanence à universaliser le marché, c’est-à-dire non seulement à l’étendre sur le plan géographique, mais aussi à l’étendre du domaine des biens matériels au travail, à la terre, à la monnaie et au commerce international. Ce ne sont là toutefois que des « marchandises fictives ». Elles touchent en effet respectivement à l’être humain, à la nature, au pouvoir, aux relations entre nations. Ces quatre éléments ne peuvent dans la réalité être totalement soumis à des mécanismes de marché sans provoquer d’immenses effets destructeurs sur les sociétés comme nous l’observons quotidiennement depuis plusieurs décennies.

C’est pourtant le changement fondamental produit par le capitalisme qui avance sans discontinuer vers la plus complète transformation possible du travail, de la terre, de la monnaie et du commerce international en marchandises. Il traite ces éléments comme s’ils avaient été produits dans le seul but d’être vendus comme des marchandises ordinaires, alors que ce ne sont pas d’authentiques marchandises, et qu’ils ne le seront jamais.

Si le travail, la terre, la monnaie, tout ce qui circule grâce au commerce international peuvent être achetés ou vendus librement, le mécanisme du marché leur sera appliqué avec une offre et une demande. Il y aura donc un prix de marché pour l’usage de la force de travail (le salaire), l’usage de la terre (la rente), l’usage de la monnaie (l’intérêt), l’usage de ce qui circule grâce au commerce international (les relations entre nations). Travail, terre, monnaie, commerce international ont désormais leurs propres marchés, semblables à ceux des marchandises authentiques que l’on produit grâce à eux.

Le travail n’est qu’un autre nom donné à l’humain, la terre n’est qu’un autre nom donné à la nature, la monnaie n’est qu’un autre nom donné au pouvoir, le commerce international n’est qu’un autre nom donné aux relations internationales et à leurs rapports de force. Par l’illusion que la marchandise s’applique à ces quatre catégories, l’être humain et la nature sont soumis à un mécanisme « naturel » qui les dépasse et sur lequel ils ne peuvent avoir de prise. La prospérité matérielle promise par ce système ne repose que sur les motivations de la faim et du gain : la crainte de mourir de faim pour les pauvres et l’appât du gain pour les riches et demi-riches.

La fiction de la marchandise appliquée au travail, à la terre, à la monnaie et au commerce international permet le passage de l’économie de marché à la société de marché. Étrangement, avec la société de marché, la société qui est un tout indissociable se trouve alors encastrée dans une partie d’elle-même qui est le mécanisme de sa propre économie. Sortir de la société de marché passe impérativement par la sortie des logiques marchandes appliquées au travail, à la terre, à la monnaie et au commerce international.

Le travail, une marchandise ?

Certes le travail est produit, mais pas pour être vendu, pour permettre au contraire, grâce à son résultat, de répondre aux besoins humains. Le travail ne doit plus être considéré comme une vulgaire marchandise ayant un prix évoluant selon les quantités offertes sur le « marché » du travail. Il ne doit plus être le prix de la marchandise-force de travail. Le salaire ne doit plus dépendre entièrement de la seule responsabilité de l’employeur, que ce dernier soit privé ou public. Comme pour les pensions dans les systèmes par répartition dont la gestion est mutualisée, le salaire doit également avoir une partie mutualisée, favorable bien sûr aux salariés, particulièrement à ceux travaillant dans de petites et moyennes entreprises, mais aussi à leurs employeurs. Cette évolution en entraîne une autre : la fin de la relation de subordination du salarié vis-à-vis de son employeur. Ces questions sont abordées dans la partie dédiée de notre programme. Si le travail n’est plus une marchandise, il ne peut plus y avoir « d'armée de réserve », il ne peut plus y avoir de chômage ni de précarité. Toutes les personnes disponibles et volontaires peuvent se mettre au service de la collectivité en contribuant, par leur travail, à répondre à ses besoins. C’est l’État qui est dans ce cas l’employeur en dernier ressort, dans le cadre du droit opposable à l’emploi. La production et la répartition des biens et services seront ainsi ré-encastrés dans des rapports sociaux de type non économique. Ni le travail, ni la répartition des biens et services ne seront accomplis uniquement pour des raisons économiques, c’est-à-dire en vue du gain pour les uns, ou par crainte de souffrir individuellement de la faim pour les autres. Un terme sera mis à l’exploitation de la force de travail.

La terre, une marchandise ?

Certes la terre a été produite puisqu’elle est là. Mais la terre ne doit plus être considérée comme une simple marchandise, inépuisable, ce qui revient à croire à la magie. D’ailleurs c’est l’humain qui appartient à la terre, et non la terre à l’humain. Il peut paraître paradoxal que le Parti de la démondialisation se prononce néanmoins pour la propriété individuelle de la terre et sa transmission par hérédité. La terre comme bien commun n’est pourtant pas incompatible avec la terre comme propriété individuelle et collective. En effet, au-delà des principes abstraits, l’expérience de l’histoire a montré que la terre devait appartenir à celui qui la travaille. Les expériences désastreuses en la matière des pays qui se réclamaient du socialisme le confirment. La propriété de la terre peut donc être individuelle, l’État conservant de toute manière un droit de préemption et d’expropriation, comme aujourd’hui.

La terre ne doit plus pouvoir s’acheter et se vendre comme une simple marchandise sur un marché, particulièrement les terres agricoles. Déjà, aujourd’hui, les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) jouent un rôle majeur dans l'aménagement du territoire rural. Elles font des études foncières, achètent, vendent et gèrent des biens agricoles, forestiers et ruraux. Elles les revendent à des agriculteurs ou des collectivités, établissements publics (conservatoires du littoral, parcs, agences, etc.), personnes privées, dont les projets répondent à l’objectif de ses missions. Elles peuvent stocker des terrains et les louer temporairement à des agriculteurs. Elles peuvent réaliser des travaux d’aménagement pour améliorer les conditions d’exploitation, pour entretenir les paysages, elles ont un droit de préemption.
Les Safer, leur composition et leur fonctionnement seront revus pour les mettre à la disposition des agriculteurs eux-mêmes, des collectivités territoriales et du Plan. Leur mission sera redéfinie dans le but d’encourager les formes coopératives et collectives du travail de la terre ainsi que les divers contrats de droit d’usage de celle-ci. Ces dispositions doivent être étendues aux terres non-agricoles. Il est cependant de notoriété publique que pour acheter ou louer des terres agricoles, il faut souvent verser de l’argent « sous la table ».

La monnaie, une marchandise ?

Certes la monnaie a été produite et peut être vendue, mais elle échappe ainsi aux autorités publiques et ne relève plus que du marché. C’est pourquoi la monnaie ne doit plus être une simple marchandise. Seul l’État doit pouvoir la produire, son usage doit être limité à l’achat de biens et services, en dehors de toute utilisation spéculative. Ces différentes questions ont été largement développées dans la partie III de notre programme, nous n’y revenons pas ici.

Le commerce international, une marchandise ?

Certes les marchandises faisant l’objet d’un commerce international ont été produites, mais ce commerce, s’il se réduit à un simple marché, efface ce qui en fait l’essence : des relations politiques au sens large entre nations. Le commerce international ne doit donc pas être un simple marché. Tous les biens et services produits en France ne peuvent pas être en accès libre pour les pays étrangers. De la même manière, tous les biens et services produits à l’étranger ne peuvent pas être en accès libre pour les Français.

Des limites sont nécessaires pour :

  •     Diminuer les échanges internationaux source de pollution.
  •     Consacrer l’essentiel des échanges internationaux aux biens et services indispensables tels qu’ils      auront été définis démocratiquement.
  •     Favoriser la production des biens et services dont chaque pays a besoin dans les pays en question.
  •     Préserver la souveraineté alimentaire et économique de chaque pays.
  •     Éviter l’endettement extérieur et le déséquilibre de la balance commerciale.
  •     Déterminer un système de prix ne dépendant pas du marché ; parfois les exportations peuvent avoir un prix inférieur au marché pour favoriser la coopération avec ces pays, parfois le prix peut être supérieur pour des importations (par la fiscalité) pour réduire les flux.

Enfin, on ne peut pas à la fois défendre le droit des citoyens à connaître et intervenir sur la nature et les conditions de production dans un pays et, dans le même temps, accepter qu’une grande partie des marchandises (ou même des services) soient fabriqués à l’autre bout du monde. Le contrôle ne peut se faire que dans la proximité et sur le territoire sur lequel s’exercent les lois. Il est tout à fait illusoire d’espérer obtenir une information fiable sur les conditions de fabrication dans un pays lointain ou de vouloir imposer des cahiers des charges qui vont bien au-delà de ce que prévoient les lois nationales. Il faut admettre, et c’est sans doute une bonne chose pour le respect de la souveraineté de chaque pays, qu’on dispose d’un pouvoir de contrôle très limité sur les productions étrangères. On sait que c’est en partie pour échapper au regard des pays consommateurs et à leurs lois que certaines entreprises installent leurs ateliers à l’autre bout du monde, même si ce point est généralement occulté dans les analyses qui mettent surtout en avant le différentiel de coût de la main d’œuvre. Il faut relocaliser les productions, chaque fois que c’est possible, pour que les citoyens retrouvent la maîtrise des conditions sociales et environnementales de fabrication des biens et services. Quand cela n’est pas possible, il faudra se contenter d’un contrôle indirect, lequel devra principalement passer par des accords entre nations et non par l’action d’une multinationale en territoire étranger.

Le commerce international est nécessaire, mais il doit relever des relations politiques entre nations, pas du marché. Dans ce dernier cas, l’action prééminente des grandes firmes multinationales, fondée sur la concurrence, ne peut que susciter tensions et conflits. Ce n’est pas à elles de juger de la paix et de la guerre, même commerciale.

Ces constats et ces réflexions amènent à la conclusion qu’il faut sortir de l’euro et de l’Union européenne si nous voulons nous réapproprier la monnaie et contrôler les banques. Plus généralement, il faut dé-marchandiser, et en tout premier lieu le travail, la terre, la monnaie, et le commerce international.