Le 08-12-2020
Par Joël Perichaud, secrétaire national du Parti de la démondialisation chargé des relations internationales.
Pour l’impérialisme étatsunien, tous les moyens sont bons pour imposer sa domination sur les peuples de la planète.
Pendant des années, les États-Unis ont exercé un colonialisme culturel (médias, musique, films, etc.) et économique qui perdure. Mais cela ne suffisait plus pour imposer leur domination sur le monde. Ainsi, les deux principaux partis des États-Unis, Démocrates et Républicains, tentent désormais de disqualifier des dirigeants régulièrement élus (exemples au Venezuela, en Bolivie, Equateur) pour justifier leurs éventuelles interventions militaires au prétexte de la ‘’démocratie’’, et des ‘’droits de l’Homme".
Un nouveau cap a été franchi. Face à la réaction des peuples et à la montée progressive de leurs combats pour leur souveraineté, l’oligarchie étatsunienne recourt, pour tenter d’étendre sa domination sur les économies et les peuples, à l’extraterritorialité du droit étatsunien. Celle-ci consiste, pour la ‘’encore’’ première puissance mondiale, à imposer sa loi au monde en dehors de ses frontières. La mondialisation des échanges et le développement du numérique ont favorisé l’essor des lois extraterritoriales aux États-Unis depuis trente ans, principalement dans deux domaines prétextes : la lutte contre la corruption et les sanctions internationales.
Cette extraterritorialité est une violation manifeste de la souveraineté des autres États, posée en droit international par les traités de Westphalie du 24 octobre 1648. C’est surtout une arme de guerre économique, qui permet aux gouvernements des États-Unis et à ses multinationales de se projeter dans le monde entier et de réguler le commerce mondial à leur propre profit, sans sacrifier un seul GI !
La guerre économique sous prétexte de lutte contre la corruption
Les États-Unis se sont dotés dès 1977 d’une législation en matière de lutte contre la corruption, le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Au début des années 90, conscients des bénéfices politiques et économiques qu’ils peuvent en tirer, ils poussent à l’adoption d’une convention internationale sur leur modèle du FCPA. En chien fidèle, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), adopte en 1997 la « Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales ». Cet accord, ratifié par la France en septembre 2000, oblige les États signataires à mettre en place des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives contre leurs ressortissants convaincus de corruption d’un agent étranger. Le décor est placé, le piège va se refermer.
Saisissant cette occasion, les États-Unis révisent alors leur FCPA pour élargir son champ de compétence et lui donner un effet extraterritorial qui s’avère dévastateur sur la souveraineté des autres nations : pouvoir poursuivre des entreprises non étatsuniennes pour des faits de corruption commis en dehors du territoire des États-Unis.
La basse besogne, sous forme de ‘’mission’’ est confiée au Department of Justice (DoJ) composé de fonctionnaires placés sous l’autorité hiérarchique directe du gouvernement. Sur la base du FCPA, les autorités de poursuites procèdent alors à une interprétation extensive de leurs compétences. Il suffit par exemple que le dollar ait été utilisé dans une transaction litigieuse pour donner compétence aux États-Unis ou encore, que les personnes mises en cause aient utilisé une adresse e-mail fournie par Google. Il leur faut pouvoir attaquer et intervenir partout et pour cela, le critère de rattachement au ‘’territoire étatsunien’’ est extrêmement ténu.
Pour mener ses enquêtes, le DoJ s’appuie sur les ressorts de la procédure pénale étatsunienne, qui permet de négocier avec les entreprises et leurs dirigeants hors de tout procès pénal. En pratique, un rapport de force violent et déséquilibré s’instaure. L’arbitraire règne et vise à contraindre les mis en cause à coopérer pour s’auto-incriminer et payer des amendes colossales au Trésor étatsunien.
Cette parodie de justice internationale, sans juge, produit des résultats extraordinaires ; à ce jour, toutes les entreprises visées par des poursuites du DoJ au titre du FCPA ont accepté un « accord». En cas de résistance, la fureur judiciaire étatsunienne se déchaîne. Frédéric Pierucci, un ancien cadre dirigeant d’Alstom, en a fait la douloureuse expérience.(*)
Illustration : le chantage US pour la vente d’Alstom à General Electric
Le 23 avril 2014 au petit matin, l’agence Bloomberg publie une dépêche révélant les négociations sur le rachat partiel d’Alstom par General Electric (GE) pour un montant de 13 milliards de dollars. Le groupe Alstom, qui fournit les turbines de nos centrales nucléaires et le turboréacteur du porte-avions Charles-de-Gaulle, est une entreprise hautement stratégique, nourrie à la commande publique depuis des années. Elle passe alors, par la force, sous commandement US.
Patrick Kron, l’ancien président d’Alstom ment à la nation en niant tout lien entre la vente à GE et la négociation avec le DoJ, puis il reconnaît qu’une amende du DoJ qui aurait absorbé la moitié de la trésorerie de l’entreprise, a pesé lourdement dans la décision de vendre…
Il ne s’agit pas ici de discuter des faits de corruption imputés à Alstom, mais de constater que l’objectif poursuivi par la procédure étatsunienne était de ‘’rapter’’ une industrie stratégique française pour la faire passer sous le contrôle de son concurrent étatsunien. La méthode est mafieuse : General Electric a joué un rôle dans la conduite de l’enquête contre Alstom : pressions du DoJ sur Alstom pour que celle-ci vende une part de ses actifs à l’entreprise étatsunienne en contrepartie d’un abandon des poursuites contre ses dirigeants, etc.
Les procédures anti-corruption, conduites par le DoJ, constituent un instrument de guerre économique des gouvernements des États-Unis. En effet, depuis plus de vingt ans, ces enquêtes touchent d’abord des entreprises non étatsuniennes, et l’Union européenne néolibérale consentante est un terrain de chasse privilégié.
Loin de défendre la souveraineté de la France, la clique Hollande-Valls s’est alignée. La loi Sapin 2, adoptée le 8 novembre 2016, introduit en droit français la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), équivalent des procédures négociées étatsuniennes. Présentée comme une ‘’modernisation’’ de notre droit pour contenir les assauts étatsuniens, elle permet aux autorités de collaborer avec leurs homologues étrangers pour sanctionner des faits de corruption internationale. Cet alignement sur la doctrine étatsunienne ne garantit pas que le DoJ ne sanctionnera pas à nouveau unilatéralement les entreprises françaises. Une condamnation par la justice française n’a d‘ailleurs aucun effet sur la procédure étatsunienne, le principe Non bis in idem (nul ne peut être traduit deux fois devant une juridiction répressive pour des faits identiques) n’étant pas reconnu outre-Atlantique.
Entre 2008 et 2017, 26 entreprises ont été condamnées au titre du FCPA à un montant total combiné d’amendes supérieur à 100 millions de dollars. Sur ces 26 entreprises, 21 étaient non étatsuniennes dont 14 européennes et seulement 5 entreprises étatsuniennes. Les entreprises européennes subissent l’essentiel du poids des amendes : 5 339 milliards de dollars sur un total de 8 872 milliards de dollars soit 60,17 % du montant total des amendes prononcées. Bien sûr, aucune entreprise d’origine chinoise ou russe n’a été visée, les Etats-Unis ne voulant pas attaquer frontalement ces deux colosses très attachés à leur souveraineté.
La guerre économique par les sanctions
Le 8 mai 2018, D. Trump annonce le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien. S’ensuit une myriade de tweets menaçants : Sanctions are coming. Les entreprises européennes sont contraintes de résilier leurs contrats et ont jusqu’à novembre 2018 pour quitter définitivement l’Iran. Sinon la fermeture de l’accès au marché étatsunien et des amendes colossales seront prononcées par l’administration du Trésor étatsunien chargée des sanctions (OFAC).
Dès le 9 mai, Bruno Le Maire convoque la presse. Le ministre de l’Économie découvre l’eau tiède : « C’est inacceptable. Les États-Unis se placent en gendarme économique de la planète ». On va voir ce que l’on va voir…
La France et l’Union européenne (UE) proposent sous l’œil amusé des avocats spécialistes des questions de sanctions, la constitution d’un mécanisme impraticable de troc amélioré, via un ‘’special purpose vehicle’' (SPV) permettant de poursuivre des échanges commerciaux avec l’Iran, à l’abri des sanctions étatsuniennes… Sans volonté réelle de l’UE de s’opposer aux Etats-Unis et sans volonté des gouvernements de privilégier leur souveraineté nationale, rien n’y fait. Total, Sanofi, Renault, Accor, PSA ou Airbus refusent d’utiliser le SPV et se précipitent à Bruxelles pour demander une dérogation pour quitter l’Iran sous injonction des États-Unis. Chacun comprend que Bruno le Maire et les guignols de l’UE, tous pro-étatsuniens, ont fait semblant de bomber le torse avant de rentrer à la niche. Car la volonté du plus fort s’exerce d’abord sur les plus faibles, les plus soumis, les faux opposants.
La pratique étatsunienne des ‘’sanctions’’ s’est considérablement accrue depuis les lois Helms-Burton contre Cuba et d’Amato-Kennedy contre l’Iran en 1996. Il existe aujourd’hui près de 30 régimes-programmes actifs de sanctions à l’encontre d’à peu près autant de pays à travers le monde. Les trois victimes les plus emblématiques sont Cuba (depuis 1959), le Venezuela et l‘Iran. Il faut être lucide. Les procédures judiciaires pour violation des sanctions internationales n’ont rien à voir avec quelque combat éthique que ce soit. Elles ne sont que le prolongement d’une action politique du gouvernement, au seul service du pouvoir exécutif étatsunien et des entreprises étatsuniennes.
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