Italie : la croquemitaine de circonstance…

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Giorgia Meloni

 

Par Joël Perichaud, Secrétaire du Parti de la démondialisation aux relations internationales 

L’analyse politique demande froideur, objectivité, méthode mise et remise en cause. Toutes choses  difficiles pour des personnalités et organisations politiques. En revanche, brailler des lieux communs et agiter les peurs permet de s’exonérer des conséquences de l’analyse…
On entend déjà tous les antifascistes de pacotille, sonner le tocsin après les résultats des élections générales en Italie qui ont donné la victoire à Fratelli d’Italia (Fdi), de Giorgia Meloni à la tête de la coalition formée avec la Ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi et Nous, modérés (NM). Ils crient d’autant plus fort qu’il faut justifier leur posture et camoufler la nature politique et les raisons de ces résultats. Car pour comprendre la victoire de Fratelli d’Italia, il est nécessaire de remonter un peu dans l’histoire récente des partis politiques italiens.

Les élections générales italiennes du 25 septembre 2022 ont désigné les 200 sénateurs et les 400 députés composant le Parlement de la République italienne.
Ces élections devaient normalement se tenir au plus tard en mai 2023 mais la possibilité d'une dissolution du Parlement a rapidement été envisagée. En fait, dès le début de la XVIIIe législature, sous laquelle ont été formés trois gouvernements : le gouvernement Conte (2018-2019) qui a rassemblé le Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue ; le gouvernement Conte II (2019-2021), auquel participait le M5S et le Parti démocrate (PD) et le gouvernement Draghi (2021-2022), qui lui a réuni tous les groupes parlementaires sauf Fratelli d’Italia. Suite à la crise gouvernementale de 2022 (la quatrième depuis 2018), le président Sergio Mattarella a dissout les deux chambres et convoqué des élections anticipées de quelques mois.

La victoire de Giorgia Meloni est un non-événement

Le résultat, prévisible, est maintenant connu : une victoire de la coalition europhile dite de centre-droit et l'arrivée en tête du parti conservateur Fratelli d’Italia, suivie par la coalition europhile dite de centre gauche, puis de l’ europhile Mouvement 5 étoiles… Mais la donnée la plus importante de ces élections est le taux d’abstention record de 64%. Ce taux confirme la méfiance des électeurs vis-à-vis d’un système politique secoué par les changements de programmes, les alliances à géométrie variable, mais surtout par le sentiment que ce ne sont pas les partis du système, tous impliqués dans les mesures néolibérales et soutiens de l’UE et de l’euro, qui vont changer le quotidien austéritaire des classes dominées.
Ainsi, Fratelli d’Italia, principal parti d’opposition au gouvernement d’union nationale de Mario Draghi, qui fait clairement référence au fascisme mussolinien, doté d’un programme conservateur, gagne avec 25,99 % des voix, au sein d’une coalition dans laquelle les trois autres partis sont en position très minoritaire (Lega : 8,77 %, Forza Italia : 8,11 %, Nous Modérés : 0,91 %).
Les résultats de la coalition europhile, dite de centre gauche, s’étiolent, en particulier à raison de la baisse importante du Parti démocrate. Le PD n’obtient que 19,07 %, Plus d’Europe (Più Europa ou +Europa ou +EU) : 2,83 %, Engagement civique (Impegno Civico de Luigi Di Maio) : 0,60 %, Alliance des Verts et de la Gauche (Alleanza Verdi e Sinistra - AVS) : 3,63 % et que le Mouvement 5 étoiles (europhile) recule encore à 15,43 %.
Les partis pour la sortie de l’euro et de l’UE qui se présentaient en ordre dispersé, totalisent 4,57 % se répartissant comme suit :
- Italexit per Italia (No Europa per l'Italia – Italexit con Paragone) : 1,90 %
- Unione Popolare  (UP) fondée par Luigi de Magistris (Démocratie et Autonomie (DemA), Parti de la refondation communiste (PRC), Pouvoir au peuple (PaP) : 1,43 %.
-    Italie souveraine et populaire (Italia sovrana e popolare) : 1,24 %

Jeu de rôle, théâtre d’ombre et muppet show !

La Comedia del arte est un spectacle intemporel et joué internationalement. Le livret écrit par Mitterand en France est à la fois simple et machiavélique : laisser s’exprimer les partis d’extrême droite, y compris ceux se réclamant des fascismes (mussoliniens, hitlériens, franquistes et autres) pour provoquer un réflexe de peur chez les citoyens et les conduire à voter “utile”, ou pour le “moins pire”. Cela marche depuis des années et partout, car ce scénario est repris et développé par la Commission européenne (CE) dans tous les pays de l’Union. Ursula von der Leyen parvient même à faire soutenir les néo-nazis en Ukraine… C’est vous dire…

La politique italienne n’échappe donc pas à la règle. Tout le monde se souviendra des cris d’orfraie quand la Lega de Salvini a accédé au pouvoir sous le gouvernement Conte (2018-2019). Or que s’est-il passé alors ? Rien. Salvini, soit disant anti-européen (comme Marine Le Pen jadis), est rentré dans le rang. Son parti ne fait plus peur (un comble pour un parti considéré par les commentateurs, d’extrême droite…) et surtout il a déçu les électeurs. Manquait donc un épouvantail crédible. Il a été trouvé : Giorgia Meloni et son parti Fratelli d’Italia qui a le bon goût, pour les metteurs en scène du théâtre d’ombre, de se réclamer de Mussolini. Au passage, rappelons que Marine Le Pen et le RN font moins peur, 89 députés oblige, et que la macronie a tenté de leur substituer le pantin Zemmour…

Mais revenons en Italie. La publicité faite à Fratelli d’Italia lui a permis de passer de 4,4 % aux législatives de 2018 à 25,99 % aujourd’hui… Comme en son temps le cirque médiatique, attisé par le Parti socialiste (PS) avait permis à J.-M. Le Pen de passer de 0,75 en 1974 (présidentielle) à 14,39 % en 1988 et à créditer son héritière de 23,15 % en 2022. L’accession au pouvoir de Meloni est plus rapide car les circonstances sont différentes. En effet, les Italiens ont “tâté” (souffert) des politiques néolibérales menées par tous les partis de leur échiquier politique (seul Fratelli d’Italia qui n’a participé à aucun gouvernement) et ne leur font plus confiance.
De plus, le peuple italien étant attaché à sa souveraineté, l’Union européenne en imposant ses diktats économiques néolibéraux et migratoires (l’Italie a été désignée comme garde-chiourme de l’UE) a provoqué le vote italien du 25 septembre. En prime, les menaces de Von der Leyen contre les Italiens, s’ils « votaient mal », ont poussé les indécis à “tacler” la présidente de la ommission européenne en votant pour Meloni, affirmant bien fort leur attachement à leur souveraineté.

Les raisons du vote Meloni

En réalité, malgré l’épouvantail agité par les institutions européennes et ses affidés, Giorgia Meloni ne sera pas très embarrassante pour eux. Fratelli d’Italia n’a cessé de brailler sa fidélité à l’Union européenne et à l’OTAN et d’appuyer les fournitures d’armes à l’Ukraine, pour témoigner de son atlantisme. Autant de moyens pour rassurer l’oligarchie que ses intérêts ne seront pas menacés. La Confédération générale de l'industrie italienne (Confindustria), le Medef italien, lui a d’ailleurs rapidement apporté son soutien…

Et Fratelli d’Italia doit aussi son accession au pouvoir à la presse mainstream italienne. Loin de « diaboliser » Meloni, ils ont obtempéré à la demande du journaliste Paolo Mieli (ancien étudiant de Renzo de Felice, célèbre biographe de Mussolini) : « Peut-on arrêter de faire référence au passé ne serait-ce que pendant deux mois ? » et aux déclarations de Meloni insistant sur le fait que les « nostalgiques » de son parti (euphémisme pour désigner les dirigeants du parti qui affichent symboles et oriflammes de la République de Salo qui a collaboré avec les nazis) sont des « traîtres à la cause ». Les mauvais esprits feront sûrement un parallèle avec la “dédiabolisation” du RN…

Mais la gauche italienne porte aussi sa part de responsabilité. Le paysage politique est si fragmenté qu’aucune force n’incarne une alternative crédible pour le vote populaire Ni les sociaux-démocrates du PD qui, au cours de leur long parcours de droitisation, ont soutenu ou même initié toutes les mesures néolibérales des dernières décennies. C’est, par exemple, le PD de Matteo Renzi qui a imposé en 2016 le Jobs Act, une réforme qui a fait voler en éclat la protection contre les licenciements. Depuis, Renzi a quitté le PD et fondé Italia Viva, une petite formation qui fait désormais concurrence au PD en matière de vision néolibérale.
Ni le M5S de Giuseppe Conte qui s’est présenté comme le « Mélenchon d’Italie », qui a partagé le pouvoir avec la Lega puis avec le PD, jadis son ennemi juré, avant de soutenir le gouvernement technocratique de Mario Draghi et qui s’est donc décrédibilisé à coups de volte-face et de promesses non tenues (TAV -TGV Lyon Turin, gazoduc TAP dans les Pouilles, sortie de l’euro et rétablissement de la souveraineté populaire, abolition du Jobs Act, etc.).
Ni l’Alliance vert-gauche (Alleanza Verdi-Sinistra) qui rassemble le parti écologiste modéré d’Angelo Bonelli et Sinistra italiana de Nicola Fratoianni qui s’est soumise au « centre-gauche » libéral en passant un accord concernant le scrutin uninominal majoritaire (un tiers des sièges, les deux autres tiers étant attribués au scrutin proportionnel de liste) pour s’assurer quelques sièges au Parlement.

Seule la formation dite de gauche radicale, Union populaire (Unione popolare - UP) qui réunit Potere al Popolo et PRC aux côtés de l’ancien maire de Naples Luigi de Magistris et de son parti DemA, soutenue par d’autres éléments de la gauche anticapitaliste, comme le syndicat de base USB, se démarque par un programme en faveur du peuple : introduction d’un salaire minimum de 10 euros de l’heure et 1 600 euros par mois, revalorisation des salaires et des retraites, réduction du temps de travail sans perte de salaire, abolition du Jobs Act, investissements massifs pour la transition écologique, blocage des prix et taxe de 90% sur les « superprofits » des entreprises de l’énergie, interdiction des jets privés et des investissements dans les énergies fossiles, etc. Toutefois elle est soutenue par J.-L. Mélenchon et Pablo Iglesias, tous deux hostiles à la sortie de l’UE et de l’euro, qui ont fait le déplacement.

On le comprend: ce n’est pas cette gauche-là qui fait trembler les néolibéraux et qui attire les votes populaires.

Retour des néofascistes au pouvoir ?

La vraie menace que représente Fratelli d’Italia est bien moins un « retour au fascisme » que le grignotage systématique de la démocratie et de l’État de droit. Car en matière économique, le programme de Meloni et de ses alliés est la réduction générale de la fiscalité et de la bureaucratie, tout en promettant de taxer davantage les entreprises non-européennes, censées être responsables, à elles seules, de l’évasion fiscale… De quoi satisfaire la finance italienne et “européenne”. En matière d’emploi, c’est “open bar" pour le patronat : favoriser les contrats d'apprentissage, les stages, les petits boulots (l’Ubérisation), “alléger” la fiscalité sur l’emploi et ”en même temps” comme dit l’autre, remettre en question les allocations versées aux demandeurs d’emploi. Une demande ancienne de la Commission européenne qui applique partout la même recette anti-sociale.

Meloni veut aussi des réductions d'impôts à tous les étages (entreprises, ménages) mais souhaite en “même temps” que l'État italien investisse davantage dans une industrie nationale et le "Made in Italy" (en anglais dans son programme).

Giorgia Meloni souhaite réorienter le plan de relance italien voté par la Commission européenne en 2021 pour soutenir les économies fragilisées par la crise du Covid-19. Cette manne de 191 milliards d'euros doit servir en priorité et comme dans tous les pays de l’UE à construire des infrastructures, à désenclaver certaines régions et à “limiter” l’inflation. Le peuple italien appréciera.

Miracle à l’italienne…

L’argent de l’UE fait des miracles et suscite les conversions : Giorgia Meloni l'a dit et répété lors de ses derniers meetings, elle ne milite plus pour un "Italexit" (sortie de l'Union européenne), mais réclame "une Europe confédérale" et moins régulatrice. Du Le Pen (RN) dans le texte…
Ainsi, il n’y donc aucune chance que Meloni ne cherche à sortir de l’euro ou de l’Union européenne pourtant à l’origine de la stagnation économique et de l’austérité imposée à l’Italie depuis deux décennies.
Au contraire, Meloni veut engager une discussion avec la Commission européenne pour « ajuster le plan de relance en fonction des conditions, des nécessités et des priorités nouvelles ». Aucune remise en cause des politiques néolibérales et des traités donc. Mieux, elle pourrait servir de rempart aux velléités du peuple italien d’en finir avec l’UE et l’euro… Mais sans certitude qu’elle y parviendra…

Entièrement euro-compatible, elle s’affirme anti-Poutine, soutient l’envoi de toujours plus d’armement à l’Ukraine étasunienne et est une pro-OTAN active contre la Russie. L’UE lui pardonnera donc facilement (mais en gesticulant et en braillant un peu) ses diatribes contre “l’immigration" et le "lobby LGBT” et ses projets de réécriture de la Constitution italienne pour y inclure des articles pour lutter contre les critiques de la gauche, par exemple en criminalisant « l’apologie du communisme » ou du « totalitarisme islamique ». Pourtant, ce renversement du caractère antifasciste de la Constitution actuelle cache le projet de transformer l’Italie en une république présidentielle, en remplaçant le système parlementaire actuel par un exécutif tout-puissant… Rien qui ne puisse déplaire vraiment à la Commission qui s’arroge elle-même des pouvoirs exorbitants.

Pas de solution pour le peuple sans sortie de l’UE, de l’euro et de l’Otan

Les gesticulations pathétiques de l’UE et de ses gouvernements affidés ne règlent pas les préoccupations et les difficultés du peuple italien ni des autres peuples de l’UE.

L’Italie est l’un des pays de l’UE où les salaires ont baissé, où le chômage est l’un des plus élevés du continent et touche particulièrement les jeunes. Les contrats à durée déterminée et les temps partiels forcés se sont multipliés, 600 000 travailleurs et étudiants sont partis chercher un emploi au nord de l’Europe. Avec une inflation à 10%, des centaines de milliers de ménages sont menacés de sombrer dans la pauvreté, tandis que les super-profits atteignent des sommets…
Et la crise sociale, déjà aigüe, va empirer sous le prochain gouvernement Meloni.

Dans toute l’UE, inflation, austérité, chômage, misère, risque de guerre. Tous ces maux créés par la politique néolibérale de l’UE et de ses soutiens, se répandent et s’approfondissent.

En réalité le pseudo-fascisme de Meloni est européiste, atlantiste, néolibéral… Bref, conforme aux diktats de la Commission européenne et proche, sur bien des plans, du macronisme de Macron.
Sortir de ce piège exige de sortir des structures supranationales dirigées par les États-unis.

Pour cela, les forces attachées à la souveraineté nationale et populaire doivent s’unir sur une base commune claire. Le minimum nécessaire au peuple pour reprendre le contrôle de son destin est la sortie de l’UE, de l’euro, de l’Otan et du néolibéralisme.

Qu’attendons-nous ?