Le 3 mai, 80e anniversaire de la victoire du Front populaire

 

C'est le 3 mai que nous allons commémorer le 80e anniversaire de la victoire du Front populaire aux élections législatives des 26 avril et 3 mai 1936. Le Parti socialiste, issu de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) qui avait donné au Front populaire son Premier ministre (Léon Blum), a célébré l’évènement le 1er mai en toute discrétion… Place Léon Blum dans le XIe arrondissement de Paris.

À cette occasion, le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a affirmé sa « filiation avec un grand passé de lutte et de conquête, nous signifions fièrement notre allégeance au socialisme et à la République ». Immédiatement après, il affirmait le contraire : « Nous ne voulons pas refaire le Front populaire ». Une phrase parfaitement inutile, car depuis le « tournant de la rigueur » des socialistes en 1983-1983, tout le monde a compris que le PS était le meilleur agent du néolibéralisme.

Le PS est bien plus efficace que la droite, car en agitant de temps à autre le mythe de la gauche, il parvient à faire avaler à la population des mesures auxquelles la droite ne rêve même plus (casser le Code du travail par exemple). Il est dommage de ne plus vouloir « refaire » le Front populaire, car cette forme politique peut encore avoir un avenir.

C’est un front pour la démondialisation qui est aujourd’hui nécessaire.

Parmi les nombreuses leçons à tirer du Front populaire, ses succès comme ses échecs, une est à mettre en exergue : les nationalisations.

Avant-guerre, non seulement les politiques libérales fondées sur l’initiative privée ne se sont pas montrées capables d’enrayer le chômage, les gaspillages et les spéculations, mais elles les ont provoqués. Les économies ont été balayées par la crise.

 

Pourquoi les nationalisations ?

La crise de 1929, partie des États-Unis, a dévasté ensuite les pays européens. Les solutions libérales apparaissent ainsi aux yeux du plus grand nombre comme un échec et se trouvent rejetées. L’idée de nationalisation des entreprises – ou du moins de certaines d’entre elles – progresse dans la société française sous l’impulsion de la gauche syndicale et politique.

Pour répondre à cette question il faut s’appuyer sur les raisons invoquées par ceux qui les ont décidées et mises en œuvre au moment du Front populaire en 1936-1937.

Ce qui est frappant pour les historiens quand ils étudient les textes des syndicats et partis de gauche de 1918 à nos jours, est qu’aucun des arguments de ces organisations ne fait appel à une conception économique et sociale d’ensemble à l’intérieur de laquelle les nationalisations seraient le ferment d’un socialisme en marche. Elles insistent au contraire sur l’idée que les nationalisations ne sont pas le socialisme, sans pour autant définir le socialisme...

Il y a un flou permanent sur les motivations des nationalisations, leur rôle dans l’économie et leur gestion.

L’expérience du Front populaire montre que pour les acteurs de cette époque, les nationalisations n’ont pas été d’abord une mesure économique ou sociale mais politique. C’était une arme contre l’ « ennemi de classe », c’était lui retirer ce qui faisait son pouvoir économique et financier, on parle alors de « lutte contre les trusts ». Il s’agit d’atteindre le fondement même de la puissance d’un adversaire politique à abattre que sont les grands milieux d’affaires, les « deux cents familles », le « mur de l’argent ». C’est le cas, particulièrement, de l’industrie de l’armement.

En 1918, pour la première fois, la CGT, dans son programme, parle de nationalisation. En 1920, la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO, continuée aujourd’hui par le PS), se présente comme le « parti des nationalisations », tandis que les radicaux y sont également favorables dans certaines conditions.

Le PCF, lui, dans l’entre-deux guerre, est opposé aux nationalisations.

C’était d’ailleurs la position du courant socialiste avant la Première Guerre mondiale qui rejetait toute idée de transformation de l’État en « patron », l’objectif étant « l’abolition du patronat ». Les « révolutionnaires », selon le PCF, ne croient pas à la possibilité de créer des « ilots socialistes » dans une société capitaliste.

Dans les années 30, des sociétés d’économie mixte sont mises en place, résultant de la fusion contrainte d’entreprises privées et de la participation financière de l’État. C’est le cas de la création d’Air-France en 1933 constituée de la fusion de :

  • Société générale des transports aériens,
  • Compagnie internationale de navigation aérienne,
  • Air-Orient,
  • Air-Union,
  • Aéropostale.

Un total de 240.000 actions sont réparties entre les quatre anciennes sociétés (sauf l’Aéropostale), et 80.000 actions seulement pour l’État.

C’est la première formule de nationalisation moderne.

Au moment du Front populaire, le PCF refuse d’autres nationalisations que celles des industries de guerre, car il voit dans l’État la force première de la bourgeoisie. Il commencera à évoluer en 1937. Pour Maurice Thorez, le dirigeant du PCF : « Nous considérons que pour nationaliser, il faut le pouvoir ; prendre le pouvoir, pour nous, cela ne se fait que d’une seule façon : par la dictature du prolétariat, par le pouvoir des Soviets » (Rapport au Comité central, 17 octobre 1935, Œuvres de Maurice Thorez, t. X, 1952, p. 34). Maurice Thorez voit dans les nationalisations, comme dans le planisme ou l’économie dirigée, « un élément de bascule de la démocratie bourgeoise vers le fascisme : les nationalisations dans le cadre du régime capitaliste ne pourraient conduire qu’à un renforcement de l’État bourgeois, à une plus grande concentration des moyens de domination et d’oppression entre les mains de l’oligarchie financière. Ce serait simplement accélérer le procès de fascisation de l’État » (Conférence nationale du 22 janvier 1937, t. XIII, p. 172).

Ainsi le PCF s’opposera-t-il aux nationalisations pendant toutes les discussions concernant le programme du Front populaire, n’acceptant que les seules nationalisations des industries d’armement. C’est le 27 février 1937 que le PCF se prononce pour la première fois pour la « nationalisation de certains grands monopoles tel celui des assurances » (Maurice Thorez, « La pause ? Aux trusts ! », L’Humanité, 4 et 5 mars 1937). Le premier « programme de gouvernement de la France » publié par le PCF est adopté par le Comité central du 21 novembre 1938.

Les conceptions du PCF évoluent, l’action de l’État peut être positive « dans la mesure où il est influencé par les masses populaires ».

Les nationalisations prennent alors une place centrale. Les nationalisations, pour le PCF, permettront de détruire la puissance des « magnats », des « féodalités », mais également de dégager des ressources complémentaires pour l’État et de contrôler les prix. Pas d’indemnité pour les gros actionnaires, rachat des actions pour les petits. Rien, cependant, n’est dit sur les modalités de gestion. 

 

Le Front populaire nationalise les usines d’armement (11 août 1936), partiellement le secteur de la construction aérienne (15 juillet 1937) et les Chemins de fer avec la création de la SNCF (31 août 1937).

 

Nationalisation des usines d’armement (loi du 11 août 1936)
Chez les munitionnaires, 12 usines possédées par 7 entreprises sont rachetées.

 

Nationalisation partielle du secteur de la construction aérienne (loi du 15 juillet 1937)
Création de six sociétés nationales de construction aéronautique, 22 usines appartenant à 15 entreprises sont expropriées, seules 3 usines appartenant à 2 entreprises sont épargnées.

  • La SNCAC (Société Nationale de Construction Aéronautique du Centre) reprend une partie des actifs des sociétés Farman, Hanriot, et Loire-Nieuport. Ses principaux centres industriels se trouvaient à Boulogne-Billancourt, Bourges, et Issy-les-Moulineaux.
  • La SNCAM (Société Nationale de Construction Aéronautique du Midi) reprend une partie des actifs des sociétés Dewoitine et Fouga. Ses principaux centres industriels se situaient à Aire-sur-Adour et Toulouse.
  • La SNCAN (Société Nationale de Construction Aéronautique du Nord) reprend une partie des actifs des sociétés Amiot, ANF, Bréguet, CAMS, et Potez. Ses usines et ateliers se répartissaient principalement entre Caudebec-en-Caux, Le Havre, Les Mureaux, Méaulte, et Sartrouville.
  • La SNCAO (Société Nationale de Construction Aéronautique de l’Ouest) reprend principalement les actifs d’une partie de Bréguet et Loire-Nieuport. Ses principaux bureaux d’études et usines se trouvaient à Bouguenais et Saint-Nazaire.
  • La SNCASE (Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud Est) reprend les actifs de sociétés comme CAMS, Lioré-et-Olivier, Potez, Romano et SPCA. Ses principales usines se trouvaient à Argenteuil, Berre, Cannes, Marignane, Marseille, et Vitrolles.
  • La SNCASO (Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Ouest) reprend une partie des actifs des sociétés Blériot, Bloch, Lioré-et-Olivier, et SASO. Elle était principalement installée à Bordeaux, Courbevoie, Rochefort, Suresnes et Villacoublay.

 

Nationalisation des Chemins de fer avec la création de la SNCF (décret du 31 août 1937)

Jusqu’alors des concessions étaient octroyées à 5 grandes compagnies : Est, Midi, Nord, PLM, PO, à côté de 2 réseaux d’État : Ouest et Alsace-Lorraine. Il y avait un fonds commun de compensation des excédents et insuffisances des comptes d’exploitation, mais le déficit s’aggravait depuis 1931. L’État accordait une garantie de dividendes. La loi des 40h obligea les compagnies à embaucher 90.000 agents, soit 20% de leur effectif.

Les socialistes de la SFIO veulent l’expropriation avec une indemnisation minime des actionnaires. Ils obtiendront une indemnisation payable en 45 annuités constantes, couvrant l’amortissement et l’intérêt de 6%, non imposable. L’État possédait 51%. Au conseil d’administration, sur les 33 sièges, il y a 17 représentants des intérêts publics, 12 représentants des compagnies, 4 représentants de la CGT. Les compagnies survivaient, elles continuaient d’exploiter leur concession. C’est l’exploitation qui est unifiée.

Ce qui fait dire au dirigeant de la Fédération CGT des cheminots, Pierre Sémard, en mai 1939 : 

« il fallait nationaliser les chemins de fer », et il traduit le sigle SNCF par « Sabotage de la nationalisation par le capitalisme français ».

À notre époque, les objectifs devant être fixés aux nationalisations sont à la fois sociaux, économiques, environnementaux, politiques, financiers et démocratiques.

Jacques Nikonoff

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