Le 27-09-2022
Par Joël Perichaud Secrétaire du Parti de la démondialisation aux relations internationales
Le samedi 20 août, la Grèce est sortie de douze ans de surveillance européenne renforcée, instaurée par la Commission européenne en 2010. Ces douze années d’austérité sans précédent n’ont pourtant réglé aucun des problèmes de « la « crise grecque », bien au contraire : PIB dévasté, endettement du pays et chômage record. L’échec flagrant de la politique néolibérale de L’UE laisse la Grèce exsangue.
Le FMI, lui, se félicite : il a été intégralement remboursé, avec anticipation.
Bilan chiffré.
L’information est passée inaperçue. Et pour cause… L’Union européenne fait profil bas. C’était le moins qu’elle puisse faire car attirer l’attention sur la situation de la Grèce l’aurait exposée aux critiques des peuples de l’Union européenne et aurait mis en lumière l’horreur néolibérale européenne…
Ce n’est pas la déclaration du ministre des Finances grec, Chrístos Staïkoúras, qui mettra du baume au cœur du peuple grec : « Après douze ans, un chapitre difficile pour notre pays s’achève. La Grèce revient à une normalité européenne et ne sera plus une exception dans la zone euro ».
Car la réalité pour le peuple grec, c’est une grosse décennie synonyme d’effondrement, d’appauvrissement, de régression sociale, de chômage, d’austérité et d’humiliation. Et il faudra des dizaines d’années avant que le pays se relève de la stratégie de choc austéritaire et de privatisations qui lui ont été imposée par la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) et qui a engendré des dégâts considérables.
Les Grecs n’ont pas oublié le mépris de la Troïka et des “champions de l’Union” à l’encontre du peuple grec qualifié de “cueilleur d’olives”, ni la brutalité de la politique néolibérale imposée par l’UE qui a mis en lumière sa nature profonde. Finie la légende de pays librement associés… L’assemblée de créanciers et de débiteurs s’est dévoilée. La Commission, avec l’accord de tous les européistes, s’est arrogée, sans aucun contrôle, des pouvoirs de coercition, pour imposer ses règles et sa politique, au nom de la défense de la monnaie unique et de l’intégrité de la zone euro.
Pourtant les européistes et la Troïka savaient que leur politique conduirait à un échec économique et une horreur sociale. En effet, l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, considérée en Grèce comme la principale responsable de la gestion de la crise grecque, a tenté quelques mots d’excuses lors de son dernier voyage à Athènes, en octobre 2021 : elle a dit avoir conscience « des contraintes et des défis auxquels les Grecs avaient été confrontés » pendant les années d’austérité imposées au pays.
Avant elle, le Fonds monétaire international (FMI) avait rédigé plusieurs rapports dont les conclusions étaient sans appel : les programmes, reposant sur des modèles erronés et faussés, ont été un échec pour la Grèce. Plutôt que redresser le pays, ils avaient surtout servi à sauver les banques allemandes et françaises qui s’étaient engagées sans discernement après la création de l’euro en 2000… Jamais l’institution n’aurait dû accepter d’y être associée, jamais plus elle ne devrait participer à pareil projet, concluait le FMI…
Du côté de la Banque centrale européenne c’est silence radio. Elle a juste fait savoir qu’elle ne s’y prendrait plus de la même manière.
La Commission européenne (CE), elle, continue le fonctionnement opaque et antidémocratique de l’Eurogroupe, dénoncé trop tardivement par l’ancien ministre des Finances grec Yánis Varoufákis, européiste et complice des politiques menées.
Pour la CE, il est désormais primordial d’éviter de parler de la Grèce… D’autres peuples pourraient comprendre et vouloir sortir de l’UE…
Bilan accablant de l’UE
Personne n’a envie de revendiquer ce bilan accablant. Le PIB de la Grèce qui s’élevait à 355,9 milliards de dollars en 2008, est tombé à 216,2 milliards de dollars en 2021, soit une chute de 39 %. Du jamais vu dans un pays appartenant à une zone économique développée. Loin d’avoir été résorbé, l’endettement public s’est encore aggravé : il représentait 110 % du PIB en 2012 ; il dépasse désormais les 200 %. Mais ce qui était un problème à l’époque pour l’UE n’en est plus un car l’État grec dégage un excédent budgétaire suffisant pour rembourser ses créanciers.
Cela s’est fait au prix d’une destruction brutale de tout acquis social, du droit du travail et des services publics.
Le salaire minimum a été quasiment divisé par deux. Plus de quinze réformes des retraites se sont succédé pour faire baisser les pensions de plus de 30 %. Les services publics, à commencer par l’école et l’université, ont été démantelés.
Des administrations ont été liquidées, des fonctionnaires ont été licenciés, des hôpitaux ont fermé, 20 000 médecins sont partis... Et la corruption s’est installée : pour se faire opérer ou pour accoucher, il faut attendre ou verser des dessous de table…
Tout ce qui pouvait être privatisé l’a été et aujourd’hui, par exemple, la CE “regrette” d’avoir sous-estimé la stratégie d’expansion chinoise et vendu le port du Pirée au Chinois Cosco Shipping…
Toutefois, les grandes fortunes, les armateurs et l’Église orthodoxe, grand propriétaire foncier, restent les champions de l’évasion fiscale avec la complicité l’UE.
Le chômage aurait baissé. De plus de 27 % dans les années 2015, il ne serait plus qu'à 12,5 %. Mais l’arbre cache la forêt. Ce pourcentage est contestable car il est le résultat d’une précarisation et d’une ubérisation de l’emploi (le salaire minimum n'atteint pas 750 €) et d’un exode massif de la population (500 000 jeunes, surtout les mieux formés, ont quitté leur pays). La Grèce est donc le pays de la zone euro qui compte la proportion la plus élevée (22 %) de personnes âgées de plus de 65 ans.
L’économie néolibérale engendre la pauvreté pour les Grecs
Selon les prévisions néolibérales, la Grèce devait renouer avec la croissance… Fin 2021, le FMI prévoyait une croissance autour de 6 % et la CE d’environ 3-4 % pour 2022-2023. Mais l’économie grecque s’est à nouveau effondrée et la flambée des prix de l’énergie provoquée par l’UE invalident ces prévisions de branquignols.
En juin, l’inflation a atteint 12,1 %, son plus haut niveau depuis novembre 1993. Essence, électricité, logements, transports, alimentation en hausse, très bas salaires, vacances inaccessibles… Les Grecs s’appauvrissent encore. La vie quotidienne est devenue un véritable combat.
En 2022, face à la flambée de l’inflation, l’UE applique en Grèce, comme dans les autres pays membres, la même recette, celle de la politique des aides. Objectifs : ne pas toucher aux marchés, à la libre concurrence ni aux profits des grandes entreprises tout en évitant un embrasement social. Les 6,5 milliards d’euros attribués à la Grèce en début d’année ainsi que la revalorisation (en mai) du salaire minimum de 50 € (pour le porter à 713 € brut par mois) sont une aumône. Et ce n’est pas la revendication des syndicats grecs de porter le salaire minimum à 825 €/mois qui lui ferait retrouver son niveau d’avant 2008…
Encouragés par les experts néolibéraux de la CE, les gouvernements successifs grecs ont misé sur le tourisme, source facile et rapide de rentrée d’argent dans le pays. Ce secteur est devenu le principal moteur de l’économie grecque : 13 milliards d’euros en 2021, qui ne se reconvertissent pas dans le reste de l’économie.
Déjà faiblement industrialisée avant la crise de la dette, la Grèce a donc accumulé encore plus de retard. Le taux d’investissement y est un des plus bas de l’UE et stagne depuis 10 ans.
Fiasco de la Troïka
Les innombrables “plans européens” et les interventions de la BCE étaient censés aider à l’assainissement des banques grecques. En réalité, la BCE les a coupées du système bancaire et financier “européen” afin qu’elles ne contaminent pas l’ensemble de la zone euro et ne mettent pas en péril l’euro lui-même. À charge pour les banques grecques de résoudre le problème comme elles l’entendaient. Se sauver elles-mêmes pour sauver leurs profits a été, et est toujours, leur seul objectif. Bien que l’État grec se finance officiellement sur les marchés, son sort est lié au programme de rachats de titres de la BCE. C’est elle qui assure le financement indirect de l’État avec les taux d’intérêt les plus élevés de la zone euro, plus de 3 %.
Le système bancaire grec n’a pas changé en dix ans : le volume des mauvaises créances n’a pas diminué (autour de 30 %) et la majorité des PME qui forment le tissu économique grec sont en faillite ou en quasi-faillite.
La Grèce est devenue l’un des plus grands bénéficiaires de l’argent européen (programmes de relance et de soutien). Elle doit recevoir 17,8 milliards d’euros de garantie et 12 milliards de prêt. Elle est aussi une des premières allocataires des plans climat et de l’économie numérique. À grand renfort de publicité et de fanfaronnades, le premier ministre Kyriákos Mitsotákis (Nouvelle démocratie - ND - droite néolibérale) annonçait, mi-2021, le lancement du programme « Grèce 2.0 ». Grâce aux “fonds européens”, le pays allait changer de modèle et entrer dans l’économie de demain. On allait voir ce qu’on allait voir… Mais Mitsotákis ne parle plus de changer de modèle. Au contraire. Il perpétue l’ancien : la distribution d’aides et le financements de l’UE ne bénéficient qu’aux grandes entreprises, y compris étrangères, qui ne représentent qu’une partie très faible de l’économie et ce, avec l’accord de Bruxelles.
Silence de la Commission européenne sur des pratiques gouvernementales d’espionnage contre des députés et eurodéputés d’opposition menées par les services de sécurité intérieure grecs.
Silence aussi sur toutes les mesures adoptées qui portent atteinte à la liberté des universités, à la liberté d’expression et des médias.
Pour que le peuple grec sorte de l’austérité sans fin et recouvre sa liberté
Nous le disons depuis des années, le Grèce est le laboratoire du néolibéralisme de l’UE. La situation catastrophique du pays et la paupérisation du peuple sont le résultat, voulu, des politiques de l’UE néolibérale appliquées servilement par les gouvernements successifs de droite et de gauche (PASOK, SIRIZA, ND…). Changer de politique est impossible si ces responsables restent aux commandes du pays. Aucun espoir ne peut naître de l’UE et des politiciens actuellement au parlement. Aucun changement réel ne se produira sans sortie de l’UE et de sa monnaie l’euro.
La solution est connue… En Grèce, comme dans les autres pays de l’UE, l’union des forces pour la sortie de l’UE, de l’euro, de l’Otan et du néolibéralisme est une impérieuse nécessité pour combattre l’effondrement national, démocratique et rompre avec l’austérité imposés par l’UE et ses thuriféraires.
D’autant que le fameuse solidarité entre les pays de l’Union européenne n’a jamais été qu’un énorme mensonge, une mystification. Quand c’est la concurrence à tout prix qui prime, qui peut s’en étonner ? Mais pis encore : l’absence de solidarité des peuples des autres pays membres de l’UE a laissé et laisse encore les Grecs seuls face à la destruction de leur économie, de leurs services publics, de leur système de protection sociale. Passées les grandes déclarations d’organisations de la gauche française durant les premiers mois qui ont suivi le début de l’offensive de la Troïka, le silence et l’indifférence se sont installés.
Ne nous dites plus jamais que l’Union européenne sert aux peuples ! Vous êtes pris la main dans le sac !
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