Le 28-10-2022
Le protocole sur l'Irlande et l'Irlande du Nord (appelé "protocole sur l'Irlande du Nord”) est la partie de l'accord sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit), signé par le président du Conseil européen, Charles Michel, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen et le Premier ministre du Royaume-Uni Boris Johnson. Il était destiné à éviter la mise en place d'une frontière terrestre physique sur l'île d'Irlande après le 31 janvier 2020, date à laquelle le Royaume-Uni est officiellement sorti de l’Union européenne (UE). L’UE a toujours présenté cet accord comme une solution stable et durable destinée à protéger l'économie de l'ensemble de l'île ainsi que l'accord du Vendredi Saint (ou accord de Belfast). Il était surtout destiné à préserver l'intégrité du marché unique cher à l’UE et a, dès sa signature, été remis en cause par la partie britannique.
Pour comprendre les enjeux de la remise en cause de cet accord, nous publions la récente déclaration politique de la Plate-forme nationale - Centre de recherche et d'information sur l’UE - de Dublin
Traduction par le Pardem du texte original d’Antony Coughlan, porte-parole de la Plateforme nationale.
DERNIÈRE MINUTE : Le blocage des institutions d'Irlande du Nord par le DUP est en passe de provoquer des élections anticipées qui se tiendraient prochainement...
Le défi du nationalisme irlandais : mettre fin à la partition et réunifier l'Irlande
Le mouvement pour les droits civils en Irlande du Nord de la fin des années 1960 visait à instaurer l'égalité de traitement et la parité entre les protestants et les catholiques du Nord - supprimant ainsi toute base rationnelle de l'unionisme en tant qu'idéologie justifiant la domination sur les catholiques/nationalistes. L'objectif était de permettre aux protestants/unionistes de découvrir au fil du temps les implications politiques de « l’irlandéÏté » commune qu'ils partagent avec leurs compatriotes catholiques/nationalistes. L'une de ces implications était la réunification éventuelle en un seul État avec le consentement d'un nombre significatif de la communauté protestante du Nord et la neutralité bienveillante de la plupart des autres. On espérait qu'un tel rapprochement serait accéléré si l'on pouvait simultanément s'appuyer sur les intérêts communs que les deux communautés du Nord partagent en tant que salariés, syndicalistes et participants du mouvement ouvrier.
Le piège politique du premier ministre Edward Heath : en 1968-1969, l'opinion publique britannique et internationale était majoritairement du côté des catholiques et des nationalistes du Nord en raison de la discrimination dont cette communauté était considérée comme victime sous le régime de la majorité unioniste officielle. En janvier 1970, l'IRA se divise : l'IRA provisoire et le Sinn Fein sont fondés. Leurs dirigeants de l'époque avaient pour objectifs d'expulser militairement l'armée britannique du Nord et de chercher à réunifier l'Irlande par la force. En juin de la même année, le conservateur Edward Heath remplace le travailliste Harold Wilson au poste de Premier ministre britannique et entreprend de faire entrer le Royaume-Uni dans la CEE, ce qu'il fera trois ans plus tard. E. Heath voit la possibilité de remplacer le mouvement des droits civiques, qui a l'opinion publique britannique et internationale de son côté, par une campagne contre le "terrorisme" de l'IRA, alors que la plupart des opinions se rangent du côté du gouvernement britannique. Il en a donné la tête aux Unionistes officiels, dirigés par Faulkner et l'IRA provisoire/Sinn Fein est tombé dans le piège politique politique de E. Heath. Trois incidents, suscités par les Britanniques donnent l'impulsion à la campagne militaire provisoire : l'internement et le massacre de Ballymurphy en 1971 et le Bloody Sunday à Derry en 1972. S'ensuit une "lutte armée" provisoire d'un quart de siècle, à laquelle le "processus de paix" mit fin. Elle a produit amertume et division sectaire entre les deux communautés du Nord, qui sont probablement pires aujourd'hui qu'en 1968.
2016 : les europhiles au sein de la direction du Sinn Fein. L’IRA provisoire et le Sinn Fein se sont opposés à l'adhésion de l'Irlande à la Communauté économique européenne (CEE) en 1972 parce qu'elle transférait des pouvoirs législatifs de l’Irlande à des organes supranationaux, à Bruxelles. Cette adhésion était clairement incompatible avec les valeurs républicaines traditionnelles d'indépendance nationale et de démocratie nationale. Le Sinn Fein s'est opposé à l'abolition de la monnaie nationale irlandaise prévue par le traité de Maastricht de 1992. L’IRA et le Sinn Fein se sont opposés à l'abandon de nouvelles tranches de souveraineté nationale à la CE/UE lors des neuf référendums sur les traités européens qui ont eu lieu entre 1972 et 2012. Puis, lors du référendum de 2016 sur le Brexit, des éléments europhiles de la direction de l'IRA/Sinn Fein ont exhorté leurs partisans du Nord à voter pour rester dans l'UE, même si la majorité des unionistes ont voté pour la quitter. Ils ont agi de la sorte parce qu'ils supposaient que le "Remain" l'emporterait et que leurs adversaires du Parti unioniste démocrate (DUP) auraient les yeux plus grand que le ventre.
Si les europhiles de l'IRA/Sinn Fein s’en étaient tenus à leurs principes et avaient exhorté les nationalistes du Nord à voter pour le Brexit, en expliquant pourquoi, il y aurait vraisemblablement eu une majorité, au Nord, pour le "Leave". Il y aurait eu une toute nouvelle dynamique progressiste entre les républicains et les unionistes du Nord, car ils auraient été tous deux du même côté contre la politique générale du gouvernement conservateur britannique de David Cameron, soutenue par la Commission de Bruxelles, l'administration américaine dirigée par Obama, Goldman Sachs, la Banque centrale d’Irlande (CBI), les grandes entreprises multinationales et la haute finance en général : tous voulaient que le Royaume-Uni reste dans l'UE. S'il y avait eu une majorité d'Irlandais du Nord pour le "Leave", les républicains et les unionistes du Nord auraient pu se tourner ensemble vers le gouvernement et les partis politiques de Dublin et leur demander de suivre le Royaume-Uni hors de l'UE, retrouvant ainsi la souveraineté et l'indépendance perdues du Sud. Un tel appel aurait mis l'establishment de la République dans l'embarras. Ce fut une occasion politique tragiquement ratée.
Deux faits majeurs aujourd’hui
Les nationalistes irlandais doivent aujourd'hui faire face à deux faits majeurs. Le premier est que le Brexit est irréversible. Le 5 juillet 2022, le leader du parti travailliste britannique Sir Keir Starmer a déclaré à l'ambassade d'Irlande à Londres que la politique du parti travailliste était désormais de faire fonctionner le Brexit. Il a souligné que tout débat sur la réintégration dans l'UE reviendrait à « regarder en arrière » et à mettre en péril la confiance des citoyens dans la politique. Il a ajouté : « Laissez-moi donc être très clair : avec le Labour, la Grande-Bretagne ne retournera pas dans l'UE. Nous ne rejoindrons pas le marché unique. Nous n'adhérerons pas à une union douanière. »
Le deuxième fait majeur est qu'il ne sera jamais dans l'intérêt de la Grande-Bretagne, ou même de l’Angleterre, en matière de sécurité, de faciliter ou d'encourager une Irlande unie qui serait membre d'une Union européenne de type fédéral sous hégémonie franco-allemande qui aspire désormais à avoir sa propre armée. Aucun politicien britannique ne le dira officiellement, car ils souscrivent tous publiquement à l'accord du Vendredi Saint, qui prévoit un scrutin frontalier (Nord/République d’Irlande). Mais l'initiative d’un tel scrutin revient au gouvernement britannique. Il est tout à fait irréaliste de penser qu'un futur gouvernement à Londres agirait contre ses intérêts d'État fondamentaux afin de satisfaire les europhiles parmi les nationalistes irlandais.
La conclusion politique qui découle logiquement de ces deux faits est que les nationalistes irlandais qui préconisent le maintien de l'adhésion à l'Union européenne sont en fait complices de la poursuite de la partition.
Le respect de la "britannicité" des unionistes du Nord nécessite l'Irexit (1)
Lorsque les nationalistes irlandais parlent aujourd'hui de "l'unité irlandaise", d'une "nouvelle Irlande" ou d'une "Irlande partagée", ils n'offrent pas aux unionistes du Nord la perspective d'être citoyens d'un État indépendant souverain qui fait ses propres lois et décide de ses propres politiques - faisant écho aux aspirations républicaines de 1798 des prédécesseurs de nombreux unionistes du Nord d'aujourd'hui. Ils les invitent plutôt à devenir les citoyens d'un État fédéral européen dans lequel l'Irlande a essentiellement un statut de province, dans lequel la plupart de ses lois et politiques sont décidées par d’autres, à Bruxelles, dans lequel ils devraient passer de la livre sterling à l'euro et passer d'une Union britannique dans laquelle les unionistes du Nord ont parfois leur mot à dire, à une Union européenne dans laquelle ils compteraient pour très peu.
L'irréversibilité du Brexit, pour lequel la plupart des unionistes du Nord ont voté, met les nationalistes irlandais au défi de faire face au fait que l’attention qu'ils prétendent être prêts à montrer pour la "britannicité" des unionistes dans une future Irlande unie, les oblige à évoluer vers la défense de l'Irexit comme condition préalable nécessaire à toute future réunification Nord-Sud dans un seul État. Il ne s'agit évidemment pas d'une condition préalable suffisante. D'autres mesures devront être prises et une période de temps inconnue devra s'écouler avant que l'amertume et la division sectaire accumulées depuis les jours pleins d'espoir du mouvement pour les droits civils en Irlande du Nord, en 1968, puissent être surmontées. Le soutien de Londres à une future Irlande unie doit également être en accord avec les intérêts nationaux de la Grande-Bretagne - ou même de l'Angleterre. Eamon de Valera (2) a toujours soutenu qu'une Irlande réunifiée ne devait pas menacer les intérêts sécuritaires de la Grande-Bretagne ni devenir l'alliée de ses rivaux continentaux.
L'Irexit est maintenant dans l'intérêt objectif des citoyens de la République, sans compter qu'il s'agit d'une condition préalable nécessaire pour mettre fin à la partition. Les coûts de l'adhésion à l'UE dépassent désormais largement ses avantages. Le commerce de l'Irlande avec le Royaume-Uni et l'Amérique du Nord est maintenant plus important que son commerce extérieur avec l'UE continentale, qui, de toute façon, est une zone à faible croissance aujourd’hui. La participation aux sanctions de l'UE contre la Russie fait grimper en flèche les factures de carburant des citoyens et rend la neutralité de l'Irlande ridicule. L'Irlande doit retrouver sa propre monnaie pour prendre le contrôle de son taux de change ou de la création de crédit. En tant que démocrates, nous devons reprendre le contrôle de l'élaboration de nos propres lois et de nos politiques nationales. Nous devons reprendre le contrôle de nos eaux de pêche, qui sont extrêmement précieuses.
Parler d'un scrutin frontalier menant à une Irlande réunifiée et membre de l'UE, c'est tromper les gens et générer des illusions. C'est aussi aggraver les relations actuelles entre nationalistes et unionistes. Une majorité dans un scrutin frontalier est de 50% plus 1. Mais à moins qu'un nombre significatif d'unionistes d’aujourd'hui, ou de leurs descendants, n'évoluent vers des positions nationalistes au fil du temps et que d'autres unionistes ne cessent de considérer une Irlande unie comme une menace, pousser à un scrutin frontalier prématuré ne peut que conduire à la violence, à la résistance des unionistes et, en fait, à une autre guerre civile irlandaise.
Anthony Coughlan
(Porte-parole)
Notes de traduction :
1 - Irexit : Sortie de l’Irlande de l’Union européenne
2 - Éamon de Valera, né le 14 octobre 1882 à New York, mort le 29 août 1975 à Dublin, est un homme d'État irlandais, considéré comme le père de la nation libre d'Irlande. Il a participé à l'Insurrection de Pâques 1916 à Dublin et fut le troisième président de l'Irlande du 25 juin 1959 au 24 juin 1973. Reconnu pour sa lutte décisive pour l'indépendance de l'Irlande vis-à-vis du Royaume-Uni au début du XXe siècle et comme le chef de l'opposition républicaine à la suite de la guerre civile irlandaise, admiré autant que détesté, de Valera est considéré comme l'Irlandais le plus influent du XXe siècle.
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