Géorgie : USA et UE re-tentent le « coup de Maïdan »  

  

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Manifestation à Tbilisi

 

Par Joël Perichaud, Secrétaire National du Pardem aux relations internationales

Depuis près de deux semaines, de violentes manifestations soutenues par l'Union européenne et les États-Unis s'efforcent de chasser le parti au pouvoir, Rêve Géorgien (RG).  Salomé Zourabichvili, l’ex-présidente de la Géorgie, qui était en mauvaise position lors du premier tour de l’élection présidentielle, et l’instigatrice des manoeuvres visant à faire tomber le gouvernement de Rêve Géorgien, arrivé en tête, a été remplacée par Mikhaïl Kavelachvili. Le nouveau président de la République de Géorgie, seul en lice, a été élu par le collège électoral samedi 14 décembre en recueillant 224 voix sur les 225 exprimés. Ce scrutin a été boycotté par les oppositions au parlement légitimement élu et mis en cause par l’ex-présidente pro-européenne Zourabichvili… qui a déclaré qu’elle ne « qu’elle ne quitterait pas son poste »… L’Union européenne ne recule devant rien pour imposer son système supranational.

L'annonce par le Premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidzé, de la suspension des négociations avec l'Union européenne (UE) concernant l'adhésion de son pays a été l'élément déclencheur immédiat des combats de rue devant le parlement à Tbilissi. Kobakhidzé, dont le parti a récemment remporté les élections, a déclaré qu'il interrompait les discussions en raison du « chantage et de la manipulation constants » exercés par l'UE. Mais pour les pro-européens et « l’’Occident global » (USA, UE et pays inféodés à Washington), leur échec électoral est dû forcément à des fraudes et à l’ingérence russe. En effet, comment pourraient-ils  concevoir que des peuples ne soient pas irrésistiblement attirés par les « valeurs » de l’UE ?

Reprenons. Au début de l'année, l’UE a gelé le processus d’adhésion de la Géorgie et réduit son soutien financier, après que Tbilissi a adopté une « loi sur les agents étrangers » (1). Bruxelles a insisté pour que cette loi soit abrogée (2)… Mais ce n'était pas l’exigence la plus importante. En effet, les puissances de l'OTAN veulent que la Géorgie coupe tous ses liens avec Moscou et devienne le prochain front de la guerre contre la Russie. Le parti Rêve Géorgien, bien qu'il ait maintes fois affirmé qu'il souhaitait faire entrer le pays dans l'UE, a été qualifié de « pro-russe » (c’est une insulte Bruxelloise…) par les « Européens » et leur presse aux ordres parce qu'il s'est opposé à ce que la Géorgie soit réduite à n’être qu’un client et un vassal de l’OTAN-UE. À juste titre, la Géorgie ne souhaite pas se couper des marchés de la Russie, qui sont essentiels à son économie. Rêve Géorgien, qui qualifie ses opposants de « parti de la guerre globale », a remporté l'élection du 26 octobre dernier avec 53,94 % des voix, en exprimant notamment le sentiment anti-guerre des Géorgiens.

L'ampleur des manifestations antigouvernementales à Tbilissi varie d'un jour à l’autre : « centaines de milliers », « dizaines de milliers » et, ces derniers jours, de « milliers », puis de « centaines ».
Les manifestants brandissent le saint drapeau de l’UE et celui de la Géorgie, ainsi que des pancartes « Esclaves de la Russie ». Bien entendu, les revendications des salariés (emplois, salaires, conditions de travail, soins de santé, etc.) sont absentes…

Rappelons que les USA et l’UE n’en sont pas à leur coup d’essai. En effet, la même raison, la suspension de négociations avec l’UE, avait provoqué le renversement du gouvernement légitime ukrainien par des manifestation et l’occupation de la place Maïdan. Aujourd’hui, le monde entier sait que le « coup d’État de Maïdan » a été fomenté et organisé par les USA et l’UE camouflés en pseudo mouvement populaire baptisé « Révolution orange » (3)
Aujourd’hui, ce sont les manifestants pro-européens de Tbilissi qui attaquent les services de sécurité avec des cocktails Molotov et seraient, selon le secrétaire exécutif du parti Rêve Géorgien, Mamouka Mdinaradze, composés notamment des personnes originaires de Russie, du Royaume-Uni, des États-Unis et des Pays-Bas. Ce bel échantillon de «Géorgien » représenterait  30 % des personnes arrêtées à Tbilissi.
Dans ce contexte, le Premier ministre Kobakhidzé a déclaré que les manifestations constituaient une attaque contre l'ordre constitutionnel du pays et que « les politiciens de l'UE et leurs agents » en étaient responsables. Il a insisté sur le fait que son gouvernement résisterait à une tentative de renversement du type Maïdan et a promis que les opposants subiraient « toute la rigueur de la loi ».

Ce discours s’adresse aussi à Salomé Zourabichvili, actuelle présidente de la Géorgie et ancienne diplomate française. En effet, elle est au centre des manœuvres visant à faire tomber le gouvernement. Oubliant sans doute qu’elle est responsable de ce qui se passe dans son pays, elle  a, dès sa défaite, qualifié  d’illégitimes les élections d’octobre. Mieux, si l’on peut dire, Mme Zourabichvili, après trois décennies de corps diplomatique français, notamment en tant qu'ambassadrice en Géorgie, affirme qu'elle ne quittera pas le poste présidentiel à l'expiration de ses pouvoirs constitutionnels le 29 décembre prochain sous le faux argument que le corps législatif, élisant le nouveau président, n'aurait pas de mandat populaire.

Pendant que Zourabichvili étale au grand jour les « valeurs démocratiques de l’UE », les États-Unis et leurs alliés (l’Axe du bien…) tentent d'isoler rapidement et d'étrangler le gouvernement géorgien. L’administration Biden a annoncé (le 30 novembre) qu'elle suspendait le partenariat stratégique entre les États-Unis et la Géorgie, qu'elle interrompait son aide financière et qu'elle imposait des sanctions. En chiens fidèles, l’UE, le Canada, l'Allemagne et les États baltes lui emboîtent évidemment le pas.
Avec l’hypocrisie et le ridicule qui le caractérise, le Parlement européen, dans une déclaration du 28 novembre « condamne fermement l'ingérence systématique de la Russie dans les processus démocratiques de la Géorgie » et exige (vous avez bien lu…) que Tbilissi annule le vote des Géorgiens : « Les députés européens veulent que les élections soient réorganisées dans un délai d'un an sous une supervision internationale rigoureuse et par une administration électorale indépendante ».

Car pour les européistes, un vote n'est valable que s'il produit le résultat qu’ils souhaitent. Dans le cas contraire, il suffit de faire « revoter » ou de contourner, comme en 2008, le vote populaire des Français de 2005…

En fait, la réalité ou l'irréalité d'une fraude électorale n’est pas la véritable raison pour laquelle les USA-UE-OTAN veulent chasser le gouvernement de Rêve Géorgien. En effet, en Moldavie, Biden et l’UE ont salué le résultat d'une élection pourtant fortement antidémocratique et réellement suspecte qui a donné la victoire aux forces pro-UE avec d'une avance de 1 %…
Quand Rêve Géorgien a remporté les élections législatives fin octobre, avec 53,94 % des voix contre 38 % des voix pour les différents partis d'opposition, les USA-UE-OTAN et leurs marionnettes à Tbilissi ont immédiatement affirmé qu'il existait des preuves de fraudes électorales, de bourrages d'urnes, d'intimidation dans les bureaux de vote, etc. Ces affirmations s’appuient sur des « témoignages » d'observateurs électoraux opposés à Rêve Géorgien car l’on est jamais aussi bien servi que par soi-même… Le bureau du procureur général de Géorgie, qui avait lancé une enquête, a demandé à la présidente Zourabichvili, qui est l’épicentre de ces allégations, de lui fournir les preuves dont elle disposerait. Sa réponse ? : « Ce n'est pas au président de fournir des preuves de fraude électorale ». C’est clair, Zourabichvili n’avait aucune preuve et savait que les enquêteurs, n'en trouveraient que peu, voire pas du tout. D’ailleurs, il n’y en a toujours pas et toute la presse aux ordres n’en demande pas. La manipulation médiatique de Zourabichvili est passée aux oubliettes…

En fait, après l'élection de Donald Trump, l’administration étatsunienne et celle de l'UE sont impatientes d'ouvrir d'autres fronts dans la guerre contre la Russie avant que le tandem démocrate Biden-Harris ne quitte ses fonctions. Outre la Syrie, cela inclut le Caucase du Sud qui se trouve à cheval sur des routes commerciales qui sont au cœur de la lutte menée par les USA-UE-OTAN et leurs complices pour détruire la Russie, la Chine et l'Iran.

Pour preuve une étude récente de l'Institute of War affirme que la Géorgie est essentielle pour sécuriser le « corridor du milieu », une route commerciale reliant l'Asie centrale à l’Europe en contournant la Russie et en réduisant considérablement les temps de transit. « Les volumes de marchandises empruntant ce corridor ont augmenté de près de 65 % au début de l'année 2023, dépassant le million de tonnes », observe l’Institute of  War. « La Géorgie est apparue comme une plaque tournante de ce réseau, jouant un rôle essentiel dans le transport du pétrole, du gaz et des marchandises le long du corridor du milieu ».
Pour les USA-UE-OTAN, il est temps de mettre la Géorgie au pas. Malgré des années de négociations avec l'UE, les États-Unis et l'OTAN, Rêve Géorgien n’est pas suffisamment « efficace ». C'est pourquoi une pseudo « opposition » géorgienne a été activée. Ses dirigeants, dont plusieurs sont issus des universités d'élite étatsuniennes, ont un long passé dans les précédents gouvernements de droite du pays, socialement violents et antidémocratiques. Ces « Chicago boys»  ont, en effet, réduit les dépenses sociales et privatisé à tour de bras, faisant de la Géorgie, en 2008, « le premier réformateur économique du monde », selon la Banque mondiale.

Cette « élite » mondialiste et pro-européenne, en parlant de « voie européenne » et de « démocratie », s’adresse aux couches aisées des grandes villes. Celles-ci ont souvent des liens personnels et financiers avec les institutions européennes et américaines par le biais des affaires, de l'éducation et/ou de l'une des nombreuses organisations de la « société civile » en Géorgie. Évidemment, ce petit monde soutient les manifestations de la jeunesse dorée et le montre en 
fermant de nombreuses universités privées (et coûteuses) de Géorgie.

Mondialistes ? Pro-américains ? Libertarien ?

Pour s’en convaincre, il suffit de visiter le site https://civil.ge/ financé par le gouvernement américain via la National Endowment for Democracy, faux nez de la CIA.

Outre la brassée de fake news, comme on dit maintenant, deux articles dévoilent  l’idéologie politique des « défenseurs de la liberté ». Le premier fait l'éloge de la « jeunesse libertaire de Géorgie », qui mélange la légalisation des drogues avec le soutien à « l'économie libertarienne et à l'intervention minimale du gouvernement » qui est la ligne politique de groupes tels que Ayn Rand Center, Institute for Individual Liberty et Girchi, le « parti de la jeunesse géorgienne de droite ». Tous sont hostiles à l'idée que « l’Etat-nounou » devrait tout nous fournir ».(https://civil.ge/archives/620432)
Le second article publié fait la promotion de la « nouvelle génération de jeunes de gauche », qui, derrière un fatras de références au féminisme, aux droits des travailleurs, à la protection de l'environnement, à l'anti-autoritarisme, à la justice sociale, etc., tente de donner une coloration de gauche au nationalisme géorgien. (https://civil.ge/archives/618807)

Pas sûr que les classes dominées se laissent entraîner dans l'opération de changement de régime menée par les USA-UE-OTAN à Tbilissi car cette manœuvre a donné ses résultats directement observables en Ukraine. Pas sûr non plus, puisque la majorité des Géorgiens a voté contre, que l’illusion d’un « avenir européen » fascine les classes populaires qui connaissent les conséquences de la « voie européenne » : fin de la souveraineté nationale, privatisations tous azimuts, baisse des salaires, des prestations sociales, des retraites, auxquels il faut ajouter la dérive vers la guerre avec la Russie pour commencer…

Même si le parti Rêve Géorgien n'est pas une solution idéale pour le peuple car il représente une partie de la classe dirigeante géorgienne qui pense que ses intérêts seront mieux servis en trouvant une sorte d'équilibre entre la Russie et l’Occident, la tentative de coup d'État fomentée par les USA-UE-OTAN à Tbilissi aujourd'hui sera dirigée contre le peuple demain, dès qu'il exprimera ses revendications légitimes.
Le défi auquel sont confrontées les classes dominées de Géorgie, comme de toute l’UE, est de se débarrasser des politiques néolibérales mondialisées qui pèsent sur elles et conquérir ou reconquérir de nouveaux droits sociaux, politiques et économiques auxquels elles aspirent. 
Pour cela, la lutte politiquement souveraine, non-alignée, des classes dominées est indispensable à Tbilissi comme dans tous les pays du continent européen.


Notes

1 - La loi exige que toute ONG ou organisation médiatique recevant plus de 20 % de son financement de l’étranger s’enregistre en tant qu’“organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère”. Cette mesure assortie de sanctions est destinée à obliger les organisations à être plus transparentes sur leur financement. On comprend que les diverses ONG et agences étatsuniennes et de l’UE, au financements et aux objectifs occultes soient «vent debout» contre cette loi entravant le financement et l’action d’organisations au service de puissances étrangères…

2 -  Le 8 novembre 2023, la Commission a recommandé que la Géorgie se voie accorder le statut de pays candidat, étant entendu qu'un certain nombre de mesures sont prises.
Le Conseil européen a octroyé le statut de pays candidat à la Géorgie les 14 et 15 décembre 2023, pour autant que les mesures pertinentes énoncées dans la recommandation de la Commission du 8 novembre 2023 soient prises.
En juin 2024, les dirigeants de l'UE se sont déclarés vivement préoccupés par l'évolution récente de la situation en Géorgie. En particulier, la loi adoptée sur la transparence de l'influence étrangère représente un recul par rapport aux mesures énoncées dans la recommandation de la Commission relative au statut de candidat. Les dirigeants ont invité les autorités géorgiennes à revenir sur leur ligne de conduite, qui compromet la progression de la Géorgie sur la voie de l'adhésion à l'UE, menant de fait à une interruption du processus d'adhésion.
En octobre 2024, les dirigeants de l'UE ont réaffirmé leur volonté de soutenir le peuple géorgien et rappelé que la ligne de conduite actuelle suivie par la Géorgie compromet sa trajectoire européenne.(https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/enlargement/georgia/#applic…)

3 - Le 22 février 2014, le gouvernement ukrainien élu est renversé mettant au pouvoir des ultranationalistes russophobes soutenus par les “bandéristes”. Foin de complotisme, les faits sont avérés : sur place, la représentante du gouvernement des États-Unis, Victoria Nuland, sélectionne elle-même les membres du nouveau gouvernement putschiste. Elle révélera plus tard que l’organisation du coup d’État de Maïdan a coûté 5 milliards de dollars aux États-Unis. Pour le "plaisir" on ne peut oublier que notre philosophe national, dit BHL soutient les manifestations populaires à Kiev en 2014, au nom de la liberté. Il chante à la tribune les louanges du peuple ukrainien combattant pour sa souveraineté, saluant son appétit revigorant pour l’Union européenne !