Le 08-12-2024
Par Jean-Michel Toulouse, membre du Bureau du PARDEM
Ne cherchons pas à bouder notre plaisir de voir mis à la porte le gouvernement Barnier-Macron, et ce malgré les chantages au chaos, aux cartes vitales inactives, au blocage du versement des salaires des fonctionnaires. Passons sur la nuée de mensonges et d’imbécillités qui ont enflammé les plateaux des médias. Avouons que la panique des « gens bien élevés, nourris, payés, logés et nantis » qui ignorent la réalité sociale et économique à laquelle ils condamnent la majorité de la population est un moment délicieux !
Les envolées lyriques et colériques du « bloc central » se découvrant des velléités de défense des intérêts des classes populaires qui allaient pâtir de la mort du PLFSS 2025 est presque un vaudeville tant le grotesque et le cynisme est visible et hideux. En réalité, le vote majoritaire de la motion de censure déposée par la LFI est un pavé jeté dans la mare du pouvoir : du président de la République, qui voulait jouer un bon coup et ramasser la mise avec la dissolution (mais qui a foiré), et d’un Parlement sous contrôle : le présidentialisme de la Ve République et la tutelle supra nationale de l’Union européenne.
Bien sûr, nous le savons, aucun des problèmes de fond n’est réglé d’autant que Macron, qui s’accroche à son siège papal, ne peut organiser qu’un bis repetita : nommer un Premier ministre acquis au néolibéralisme, à l’Union européenne, au grand patronat et aux marchés financiers. Bref à un programme macroniste. Il tente, au passage, de rallier les « socialistes de gouvernement », c’est-à-dire jamais en reste pour appliquer avec zèle les mesures facilitant le libre-échange et le développement de la compétitivité.
Mais notre satisfaction immédiate va au-delà : finalement c’est la « crise » démocratique subie et dénoncée par une grande partie du peuple qui est enfin entrée dans les palais de la République ! Pourtant il n’existe pas de garantie qu’advienne la rupture nécessaire avec les causes qui produisent leurs effets délétères depuis des décennies. Sans courage ni conviction pour lever les tabous européistes, les députés en place ne fourniront que des sparadraps sur les maux les plus graves qui affectent la France et son peuple.
Si vous avez été déboussolé par les menaces de chaos et les leçons de responsabilité des liquidateurs qui nous gouvernent, si vous éprouvez ne serait-ce qu’un petit doute, alors lisez ce que à quoi à vous avez échappé : un PLFSS 49.3 loin d’améliorer la vie des Français, de leur assurer des jours heureux et servir l’intérêt de tous, nous aurait fait dégringoler la pente pour longtemps.
Dans le même temps, les négociations sur le traité UE-Mercosur aboutissaient. La présidente de la Commission européenne s’en est réjouie. Reste aux 27 pays membres de se prononcer à la majorité qualifiée. Macron votera-t-il non pour la France ? Rien n’est moins sûr.
Une seule certitude : Macron ne quittera pas son poste de président de la République de son plein gré, il devra être jeté dehors !
Sans majorité à l'Assemblée Nationale, le gouvernement Barnier a essayé de forcer le parlement sur les deux textes principaux qu'un parlement démocratique est en droit de voter après débats : le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). On sait ce qu'il en est advenu puisque ce gouvernement a été censuré par 331 voix mercredi 4 décembre 2024.
Pour le PLFSS, l'affaire était mal partie et ce malgré les sommes considérables en jeu : rien moins que 662 milliards d'euros, soit un budget bien supérieur à celui de l'Etat (490 milliards d'euros).
Après avoir annoncé la couleur, faire une « économie » de 60 milliards sur le budget de l'Etat, le gouvernement Barnier avait essayé - au prétexte de la dette et du déficit, les fameux critères de Maastricht qui limitent les dettes à 60 % du PIB et le déficit à 3 % pour le budget de l’Etat, de rendre la Sécurité Sociale anorexique sous le prétendu « trou » de 18 milliards d'euros pour 2025 ! Tout cela, bien entendu, au seul détriment des actifs et des retraités afin de conserver les privilèges des très riches et des grandes entreprises fortement bénéficiaires.
Plongée dans les mesures du PLFSS 49.3 : on a eu chaud !
L'ONDAM (Objectif National des Dépenses d'Assurance Maladie) était ramené à 263,6 milliards d'euros, soit 5 milliards de réduction que le gouvernement Barnier réalisait par plusieurs mesures inacceptables qui touchent non seulement la CNAM (Branche Maladie), mais aussi la CNAV (Branche Vieillesse). Même si ce budget est rendu caduque du fait de la censure du gouvernement, il est intéressant de connaître quelles étaient ses principales dispositions, toutes régressives :
- diminution des remboursements de consultations médicales de 5 %,
- diminution des indemnités journalières calculées jusqu'ici sur la base d'un salaire de 1,8 SMIC (3 180 euros brut mensuels), rabaissées à 1,4 SMIC (2 473 euros brut mensuels),
- diminution des prix des médicaments et dispositifs médicaux aggravant encore les délocalisations (Affaire Opella-doliprane), et rabotage systématique des prises en charge concernant les lunettes correctives et les appareils auditifs,
- diminution de l'indexation des retraites supérieures au SMIC à compter du premier juillet 2025 et suppression pour les autres pénalisant encore les classes laborieuses alors que les super profits du CAC 40 (73 milliards d'euros en 2023) sont épargnés tout comme la fraude fiscale (évaluée à 100 milliards d'euros) en même temps que Barnier/Macron refusent de rétablir l'ISF,
- augmentation de 4 points des cotisations employeurs CNRACL (services publics) au détriment des collectivités territoriales et des hôpitaux déjà exsangues,
- allègement des cotisations patronales sur les bas salaires pour favoriser une prétendue « reprise économique » qu'on attend depuis des décennies et qui n'arrivera pas plus.
- création d'une deuxième journée « de solidarité » comme celle du lundi de Pentecôte de 2004, qui pouvait rapporter 3 milliards, sur le dos des salariés évidemment,
- hausse de 30 à 40 % du « ticket modérateur » à la charge des salariés sur les consultations médicales et de sages-femmes (la consultation médicale passant de 26,50 euros à 30 euros dès janvier 2025, n’étant plus remboursée qu'à 65 % au lieu de 70% actuellement, sauf quand même pour les patients atteints d'affections de longue durée (ALD). Des millions de citoyens sans mutuelle qui se privent de soins auraient été encore moins soignés.
- diminution du volume des transports sanitaires (450 millions d’euros),
- Nouvelle cure d'austérité imposée aux hôpitaux publics alors que l'on connaît leur quasi-effondrement, par des restrictions sur les dépenses liées à la politique des achats hospitaliers (700 millions d’euros...), à la biologie et à l'imagerie médicale. Rappelons que 4 500 lits ont encore été fermés rien qu'en 2024 !
L'ensemble de ces mesures scélérates aurait entraîné une augmentation des cotisations des mutuelles, des frais supplémentaires pour les assurés par l'ajustement à la hausse des contrats de prévoyances (environ plus 8%). En conséquence, le reste à charge pour les ménages et les assurés sociaux aurait considérablement augmenté.
49.3 : Députés privés à nouveau de leur rôle législatif et de contrôle du gouvernement
L'Assemblée Nationale n'a pas eu le temps d'examiner la totalité du budget (partie dépenses) proposé par le gouvernement. Du fait de l'application de l'article 47.1 de la Constitution, le gouvernement a transmis au Sénat le texte initial parce que le délai de 20 jours a été dépassé… Ainsi le texte transmis au Sénat est celui du gouvernement, sans les amendements votés par l'Assemblée Nationale dans sa partie recettes.
Par ailleurs, le Conseil des ministres ayant autorisé le Premier ministre à utiliser l'article 49.3 pour faire passer sans plus de débats le PLFSS si la discussion au Parlement ne le satisfaisait pas. On sait que le Sénat dispose d'une majorité de droite et que le texte gouvernemental devait être amendé dans un sens acceptable par la Commission Mixte Paritaire. Sept députés et sept sénateurs ont conclu un accord (les dépenses de santé auraient diminué de 300 millions d'euros, le patronat obtenant 1,6 milliard de baisse des « charges sociales »). Tous les retraités n’auraient vu leurs retraites revalorisées que de 0,1 % au premier janvier 2025, ce qui est ridicule par rapport à l'inflation réelle. Devant les protestations, la CMP a fait un sort au scandale supplémentaire de « la solidarité par le travail », sept heures de travail gratuit devant générer 2,5 milliards de recettes supplémentaires sur la branche autonomie de la Sécurité Sociale. Le nouveau texte revenant à l'Assemblée Nationale à partir du 2 décembre, celle-ci aurait eu le dernier mot (cf.article 45 de la Constitution). On a vu la suite : l'Assemblée nationale confrontée à la pratique du 49.3, a voté une motion de censure (article 49 alinéa 3) le mercredi 4 décembre.
On aurait pu penser que le RN, empêtré dans l'affaire judiciaire des assistants parlementaires au « parlement européen » négocierait son abstention en échange d'une candidature aux prochaines élections présidentielles quelle qu'en soit la date. Il n'en a rien été et le gouvernement Barnier-Macron est tombé.
Le RN a dû estimer que son électorat ne comprendrait pas le refus de voter la motion de censure et risquait de perdre des voix aux prochaines législatives et à la présidentielle…
La motion de censure, soutenue par une majorité de Français, envoie un signal fort
Ainsi, malgré le chantage au « chaos », malgré les concessions de Barnier au RN en cédant sur l'augmentation des tarifs de l'électricité lors de la discussion du PLF (Projet de Loi de Finances), malgré l'énormité des mensonges sur « l'arrêt de la validité de la carte Vitale » proféré par Madame Borne, malgré la fable s'agissant des réductions d'impôts concernant certaines catégories de salariés, malgré des concessions de dernière minute (par téléphone) sur la suppression des déremboursements de médicaments (ce que le gouvernement pouvait d'ailleurs maintenir par décret), malgré la scandaleuse concession au RN s'agissant de la réduction des soins pour les sans-papiers sur l'Aide Médicale d’Etat (AME), malgré l'abandon de la désindexation partielle des pensions de retraites, le gouvernement Barnier-Macron s’est cassé le nez sur une motion de censure, ce qui n'était pas arrivé depuis 1962 !
La contrainte du 49.3 démontre encore une fois que le macronisme entend faire payer aux seules classes populaires, sa « politique de l'offre » et ses cadeaux inconsidérés au patronat (200 milliards d'euros en 2023 selon l'Institut de Recherches économiques et sociales), sans aucune espèce de contreparties ni sur l'emploi ni sur l'interdiction des délocalisations. Cela explique la dette de 3 250 milliards d'euros (mille de plus qu'en 2017 et 112 % du PIB...) et le déficit de l'Etat (6,1 % du PIB, soit en gros 186 milliards d’euros). Pourtant d’autres solutions existent bel et bien. Au-delà du rétablissement de l'ISF, de la suppression de la fraude fiscale et des cadeaux au patronat, de l’impôt plus progressif, la taxation des super-profits du CAC 40, la résorption du chômage de masse, faisant disparaître le « trou » de la Sécurité Sociale etc.), c’est au mécanisme de l’emprunt qu’il faut s’attaquer. Stopper l’emprunt auprès des marchés financiers en abolissant la loi de 1973 et en revenant à la souveraineté monétaire avec une Banque de France autorisée à prêter à l’État français. Mais pour cela il faudrait sortir de l’euro et de l’Union européenne. Faute d’avoir la lucidité et le courage de le faire, les intérêts de la dette à verser aux banques continueront de plomber le budget de la France.
Avec ce budget de régression et d'atteintes aux conquis du salariat, le macronisme et ses alliés nous rapprochaient de la privatisation de la Sécurité Sociale et de l'hôpital public, tant convoités par les liquidateurs des services publics et de la socialisation ! Ne sont-ce pas là les derniers objectifs de Macron d'ici 2027, avec la liquidation de la Fonction Publique et la destruction de la démocratie territoriale déjà largement entamée ?
Une nouvelle musique grince : un parlement consensuel dont les forces opposées dialogueraient
Pour maintenir leur illégitime pouvoir et leurs privilèges indus, les classes dirigeantes sont prêtes à tout. On a entendu ces derniers jours une petite musique envahir les médias mainstream : il s'agirait de se réhabituer au « parlementarisme », de découvrir les charmes du « travailler ensemble », des « compromis raisonnables » , des propositions de « pacte sans censure », acceptés en dernière seconde par certains sociaux-démocrates qui rêvent d'abord de briser le NFP (les socialistes Delga-Hollande-Vallaud-Guedj et les Valls-Glucksmann-Cazeneuve et consorts). Ces “bien connus“ du peuple français qui sévissent depuis des lustres ne font qu'alimenter les manœuvres de Macron, lequel, depuis l'Arabie Saoudite, déclarait « ne pas croire à la censure » mais s'empresse d'intervenir le lendemain de celle-ci (jeudi 5 décembre), comme si le renversement de Barnier n'avait pas existé, pour signifier que c'est toujours lui le « maître des horloges ». Nul doute qu'il va nommer un Premier Ministre clone de Barnier : un Cazeneuve, un Bayrou, un Lecornu, un Baroin, un Retailleau, un Bertrand… fausse solution foulant aux pieds le verdict populaire du 7 juillet dernier au deuxième tour des législatives, qui avait placé le Nouveau Front Populaire en tête en nombre de députés. Même sans majorité à l’Assemblée.
Dormez tranquilles braves gens, Macron veut « assumer ses responsabilités » jusqu’en 2027
De toutes façons, Macron ne démissionnera pas, il l’a rappelé lors de son allocution jeudi soir. Et les chances qu’il soit « démis » sont minces, faute de majorité de députés assez courageux pour le faire. Le président de la République nommera donc un nouveau Premier ministre qui poursuivra une politique du « bloc central » jusqu'en 2027, quitte à déclencher l'article 16 pour ce faire. Car le Capital a besoin de sa politique pour achever la casse sociale (250 000 licenciements sont annoncés chez Auchan, chez Michelin, dans l'automobile, dans le textile, dans la chimie...) puisque l'austérité et « la réduction du coût du travail » sont un des moyens pour la bourgeoisie mondialiste pour maintenir ses profits sans produire.
Rappelons que le poids de l’industrie dans le PIB ne cesse de baisser depuis l'introduction de l'euro et la financiarisation du capital (23% en 2001 contre 9 % en 2023). Le désastre se poursuivra tant que le peuple ne s'en mêlera pas.
Mais jusqu’à quand nous laisserons-nous manger la laine sur le dos ?
Jusqu’à quand tolèrerons-nous que les classes dirigeantes de ce pays détruisent notre économie, surexploitent les classes travailleuses, livrent notre souveraineté populaire et notre indépendance nationale, nos biens communs à « l'UE » et déclassent la France à un moment où le « Sud Global » se libère de cinq siècles de domination « occidentale » , de colonialisme et de sous-développement organisé ?
L'exemple de la révolte des agriculteurs et des paysans de notre pays, le réveil possible des Gilets Jaunes et la colère populaire qui monte doivent être médités. Le chemin de la résistance à la dictature bonapartiste de la macronie passe par ces étapes. Oui, nous sommes bel et bien dans un moment stratégique où la lutte des classes s'impose dans le paysage politique français. Les multiples manifestations et grèves en sont l’expression. Elles restent cependant trop faibles et trop peu solidaires entre elles pour faire basculer le rapport de forces en leur faveur pour le moment. Mais l’histoire nous a montré qu’il suffit parfois qu’une étincelle jaillisse pour que le peuple endosse à nouveau son costume de mouton noir, s’embrase et renverse la table !
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