Biden : l’illusion a fait long feu, démocrates as usual !

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Joe Biden

 

par Joël Perichaud, Secrétaire national du Parti de la démondialisation aux affaires internationales

Les néolibéraux, les Atlantistes, la sociale démocratie et les chiens de garde de la presse aux ordres étaient tous enthousiastes. Trump battu, la présidence de Joe Biden allait être un enchantement : politiques keynésiennes aux États-Unis, relations internationales “normales”, réformes en faveur des plus démunis et des “minorités”, etc.
Bref, tous ces  marchands d’illusions vendaient le même spectacle, avec la même musique qu’en 2009, lorsqu’ils adulaient Barack Obama. Souvenez-vous… On allait voir ce qu’on allait voir :  limitation du pouvoir des banques et des fonds d’investissement responsables de la crise de 2008,  immense réforme du système de santé, de la sécurité sociale, des retraites, réforme fiscale pour faire payer un peu plus d’impôts aux plus riches… Et, bien sûr, rien de tout cela ne s’est produit.
La même production hollywoodienne s’est répété pour Biden. Il allait demander aux grandes entreprises et aux plus riches de payer plus d’impôts et, pas avare de promesses, avait même annoncé des mesures facilitant l’accès à la santé, à la protection sociale ainsi qu’un salaire horaire minimum légal de 15 dollars !
Pour calmer l’électorat le plus à gauche du parti Démocrate et “en même temps” (comme dit l’autre) pour “maîtriser” Bernie Sanders, celui-ci a été nommé président de la commission du budget du Sénat. Du lourd… soit-disant…

Les promesses électorales n’engagent que ceux qui les croient

Après an de mandat, aucune des promesses de plus de justice sociale n’a été tenue. Le salaire minimum fédéral reste fixé à 7,25 dollars, la promesse des 15 dollars a été abandonnée. Entendons-nous bien. La notion de salaire minimum aux États-unis et en France est complètement différente. En effet, établi pour la première fois par Franklin Delano Roosevelt en 1933 dans le cadre du National Industrial Recovery Act (déclaré inconstitutionnel), il ne sera effectif qu’en 1938 (Fair Labor Standards Act) et fixé à 25 cents de l’heure (environ 4 dollars actuels)… Mais, parallèlement, la loi fédérale permet aux États et aux localités d’adopter leurs propres lois salariales et salaires minimums tant que ce salaire est supérieur aux 7,25 dollars de l’heure fixés en 2009 et toujours actuels. Les État gardent donc la main sur le salaire minimum qui s’appliquera chez eux. Si certains États (Alabama, Louisiane et Mississippi) n'ayant pas de salaire minimum officiel doivent donc adopter le salaire minimum fédéral, la Géorgie et le Wyoming ont des salaires minimum officiels inférieurs au salaire minimum fédéral (5,15 dollars de l’heure).
On voit donc que si l’augmentation du salaire minimum fédéral est théoriquement bénéfique pour chaque citoyen étasunien, il ne supprime pas la “concurrence” entre États et salariés. Le rêve de l’Union européenne…

Avec Biden, aucun prélèvement d’impôts nouveaux sur les grandes entreprises et sur les plus riches. Pire, l’administration Démocrate va favoriser les riches en portant de 10 000 à 80 000 dollars le montant déductible par contribuable, de ses impôts fédéraux au titre du paiement d’impôts locaux (municipaux ou payés à l’État). Selon diverses études, le nouveau plafond de 80 000 dollars bénéficiera à 94 % au quintile supérieur des contribuables du pays (qui gagnent au moins 175 000 dollars par an) et à 70 % aux 5 % supérieurs. Quant au Trésor, il perdra 275 milliards de dollars par an.

Après la raclée reçue par les USA en Afghanistan, la désignation de “nouveaux” ennemis, Chine et Russie, justifie l’augmentation du budget militaire. Celui-ci, le plus élevé depuis la Deuxième guerre mondiale, est porté, avec l’appui des Républicains, à 720 milliards de dollars.

En matière de travaux publics, Biden a fait passer, avec l’appui des Républicains, un budget favorable aux grandes sociétés de construction.

En matière sanitaire, malgré la gravité de la situation, Biden n’a pris aucune mesure qui aurait pu contrarier les intérêts des grandes entreprises pharmaceutiques. Alors que le gouvernement des États-unis détient le principal brevet pour la production des vaccins à ARN messager (ARNm), il refuse de faire produire des vaccins par le secteur public des États-Unis ou par d’autres pays.
Toute la production est réservée à Big Pharma et les brevets que les entreprises privées ont déposés ne sont pas suspendus. Suite à la demande de plus de cent pays, et en totale contradiction avec son affirmation de mai 2021, il n’a pas levé le brevet que l’État détient et dont les pays capables de produire eux-mêmes des vaccins pourraient bénéficier.

Non seulement Biden n’a pas régulé la finance mais il favorise les marchés financiers et le grand capital. En effet, il a prolongé le mandat de Jerome Powell, président de la Réserve fédérale nommé par Donald Trump et a nommé Janet Yellen (ex-présidente de la Réserve fédérale) au poste de secrétaire d’État au Trésor (l’équivalent du ministère des Finances). Début décembre 2021, Saule Omarova, qui devait prendre en charge la régulation bancaire à la tête du Bureau du contrôle de la monnaie (Office of the Comptroller of the Currency) a même été évincée suite à une campagne de déstabilisation lancée par Wall Street et par les Républicains.

Ce n’est pas tout. Biden avait promis un grand programme de dépenses pour plus de justice sociale et pour la défense de l’environnement. Ce programme  baptisé « Build Back Better » (Reconstruire en mieux, connu sous ses initiales BBB), aurait dû être adopté en même temps que le grand plan de dépenses de travaux publics cher aux grandes sociétés de construction. Mais Biden et Nancy Pelosi (présidente du Congrès) ont cédé à la demande des Républicains de séparation des votes. Résultat :  le plan “travaux publics” a été adopté avec le soutien des Républicains mais le programme « Build Back Better », saboté par la droite du parti démocrate, sera très probablement abandonné.

Biden n’a pas défendu la législation fédérale qui dépénalise l’avortement. Il s’est contenté d’exprimer son désaccord avec les États qui, comme le Texas, ont déjà adopté une législation anticonstitutionnelle interdisant et pénalisant l’avortement même en cas d’inceste ou de viol (1). La décision de la Cour suprême, du 24 juin 2022, annulant l’arrêt Roe v. Wade de 1973 constitue un sinistre revers pour, environ 25% des femmes qui, aux États-unis, sollicitent une interruption de grossesse au cours de leur vie. Mais, contrairement aux fausses informations propagées par la presse main stream, la Macronie et consort, l’arrêt de la Cour Suprême n’interdit pas l’avortement  mais considère que la Constitution américaine n’en garantit pas le droit. La cour considère que ce droit est de la responsabilité de chaque État : “the authority to regulate abortion is returned to the people and their elected representatives” (l’autorité pour réglementer l’avortement est rendue au peuple et à ses représentants élus)... ce qui est l’équivalent de la situation française.

Alors qu’au moins 18 États ont adopté plus de 30 lois électorales restrictives à l’exercice du droit de vote des classes populaires, notamment des Afro-Américains (interdiction du vote en «drive-in», nombreuses restrictions aux horaires de vote et au vote par correspondance, etc.) et que des dizaines d'autres sont en cours d’examen, l’Administration Biden laisse faire.

Politique internationale : La guerre quoiqu’il en coûte… aux autres

En matière de politique internationale, Biden prolonge les mesures adoptées par Trump : soutien total au régime d’apartheid israélien, durcissement des blocus criminels envers Cuba, le Venezuela et l'Iran, aujourd’hui un peu tempéré par les besoins en pétrole des USA, expansion de l’OTAN dans l’est de l’Europe (Suède et Finlande) et au Moyen Orient, création de l’AUKUS (alliance militaire Australie, Royaume Uni, USA), discours guerrier contre la Russie (demandant un “changement” de régime) et la Chine, financement annuel (1,3 milliard de dollars) du régime militaire égyptien, financement originel de 40 milliards de dollars devenu “open bar" pour le régime corrompu et fascisant ukrainien, soutien sans faille du régime saoudien, impérialisme économique et politique, avec la complicité des élites européistes, envers les peuples de l’Union européenne.

Biden est l’incarnation de la ligne politique traditionnelle du parti démocrate : le jusqu’au-boutisme guerrier. Il envoie en première ligne les peuples d’Europe avec la complicité des gouvernements les plus réactionnaires (Pologne) et les plus corrompus (Ukraine) arrosés de matériel de guerre US et de dollars. En effet, pour étendre l’OTAN au lieu de conforter la paix, Biden a préféré risquer une intervention Russe en Ukraine plutôt que de perdre la face en cédant sur la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. La position officielle des États-Unis a été expliquée par le Conseiller spécial à la sécurité, Jake Sullivan, le 10 avril dernier (interview sur la chaîne NBC) : « Ce que nous voulons, c’est une Ukraine libre et indépendante, une Russie affaiblie et isolée et un Occident plus fort, uni et déterminé. Nous pensons que ces trois objectifs sont atteignables et à notre portée. » Dans les faits, combattre la Russie jusqu’au dernier Ukrainien…
Échec de Biden en Amérique latine : Il est parvenu à créer un front commun sans précédent contre les États-Unis : Le 9e Sommet des Amériques (6-10 juin à Los Angeles) s’est tenu sans les principaux pays intéressés (Cuba, Vénézuéla, Nicaragua, Mexique…) et une douzaine d'États latino-américains n'y ont envoyé que des délégations de moindre importance, juste en observateurs. De plus, comme à Québec en 2001, un Sommet alternatif des peuples s’est tenu à Los Angeles auxquelles ont participé différentes organisations syndicales et populaires des États-Unis et des pays qui ont menacé le sommet officiel d'un boycott.

Biden présentera la facture aux classes populaires…

Après la crise financière de 2008 et à partir de 2020, les gouvernants des États-Unis ont fortement augmenté la dette publique. Au troisième trimestre 2021, elle dépassait 28 000 milliards de dollars, soit 125 % du PIB du pays. Elle augmentera sans provoquer de grands remous, ni aux Etats-unis, ni ailleurs. Bien entendu, les dettes des ménages des classes populaires ont augmenté aussi. Leurs remboursements ont été allégés par des “aides sociales” (versées sous forme de chèques)  envoyés en 2020-2021 par les gouvernements Trump et Biden et par des suspensions  provisoires du remboursement des dettes étudiantes, de certaines dettes hypothécaires, de certaines dettes de loyers… Ces aides, non-structurelles, ne constituent pas de nouveaux droits et ne sont pas pérennes. Mais en matière de fiscalité pour les plus pauvres, le provisoire ne dure pas…
L’échéance était en mai 2022 pour les dettes étudiantes (montant total 1 600 milliards de dollars). Quant à la dette des petites entreprises privées qui a très fortement augmenté, la remontée prévisible des taux d’intérêts va ouvrir la porte à nombre de faillites et à une nouvelle crise financière.

L’abandon des classes populaires par Biden montre la continuité néolibérale de sa politique avec celle des présidents Républicains précédents. Si, comme nous l’avons vu plus haut, la dette étasunienne ne provoque aucun commentaire des élites européennes, la dette de chaque pays sera le prétexte pour l’Union européenne (UE), la Macronie, le gouvernement allemand et tous les néolibéraux, pour présenter la facture aux peuples. Ce sont donc eux qui, comme toujours, paieront la facture des riches.

… et creuse la tombe des Démocrates

C’était prévisible. Biden, comme tous ses prédécesseurs, va d’annonces en promesses non tenues. Sa politique poursuit l’offensive néolibérale contre les classes populaires. Seule la gauche néolibérale, dite “de gouvernement”, a pu se faire des illusions ou tenté de faire croire en un Biden “chevalier blanc”. Alors, forcément, Biden et le parti Démocrate déçoivent, une nouvelle fois, les classes populaires qui ont cru au mirage démocrate en 2020.
Car aux État-unis comme ailleurs, la sociale-démocratie et la gauche ne font qu’appliquer, souvent avec plus de rigueur et de brutalité que la droite, les politiques néolibérales favorables aux classes dominantes. En effet, la gauche ne défend plus les classes populaires depuis longtemps et se montre incapable de concevoir un programme en faveur des classes populaires basé sur l’égalité, la justice sociale et fiscale, la santé pour tous, la satisfaction des besoins de toute la population. Bref, une autre société, débarrassée du néolibéralisme et de ses structures supranationales comme l’UE et la Banque centrale européenne (BCE). Face  au vide programmatique et intellectuel de la gauche, les classes populaires se tournent vers ceux qui font semblant de les défendre et l’expriment dans les urnes. C’est pourquoi, aux États-unis, les Républicains ont renforcé leur position en automne 2020 et que les élections d’octobre 2022 peuvent faire perdre aux Démocrates leur faible majorité au Parlement et au Sénat, Les Démocrates rendent donc possible, si ce n’est certaine, la victoire des Républicains (et de Trump ?) aux élections présidentielles de 2024.

Mais ne nous faisons pas d’illusion. Les enseignements de la situation des États-Unis, pas plus que les effondrements des gauches sociales-démocrates et néolibérales “de gouvernement” dans les pays de l’Union européenne, ne leurs servent de leçon. Ils ne changent pas de cap.

L’avenir des classes populaires et des peuples ne se construira pas avec ceux et celles qui sont les responsables de la situation actuelle, autrement dit ceux qui sont “le problème”. Il se construira par et avec le peuple. Pour le peuple des États-Unis, comme pour tous les peuples, la seule alternative est la remise en cause radicale du système politique et du néolibéralisme.

Pour aller plus loin :
https://www.pardem.org/les-dix-points-cles-du-programme-du-pardem
et
https://www.pardem.org/node/4420

Note
1 - Au Texas, l'immense majorité des avortements est désormais illégale avec l’entrée en vigueur, le 1/09/2021, de la loi "Texas Senate Bill 8" (S.B. 8), baptisé "Texas heartbeat act" (loi du battement de cœur), interdisant une IVG dès que les battements de cœur du fœtus sont perceptibles, soit  vers six semaines.  Mais, en pratique, de nombreuses femmes ignorent encore, à cette échéance, qu’elles sont enceintes. La loi texane s’applique même en cas d'inceste ou de viol, la seule exception étant l’extrême urgence médicale, non définie. Cette loi, pourtant jugée “anticonstitutionnelle” par Biden, n’a  pas été bloquée par la Cour suprême américaine après un recours en urgence… Au contraire, celle-ci est revenue sur l’arrêt principal (Roe v. Wade de 1973). Pour comprendre, voici quelques éléments d’histoire…
 Aux États-Unis, l'avortement était légal tant que le fœtus n'était pas viable soit, entre 22 et 24 semaines de grossesse. L’avortement y était un droit fondamental, protégé par la Constitution en vertu de deux jurisprudences:  La principale, l’arrêt Roe v. Wade de 1973 qui avait légalisé l’avortement à l'échelle nationale aux États-Unis, le faisant relever d’un droit à la vie privée, protégé par le 14e amendement de la Constitution. La seconde jurisprudence, socle du droit à l’avortement, est le cas "Casey" de 1992 (“Planned Parenthood v. Casey”), qui autorise l'avortement tant que le fœtus n'est pas viable, soitjusqu’à 22 à 24 semaines de grossesse. Aux États-Unis, la loi fédérale est au-dessus de celles des États mais ce n’est pas la première fois qu’un État américain brave la loi fédérale pour voter une loi anti-avortement. Avant le Texas, au moins douze États (les derniers en date étant l’Alabama et le Mississipi) avaient voté des lois pour interdire les IVG dès le moment où les battements du cœur du fœtus sont perceptibles. La plupart d’entre elles avaient été déboutées par des tribunaux fédéraux et des décisions sont encore attendues. Si le "Texas Senate Bill 8" est plus pernicieux et dangereux, c’est que l’Etat du Texas a formulé son texte de loi de façon à se soustraire à sa responsabilité constitutionnelle. En effet, le texte prévoit que ce n’est pas aux autorités de l’État de faire respecter ladite loi, mais aux citoyens de porter plainte au civil contre toute structures, organisations ou quiconque « aiderait et encouragerait » une femme à avorter. Concrètement, n’importe quel Américain, de n’importe quel État du pays, peut poursuivre les médecins ou les personnes qui auraient aidé une femme à avorter après six semaines de grossesse au Texas, qu’ils connaissent la patiente ou non, que l’aide apportée soit sous forme médicale ou autre. Cependant, l’action dite “populariste’” par laquelle n’importe quel citoyen peut porter plainte, est un problème procédural (relatif à la procédure judiciaire). En effet, cela est contraire aux lois texanes et à l’Article 3 de la constitution américaine qui impose de prouver un intérêt à agir, prouver que l’on est victime, avant de pouvoir poursuivre quelqu’un devant un juge. Cette loi est aussi une loi d’intimidation. Elle prévoit que les citoyens qui engageront des poursuites perçoivent au moins 10 000 dollars de “dédommagement”, payés par la personne poursuivie en cas de condamnation. Celle-ci devra aussi assumer ses frais juridiques en cas de victoire et pourrait même faire face à plusieurs actions en justice pour le même avortement. Enfin, la loi du Texas a été rédigée pour qu'il soit difficile de la contester devant les tribunaux fédéraux. Une action en justice visant à bloquer une loi pour inconstitutionnalité désigne, habituellement, des représentants de l'État comme responsables. Mais avec le "Texas Senate Bill 8", qui transfère cette responsabilité aux mains des citoyens, les tribunaux fédéraux deviennent impuissants. D’ailleurs, la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays, qui devait statuer avant le 1er septembre 2021, n’a pas accepté cette demande urgente de bloquer la loi Texane. Il faut dire que les juges de la Cour suprême qui se positionnent ouvertement contre les lois protégeant l’avortement sont nombreux et qu’ils n’hésiteront pas à les remettre en question.